Le Mont Fuji et la lance ensanglantée (Tomu Uchida - 1955)
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wootsuibrick
adeline
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Le Mont Fuji et la lance ensanglantée (Tomu Uchida - 1955)
C'est un film assez étrange, et magnifique. L'histoire d'un lancier, de son maître, des gens qu'il rencontre au hasard d'un voyage vers Edo. C'est un film qui démystifie les samouraïs, et qui pense leur place dans la société japonaise de l'époque (mais je ne sais pas quelle époque c'est précisément) au moins aussi profondément que Les 7 Samouraïs, de Kurosawa. Mais c'est surtout une sorte d'ode tragi-comique au gens normaux, ceux qu'on croise sur les routes, des gens bons, courageux sans être héroïques, parmi lesquels il y a des voleurs et des lâches aussi. Le film détruit les nobles (ridicules lors de la cérémonie du thé devant le mont Fuji, mauvais lors de l'algarade entre samouraï, perdus comme l'est Shojuro Sako, le maître de Gonpachi), et fait des serviteurs, des femmes élevant seules leur enfant, de l'orphelin, du mineur, des personnages bons et forts.
Le film se déroule comme une comédie de mœurs un peu grotesque et loufoque durant ses deux premiers tiers, puis le tragique prend le dessus lors de la vente de la fille, et finalement, c'est un drame qui ne trouve pas de résolution heureuse. La critique communiste de la société est bien là, mais elle n'ouvre pas sur un changement de l'ordre social, ou une transformation des configurations entre les personnages, puisque Gonpachi repart seul, après avoir formé, lors de quelques plans, une famille idéale avec l'orphelin, la mère seule et sa petite fille.
Je n'avais jamais vu le Japon médiéval (?) représenté de cette manière, sans guerre, dans la vie de tous les jours, avec ses heurs et ses malheurs, simplement, comme une fête de village. Parce que ça n'a rien à voir avec Mizoguchi non plus, rien du tout...
Le film se déroule comme une comédie de mœurs un peu grotesque et loufoque durant ses deux premiers tiers, puis le tragique prend le dessus lors de la vente de la fille, et finalement, c'est un drame qui ne trouve pas de résolution heureuse. La critique communiste de la société est bien là, mais elle n'ouvre pas sur un changement de l'ordre social, ou une transformation des configurations entre les personnages, puisque Gonpachi repart seul, après avoir formé, lors de quelques plans, une famille idéale avec l'orphelin, la mère seule et sa petite fille.
Je n'avais jamais vu le Japon médiéval (?) représenté de cette manière, sans guerre, dans la vie de tous les jours, avec ses heurs et ses malheurs, simplement, comme une fête de village. Parce que ça n'a rien à voir avec Mizoguchi non plus, rien du tout...
adeline- Messages : 3000
Re: Le Mont Fuji et la lance ensanglantée (Tomu Uchida - 1955)
c'est un très beau film. la bataille finale de Gonpachi est très impressionnante de dérisoire pathétique et pourtant meurtrier : elle n'en finit pas, les combattants sont épuisés avant d'être excités, c'est un moment terrible. et puis tout finit par rentrer dans l'ordre : le lancier reste lancier et la veuve poursuit seule son chemin. l'ordre social est plus fort. le film d'un idéaliste, mais pas un film idéaliste.
Invité- Invité
Re: Le Mont Fuji et la lance ensanglantée (Tomu Uchida - 1955)
un de mes cinéastes préféré...
Le Mont Fuji est vraiment excellent.
et le détroit de la faim du même réalisateur est un des plus grands films japonais.
Le Mont Fuji est vraiment excellent.
et le détroit de la faim du même réalisateur est un des plus grands films japonais.
Re: Le Mont Fuji et la lance ensanglantée (Tomu Uchida - 1955)
salut Woot, on t'attendait ici.
il y a aussi cette histoire d'un marchand roulé dans la farine par une prostituée, mais le titre m'échappe. très flaubertien, avec de belles couleurs, et très sensible.
il y a aussi cette histoire d'un marchand roulé dans la farine par une prostituée, mais le titre m'échappe. très flaubertien, avec de belles couleurs, et très sensible.
Invité- Invité
Re: Le Mont Fuji et la lance ensanglantée (Tomu Uchida - 1955)
oui, c'est dans le même coffret, les trois seules films dispo de uchida, en france... Meurtre à Yoshiwara.
Faudrait qu'un jour j'arrive à écrire dessus. Mais j'avoue qu'il m'est très très difficile d'écrire sur ce qu'on appelle des classiques, des films de studio.
J'ai aussi vu ses Miyamoto Musashi (bien meilleur que le truc plat avec mifune, réalisé par inagaki), et sa version de Daibosatsu Toge (le col du grand bouddha) avec chiezo kataoka, le marchand qui se fait roulé dans la farine comme tu dis (la version la plus connue de daibosatsu toge en france est celle de okamoto kihachi, avec nakadai tatsuya, distribuée sous le titre sword of doom, le sabre du mal), .
Faudrait qu'un jour j'arrive à écrire dessus. Mais j'avoue qu'il m'est très très difficile d'écrire sur ce qu'on appelle des classiques, des films de studio.
J'ai aussi vu ses Miyamoto Musashi (bien meilleur que le truc plat avec mifune, réalisé par inagaki), et sa version de Daibosatsu Toge (le col du grand bouddha) avec chiezo kataoka, le marchand qui se fait roulé dans la farine comme tu dis (la version la plus connue de daibosatsu toge en france est celle de okamoto kihachi, avec nakadai tatsuya, distribuée sous le titre sword of doom, le sabre du mal), .
Re: Le Mont Fuji et la lance ensanglantée (Tomu Uchida - 1955)
sinon, la lance ensanglanté, a aussi pour base boule de suif... comme oyuki la vierge de mizoguchi.
Re: Le Mont Fuji et la lance ensanglantée (Tomu Uchida - 1955)
comme Stagecoach de Ford. va falloir lire ça un jour ou l'autre.
Invité- Invité
Re: Le Mont Fuji et la lance ensanglantée (Tomu Uchida - 1955)
il y a une très jolie métaphore de la hiérarchie féodale des pouvoirs dans le film ; elle est énoncée par le samouraï à la fin du film, quand il boit avec son "serviteur", rompant avec la loi qui interdit aux deux de trinquer ensemble.
« Tu es toi, je suis moi; tu n'es pas mon ombre », dit-il en substance, et poussant plus loin cette idée, il s'interroge sur son propre être : si son serviteur n’est que son ombre, lui-même n’est que l’ombre de l’empereur ; et l'empereur lui-même de qui donc est-il l'ombre ? c’est la question, et c’est pas celle que deleuze attribue à kurosawa : « nous, samouraïs à quoi servons-nous ? » ici, la question de la fin (utilité, raison d’être) passe par une interrogation sur l’être du maître suprême, sur l’être de la fin, celui vers qui l’action finalement se tourne, et qui en est la véritable origine ; l’empereur est-il une ombre ? est-il origine première ; lumière qui éclaire toute chose ou n’est-il lui-même qu’une ombre? Platon chez les samouraïs ; cette question est posée par un type qui a trop bu, qui boit trop, qui ne supporte pas l’alcool ;le combat final mêle le sang et le saké, si je me trompe pas, dans la boue ; c’est l’alcool qui en un certain sens déconstruit l’ordre féodal ; on peut penser aux analyses de deleuze, sur les rapports entre le rêve américain et l’alcoolisme ; l’alcool, comme critique radicale de toute illusion ; l’alcoolique c’est celui qui ne se fait pas d’illusion, celui qui ne rêve pas ; la puissance du nihilisme passif.
Le refus du partage maître/serviteur c’est la seule manière pour le samouraï de se libérer ; comme dit Arendt, il n’y a liberté que là où règne l’égalité. L’égalité, la seule manière de quitter la hiérarchie des ombres.
Par rapport à Kurosawa, qui interroge l’être des samouraïs tout en lui donnant une chance de démontrer sa valeur, TU est bien plus radical : non seulement le serviteur, porteur de la lance triomphe des samouraïs, par la manifestation d’une force, d’une puissance, qu’on peut dire populaire, « primitive », mais c’est aussi un type du peuple, tout ce qu’il y a de plus ordinaire, qui libère la fille vendue par son père à un bordel ; un pauvre homme qui a bossé jour et nuit comme mineur;
le sabre, la lance ne peuvent rien, du toc, un pouvoir et une gloire fondé sur du vide, une généalogie du vide et de la puissance de l’illusion ; le nouveau pouvoir, c’est le fric ;
« Tu es toi, je suis moi; tu n'es pas mon ombre », dit-il en substance, et poussant plus loin cette idée, il s'interroge sur son propre être : si son serviteur n’est que son ombre, lui-même n’est que l’ombre de l’empereur ; et l'empereur lui-même de qui donc est-il l'ombre ? c’est la question, et c’est pas celle que deleuze attribue à kurosawa : « nous, samouraïs à quoi servons-nous ? » ici, la question de la fin (utilité, raison d’être) passe par une interrogation sur l’être du maître suprême, sur l’être de la fin, celui vers qui l’action finalement se tourne, et qui en est la véritable origine ; l’empereur est-il une ombre ? est-il origine première ; lumière qui éclaire toute chose ou n’est-il lui-même qu’une ombre? Platon chez les samouraïs ; cette question est posée par un type qui a trop bu, qui boit trop, qui ne supporte pas l’alcool ;le combat final mêle le sang et le saké, si je me trompe pas, dans la boue ; c’est l’alcool qui en un certain sens déconstruit l’ordre féodal ; on peut penser aux analyses de deleuze, sur les rapports entre le rêve américain et l’alcoolisme ; l’alcool, comme critique radicale de toute illusion ; l’alcoolique c’est celui qui ne se fait pas d’illusion, celui qui ne rêve pas ; la puissance du nihilisme passif.
Le refus du partage maître/serviteur c’est la seule manière pour le samouraï de se libérer ; comme dit Arendt, il n’y a liberté que là où règne l’égalité. L’égalité, la seule manière de quitter la hiérarchie des ombres.
Par rapport à Kurosawa, qui interroge l’être des samouraïs tout en lui donnant une chance de démontrer sa valeur, TU est bien plus radical : non seulement le serviteur, porteur de la lance triomphe des samouraïs, par la manifestation d’une force, d’une puissance, qu’on peut dire populaire, « primitive », mais c’est aussi un type du peuple, tout ce qu’il y a de plus ordinaire, qui libère la fille vendue par son père à un bordel ; un pauvre homme qui a bossé jour et nuit comme mineur;
le sabre, la lance ne peuvent rien, du toc, un pouvoir et une gloire fondé sur du vide, une généalogie du vide et de la puissance de l’illusion ; le nouveau pouvoir, c’est le fric ;
Borges- Messages : 6044
Re: Le Mont Fuji et la lance ensanglantée (Tomu Uchida - 1955)
Merci à Adeline et à Wootsuibrick (qui a relayé). Je n’avais jamais entendu parler de ce cinéaste. J’me suis précipité dans ma biliothèque, ils avaient le coffret des 3 films. Vu les deux premiers : « Le mont fuji » et « Meurtre à Yoshiwara ». Très impressionné surtout par le deuxième, l’histoire d’un type qui à force d’être regardé comme un monstre (une tache grise couvre une partie de son visage) finit par le devenir. Peut-être Borges nous en dira des choses aussi…
gertrud04- Messages : 241
Re: Le Mont Fuji et la lance ensanglantée (Tomu Uchida - 1955)
ciao Borges,
j'aime beaucoup tes remarques sur La lance ensanglantée. je n'étais pas aller aussi loin. mais je trouve intéressant qu'elles rejoignent un peu Meurtre à Yoshiwara. là, il n'est plus question de samouraï. le monstrueux bonhomme dont parle Gertrud (bonjour Gertrud ) est patron d'une petite filature au XIX° siècle. mais il est un enfant trouvé et on s'aperçoit vers la fin qu'il descend probablement d'une famille de la noblesse (ce n'est pas explicite). il ne trouve pas à se marier à cause de cette tache qui l'enlaidit. mais il est très bon avec ses employés et très vertueux. jusqu'à ce qu'un fournisseur l'emmène au quartier des plaisirs de Yoshiwara, où il tombe amoureux d'une putain de bas étage qui s'ingénie à le séduire. finalement, tout ira comme on peut l'imaginer : la putain et les patrons du bordel lui soutirent tout son fric, entre autre pour payer l'éducation de la fille et son accession au statut de première courtisane. l'ascension sociale de la fille, qui passe par un apprentissage de l'apparence, son arrivisme finit par ruiner un capitaliste paternaliste issu de haute lignée. ici, le nouveau pouvoir, c'est le fric + l'apparence.
à la fin, le barbon tue tout le monde à Yoshiwara.
j'aime beaucoup tes remarques sur La lance ensanglantée. je n'étais pas aller aussi loin. mais je trouve intéressant qu'elles rejoignent un peu Meurtre à Yoshiwara. là, il n'est plus question de samouraï. le monstrueux bonhomme dont parle Gertrud (bonjour Gertrud ) est patron d'une petite filature au XIX° siècle. mais il est un enfant trouvé et on s'aperçoit vers la fin qu'il descend probablement d'une famille de la noblesse (ce n'est pas explicite). il ne trouve pas à se marier à cause de cette tache qui l'enlaidit. mais il est très bon avec ses employés et très vertueux. jusqu'à ce qu'un fournisseur l'emmène au quartier des plaisirs de Yoshiwara, où il tombe amoureux d'une putain de bas étage qui s'ingénie à le séduire. finalement, tout ira comme on peut l'imaginer : la putain et les patrons du bordel lui soutirent tout son fric, entre autre pour payer l'éducation de la fille et son accession au statut de première courtisane. l'ascension sociale de la fille, qui passe par un apprentissage de l'apparence, son arrivisme finit par ruiner un capitaliste paternaliste issu de haute lignée. ici, le nouveau pouvoir, c'est le fric + l'apparence.
à la fin, le barbon tue tout le monde à Yoshiwara.
Invité- Invité
Re: Le Mont Fuji et la lance ensanglantée (Tomu Uchida - 1955)
salut, gertrud04 : ça faisait un temps
salut SP
malheureusement, j'ai pas (encore) vu "Meurtre à Yoshiwara"...
"le mont fuji" me semble vraiment très riche, sous des dehors assez simples...
TU n'a pas la puissance de mizo, ozu, kurosawa... mais c'est pas rien...on peut dire bien des choses à partir de ce film sur l'idée de la circulation ( qui marche, qui est porté, qui s'agenouille) le spectacle ( qui contemple le paysage, qui le traverse... simplement, ) le fric (lié à la prostitution comme chez Mizo, mais ici, le père et les hommes en général ne sont pas juste des salauds qui font souffrir les femmes),sur le pouvoir, sur le cinéma bien entendu...
le titre,
Quelle relation entre "la lance" et le mont "fuji", qu'on découvre dans le film à travers une cérémonie de thé, occasion pour TU de rendre assez puant l'esthétisme contemplatif de quelques riches nobles oisifs
le sang de la lance doit peut-être mis en relation avec "la merde"...
ou sont-ce les riches oisifs qui dénaturent le mont fuji, en le contemplant, l'orage qui éclate et qui les dégage de la route qu'ils bloquent semble aller dans ce sens, il éclate comme une espèce de justice naturelle et populaire;
ou le mot fuji, la nature, dans son ordre naturel, qui condamne l'ordre sanglant des hommes...?
c'est pas simple...
est-ce le titre japonais?
salut SP
malheureusement, j'ai pas (encore) vu "Meurtre à Yoshiwara"...
"le mont fuji" me semble vraiment très riche, sous des dehors assez simples...
TU n'a pas la puissance de mizo, ozu, kurosawa... mais c'est pas rien...on peut dire bien des choses à partir de ce film sur l'idée de la circulation ( qui marche, qui est porté, qui s'agenouille) le spectacle ( qui contemple le paysage, qui le traverse... simplement, ) le fric (lié à la prostitution comme chez Mizo, mais ici, le père et les hommes en général ne sont pas juste des salauds qui font souffrir les femmes),sur le pouvoir, sur le cinéma bien entendu...
le titre,
Quelle relation entre "la lance" et le mont "fuji", qu'on découvre dans le film à travers une cérémonie de thé, occasion pour TU de rendre assez puant l'esthétisme contemplatif de quelques riches nobles oisifs
le sang de la lance doit peut-être mis en relation avec "la merde"...
ou sont-ce les riches oisifs qui dénaturent le mont fuji, en le contemplant, l'orage qui éclate et qui les dégage de la route qu'ils bloquent semble aller dans ce sens, il éclate comme une espèce de justice naturelle et populaire;
ou le mot fuji, la nature, dans son ordre naturel, qui condamne l'ordre sanglant des hommes...?
c'est pas simple...
est-ce le titre japonais?
Borges- Messages : 6044
Re: Le Mont Fuji et la lance ensanglantée (Tomu Uchida - 1955)
hâte de vous entendre parler du film monstrueux, de très loin le meilleur du coffret à mes yeux... Le détroit de la faim.
Re: Le Mont Fuji et la lance ensanglantée (Tomu Uchida - 1955)
pas disponible dans ma médiathèque; beuh...
Invité- Invité
Re: Le Mont Fuji et la lance ensanglantée (Tomu Uchida - 1955)
le Fuji, c'est la montagne sacrée, l'image du Japon éternel (sauf qu'il commence à se craqueler et qu'il y a des projets pour lui refaire sa façade - si, si). la lance ensanglantée, c'est celle de Gonpachi faisant la peau aux maîtres et bousculant l'ordre féodal - c'est un outil de désacration. dans cette idée, le titre français colle bien aux remarques de Borges (à moins que ce soit le contraire). mais le film est aussi très sombre, ne laisse pas beaucoup de place à un espoir. les maîtres ont beau disparaître, Gonpachi continue comme si de rien n'était à remplir sa mission - de la même façon que le rachat de la jeune fille n'efface pas la mort de celle qu'elle remplace et ne résout pas la question de la prostitution telle qu'elle est posée. l'amour, l'amitié, la générosité, tout ça est très beau et valeureux, mais ça m'apparait dans le film strictement sans histoire.
le premier plan du film m'a beaucoup troublé. les personnages marchent sur une route en surplomb. le paysage est invisible et le ciel est uniformément blanc. le tout sans impression de mouvement. seuls quelques arbres témoignent que ces personnages avancent mais leur marche semble n'aller nulle part. c'est presque abstrait comme plan.
Invité- Invité
Re: Le Mont Fuji et la lance ensanglantée (Tomu Uchida - 1955)
Hello
Bien entendu le rachat de la fille n'annule pas la mort de celle qu'elle remplace, comme tu dis, mais c'est pas ça, me semble-t-il, qui est essentiel.
L'essentiel, c'est que le père substitue à sa fille, cette fille, c'est qu'il renonce à cet argent, qui lui a tellement coûté, des années de travail, jour et nuit, comme mineur, pour une inconnue, la fille d'un autre, désormais aussi la sienne; je trouve ça magnifique; un travail de deuil et d'idéalisation de la morte absolument sublime, moralement.
Son geste n'est plus simplement organique, déterminé par les seuls liens du sang, il devient politique, désintéressé, moral... universel, en un sens, kantien; on est loin de la folie obsessionnelle d'Ethan, dans "la prisonnière"...
Le peuple apparaît comme une seule famille, non biologique, c'est d'ailleurs ce qu'on voit partout dans le film... le modèle de la famille comme modèle politique es à la fois assumé et dépassé; voir la place de l'orphelin;
dans les relations samouraï- serviteur, se produit aussi une transformation, ce ne sont plus des statuts qui déterminent les relations, mais les affects d'amitié, des sentiments; le samouraï rompt avec ses pairs, avec les maîtres et les affronte.... la leçon, ici, encore, c'est : "la valeur n'est pas un effet de la naissance"; le porteur de la lance a défait plusieurs samouraïs, c'est tellement invraisemblable dans la logique de la fiction héroïque que les autorités agissent comme si cela n'avait pas eu lieu; ici, on pense à Ford; les autorités vont imprimer la légende et non pas la vérité, ce qui a réellement eu lieu; j'aime beaucoup ce dénouement.
il faudrait réfléchir plus la dialectique maître-esclave dans le film, et le rejet du petit garçon à la fin, à qui le porteur de lance refuse de désormais servir de modèle...
on pense à la fin de shane,
oui, le premier plan est très étrange
Borges- Messages : 6044
Re: Le Mont Fuji et la lance ensanglantée (Tomu Uchida - 1955)
oui Borges, je suis assez d'accord avec ce que tu écris là. quand je dis que tout ça est "sans histoire", je devrais plutôt écrire : "sans Histoire".
je suis en train de lire L'hypothèse communiste de Badiou et, si je comprends bien, il y parle de La Commune comme un "site", le lieu d'émergence d'une singularité en rupture avec tout ce qui la précède, "engendrée par elle-même" (ce qui est très religieux comme formulation), et comme un "événement" par sa "puissance d'existence", la persistance de ses conséquences idéologiques bien au-delà de son seul temps d'existence chronométrique. pour reprendre ces termes (à titre d'exercice personnel ), ce que raconte TU dans le Mont Fuji serait un site sans puissance d'existence : chacun retourne à un quotidien très semblable à ce qu'il était avant et surtout, comme tu le signales, les autorités font disparaître le geste de Gonpachi en renonçant à en tirer les conséquences légales.
c'est en ce sens que je trouve le film très pessimiste malgré toutes ses beautés humaines.
j'aimerais me souvenir du dernier plan. résout-il la question du premier ?
je suis en train de lire L'hypothèse communiste de Badiou et, si je comprends bien, il y parle de La Commune comme un "site", le lieu d'émergence d'une singularité en rupture avec tout ce qui la précède, "engendrée par elle-même" (ce qui est très religieux comme formulation), et comme un "événement" par sa "puissance d'existence", la persistance de ses conséquences idéologiques bien au-delà de son seul temps d'existence chronométrique. pour reprendre ces termes (à titre d'exercice personnel ), ce que raconte TU dans le Mont Fuji serait un site sans puissance d'existence : chacun retourne à un quotidien très semblable à ce qu'il était avant et surtout, comme tu le signales, les autorités font disparaître le geste de Gonpachi en renonçant à en tirer les conséquences légales.
c'est en ce sens que je trouve le film très pessimiste malgré toutes ses beautés humaines.
j'aimerais me souvenir du dernier plan. résout-il la question du premier ?
Invité- Invité
Re: Le Mont Fuji et la lance ensanglantée (Tomu Uchida - 1955)
Hello,
je voulais depuis deux jours mettre des images de ce début, j'en profite donc pour mettre les plans de fin également.
J'avais oublié à quel point l'ouverture est magnifique, et l'exposition d'une limpidité extraordinaire, avec cette présentation de tous les personnages.
Et la fin :
Le gamin, tout petit point perdu sur l'arrête de la route, c'est le dernier plan. Un plan à la Ozu, mais qui contient une grande violence avais-je trouvé.
Qu'entendais-tu, SP, par "résoudre la question du premier plan" ?
je voulais depuis deux jours mettre des images de ce début, j'en profite donc pour mettre les plans de fin également.
J'avais oublié à quel point l'ouverture est magnifique, et l'exposition d'une limpidité extraordinaire, avec cette présentation de tous les personnages.
Et la fin :
Le gamin, tout petit point perdu sur l'arrête de la route, c'est le dernier plan. Un plan à la Ozu, mais qui contient une grande violence avais-je trouvé.
Qu'entendais-tu, SP, par "résoudre la question du premier plan" ?
adeline- Messages : 3000
Re: Le Mont Fuji et la lance ensanglantée (Tomu Uchida - 1955)
merci pour les images Adeline. je ne me souvenais plus que le film ouvrait sur le Fuji. c'est pourtant aussi ce que tu as mis pour l'ouverture du topic.
la question du premier plan, j'aurais dû parler de la première séquence, c'est ce côté très abstrait de la marche vers nulle part de tous ses personnages. ça m'a laissé une impression très troublante.
ce que tu nous a mis de la dernière séquence résout d'une certaine manière ce trouble.
plastiquement, TU passe de travellings latéraux en à-plat à une construction en profondeur. c'est rassurant, soulageant. même si ça contredit pas mal ce que j'avançais jusque là. parce qu'il s'est bien passé quelque chose, une ré-orientation du sens de l'histoire/Histoire. et l'idée que quelque chose peut disparaître, avecGonpachi, alors que les travellings du début empêchaient la disparition.
mais qu'est-ce qui disparaît avec Gonpachi ? le lancier, c'est-à-dire le domestique ? c'est ce que semble dire Gonpachi lui-même au gamin juste avant de s'en aller : ne deviens pas lancier à ma suite, laisse le lancier disparaître. mais en même temps que Gonpachi disparait aussi son geste, le meurtre des maîtres, déjà nié par les autorités. donc le geste d'une révolte violente contre le maintien armé de l'ordre des choses.
le gamin reste là, entre l'en-deça et l'au-delà et à l'endroit où, au premier plan, il y avait le sommet du Fuji.
j'avais beaucoup aimé le film en le voyant, mais je découvre ici sa profonde richesse.
avec une pensée émue pour le Japon en proie encore au feu nucléaire...
la question du premier plan, j'aurais dû parler de la première séquence, c'est ce côté très abstrait de la marche vers nulle part de tous ses personnages. ça m'a laissé une impression très troublante.
ce que tu nous a mis de la dernière séquence résout d'une certaine manière ce trouble.
plastiquement, TU passe de travellings latéraux en à-plat à une construction en profondeur. c'est rassurant, soulageant. même si ça contredit pas mal ce que j'avançais jusque là. parce qu'il s'est bien passé quelque chose, une ré-orientation du sens de l'histoire/Histoire. et l'idée que quelque chose peut disparaître, avecGonpachi, alors que les travellings du début empêchaient la disparition.
mais qu'est-ce qui disparaît avec Gonpachi ? le lancier, c'est-à-dire le domestique ? c'est ce que semble dire Gonpachi lui-même au gamin juste avant de s'en aller : ne deviens pas lancier à ma suite, laisse le lancier disparaître. mais en même temps que Gonpachi disparait aussi son geste, le meurtre des maîtres, déjà nié par les autorités. donc le geste d'une révolte violente contre le maintien armé de l'ordre des choses.
le gamin reste là, entre l'en-deça et l'au-delà et à l'endroit où, au premier plan, il y avait le sommet du Fuji.
j'avais beaucoup aimé le film en le voyant, mais je découvre ici sa profonde richesse.
avec une pensée émue pour le Japon en proie encore au feu nucléaire...
Invité- Invité
Re: Le Mont Fuji et la lance ensanglantée (Tomu Uchida - 1955)
merci Adeline ;
SP, notons d'abord que Badiou récuse la catégorie d'Histoire, comme Deleuze d'ailleurs.
Je crois que si tu utilises les catégories de Badiou, on peut dire que le film met en scène l’événement de nouvelles possibilités d’être, soi, ensemble, le surgissement d'un nouveau monde, déterminé par la maxime d’égalité, le refus de voir des gens s’agenouiller les uns devant les autres ou, superbe métaphore, d’arrêter les devenirs en bloquant les chemins. On a là le modèle d’une communauté du devenir, en devenir, où les relations ne sont pas fixes, ou fixées, une fois pour toute ; je pense au texte de Deleuze, sur l’âme et la route, mais on peut aussi penser au texte de Rancière sur le héros de Anthony Mann.
Sans doute, c’est pas un événement politique, aussi spectaculaire que la Commune, ou Spartacus : il n'est pas précis. Il n’est, en soi, ni amoureux, ni scientifique, ni artistique, ni politique, mais il touche à toutes ces dimensions.
Tout se passe, d’abord chez le samouraï et son lancier ; on peut noter la ruse de la mise en scène, comment Uchida tente de concilier la nécessité de la lutte contre le maître et celle de la fidélité affective à un maître somme toute assez bon ; la lutte du maître et de l’esclave est déplacée. Le bon maître lutte avec son serviteur contre les mauvais maîtres, ceux qui ne comprennent pas la nouvelle maxime d’égalité, qui détermine désormais l’existence du bon samouraï, qui ne pourra être qu’un samouraï mort ; autrement dit, dans le monde égalitaire, il ne peut pas y avoir de samouraï, même bon.
(on ne peut pas réformer moralement l'ancien monde ; pas plus qu'on ne peut moraliser le capitalisme)
« Un trait propre à tous les sites événementiels est qu’un élément s’expose désormais au monde d’une façon nouvelle » ; ce qui inexiste dans le transcendantal de l’ancien monde, existe désormais de manière visible, intense ; et c’est génialement montré dans le film : le samouraï n’accomplit rien, à chaque fois l'occasion de se rendre glorieux lui est soustraite. Il n’arrête pas le bandit, ne délivre pas la fille, ne fout pas une raclée aux méchants ; à chaque fois, le premier rôle lui est volé par un être anonyme issu du peuple, le père, le groupe qui arrête le bandit, et finalement son serviteur qui démolit les méchants samouraïs. Ces gens ordinaires sont portés à un degré d’existence maximal.
Bien entendu les tenants de l’ordre ancien ne vont pas accueillir le nouveau monde sans lui résister : il les nie et ils doivent le nier, comme ils peuvent, le refouler afin qu’il ne provoque pas de conséquences dans le nouveau présent, qui de toute façon ne sont jamais immédiates, ou naturelles, elles doivent être construites.
C’est la règle, chez Badiou ; chaque vérité nouvelle doit compter sur la différence des sujets : fidèle, obscurs, ou réactif.
Le film ne comporte pas vraiment de sujet obscur, peut-être les samouraïs tués.
Les autorités sont plutôt hypocrites, elles tentent de sauver les apparences. Elles ne sont pas du côté des samouraïs tués ou du patron du bordel ; en fait, elles vont aussi loin qu'elles peuvent à l'intérieur de leur limite, des limites de leur identité, de leur statut. Elles s'approchent presque de l’idée que "le samouraï" c’est de l’imaginaire, du toc, un mythe du pouvoir, sans pouvoir renoncer à l'idée, au transcendantal, qui règle leur monde héroïque fondé sur la supériorité ontologique de la noblesse.
La question est : qui a réellement tué le lancier, des samouraïs ou des simulacres de samouraïs ?
Si on s’en tient à l’idée, à la fiction politique, mais pas seulement, de ce qu’est un samouraï, il est impossible qu’il soit battu par un simple lancier.
Donc, soit ils étaient de vrais samouraïs et ils n’auraient pas été tués, soit ils ont bien été tués, mais alors ce n’était pas vraiment des samouraïs, ce n’était pas de vrais samouraïs.
(ce qui est tué, c'est l'idée de samouraï même, l'idée de la noblesse, de la hiérarchie ontologique des êtres)
Pour s'en tirer, les autorités doivent légender l’événement, ce qui a eu lieu. Ne pas en tenir vraiment compte, faire comme si ça n’avait pas eu lieu.
Mais, grande différence avec « L’Homme qui tua liberty », le combat a eu des témoins, très actifs, très engagés : le peuple. Contrairement au film de Ford, il y a pas de secret, mais une mémoire populaire, qui garde le souvenir, la trace de ce qui a eu lieu. Peu importe ce qui arrivera, on a changé de monde ; c’est tout le propos du film : « une intensité existentielle quasi nulle se trouve investie d’une intensité maximale, alors que ce qui existait intensivement inexiste désormais".
Nous sommes dans un nouveau présent, porté, incarné, signifié par le lancier, héros du peuple, héros populaire, image du peuple, qui s’en va seul.
Il avait commencé le film derrière son maître, il le suivait ; il s'en va sans maître, ayant prouvé sa supériorité.
Ce qui s’affirme en lui, c’est à la fois le courage, la fidélité, la discipline ; il est le seul des trois à avoir résisté à l’alcool, ce qui n’est pas rien, puisque l'alcool représente dans le film une puissance de dissolution de la croyance en soi, dans le monde, la puissance du nihilisme, comme j’ai dit.
SP, notons d'abord que Badiou récuse la catégorie d'Histoire, comme Deleuze d'ailleurs.
Je crois que si tu utilises les catégories de Badiou, on peut dire que le film met en scène l’événement de nouvelles possibilités d’être, soi, ensemble, le surgissement d'un nouveau monde, déterminé par la maxime d’égalité, le refus de voir des gens s’agenouiller les uns devant les autres ou, superbe métaphore, d’arrêter les devenirs en bloquant les chemins. On a là le modèle d’une communauté du devenir, en devenir, où les relations ne sont pas fixes, ou fixées, une fois pour toute ; je pense au texte de Deleuze, sur l’âme et la route, mais on peut aussi penser au texte de Rancière sur le héros de Anthony Mann.
Sans doute, c’est pas un événement politique, aussi spectaculaire que la Commune, ou Spartacus : il n'est pas précis. Il n’est, en soi, ni amoureux, ni scientifique, ni artistique, ni politique, mais il touche à toutes ces dimensions.
Tout se passe, d’abord chez le samouraï et son lancier ; on peut noter la ruse de la mise en scène, comment Uchida tente de concilier la nécessité de la lutte contre le maître et celle de la fidélité affective à un maître somme toute assez bon ; la lutte du maître et de l’esclave est déplacée. Le bon maître lutte avec son serviteur contre les mauvais maîtres, ceux qui ne comprennent pas la nouvelle maxime d’égalité, qui détermine désormais l’existence du bon samouraï, qui ne pourra être qu’un samouraï mort ; autrement dit, dans le monde égalitaire, il ne peut pas y avoir de samouraï, même bon.
(on ne peut pas réformer moralement l'ancien monde ; pas plus qu'on ne peut moraliser le capitalisme)
« Un trait propre à tous les sites événementiels est qu’un élément s’expose désormais au monde d’une façon nouvelle » ; ce qui inexiste dans le transcendantal de l’ancien monde, existe désormais de manière visible, intense ; et c’est génialement montré dans le film : le samouraï n’accomplit rien, à chaque fois l'occasion de se rendre glorieux lui est soustraite. Il n’arrête pas le bandit, ne délivre pas la fille, ne fout pas une raclée aux méchants ; à chaque fois, le premier rôle lui est volé par un être anonyme issu du peuple, le père, le groupe qui arrête le bandit, et finalement son serviteur qui démolit les méchants samouraïs. Ces gens ordinaires sont portés à un degré d’existence maximal.
Bien entendu les tenants de l’ordre ancien ne vont pas accueillir le nouveau monde sans lui résister : il les nie et ils doivent le nier, comme ils peuvent, le refouler afin qu’il ne provoque pas de conséquences dans le nouveau présent, qui de toute façon ne sont jamais immédiates, ou naturelles, elles doivent être construites.
C’est la règle, chez Badiou ; chaque vérité nouvelle doit compter sur la différence des sujets : fidèle, obscurs, ou réactif.
Le film ne comporte pas vraiment de sujet obscur, peut-être les samouraïs tués.
Les autorités sont plutôt hypocrites, elles tentent de sauver les apparences. Elles ne sont pas du côté des samouraïs tués ou du patron du bordel ; en fait, elles vont aussi loin qu'elles peuvent à l'intérieur de leur limite, des limites de leur identité, de leur statut. Elles s'approchent presque de l’idée que "le samouraï" c’est de l’imaginaire, du toc, un mythe du pouvoir, sans pouvoir renoncer à l'idée, au transcendantal, qui règle leur monde héroïque fondé sur la supériorité ontologique de la noblesse.
La question est : qui a réellement tué le lancier, des samouraïs ou des simulacres de samouraïs ?
Si on s’en tient à l’idée, à la fiction politique, mais pas seulement, de ce qu’est un samouraï, il est impossible qu’il soit battu par un simple lancier.
Donc, soit ils étaient de vrais samouraïs et ils n’auraient pas été tués, soit ils ont bien été tués, mais alors ce n’était pas vraiment des samouraïs, ce n’était pas de vrais samouraïs.
(ce qui est tué, c'est l'idée de samouraï même, l'idée de la noblesse, de la hiérarchie ontologique des êtres)
Pour s'en tirer, les autorités doivent légender l’événement, ce qui a eu lieu. Ne pas en tenir vraiment compte, faire comme si ça n’avait pas eu lieu.
Mais, grande différence avec « L’Homme qui tua liberty », le combat a eu des témoins, très actifs, très engagés : le peuple. Contrairement au film de Ford, il y a pas de secret, mais une mémoire populaire, qui garde le souvenir, la trace de ce qui a eu lieu. Peu importe ce qui arrivera, on a changé de monde ; c’est tout le propos du film : « une intensité existentielle quasi nulle se trouve investie d’une intensité maximale, alors que ce qui existait intensivement inexiste désormais".
Nous sommes dans un nouveau présent, porté, incarné, signifié par le lancier, héros du peuple, héros populaire, image du peuple, qui s’en va seul.
Il avait commencé le film derrière son maître, il le suivait ; il s'en va sans maître, ayant prouvé sa supériorité.
Ce qui s’affirme en lui, c’est à la fois le courage, la fidélité, la discipline ; il est le seul des trois à avoir résisté à l’alcool, ce qui n’est pas rien, puisque l'alcool représente dans le film une puissance de dissolution de la croyance en soi, dans le monde, la puissance du nihilisme, comme j’ai dit.
Borges- Messages : 6044
Re: Le Mont Fuji et la lance ensanglantée (Tomu Uchida - 1955)
"Il est le seul des trois à avoir résisté à l’alcool, ce qui n’est pas rien, puisque l'alcool représente dans le film une puissance de dissolution de la croyance en soi, dans le monde, la puissance du nihilisme." (Dixit)
Du coup, je n'ai plus très envie de voir le film, étant moi-même alcoolique, dissolu et nihiliste amateur...
Du coup, je n'ai plus très envie de voir le film, étant moi-même alcoolique, dissolu et nihiliste amateur...
Re: Le Mont Fuji et la lance ensanglantée (Tomu Uchida - 1955)
Mais pour qu’il y ait institution des conséquences de la trace, une incorporation est nécessaire. Comprendre : une incorporation au nouveau présent. S’incorporer, c’est exister dans une identité maximale à la trace.
(Badiou)
Qui s’incorpore à cet événement, à la vérité qu’il fait surgir ?
Je crois que la question des conséquences se pose pour l’enfant, et pour le lancier d’abord ; au début le gosse nous est montré dans la fascination qu’il éprouve pour le lancier, et de manière plus secrète, pour le samouraï ; mais là, il n’ose même pas rêver : on ne devient pas samouraï, on naît samouraï. Le lancier encourage d'abord ce désir et est assez fier d’être admiré, lui qui vit dans l’ombre d’un maître dont il a intériorisé les valeurs, il « méprise » la femme, artiste itinérante…
Qu’est-ce qui a changé à la fin du film?
Le lancier s’est révélé meilleur que son maître, et a révélé dans la lutte, le combat, la mesure d’un pouvoir que l’on croyait illimité.
Avant ce combat, le peuple et le spectateur, par la force de la loi du genre, de la fiction, vit dans l’image de la puissance illimitée des samouraïs. On ne cesse d’attendre la manifestation de la force du maître, nous croyons en sa force, sans rien en savoir, et nous voulons la voir entrer en action, se manifester : quelle terrible déception, quand le maître est tué, sans avoir rien démontré, sans avoir rien manifesté qui comble nos désirs, qui reconduise au fond le modèle féodale.
Dans le combat final, dans l’épreuve est démontré combien l’illimité de la puissance du pouvoir est en fait terriblement limitée ; non seulement le maître n’a rien d’un super sabreur, mais les autres samouraïs ne valent pas grand-chose non plus ; ce sont des tigres de papiers comme disait Mao de l’impérialisme : « Très puissant en apparence, rien de redoutable en réalité ».
Ici, encore, il faut noter la différence avec « Les 7 Samouraïs », où les samouraïs sont des éducateurs du peuple, le peuple ne peut gagner sans eux ; modèle impérialiste bien entendu, visible dans le remake américain, « Les Sept Mercenaires », où de braves Américains se tuent pour la liberté de paysans mexicains, comme ils rêveraient de le faire pour celle des Libyens.
« Vu de l'extérieur, c'est un tigre, mais il est fait en papier et ne peut résister ni au vent ni à la pluie », dit Mao, c’est bien ce que nous montre la scène de la cérémonie de thé, la pluie et le vent suffisent à dégager la route, à libérer le chemin, le devenir…
« L'Histoire tout entière, l'histoire plusieurs fois millénaire de la société de classes de l'humanité, a confirmé cette vérité : le puissant cède la place au faible.»
(Mao)
en me répétant, légèrement :
Ce que je trouve de remarquable dans ce film, du point de vue de l’égalité, c’est qu’il retire à chaque fois au samouraï la possibilité d’une affirmation héroïque, c’est comme s'il nous disait qu’il n’y a pas de héros, et qu’il faut en refuser en soi le désir ; parce que, prisonniers des règles du genre, nous voulons que ce samouraï fasse de grandes choses, d’autant plus qu’il est extrêmement humain ; on aurait voulu qu’il sauve la fille, qu’il mette une correction aux méchants, qu’il arrête le terrifiant brigand tatoué, qui se révèle finalement assez décevant ; le film est déceptif par morale, et politique ; non les brigands n’ont rien de terrifiant, non les samouraïs ne sont pas invincibles. Oui, le monde peut changer.
Le film refuse que nous occupions la place du gosse, à laquelle nous assigne la loi du genre, comme dans Shane par exemple, où le héros se détache dans son éclat sous le regard de l’enfant ; ici, à la fin, l’enfant est renvoyé au monde commun, à la nécessité de s’inventer une vie, sans modèle à imiter, et surtout sans hiérarchie. Comme Platon, lu par Badiou, le film récuse l’idée d’un sujet du sujet ; c’est à chacun de décider.
Borges- Messages : 6044
Re: Le Mont Fuji et la lance ensanglantée (Tomu Uchida - 1955)
Rotor a écrit:"Il est le seul des trois à avoir résisté à l’alcool, ce qui n’est pas rien, puisque l'alcool représente dans le film une puissance de dissolution de la croyance en soi, dans le monde, la puissance du nihilisme." (Dixit)
Du coup, je n'ai plus très envie de voir le film, étant moi-même alcoolique, dissolu et nihiliste amateur...
nihiliste actif ou passif?
Borges- Messages : 6044
Re: Le Mont Fuji et la lance ensanglantée (Tomu Uchida - 1955)
Nihilisme russe avec des tendances "Autobahn".
Re: Le Mont Fuji et la lance ensanglantée (Tomu Uchida - 1955)
Borges a écrit:
Quelle relation entre "la lance" et le mont "fuji", qu'on découvre dans le film à travers une cérémonie de thé, occasion pour TU de rendre assez puant l'esthétisme contemplatif de quelques riches nobles oisifs
La première image du Mont Fuji c'est celle postée par Adeline, elle arrive au tout début du film. Elle ressemble à une prise de vue réelle. La montagne s'inscrit dans le paysage terrestre, il y a un équilibre parfait entre la verticalité du sommet et la ligne d'horizon que nos héros empruntent. Tout le contraire des images qu'on voit après lors de la cérémonie du thé. De vulgaires peintures qui ressemblent aux matt painting qu'on voyait tant dans les vieux films hollywoodiens. Cela pour montrer le peu de goût des nobles qui croyant contempler le mont Fuji s'extasient en fait devant une piètre reproduction.
gertrud04- Messages : 241
Re: Le Mont Fuji et la lance ensanglantée (Tomu Uchida - 1955)
Borges a écrit:
SP, notons d'abord que Badiou récuse la catégorie d'Histoire, comme Deleuze d'ailleurs.
tiens ! ça ne m'étonne pas pour Badiou, de ce que j'en ai lu. mais ça me surprend plus chez Deleuze. je pensais au contraire que la fuite de proche en proche déterminait justement une Histoire, contingente, non surdéterminée par une téléologie, omnidirectionnelle, mais Histoire tout de même, au moins déterminée à chaque instant par les conditions actuelles.
Invité- Invité
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