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Les chemins de la liberté (Weir) : l'Histoire entre parenthèses

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Message par Eyquem Mer 2 Fév 2011 - 0:01

Les chemins de la liberté (Weir) : l'Histoire entre parenthèses The_wa10

"Les chemins de la liberté" : un film antitotalitaire. Ca nous avait manqué.
Comme film d'aventures, ça tient la route ; il y a quelques scènes très belles et très fortes, surtout dans la première partie (la course à travers la taïga, la marche à travers le désert de Gobi, malheureusement alourdie d'un symbolisme christique super pénible).

Mais sur le fond, c'est vraiment grossier : tout est censé se passer pendant la seconde guerre, mais c'est à peine si on parle des nazis. Le Mal absolu, c'est Staline et le Goulag. Point.
Les évadés sont polonais pour la plupart ; il y a un Américain aussi (Ed Harris, très bien, comme d'hab). Le seul Russe du lot est joué par Farrell : un personnage incohérent : il s'est tatoué Lénine et Staline sur le torse et il serait prêt à se bagarrer avec le premier qui en dirait du mal. A côté de ça, c'est un truand avec un couteau entre les dents (ce n'est pas une image ici, je vous jure) et c'est la plus individualiste de toutes les crapules qui aient jamais foulé le beau sol de la Sibérie. Ca, c'est pour les nuances et le rendu des complexités historiques.

Les chemins de la liberté (Weir) : l'Histoire entre parenthèses The-wa10
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J'ai relu le texte de Daney sur Witness, à l'occasion, où il écrit ceci :
Quiconque ouvre une parenthèse la fermera, c'est sûr.
(dans la Recrudescence, p28)
Sous la plume de Daney, c'était un hommage au "classicisme" du film, à sa construction narrative, progressive, prenant le temps de construire un monde, des scènes. Mais si on l'applique aux "Chemins de la liberté", la phrase résonne tout autrement. Il s'agit également de fermer une parenthèse, mais une parenthèse historique.
Le film commence en 39 : le héros polonais est torturé par un sbire de l'Armée Rouge (le genre monolithique et impassible, pour qu'on comprenne d'entrée que les soviets, on les reconnaît à leur coeur de pierre). C'est d'autant plus terrible que c'est la propre femme du héros qui l'a dénoncé.
Pendant tout le film, la détermination du héros à s'évader et à rentrer chez lui fait l'admiration de ses camarades. Ils perdent tous leurs dents, à force de manger du serpent et boire l'eau des mares, mais lui, il vous grimpe chaque dune du désert de Gobi sans moufter. "Mais quel est ton secret ? Tu marches au Johnny Walker, ou quoi ?", qu'ils lui demandent tout le temps. Non non, rien de tout ça, il répond : c'est par sens du devoir ; c'est l'Immortel en lui, l'impératif d'une fidélité absolue, qui le pousse à faire ce qu'aucune bête ne serait capable de faire. Et c'est quoi, cet impératif ? Rentrer à la maison, pour pardonner sa femme de l'avoir dénoncé.
On dit chapeau devant tant d'abnégation, et on comprend pourquoi des soldats si moraux ont fini par remporter la guerre.
Quoi qu'il en soit, le héros (avec trois camarades) voit le bout du tunnel et arrive en Inde, où d'aimables paysans, qui cultivent la terre et l'amour de la démocratie, les accueillent chaleureusement. S'ensuit un montage-séquence qui parcourt en quelques secondes toute l'histoire de la Guerre froide, depuis la fin de la guerre jusqu'à 89, en passant par le soulèvement hongrois de 56, la construction du mur, le printemps de Prague, et toutes ces choses de sinistre mémoire. On se retrouve alors de nos jours (les années 90 en gros), et on voit le héros qui revient chez lui, en Pologne, pour la première fois, retrouve sa femme et enfin lui pardonne, comme il se l'était promis. Le montage alterne même comédiens jeunes et comédiens vieux dans la même scène, comme si le temps n'avait pas existé.
On voit alors quelle parenthèse il s'agit de refermer : pas seulement celle de la Guerre froide, mais, tout bonnement, celle de l'URSS et des utopies qu'elle a pu inspirer. Ce que suggère la fin, c'est rien de moins que d'annuler cette histoire, et de reprendre le cours normal des choses là où il s'était arrêté : en 39, ou même mieux : en 1917, tant qu'on y est. On comprend mieux pourquoi le film, en vo, s'intitule "The way back".

Dans les critiques que j'ai pu lire, ça ne dérange pas grand-monde. On se plaint un peu par-ci, par-là, mais c'est seulement de ce que les paysages font trop "National Geographic". Un vrai débat de fond, comme on voit.


A part ça, ce périple qui se présente comme une épreuve de vérité pour tous les personnages, est fondé sur des mémoires, sortis en 56, sans doute pipotés du début à la fin. Mais ce n'est pas grave : pour les auteurs du film, il n'y avait rien à changer à cette vision intemporelle du chemin de croix d'une humanité-Christ vers la liberté et l'économie de marché.
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Message par adeline Mer 2 Fév 2011 - 14:02

Ce que tu décris de la mise en scène des Russes et de l'absence de mention de l'Allemagne et des nazis me fais penser Katyn, de Wajda. Le diable était tout rouge, et tellement rouge que les nazis n'étaient là qu'en avant-goût (pour ceux qui passaient des mains des bourreaux nazis à celles des bourreaux communistes de l'après-guerre) et presque inexistant. Le film reprenait aussi les images courantes de la traque des juifs par les nazis, mais en l'appliquant aux Polonais anti-communistes traqués par les communistes.
Je ne connais pas l'histoire de la Pologne, mais je fais ce rapprochement comme tu dis que c'était majoritairement des prisonniers polonais dans le film de Weir.

En quelque sorte, comment garder des récits de Margarete Buber-Neumann la partie du Goulag seulement.

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Message par Rotor Sam 12 Mar 2011 - 23:54

J'ai vu le film, ce soir. Il m'a globalement plu. Même s'il manque de sel. Mais j'ai un faible pour ce cinéaste hollywoodien qui s'est accordé 2h14 pour filmer son projet de longue marche, en espérant que le spectateur suive.
Et c'est assez rare, au fond un film si peu spectaculaire. Si linéaire et qui aille ainsi au pas sur des rails.

En le regardant, j'ai pensé à Dersou Ouzala qui est mille fois plus puissant, visionnaire et habité.

Weir est passé un peu à côté de son sujet, en le nettoyant de tous les conflits, de ce qu'il y aurait pu avoir de brûlant dans cette traversée : la violence, le désir, la jalousie, les colères, et les effondrements... Et s'il conserve son rythme intact, c'est au dépend du souffle qui aurait du propulser cette Odyssée.
Il s'est satisfait de filmer un pèlerinage qui tourne mal. D'une manière plutôt conventionnelle.
Mais le film a ses moments, les acteurs sont très bien maquillés, ils ont l'air de souffrir, et on oublie que c'est juste du cinéma. On entre par instants dans le mythe. On est un peu absorbé.
Mais dommage que la fin soit décevante et que l'histoire réelle soit totalement absente, et ne vienne au final que pour servir de générique avant le retour chez soi.
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Message par NC Sam 19 Mar 2011 - 23:01

Ce film est clairement très moyen, mais il faudra quand même clairement admettre que me régime de Staline était furieusement meurtrier. Nous sommes au 21ième siècle quand même. Et au goulag, on parle pas des nazis, mais ça me parait quand même normal non ?
La Pologne, partagé en deux, d'un côté l'Allemagne, de l'autre l'URSS, deux beaux morceaux de choix. Et très peu sont ceux qui ont pu choisir la sauce à laquelle ils allaient être mangés.
Tiens ça me rappelle une histoire, raconté dans Tsahal de Lanzmann. Un juif, il est du côté de la Pologne qui va être envahi par les allemands. Alors il fuit à la rencontre de l'armée rouge. Bon là le feeling passe pas, il se retrouve deux ans au Goulag, probablement accusés d'être un espion allemand. Il est libéré, par en Inde. Comme dans le film. Inde anglaise, il s'envole pour Téhéran. Puis retour en Inde. Puis Palestine (anglaise).

Quand au personnage de Farrel, il incarne ce que Marx appelait le "lumpen proletariat".

Pas mal. La première fois que je voyais un goulag au cinema. Assez mauvais quand même.

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Message par Rotor Dim 20 Mar 2011 - 12:04

Il faut que tu lises les "Récits de la Kolyma" de Varlam Chalamov. Qui est un recueil de courtes expériences vécues au goulag par l'auteur qui y fut enfermé 17 ans dans des circonstances absolument terrifiantes.

Chalamov (dixit) : Le camp, est une école négative de la vie. Aucun homme ne devrait voir ce qui s’y passe, ni même le savoir. Il s’agit en fait d’une connaissance essentielle, une connaissance de l’être, de l’état ultime de l’homme, mais acquise à un prix trop élevé.

Et effectivement, quand on referme le livre, on est cloué pour longtemps...

Le livre est cher (43 euros), le mieux est donc de l'emprunter en bibliothèque
: http://www.editions-verdier.fr/v3/oeuvre-recitskolyma.html
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Message par Borges Mar 28 Juin 2011 - 9:13

c'est pas du tout un film politique, anticommuniste ni rien, c'est un film sur la douceur de vivre... j'ai lu ça sur un blog...


PW est un con de conservateur, anticommuniste et tout le reste, qui s'en cache pas, comme le savent tous ceux qui ont une sensibilité politique...



Nile Gardiner, qui doit s'y connaître, avait classé en 2009, Master and Commander, premier de sa liste des" best films of the last decade that have advanced a conservative message, ranging from strong support for the military and love for country to the defence of capitalism and the free market. These are all brilliant movies that conservatives can be inspired by, and which are guaranteed to offend left-wing sensibilities in one way or another."

http://blogs.telegraph.co.uk/news/nilegardiner/100020772/the-top-10-conservative-movies-of-the-last-decade/



pour le livre de chalamov, je renvoie à Badiou, qui le distingue absolument de l'archipel du goulag, et de l'idéologie antitotalitaire...




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Message par Invité Mar 28 Juin 2011 - 16:41

adeline a écrit:[justify]Ce que tu décris de la mise en scène des Russes et de l'absence de mention de l'Allemagne et des nazis me fais penser Katyn, de Wajda. Le diable était tout rouge, et tellement rouge que les nazis n'étaient là qu'en avant-goût (pour ceux qui passaient des mains des bourreaux nazis à celles des bourreaux communistes de l'après-guerre) et presque inexistant. Le film reprenait aussi les images courantes de la traque des juifs par les nazis, mais en l'appliquant aux Polonais anti-communistes traqués par les communistes.
Je ne connais pas l'histoire de la Pologne, mais je fais ce rapprochement comme tu dis que c'était majoritairement des prisonniers polonais dans le film de Weir.

L'oeuvre de Wajda est pas si unilatérale: "Une Génération" au tout début de sa carrière avait été critiqué pour le personnage de l'ouvrier résistant qui a une scène où il énonce doctement la ligne officielle du PC des années 50 sur l'engagement historique du PC dans la résistance pendant 10 minutes. Et d'un autre côté la traque des résistants anticommunistes par les communistes, c'est déjà toute l'intrigue de "Cendre et diamant" tourné à peine quelques années plus tard, qui n'est pas vraiment manichéen. Cette ambiguïté que tu vois dans Katyn n'est pas liée à un relativisme amnésique récent chez Wajda, mais est présente depuis le début de sa carrière; elle tient au fait qu'il se situe au milieu de tensions politiques réelles et de tensions idéologiques non moins réelles; qui chez Wajda deviennent de façon étrange le principal élément "réaliste" de son esthétique.
Qu'il patauge un peu dans ce renvoi perpétuel et indécidable entre ces deux régime ne me choque pas, je trouve même cela qui est justement intéressant: il vaut mieux en faire des films que des livres, essayer de l'incarner dans des visages, des expressions et des gestes que dans une autre idéologie. L'intérêt de Wajda, c'est concevoir ce renvoi à la fois un complexe national et et un complexe idéologique, et y voir une contradiction qu'il montre un peu - je vais trop vite mais je le crois- cette ambivalence sur le modèle de celle qui lie la sensualité et la pensée abstraite. Plus simplement je voudrais défendre l'idée que l' on peut apprécier ses films sans lui donner tort ou raison, plutôt avant de le faire -ou d'avoir à le faire.

Récemment j'ai vu Berlin Express de Tourneur, 1948, juste avant le blocus de Berlin, le coup de Prague et le procès Rajk etc..., qui était autant artificiellement philosoviétique qu'il ya eu juste après des films antisoviétiques et pour le même genre de raisons (la realpolitik comme élément qui situe un récit et un public, le pari l'équation stabilité politique qui empêche la paix qui est moins coûteuse que la guerre). Cette partie du film (très bon au demeurant) ne sentait pas forcément meilleur que si le film avait été procommuniste , c'est même la partie faisandée du film (même s'il est vrai que l'intérêt du film, qui lui donne sa beauté accidentelle, c'est que les méchant qui en veulent pas d'une Allemagne unifiée ne sont pas encore "les" communistes, que du fait qu'il a été tourné pendant une transition idéologique américaine rien n'explique leur nationalisme qui tourne à l'absurde, mais cette absence d'explication est loin d'être une faiblesse).
En somme un film qui expliquerait que tous les communistes ne sont pas des salauds, qu'il y a eu même des héros sincères parmi eux, et probablement la seule chose encore plus conne et démodée au moment de son apparition, parmi les choses qui existent, qu'un film expliquant qu'ils sont tous des méchants (d'un certain côté la force de "Cendre et diamant" c'est que Wajda a tourné deux films cons en un, mais ça devient de la poésie inattendue). Car la connerie est aussi un rapport authentique à la vérité, c'est une médiation de la vérité. Borges dirait qu'on peut choisir entre la vérité et la connerie (comme il fait "choisir" entre Hegel et l'apartheid) et que comme il l'a déjà fait, le seul futur possible est de rendre ce choix collectif, mais ce n'est pas si simple, il surestime le caractère impératif du choix en même temps qu'il sous-estime sa difficulté (par exemple, l'apartheid, est elle aussi un effort de consolider des intérêt spéculatifs et matériels réels dans le droit, d'où le soupçon que le choix a peut-être lieu depuis l'intérieur de deux formes de consolidations du droit). Ce qui fait qu'il a tendance à inventer, je ne dirais pas des conneries de manières directes, mais plutôt des nouvelles formes de médiations de la connerie, soit des médiations de médiations. Je sais j'ai un discours de petit-bourgeois incrédule, informé mais fat, mais je l'assume.

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