My Joy (S. Loznitsa) : Crimes sans châtiments

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Message par Largo Sam 27 Nov 2010 - 17:59


My Joy (S. Loznitsa) : Crimes sans châtiments Mon-bonheur-2010-20210-1069787703

J'ouvre un topic, car je crois savoir que certains sur le forum l'ont vu par ici et ont été marqué par le film (Leurtillois, Présence Humaine : coucou). J'y suis allé aussi et je suis assez partagé.

Derrière la beauté plastique assez époustouflante, est-ce qu'il y a autre chose à voir là-dedans que la sauvagerie d'un peuple archaïque, rendu idiot par (en vrac) : la solitude, la guerre, l'alcool, le froid, la violence... Ca fait beaucoup. Si vous cherchez un film qui remette en question les clichés associés à la Russie, passez votre chemin.

Reste que la métamorphose du personnage à mi-film est assez sidérante. A se demander si c'est le même acteur. Honnête chauffeur de camion, il se mue en idiot errant. Son impassibilité rugueuse, sa carrure de bucheron, sa barbe et son regard vide font de lui un genre de golem plutôt effrayant. A propos de golem, wiki nous dit :


Le golem (גולם) (parfois prononcé goilem en Yiddish), signifiant « cocon », mais peut aussi vouloir dire « fou » ou « stupide », est un être humanoïde, artificiel, fait d’argile, animé momentanément de vie par l’inscription EMET sur son front (ou sa bouche, selon les versions).

Dans la culture hébraïque, la première apparition du terme golem se situe dans le Livre des Psaumes : « Je n’étais qu’un golem et tes yeux m’ont vu » (139, 16)[1]. C’est alors un être inachevé, une ébauche.

Dans la kabbale, c’est une matière brute sans forme ni contours. Dans le Talmud, le golem est l’état qui précède la création d’Adam.

[img]My Joy (S. Loznitsa) : Crimes sans châtiments Golem_10
My Joy (S. Loznitsa) : Crimes sans châtiments 19452110

Personnage beckettien, il pourrait tout à fait sucer des cailloux. Perdu sur la route, échoué comme une vieille carcasse recouverte de neige, il y a toujours quelqu'un pour le relever et il continue alors à avancer, sans aller nulle part, complètement abruti, rendu insensible à la douleur, qu'elle soit physique ou psychologique : plus de sentiments, ni sensations de quelque forme que ce soit. Une force brute qui va, dans un paysage de rase campagne quasiment désert, plombée par un ciel gris et laiteux à peine animé par la fumée d'une chaumière.

On est quelque part entre Dostoïevski et Sokourov. Ca me fait penser qu'il faudrait que je relise le très bon texte d'Arthur dans les Spectres #1 à propos de ce dernier ("Le russe est-il un conservateur naturel ?").
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Message par Borges Sam 27 Nov 2010 - 18:32

hello

je dois dire que je vois pas de rapport entre beckett et ce que tu décris...pas même avec dosto...
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Dernière édition par Borges le Sam 27 Nov 2010 - 18:42, édité 1 fois
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Message par Leurtillois Sam 27 Nov 2010 - 18:34

Hello,

je crois savoir que certains sur le forum l'ont vu par ici et ont été marqué par le film (Leurtillois, Présence Humaine : coucou)

Je sais pas ce que t'entends par "marqué" : je t'avais dit avoir détesté ce film, lol.

En sortant de la salle, j'étais pas sûr encore que le personnage de la deuxième partie était le même que celui de la première partie, je comprenais pas, et j'avais du mal à digérer le côté tous pourris et j'ai pas besoin de t'expliquer quoique ce soit car je fais des images si belles que c'est suffisant, du film.
Donc je suis allé voir sur les photocopies de critiques affichées à l'entrée du cinéma, histoire d'obtenir quelques éclaircissements. Y en avait 4, (très élogieuses évidemment, sinon le cinéma les aurait pas affichées Idea) : Libération, Le monde, Les inrockuptibles, Télérama (quatuor facile à retenir...)
Et puis dans celle de Télérama, je suis tombé sur ça :

Ce que le cinéaste détaille ici, c'est tout simplement l'intolérable disparition de l'humain en l'homme : comment, à force d'intolérance, d'incompréhension et d'aveuglement, la Russie est devenue ce qu'elle est, ce pays de dingues privés d'âme...

(http://www.telerama.fr/cinema/films/my-joy,424149.php)

C'est fou d'écrire une chose pareille.

Leurtillois

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Message par Borges Sam 27 Nov 2010 - 18:40

Leurtillois a écrit:

Ce que le cinéaste détaille ici, c'est tout simplement l'intolérable disparition de l'humain en l'homme : comment, à force d'intolérance, d'incompréhension et d'aveuglement, la Russie est devenue ce qu'elle est, ce pays de dingues privés d'âme...

(http://www.telerama.fr/cinema/films/my-joy,424149.php)

C'est fou d'écrire une chose pareille.


le cinéaste est ukrainien;non?
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Message par Largo Sam 27 Nov 2010 - 18:55

Hello Leurtillois, oui j'ai dit marqué dans un sens positif comme négatif.

La citation est assez édifiante en effet.

Loznitsa est bien ukrainien mais le film est censé se passer en Russie :

Si My Joy est censé se passer en Russie, le film battait pavillon ukrainien à Cannes et son auteur, Sergei Loznitsa, s’il est né en Biélorussie en 1964, a grandi à Kiev. Le tournage n’a pu passer la frontière, et Loznitsa a dû se contenter du nord de l’Ukraine, le financement étant en partie ukrainien et pas du tout russe, aucune boîte de production n’ayant accepté de l’accompagner sur ce projet. La demande de subventions auprès de l’organisme gouvernemental du cinéma russe s’est elle aussi soldée par un refus. Pourtant, l’œuvre de Sergei Loznitsa est bel et bien ancrée dans une problématique culturelle, historique russe, avec ses nombreux documentaires (Landscape, Factory, Revue…) dans les régions de Smolensk, Novgorod, Karelia, Pskov… «L’Ukraine et la Russie ont en partage le lourd fardeau du passé soviétique, nous explique le cinéaste. La situation politique, économique et culturelle est toujours aussi difficile.»

http://next.liberation.fr/cinema/01012302621-sergei-loznitsa-la-science-et-la-fiction

Sinon, Borges, pour Dostoïevski, c'est vrai que ça tient pas vraiment au caractère du personnage, c'est assez difficile à définir, plutôt une atmosphère, une noirceur, et puis cette impression que le crime, la violence est toujours inévitable, qu'à chaque fois c'est "plus fort qu'eux", ce genre de fatalisme-là un peu écrasant...

Pour Beckett, je sais pas, qu'est-ce qui te fait dire ça ?
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Message par Swoon Sam 27 Nov 2010 - 19:04

Heureusement que Loznitsa n'a pas cherché a introduire des personnages qui incarneraient une meilleure "Russie", ni une "Russie" plus subtile et plus nuancée. Mise à part le fait que Loznitsa est ukrainien et non russe, il y a dans ce film une furie que je rapprocherai des textes de Bukowski. Ce film fait monde aussi, et la narration délirante en serait la principale matière.
Quelques jours après, j'ai revu Paysages de ce même cinéaste. Il filme, dans un lent travelling/panoramique, des visages en train d'attendre. Regards caméra, gros plans, son désynchronisé et même recréé, la caméra tourne sans cesse et les mêmes visages attendent un bus long à venir. Le délire est déjà là, dans les plis des visages. Il réutilise cette pratique, celle de la caméra observatrice et malicieuse, dans My Joy, un autre tissu, tout aussi fictif mais scénarisé.
La fin, on s'en doutait tous. Loznitsa, sait aussi qu'on s'en doutait. Du coup, d'une certaine manière, je me fout de ce nihilisme russe, il me reste à revoir les mouvements circulaires du film, ses lignes de fuite.

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Message par Présence Humaine Dim 28 Nov 2010 - 14:38

j'ai effectivement été éblouie par ce film, deux choses que j'en retiens :

1) à partir du moment où il devient cette sorte d'autiste apathique il n'est rien d'autre qu'une sorte de défi moral, ballotté, présenté aux personnages, la question est alors : que vont-ils faire de lui? Ils sont libres d'en prendre soin, de le frapper ou de l'aider, aucune conséquence n'en découlera, ils peuvent en faire ce qu'ils veulent et ce qui désespère c'est le décalage entre ce que le spectateur espère et ce qu'il voit arriver. Et non voyons que chacun réagit différemment devant cette pure présence humaine presque "inutilisable, cet enfant qui est comme le témoin que l'on se passe lors d'un relais. Nous oscillons entre la banalité du bien et celle du mal, cette femme le prend naturellement en charge et il est tout aussi naturel que les autres le tabassent. Il n'y a plus d'héroïsme du bien, il n'y a plus de révolte devant le mal, il n'y a que cette liberté angoissée.

2)
J'ai eu l'impression que le film ne cessait de prendre ses distances avec ce qu'on pourrait imaginer être le scénario d'origine. C'est son imprévisibilité qui nous assomme, la liberté totale de ses personnages, leur bonté ou leur malignité, le déroulement du film dépend à chaque instant de ce que chacun va faire de cet homme qui ne va cesser de se "vulnérabiliser", lui qui aidait d'abord. C'est ce qui se retrouve dans l'interview du réalisateur dans les Cahiers, sa fin n'est pas celle qu'il avait prévu initialement, je crois que tout est dit. Le film avance tout seul.
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Message par Largo Dim 28 Nov 2010 - 14:59

Oui, la construction du récit, sa structure est assez déroutante, c'est plutôt original et intéressant, cette manière d'articuler plusieurs histoires, plusieurs personnages autour de la trajectoire erratique du héros. Rien ne paraît forcé comme dans un mauvais Inarritu.
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