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Le Triomphe du simulacre

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Message par Borges Dim 2 Aoû 2009 - 10:04

Van Stratten a écrit:Salut,
je ne comprends pas ta remarque, Borges, mais je suis d'accord : vivent les Beatles !

À suivre affaires en cours... ne manquez pas de repasser, j'en ai encore à vous dire, entre autres choses au sujet de ... vous verrez.

Hello hello Van S.

Oui, je suis, je lis, avec intérêt.

Les Beatles, bien entendu; de vrais écrivains.


Paper back writer (paperback writer)
Dear Sir or Madam, will you read my book?
It took me years to write, will you take a look?
It's based on a novel by a man named Lear
And I need a job, so I want to be a paperback writer,
Paperback writer.


https://www.youtube.com/watch?v=PwgIMV27zdo
Borges
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Message par Van Stratten Ven 20 Nov 2009 - 9:13

Que l’on ne se méprenne pas : il ne s’agit pas de déplorer, ni même de contester le « devenir-logo » de toute image, fût-elle cinématographique. Mais il reste tout de même quelques questions : en quoi ce destin des images change-t-il leur nature ? Partant, qu’est-ce qui a changé dans la nature des images ? Dans leur substance, et dans leur forme ? Dans la façon de faire des images ou de les voir ? Et puis, tout de même : qu’est-ce qui continue de distinguer l’image cinématographique des autres images ? Comment peut-elle encore se distinguer ? Le peut-elle vraiment ? Est-ce que le jeu en vaut encore la chandelle ? Est-il souhaitable de maintenir l’illusion du cinéma au prix du simulacre ?

La réponse, nous la trouverons dans les films. Ils sont rares, mais il existent, encore. Envers et contre tous (les autres). La réponse, nous la trouverons par exemple dans Ten, dans À travers les oliviers, dans Le goût de la cerise, du cinéaste Abbas Kiarostami. Kiarostami est l'un de ces rares artistes dont les images posent encore, et toujours, la question du simulacre, devenu à la fois leur bête noire, et leur sujet favori. Ces films-là sont bien peu nombreux, qui savent d'instinct se placer entre le voir et le déjà-vu, entre le montrer et le déjà-montré, conscients qu'ils sont que s'ils ouvrent un instant la porte à l'image-reine, s'ils se laissent eux-mêmes tenter par la toute-puissance, que ce soit celle de la lumière ou de l'écriture, des photons (photo) ou du logos (-logie), s'ils oublient la double impuissance qui fonde le cinéma, ils contribuent à le rendre caduc, sinon à l'enterrer (ce qui n'est pas en leur pouvoir). En un siècle, le cinéma ne sera donc parvenu qu'à une seule vérité : celle de son impuissance. Une double impuissance : impuissance de l'enregistrement, impuissance du langage.

Le cinéma est-il un langage ? La question semble avoir perdu toute pertinence : le discours photologique rend obsolète le vieux cinéma ou tout au moins ses vieilles conceptions. Les formes classiques de mise en scène, de montage et de structure narrative, quoiqu’elles dominent encore massivement la production cinématographique, ne sont plus que des vestiges. Les vieilles formes ne sont plus qu’une coquille vide - à l’instar du poème épique pour Boileau au XVIIème siècle - dépassées qu’elles sont par l’image-simulacre. Pour survivre à la toute puissance de l’image, le cinéma devra inventer de nouvelles formes - c’est un peu se survivre à lui-même, puisque la chimère photologique est d’abord la sienne. Les cinéastes qui ont cette conscience produisent les seuls (très rares) films qui ont encore à voir avec le cinématographe. Mille fois plus nombreux, les autres films, et toutes les autres images, n'ont plus à voir qu'avec le simulacre.

Quelles autres images ? Mais toutes les images (ou presque) : de Mesrine jusqu’au dernier opus de Gus Van Sant, Harvey Milk, les films ne proposent plus que la reconstitution béate comme unique horizon de l'image cinématographique. Le Biopic, et avec lui toutes les images qui font de l'imitation, de la mimique, de la ressemblance, en un mot de la perfection analogique, la condition de la réussite d'un film ─ surtout à l’heure du tout-numérique ─ érigent le simulacre en norme. Dans ce nouveau mode de représentation, les décors et les costumes sont tout puissants, l'illusion de réalité étouffe l'image (et son spectateur), le brouillage des repères spatiaux et temporels, entendu comme le nec plus ultra de l'intelligence cinématographique, ne cache que l’absence de toute forme déterminée. À l’âge du règne de l’informel, les prétendus auteurs ne sont plus que des roitelets au service d’une image-reine. La publicité, ministre plénipotentiaire, est partout chez elle. Et le spectateur regarde la télévision.

Un cinéma du simulacre
Dans la guerre pour le tout-image, dont le champ de bataille a depuis longtemps investi l’écran cinématographique, il est un film qui a constitué pour la photologie une victoire importante, au point de séduire lors de sa sortie une grande partie de la rédaction des Cahiers du Cinéma : The Curious case of Benjamin Button, de David Fincher. Le film désavoue en effet, dans un élan glorieux, toutes les images qui sont venues avant lui, et affiche une confiance absolue dans l’innocence de ses propres images. La croyance qu’il demande à son spectateur, beaucoup se sont empressés de la lui accorder. Peut-être un peu trop rapidement. Que raconte le film ? Réécriture romantique d’une nouvelle courte et cinglante de Fitzgerald, il s’agissait à l’origine d’un conte moral et fantastique, mélange d’ironie distanciée et de nostalgie, récit improbable dont l’auteur de La Fêlure avait le secret. Evoquer ce texte littéraire peut sembler inutile, puisque le film n’emprunte rien à la nouvelle que son titre, le nom de son personnage, et son motif initial à la H.G.Wells : celui d’une existence vécue à l’envers. Pour le reste, le film est d’abord une histoire d’amour. Or, justement, tout en transformant une très courte nouvelle en un roman fleuve, le film reste fidèle en partie à Fitzgerald : il en cultive en effet la part nostalgique. Ce qu’il a perdu en chemin, c’est le doute, c’est l’inquiétude.

Nous voici donc, dès la séquence d’ouverture, dans l’entreprise cinématographique la plus ouvertement muséale que l’on ait vue depuis longtemps. Les premières images (celles de l’inauguration de la grande horloge, à la gare) ont bien été filmées avec les outils les plus modernes de prise de vues, mais elles ont ensuite, lors des opérations conjointes de montage et d’étalonnage numériques, subi un traitement chirurgical, une sorte de lifting inversé. Le spectateur n’est nullement surpris, ayant déjà en poche un petit appareil, bien souvent un simple téléphone, qui lui permet de donner une teinte sépia à n’importe quel cliché. Mais Fincher va plus loin. Il réalise une opération exactement contemporaine (et inverse) de la restauration numérique. On dira qu’il n’est pas le premier à se livrer à une telle supercherie : on citera par exemple les fausses images d’archives concoctées jadis par Oliver Stone pour son film JFK. Mais Fincher ne se contente pas d’une perfection de traitement qui donnerait au spectateur une simple illusion de texture, le laissant dans le doute de se trouver bien réellement devant des images d’archives. Il ne se satisfait pas davantage, pour signaler un flash-back, d’un pauvre noir et blanc un peu jauni. Il n’en reste pas à l’idée gentiment désuète (celle par exemple d’un Jean-Pierre Jeunet) de coloriser nos souvenirs, en rendant à une image d’abord décapée, des couleurs un peu fanées, vague reflet d’une époque plus ou moins révolue. Non, Fincher, lui, recrée une image fidèle aux toutes premières plaques photographiques réalisées en couleurs, au tournant du vingtième siècle, par un certain… Louis Lumière. En d’autres termes : il redonne naissance au cinéma en couleurs, mais pas aujourd’hui, non, ni même dans les années trente : pour lui, c’était en 1903. Nous ramenant malgré nous, et presque à notre insu (pris dans un flux d’images, le spectateur ne sait plus rien), aux balbutiements du cinématographe, le cinéaste en recrée l’âge d’or par une parfaite opération technique. Vous avez dit nostalgie ? Mais c’est d’une quête d’innocence qu’il s’agit. Fincher s’achète un œil tout neuf. Au prix d’un petit tour de passe-passe numérique, l’ex-publicitaire se refait une virginité oculaire. Et Brad Pitt de retrouver bientôt les traits juvéniles, plus angéliques que jamais, qui lui avaient conquis le cœur d’une génération. La nostalgie du cinéaste est alors rejointe par celle du spectateur. Et le lifting numérique la rend éternelle.

La clef de voûte du film est une scène d’amour. Mais curieusement, elle n’a rien de charnel : trop idéale pour cela. Les deux héros ont à peu près atteint au même âge… nostalgie : sur la courbe du temps, ils ne feront que se croiser. Mais pour l’heure, pour ce moment d’éternité, ils sont au sommet de la courbe, et de leur beauté plastique. Nulle chirurgie ne saurait les rendre plus parfaits. Aucun lifting ne peut atteindre à davantage d’idéalité. Ils ne seraient pas plus séduisants sur les pages glacées de Elle ou de Vogue. Parangon publicitaire, ce couple idéal représente notre aspiration la plus intense. Le simulacre tel que le propose Benjamin Button, c’est un degré absolu de ressemblance de l’image : une image tellement fidèle qu’elle ne ressemble plus à aucune autre. Le paradoxe n’est qu’apparent : il ne s’agit ni plus ni moins que de la quête de l’analogon parfait. L’image pure par excellence. Le lifting numérique rend désormais possible ce dernier degré du simulacre.

Dans les années ’90, un ou deux critiques s’inquiétaient encore de la légèreté avec laquelle Oliver Stone, dans son film JFK, créait de fausses images d’archives qui ressemblaient à des vraies. Mais les vraies fausses images de Benjamin Button n’étonnent plus personne, et beaucoup trouveront hors de saison mon indignation. Qu’ils me permettent toutefois de rappeler que ce culte de l’analogon parfait constitue le degré zéro de l’image. Là où Oliver Stone fabriquait, puis montait, de vraies images super 8 et 16 mm, à partir d’une mise en scène, et demandait au support argentique de valider sa reconstitution, David Fincher fabrique une fausse image analogique par le truchement du numérique. La différence, s’il y en a une, ne réside pourtant pas dans la substance de l’image. Bien sûr, le support a changé, ou plutôt, il s’est diversifié (Fincher n’a pas tout à fait abandonné l’argentique), et c’est bien le traitement numérique qui permet d’atteindre à cette perfection analogique. Mais ce n’est finalement qu’un saut quantitatif : une surenchère dans le degré de ressemblance. En revanche, l’enjeu du simulacre a changé : là où Stone cherchait la preuve par l’image, et, par son mensonge même, n’arrivait qu’à faire la preuve que l’image ne prouve jamais rien, qu’elle n’est qu’une image (pas une image juste, mais juste une image), bref là où Stone était pris à son propre piège (celui du cinéma), Fincher nous tend un miroir infiniment séduisant, un miroir déformant qui comble nos aspirations les plus narcissiques. Bien loin de les démasquer comme simulacre, nous adorons ces images, qui ne veulent rien prouver, qui n’ont rien à justifier que leur propre innocence. Fincher ne semble même pas en être responsable. Elles sont pure immanence. L’immaculée conception de l’art publicitaire.

Du Projet Blair Witch jusqu’à Cloverfield, en passant par Redacted, de plus en plus nombreux sont les films qui utilisent le filmage amateur comme gage de vraisemblance. « L’effet de réel » ainsi créé permet d’accrocher le spectateur à moindres frais, déclenchant à tout coup stupeur, terreur, nausée. Mais au-delà, que proposent ces films ? Il est clair qu’ils utilisent l’image-simulacre, à des fins somme toute assez classiques, qui ont trait au film de genre. Et pourtant, dans le même temps, ils s’efforcent à tout coup de nier leur propre processus de fabrication : mise en scène, montage. Ce n’est pas que les situations n’aient pas été, ici comme ailleurs, organisées, ni les plans choisis, coupés et reliés entre eux, mais pour que le filmage informel soit probant, pour que le soi-disant réel semble pris sur le vif, il faut que le spectateur oublie qu’il est devant un spectacle. Dans l’idéal, pour conserver leur caution de vraisemblance, ces films voudraient nous faire oublier qu’ils sont une représentation du monde. Oubliez l’image : c’est du réel !

Qu’est-ce que le simulacre de l’image ? Ce n’est ni le mensonge de la mise en scène, ni celui du montage. Tout illusionniste ne fabrique pas du simulacre : un grand maniériste comme Welles, maître en illusions de toutes sortes, théâtrales et cinématographiques, n’a eu de cesse dans le même temps de dénoncer le mensonge inhérent à l’image (voyez le final de La Dame de Shanghai, considérez la destinée de Monsieur Arkadin, ou simplement ce titre : F For Fake). Fassbinder en fut un digne héritier, qui savait quels crimes peut racheter une bonne image.

Quelques propositions
1° Le triomphe actuel du simulacre, comme on l’a dit, c’est le règne sans partage de la photologie, qui considère d’emblée comme acquise l’analogie parfaite de l’image, alors même qu’elle est impossible.
2° Dans le simulacre, l’image s’envisage elle-même comme analogon parfait, que son référent soit une réalité extérieure, une autre image, ou un autre simulacre.
3° Le simulacre des images, c’est un nouveau puritanisme qui veut faire prendre un artefact pour une parole d’évangile. Cette relation aux images est idolâtre.
4° Le cinéma du simulacre n’utilise l’enregistrement que pour donner une illusion de réalité, et nie, purement et simplement, les opérations de montage et de mise en scène, alors même qu’il est obligé d’en passer par là.
5° À cette fin, mise en scène et montage, comme des voleurs, sont sommés d’effacer leurs traces.
6° Le cinéma du simulacre propose d’ailleurs un nouveau type de montage, le montage « tous azimuts », dans lequel tout raccord, quel qu’il soit, est non seulement toujours possible, mais équivalent à n’importe quel autre, et sans incidence aucune sur le film lui-même, sur l’œuvre en tant que telle, puisque cette dernière est informe, et que son enjeu n’est autre que de servir l’illusion de réalité.
7° Ce « montage tous azimuts », rendu possible par l’utilisation de caméras multiples, et par le montage en simultané, est devenu la norme à la télévision. Transposé dans des séries ou dans toute autre œuvre audiovisuelle, ce montage hérité du « direct » donne toute la place au « visible ».
8° Il s’agit bien d’un montage qui efface ses traces : ou bien ce montage à partir de plusieurs caméras respecte à la lettre la succession temporelle, rendant impossible le faux-raccord, ou bien il brouille à un point tel les repères spatio-temporels, que l’idée même de faux-raccord devient impensable. Dès lors, le visible est tout.
9° Dans le simulacre, le vraisemblable devient seul gage de réussite d’une image. Est validée toute image qui a « l’air vrai ».
10° L’image-simulacre :
─ confond le monde et sa représentation : elle nie, refoule l’idée même de spectacle.
─ considère que tous les moyens sont bons pour donner au spectateur l’illusion de réalité.
─ cultive l’informel, et ne prend en compte les questions formelles que dans une visée illustrative ou décorative. En gros : une forme élaborée, c’est du discours ou du décorum, mais ce n’est pas de l’image.
─ efface toute trace d’un processus de fabrication ou d’élaboration, avant de se prétendre immanente.
─ ignore ses limites, et se croit tout permis.
─ passe pour toute-puissante.
11° Enfin, et surtout, l’image-simulacre ignore superbement toutes les images qui l’ont précédée. Elle se pose d’emblée comme innocente, et l’acte de filmer semble avec elle toujours inaugural. Participent donc au triomphe du simulacre tous les discours critiques ou théoriques au sujet d’une prétendue renaissance de l’image, qui font l’éloge de la petite caméra numérique comme d’un outil d’une nature différente, qui va permettre de filmer « comme on ne l’a jamais fait avant », et comme si c’était la première fois. Avec la caméra DV, ou HDV, il deviendrait soudain possible de filmer le monde en toute innocence. La petite caméra, tenue par une main innocente, permettrait enfin de « donner à voir le réel », dans toute sa pureté et sa simplicité. Seront alors déclarés géniaux, les cinéastes qui arriveront à rendre visible le réel, ceux qui auront reçu le don de résoudre l’équation : visible = réel. Le degré zéro de l’image.
12° Il resterait à donner une définition du simulacre, ou de l’image-simulacre. Mais le plus sage est de laisser la parole au Petit Robert (à charge au lecteur de choisir la meilleure définition, ou d’actualiser la notice).

SIMULACRE : [simylakR] n. m. ─ fin XIIe ; lat. simulacrum (image, effigie, statue) 1. vx Image, idole. 2. (1552) LITTÉR. Apparence sensible qui se donne pour une réalité. fantôme, illusion, semblant. Un simulacre de procès. parodie. « Ce combat n’est plus que comme un simulacre de bataille » (Gide). 3. Objet qui en imite un autre. Des « simulacres d’œufs en toutes sortes de matières sucrées » (Butor).

Pourquoi le cinéma ?
Aucune image n'est innocente. Le prétendre est folie, quelle que soit l'image, qu'elle soit de Van Gogh ou d'un quidam en maillot de bain. L'enthousiasme pour le regain de vertu du numérique est bien dans l'air du temps, mais c’est du fanatisme : le fanatisme du tout-image. Contre l’hérésie photologique, certains cinéastes, même s’ils ont du mal, Tarantino et Lynch mis à part, à vraiment faire le poids en termes de présence sur les écrans, cherchent à remettre en jeu l’image-simulacre, à la mettre en difficulté, quitte à s’aventurer sur son terrain. On l’a dit plus haut de Kiarostami, premier cinéaste dont toutes les images sans exception sont vouées à la désacralisation.

C’est également le cas d’un Gus Van Sant, quand il ne se livre pas au Biopic : par exemple, Last Days n’est pas un Biopic, puisque le personnage principal n’est pas Curt Kobain. Cette restriction fait toute la différence : tout en flirtant dans chaque plan avec le simulacre, le film laisse une place à l’indétermination, donc à notre hésitation sur ce que nous sommes en train de voir, donc au doute sur le visible. On retrouve cette place laissée à l’hésitation du spectateur dans El Cant dels Ocells, comme dans Honor de cavalleria, les deux premiers longs métrages d’Albert Serra. Dans ces deux films, le cheminement des protagonistes est redoublé par celui des comédiens, dont l’incarnation, la possibilité même de représenter leur personnage, est tour à tour mise à mal, ou au contraire justifiée par la difficulté physique, au point qu’entre la pesanteur et la grâce, il n’y a plus à choisir. Serra, cinéaste d’une rare intelligence, reprend le chemin là où Rossellini s’était arrêté, quelque part sur les pentes du volcan. Mais il s’y prend avec davantage d’humilité et, surtout, de doute : ainsi, la volonté de laisser à l’image toute sa puissance d’indétermination devient officielle dans El Cant dels Ocells, où elle est inscrite dans le trajet même des personnages-comédiens (voir, au cœur du film, les atermoiements des rois mages, qui rendent peu à peu l’image, et le son, ininterprétables, illisibles). Désacraliser l’image pour lui rendre son mystère. Questionner toute croyance afin de créer, de nouveau, du mythe. C’est ce que fait également Raya Martin, mais en frayant de beaucoup plus près avec les limites de l’image, avec le simulacre : comme Oliver Stone, lui aussi fabrique de fausses images d’archives. La différence, c’est qu’il annonce d’emblée qu’elles sont fausses. Entre fantasme et rêve, les plans de Raya Martin interrogent inlassablement le spectateur, le sommant de préciser son désir, de justifier sa soif d’images. Le besoin effréné d’images est l’un des signes distinctifs de notre époque. Les images de Raya Martin sont tout à fait contemporaines, en ce qu’elles ont pour fonction de pallier un manque d’image, de combler à tout prix le vide laissé par l’absence d’image. Et elles se tiennent indécidables, entre deuil et morbidité, entre mensonge et mythe, entre début et fin. Sans posture morale, de façon radicale mais ambiguë, ces films admonestent directement le cinéma : pour survivre au simulacre, il lui faudra contempler en face le destin des images.


Dernière édition par Van Stratten le Sam 21 Nov 2009 - 12:15, édité 1 fois

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Message par Invité Ven 20 Nov 2009 - 10:05

Pas mal de trucs intéressants, dont tes 12 propositions.

Des réserves, toujours, dans la forme du discours règle/exceptions.

pour survivre au simulacre, il lui faudra contempler en face le destin des images.

Ca n'est pas un peu ce que fait le dernier GVS que tu catalogues un peu vite bête film de "reconstitution" ? On en avait pas mal discuté à l'époque sur le forum.

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Message par Le_comte Ven 20 Nov 2009 - 10:10

Bref, tu fustiges le naturalisme, comme l'avait déjà remarqué Wootsuibrick. Ton texte est clair et complet, merci en tout cas. Aujourd'hui, de nombreux films arrivent à se dégager de ces contraintes. 1) il y a toujours ce cinéma de la réalité anti-naturaliste et les films des grands auteurs. (tu le montres bien d'ailleurs) 2) Il y a toute une production, sérieuse ou non, qui réfléchit sur ce qu'est, aujourd'hui, le monde ultra-médiatisé et technologique.

Sinon, un auteur célèbre que j'ai relu hier parlait, à propos du cinéma, de fable contrariée. Le cinéma n'est jamais l'accomplissement de son propre principe ; il ne saurait être la "pureté" qu'on lui attribue généralement. A l'inverse, il se contrarie toujours ; dès qu'il y a des grands films, c'est dans une construction et un jeu récurrent, contrarié donc, entre l'action et le suspens (au sens de suspendre quelque chose, l'arrêt sur le moment, par delà la logique narrative). Ainsi, le cinéma, dans son impureté, continue et s'enracine toujours dans des choses "autres" que lui-même.

Dans sa conclusion, l'auteur insinuait que le cinéma avait tout à gagner en se contrariant avec les acquis de la télévision et du virtuel. Au lieu d'y voir la traditionnelle mort de "l'image pure", il invitait à repenser ces nouvelles formes de visibilité nées des nouvelles technologies et des nouveaux médias. Chose d'autant plus intéressantes puisque nous sommes, actuellement, dans un tournant -l'après 11 septembre et l'ère du numérique- qui redéfinit un nouvel âge du visible.

Le critique se doit de cartographier ces nouveaux paramètres, de dire en quoi ce visible nouveau, découlant des deux événements cités à l'instant, organise et configure le sensible actuel, par délà, peut-être, la "qualité des œuvres". Il y a beaucoup à en dire : sur la technique, le virtuel, les contextes politiques...

Peut-être étais-ce la véritable position des cahiers du cinéma ces dernières années, trouvant sa consécration dans Redacted.

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Message par Borges Ven 20 Nov 2009 - 13:56

Le cinéma du simulacre n’utilise l’enregistrement que pour donner une illusion de réalité, et nie, purement et simplement, les opérations de montage et de mise en scène, alors même qu’il est obligé d’en passer par là.

5° À cette fin, mise en scène et montage, comme des voleurs, sont sommés d’effacer leurs traces.

Le cinéma du simulacre propose d’ailleurs un nouveau type de montage, le montage « tous azimuts », dans lequel tout raccord, quel qu’il soit, est non seulement toujours possible, mais équivalent à n’importe quel autre, et sans incidence aucune sur le film lui-même, sur l’œuvre en tant que telle, puisque cette dernière est informe, et que son enjeu n’est autre que de servir l’illusion de réalité.



Je trouve très inconsistante cette suite; contradictoire; tu dis une chose et son contraire :

-d'une part, on efface, de l'autre, on propose un montage "tous azimut"; à moins que le montage tout azimut ne soit pas le montage, et qu'il soit lui aussi un simulacre de montage, un montage se faisant passer pour du montage ; ce qui n'est évidemment pas possible ; si je veux me faire passer pour, je dois faire exactement comme, mais n'être pas.

-Moins un film est monté, plus ça donne un sentiment de réel (c'est un classique de la théorie) ; donc plus c'est monter, plus c'est de l'irréel, du cinéma, donc... quand je vois le dernier "Batman", je ne crois pas un instant qu'on essaye de me faire prendre ça pour du réel...

d'où vient la contradiction?


D'abord si on cause de simulacre, on doit définir l'être, la réalité ; que veut dire "le cinéma du simulacre essaye de me donne l'illusion de la réalité" ? Cet énoncé n'a pas de sens, parce que si je définis la réalité par ce que je vis, une définition commune de la vie ordinaire, je ne peux à aucun moment croire que "Batman" essaye de me faire croire qu'il me présente la réalité ordinaire de mon existence.

Il n'y a simulacre que s'il y a réalité, être ; donc un rapport de l'image à un référent, or comme disait Rancière ce n'est que l'une des définitions de l'image.

Réalité de l'image
image de la réalité


je sais que ce sont des images, et que ces images ne sont pas la réalité ; mais le mec tente de construire une illusion de la réalité, de nous faire croire à son univers, comme le tente Balzac, selon ses moyens... Proust, selon les siens... mais c'est une autre affaire... fiction de la réalité, réalité de ma fiction, qui doit tenir...


Quelle différence avec Welles, la dame de Shanghai, par exemple...
ou les images des actualités dans "citizen kane"...



etc.
Borges
Borges

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Message par Van Stratten Sam 21 Nov 2009 - 10:49

Salut,

que te dirai-je, Borges ? tu es resté bloqué dans les années cinquante, en compagnie de Doniol Valcroze et de Bazin, ou bien ? Dégote-toi vite un convertisseur spatio-temporel et rejoins le vingt-et-unième siècle (adresse toi à Michael J. Fox, ou à Christopher Lloyd, ils seront ravis de t’aider, ça leur rappellera le bon vieux temps). Cela dit, je te déconseille de faire le chemin vers le futur si tu tiens vraiment au cinéma de nos grands pères, parce que notre époque d’hérésie n’est pas des plus chaleureuses, et pas seulement en matière d’image…

Deux remarques encore : le montage que j’appelle « tous azimuts », comme je l’ai déjà écrit, c’est le montage de plateau télé, qu’il soit en direct ou post-charcuté, de talk-show ou de reportage, de rencontre sportive, live ou pas. Ce montage est favorisé par l’utilisation de plusieurs caméras. Grosses productions ou tournage en vidéo : tout le monde désormais peut s’offrir une débauche de moyens techniques. (Les civilisations décadentes s’offrent les orgies qu’elles peuvent : la nôtre est idolâtre.) Le « gage de réel » n’est plus, loin s’en faut (mais ça fait plus de trente ans, Borges, franchement est-ce que tu vis en éprouvette ou bien ?), le gage de réel ne réside plus (mais, faut-il le dire ? il y a soixante ans, c’était déjà un fantasme, revoyez le film de Lamorisse le ballon rouge ! et revoyez surtout le film presque éponyme de HHH, plus grand film du millénaire à l’heure qu’il est) le gage de réel ne réside plus dans la « robe sans couture » chère à Bazin, enfin quoi ? Le gage de réel maintenant, c’est la forme télévisée. Point. Un fantasme de plus, mais clos sur lui-même, imparable, et surtout : décervelant, débile. Comme le dit Comolli dans un entretien que j’ai pu lire grâce à vous,sur ce même forum, la durée du plan, par opposition au charcutage des images, à ce montage désormais épileptique, permet au spectateur de douter. Le temps c’est de la pensée. Le temps c’est devenu le luxe suprême que plus personne ne connaît. Penser, douter. Voilà ce que permet aujourd’hui la durée du plan. À condition que ce ne soit pas pur snobisme (et on en connaît, de Tenrence Davies à Steve MacQueen), auquel cas le simulacre ressort vite du bois.

Deuxième remarque : ras le bol de vos référence systématiques aux penseurs du temps ! Ce n’est pas que, leur nombre étant réduit comme peau de chagrin, il faille s’abstenir de les citer. Ce n’est pas qu’ils n’écrivent que des conneries. Non, bien sûr. Mais lorsqu’un Daney citait Lacan, lorsque Comolli citait Barthes, ce n’était pas pour traquer benoîtement le moindre de ses propos sur le cinéma. Non : c’était pour commettre un « déplacement », une application inattendue d’une idée majeure. Application à l’image, bien sûr.

Parce que bon dieu ! Rancière ou Badiou, c’est Chevalier et Laspalès, sitôt qu’il s’agit de cinéma ! Enfin quoi, jusqu’à preuve du contraire, ce sont des philosophes, et non pas des cinéphiles. Certes, notre époque n’a que les penseurs qu’elle mérite (et les Bouvard et Pécuchet n’ont jamais tant pullulé, aujourd’hui que les médias leur accordent la digne étiquette « d’experts »). C’est déjà préoccupant en soi, mais en outre, nous manquons encore davantage, et tout à fait « singulièrement », de critiques dignes de ce nom.

À bon entendeur,

Van Stratten.

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Message par Eyquem Sam 21 Nov 2009 - 11:05

J'ajoute, en guise de parenthèse, un extrait d' "Iconologie" de W.J.T. Mitchell. Vous me direz si ça a un quelconque rapport avec le sujet...

Il existe une similitude, non seulement entre différentes façons d'adorer les images, mais entre différentes formes d'hostilité à l'égard de l'adoration des images - c'est-à-dire entre différentes formes d'iconoclasme. Les traits caractéristiques de l'iconoclaste devraient maintenant nous être familiers. Il considère l'idolâtrie comme une sottise et un vice d'une part, et l'accuse d'erreur épistémologique et de corruption morale, d'autre part. L'idolâtre est naïf et bercé d'illusions, il est la victime d'une fausse religion. Mais l'illusion n'est jamais simplement innocente et inoffensive. Du point de vue de l'iconoclaste, il s'agit toujours d'une faute dangereuse et vicieuse qui détruit non seulement l'idolâtre et sa tribu, mais menace aussi de détruire l'iconoclaste lui-même.

Dès lors, la rhétorique de l'iconoclasme laisse entrevoir une curieuse ambivalence. Dans la mesure où l'accent est mis sur la sottise de l'idolâtre, celui-ci suscite la pitié, et requiert une éducation et une conversion thérapeutique "pour son bien". L'idolâtre a "oublié" quelque chose - son propre acte de projection - et doit donc être soigné par la mémoire et la conscience historique. L'iconoclaste conçoit une distance historique entre lui et l'idolâtre. il se situe à un point de l'évolution plus "avancé" ou plus "développé", position qui lui permet de formuler une interprétation historicisante et évhémériste des mythes auxquels l'idolâtre adhère littéralement.

D'autre part, dans la mesure où l'accent est mis sur la corruption morale, l'idolâtre fait l'objet d'un jugement furieux qui n'a, en principe, aucune limite. La sévérité illimitée de ce jugement découle logiquement du caractère singulier de l'idolâtrie, qui n'est pas qu'un manquement moral parmi d'autres, mais une renonciation à l'humanité, une projection de l'humanité dans les objets. Par définition, l'idolâtre est un être inférieur. tant que sa capacité d'acquérir une pleine humanité n'a pas été démontrée, il reste l'objet adéquat de la persécution religieuse. Il est exclu de la communauté des croyants, mis en esclavage ou liquidé.

L'histoire de l'iconoclasme est au moins aussi longue que celle de l'idolâtrie. malgré sa tendance à toujours apparaître comme une rupture relativement récente et révolutionnaire, renversant des cultes de l'image établis antérieurement (la Réforme protestante rompant avec le catholicisme romain, les iconoclastes de l'empire byzantin s'opposant au patriarche, les israélites fuyant l'Egypte), il se présente régulièrement comme la plus ancienne forme de religion - un retour au christianisme primitif ou à la religion des premières créatures humaines, avant une "chute" qui est toujours comprise comme un basculement dans l'idolâtrie. En effet, on pourrait soutenir que l'iconoclasme n'est que l'envers de l'idolâtrie, rien de plus qu'une idolâtrie tournée vers l'extérieur, à l'encontre d'une tribu rivale et menaçante. L'iconoclaste préfère penser qu'il n'adore point d'images de quelque sorte qu'elles soient. Mais poussé dans ses retranchements, il tient généralement un discours assez différent - ses images seraient plus vraies et plus pures que celles des idolâtres.

p.298-299
C'est un bouquin qui m'a pas mal intéressé dernièrement. Mitchell s'emploie à "déconstruire" (la filiation derridienne est revendiquée) la rhétorique iconoclaste de penseurs comme Lessing ou Burke, et à proposer une relecture de Marx, dont l'esthétique serait "la tache aveugle", le seul point sous-développé de sa réflexion philosophique (à partir de quoi Mitchell explique l'embarras des marxistes vis-à-vis des oeuvres d'art).

Disons que le bouquin m'intéressait dans une perspective bien précise : il y avait d'abord, pour moi, l'étonnement d'entendre bien souvent percer une pure et simple détestation des images chez nombre de cinéphiles, instaurant un partage entre simulacres et "images vraies" ; il y avait ensuite l'importance de savoir s'il était possible d'élaborer une critique des images, sans tomber dans les travers de cette rhétorique iconoclaste que Mitchell met en évidence.
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Message par Van Stratten Sam 21 Nov 2009 - 11:23

Merci pour la référence.
Que donne une idolâtrie sans religion ? Où en sommes-nous dans notre rapport aux images ? Je pose la question. C'est déjà pas mal.
Pas une image juste. Juste une image. Ca n'a rien d'iconoclaste. Aucune croyance nouvelle ou nazie qui viendrait se placer au-dessus des autres.
Une exigence morale individuelle.

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Message par Borges Sam 21 Nov 2009 - 11:54

Oh, Van Stratten, je discutais simplement, tu sais. Je te posais juste une question. Désolé, si je t'ai mis en colère. Je n'ai pas approfondi ces questions autant que toi. Beaucoup de choses m'échappent encore. Bien entendu Rancière, Badiou et quelques autres ne sont pas des cinéphiles mais ils font ce qu'ils peuvent, et tu n'as pas le droit de les mépriser. Mon intention n'était pas du tout d'opposer leurs pensées à la tienne; loin de là. C'est vrai que je dois faire un effort pour les laisser de côté quand il s'agit de cinéma. Merci, pour ce travail et de nous aider à tenter d'y voir plus clair. Comme on dit je dois "updater" mes vieilles idées. Je suis entièrement d'accord avec toi la cinéphilie doit être une affaire d'exigence morale individuelle. Je vais relire tes textes plus attentivement encore.
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Message par Van Stratten Sam 21 Nov 2009 - 11:59

Borges une dernière remarque (pour l'heure) au sujet de l'image et du référent : j'ai déjà écrit, que le référent de l'image s'est "déplacé" et démultiplié à la fois : le référent, ce n'est plus une entité tangible du monde réel (plus seulement, plus vraiment, presque plus), mais bien davantage une autre image, un contexte d'images, un bain de représentation constant. (Plus ça ressemble aux autres images, à d'autres images, et plus ça semble vrai, plus ça semble réel, que l'image en question vienne de Batman ou du JT.) Actualiser cette mémoire de l'image, à l'intérieur même de toute nouvelle image, est l'une des réponses primordiales à aporter au triomphe du simulacre : aux cinéastes de prendre leurs responsabilités. Dans ce contexte, à Hollywood,Tarantino représente une exception pour l'heure absolue. Le cinéma de Wody Allen devient dans ce sens tout à fait passionnant : à la fois creux, presque "débile" du point de vue d'un hypothétique contenu, et riche d'une mémoire actualisée de l'image.


Dernière édition par Van Stratten le Sam 21 Nov 2009 - 12:08, édité 1 fois

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Message par Van Stratten Sam 21 Nov 2009 - 12:04

Ok,

Habitué à de vertes remontrances, le dirai-je ? un peu trop péremptoires, sitôt mes propos publiés, je ne m'attendais pas à une prise en compte aussi honnête et franche de mes maigres idées comme tu en fais preuve à l'instant, Borges. Bon évidemment, je ne pourrai m'empêcher d'être véhément : là en est mon rapport aux images, c'est ainsi.
Donc, cinéphiliquement (si ça encore un sens ?) merci de l'attention que tu veux bien porter à ces problèmes, qui me semblent majeurs, et évidemment,

To be continued,

Van Stratten

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Message par wootsuibrick Sam 21 Nov 2009 - 12:34

mais bien davantage une autre image, un contexte d'images, un bain de représentation constant. (Plus ça ressemble aux autres images, à d'autres images, et plus ça semble vrai, plus ça semble réel, que l'image en question vienne de Batman ou du JT.)
Oui c'est ce qui arrive lorsqu'un médium prend de l'âge.
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Message par Borges Sam 21 Nov 2009 - 13:20

Van Stratten a écrit:Borges une dernière remarque (pour l'heure) au sujet de l'image et du référent : j'ai déjà écrit, que le référent de l'image s'est "déplacé" et démultiplié à la fois : le référent, ce n'est plus une entité tangible du monde réel (plus seulement, plus vraiment, presque plus), mais bien davantage une autre image, un contexte d'images, un bain de représentation constant. (Plus ça ressemble aux autres images, à d'autres images, et plus ça semble vrai, plus ça semble réel, que l'image en question vienne de Batman ou du JT.) Actualiser cette mémoire de l'image, à l'intérieur même de toute nouvelle image, est l'une des réponses primordiales à aporter au triomphe du simulacre : aux cinéastes de prendre leurs responsabilités. Dans ce contexte, à Hollywood,Tarantino représente une exception pour l'heure absolue. Le cinéma de Wody Allen devient dans ce sens tout à fait passionnant : à la fois creux, presque "débile" du point de vue d'un hypothétique contenu, et riche d'une mémoire actualisée de l'image.

Voilà un point important que je dois naturellement prendre en compte, si je veux suivre ton développement (neuf, et trop rare) et ne pas t'opposer bêtement des arguments dépassés. J'en étais resté à la notion de référent-réel : le référent de l'image désormais c'est l'image; nous avons affaire à des images d'images. Oui, c'est aux cinéastes de prendre leur responsabilité, et aux cinéphiles d'agir là où ils sont, pour lutter contre le triomphe des simulacres. Une morale individuelle de la résistance aux simulacres, c'est ce dont le cinéma que nous aimons a le plus besoin. Tout à fait d'accord avec toi, en ce qui concerne Tarantino (une exception comme tu dis) et Woody Allen, dont le travail m'a toujours passionné, même si ses derniers films m'ont bien déçu; les voir depuis ta réflexion sans doute les rendrait plus intéressant.
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Message par Borges Sam 21 Nov 2009 - 13:26

Van Stratten a écrit:Ok,

Habitué à de vertes remontrances, le dirai-je ? un peu trop péremptoires, sitôt mes propos publiés, je ne m'attendais pas à une prise en compte aussi honnête et franche de mes maigres idées comme tu en fais preuve à l'instant, Borges. Bon évidemment, je ne pourrai m'empêcher d'être véhément : là en est mon rapport aux images, c'est ainsi.
Donc, cinéphiliquement (si ça encore un sens ?) merci de l'attention que tu veux bien porter à ces problèmes, qui me semblent majeurs, et évidemment,

To be continued,

Je crois pouvoir parler au nom des Spectres, en disant que nous sommes heureux de suivre ta pensée. Ta véhémence montre combien la situation du cinéma t'importe. On oublie trop souvent que la cinéphilie est une histoire d'amour, de passion, et qu'il faut savoir défendre les "objets" de son amour. On aime trop tièdement de nos jours. On confond l'amour du cinéma et la consommation.

Merci de continuer; de résister.
Borges
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Message par Le_comte Lun 23 Nov 2009 - 22:42

11° Enfin, et surtout, l’image-simulacre ignore superbement toutes les images qui l’ont précédée. Elle se pose d’emblée comme innocente, et l’acte de filmer semble avec elle toujours inaugural. Participent donc au triomphe du simulacre tous les discours critiques ou théoriques au sujet d’une prétendue renaissance de l’image, qui font l’éloge de la petite caméra numérique comme d’un outil d’une nature différente, qui va permettre de filmer « comme on ne l’a jamais fait avant », et comme si c’était la première fois. Avec la caméra DV, ou HDV, il deviendrait soudain possible de filmer le monde en toute innocence. La petite caméra, tenue par une main innocente, permettrait enfin de « donner à voir le réel », dans toute sa pureté et sa simplicité. Seront alors déclarés géniaux, les cinéastes qui arriveront à rendre visible le réel, ceux qui auront reçu le don de résoudre l’équation : visible = réel. Le degré zéro de l’image.

Ce 11ème commandement est assez étonnant. Il me semble, au contraire, qu'il y a un véritable enjeu dans la "redécouverte" du monde par le numérique. Que, une fois bien utilisé, il pourrait donner naissance à des films importants. Le dernier Lynch a d'ailleurs posé quelque ouvertures assez fécondes, par delà la gamme traditionnelle du cinéaste. De plus, je ne pense pas qu'une telle pratique vise à supprimer sa construction (montage, etc.). Au contraire, elle va déconstruire, filmer autrement, à l'aide de son nouveau "deal" mimétique. Et comme le disait déjà Bazin, le cinéma n'a plus affaire avec la mimèsis, mais avec la matière, l'hylèontologie, et la manière dont on la montre...

Ainsi, mettre dans le même sac les cloverfield etc et la pratique générale de la caméra numérique ne me paraît pas du tout valable. Il y a une différence claire entre l'impression de réel qui guide ce genre de production et le nouveau visible, la nouvelle "fidélité" de l'image à partir de laquelle un nouveau cinéma est possible, quitte à ce qu'il oeuvre au bord de cette croyance du simulacre, tout en s'en démarquant, puisqu'il creuse, déconstruit, découvre autrement à l'aide d'un matériau nouveau. Son but, sa fin, ne sera plus la mimèsis (= l'aliénation que produit le simulacre) mais la vie, les hommes, la pensée... Et ça fait une sacré différence je crois.

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Message par Eyquem Mar 24 Nov 2009 - 0:07

Et comme le disait déjà Bazin, le cinéma n'a plus affaire avec la mimèsis
Son but, sa fin, ne sera plus la mimèsis (= l'aliénation que produit le simulacre) mais la vie, les hommes, la pensée... Et ça fait une sacré différence je crois.
Question
Où est la différence, si Bazin disait déjà ça y a cinquante ans ?


Accéder directement à "la vie, les hommes, la pensée", la chose même peut-être bien, sans mimésis, mais par l'intermédiaire d'images, de machines : ça paraît... bizarre.
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Message par Le_comte Jeu 26 Nov 2009 - 21:29

Oui oui en effet, il faut remplacer le terme mimésis par "la recherche de l'imitation la plus fidèle, la plus proche de la réalité "(ce que cherchait l'art avant le cinéma). Mes excuses.

Il faudrait que je reprenne cette question avec beaucoup plus de rigueur et de nuance, c'est loin d'être simple.

Sinon, j'aimerais revenir sur ces différents textes sur le triomphe du simulacre, pour montrer mon "désaccord", qui est quasi total. Déjà sur la définition même du terme, puis sur ses corolaires, les 12 commandements, la division bipolaire du problème, etc.

Par ailleurs, j'apprécie beaucoup le topic que vient d'ouvrir JM sur Clones. Voilà une manière vraiment riche de réfléchir sur le statut de l'image aujourd'hui, surtout que le geste naît d'une analyse de "blockbusters", par delà le débat "réactionnaire" que propose cette néanmoins riche, précise, et défendable analyse du simulacre.

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Message par Largo Jeu 26 Nov 2009 - 21:51

Le_comte a écrit:Oui oui en effet, il faut remplacer le terme mimésis par "la recherche de l'imitation la plus fidèle, la plus proche de la réalité "(ce que cherchait l'art avant le cinéma).

Avant la photo, plutôt. Et encore, c'est loin d'être simple. ;-)
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Message par Borges Ven 27 Nov 2009 - 7:23

oui, Van Stratten se fait attendre pour faire avancer cette riche, précise et neuve analyse du simulacre.
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Message par Le_comte Sam 28 Nov 2009 - 16:46

oui, Van Stratten se fait attendre pour faire avancer cette riche, précise et neuve analyse du simulacre.

Sic

J'ai toujours voulu être un type sympa. (et j'espère que je le serai encore)

Le_comte

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Message par Borges Sam 28 Nov 2009 - 17:09

Le_comte a écrit:
oui, Van Stratten se fait attendre pour faire avancer cette riche, précise et neuve analyse du simulacre.

Sic

J'ai toujours voulu être un type sympa. (et j'espère que je le serai encore)

C'est bien; car être sympa, c'est vouloir être sympa.
Borges
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Message par Van Stratten Lun 30 Nov 2009 - 11:39

Bonjour,

Oui, évidemment, les idées ne sont qu'ébauchées. Il faudrait poursuivre en rendant compte plus largement de l'histoire des arts dits figuratifs.
Mais pour ma part, je ne sais quand j'en aurai le temps. Pour l'instant je suis dans la préparation d'un concours plutôt littéraire... forcé, donc, de remettre à plus tard.
Il y aurait aussi beaucoup à écrire à partir du livre de JL Comolli, historiquement plus ambitieux et développé que mes modestes embryons d'idées, mais dans le même temps un peu trop évasif (pour le moins) quant au cinéma contemporain, et surtout, quant au devenir des images. Il me semble qu'il considère comme acquis que le cinéma sera la réponse adéquate, sans autre forme de procès.
Passionnant cependant... Mais à quand la suite ?
Libre à vous, m'sieur dame !

Van Stratten

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Message par Invité Lun 30 Nov 2009 - 12:09

Hello VS,

Si tu ne le connais pas déjà, je t'encourage vivement à te procurer ce passionnant bouquin qui rassemble les divers écrits de Comolli sur le (et son) cinéma jusqu'à 2003 :

Le Triomphe du simulacre - Page 4 9782864324119FS

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Message par Borges Lun 30 Nov 2009 - 12:16

Van Stratten a écrit:

Mais à quand la suite ?

Vraiment, on espère pour bientôt. Quelle passionnante série!

Merci, encore.
Borges
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