Black Widow (Nunnally Johnson 1954)
Black Widow (Nunnally Johnson 1954)
Nunnally Johnson est principalement reconnu comme scénariste; des raisins de la colère par exemple ou dark mirror avec Olivia de Havilland _ qui n'est pas très intéressant sois dit dans le parcours de Siodmak.
Mais Johnson a quelques rares films à son actif en tant que réalisateur.
J'étais assez curieux; je sais pas la raison ... conflit des écritures, à entendre, à voir, ou alliance?
Le cinémascope aux couleurs primaires, pastelles, au cadre ample et glacé de la veuve noire m'attirait assez.
En matant le début, j'ai vite oublié que j'étais face à un film noir: cela semblait être un fac-similé d'un mélodrame de Minnelli:
Johnson y décrit avec sobriété, avec une grande aisance, le microcosme de l'élite culturelle new-yorkaise :
Un auteur de théâtre à succès rencontre une petite provinciale lors d'une soirée mondaine et déprimante ; valse peuplée de masques ricanants pendus à des portefeuilles matelassés.
Au centre de la pièce bondé gravite une Ginger Rogers fantasque en hôte de garde (Elle affronte un rôle stéréotypé d'actrice empâtée, qui a moins le souci du monde, lointain, que de l'encart du critique d'art dans le journal du lendemain).
Il n'y a rien de surprenant à ce que l'auteur s'intéressa à une jeune femme esseulée, sur le balcon, boudant rêveusement devant un New York de façade, aux fenêtres anonymes ; l'appétit en alerte. Elle lui révèle rapidement ses velléités d'écriture.
Leur conversation reflète avec précision et humour combien les lignes sur la page deviennent des frontières impersonnelles, des horizons mercantiles imprimés sur une carte de visite.
'_My last story ... My editor said it was alright to write like Somerset Maugham and it was alright to write like Truman Capote but ... not at the same time.
_why don't you do like everybody else who w'ld write like Hemingway?
_I tried ...'
L'auteur dramatique a une pièce qui se joue à Broadway avec le personnage de G Rogers.
Le nom de la pièce est « to the stars » ; il indique le mouvement premier imprimé par cette rencontre qui se confronte par la suite à la résistance de l'atmosphère qui régente les hautes sphères.
Ainsi l'écrivaine débutante qui souhaite prendre place parmi la petite communauté intello de New York répond au nom d'Ordway ; si on cherche l'étymologie sur le net, on apprend que cela viendrait d'un homme d'arme normand du XIè siècle, Orduii, un envahisseur de l'Angleterre, cadre hollywoodien typique de l'aristocratie inégalitaire?
Mais à la soirée, Ginger Rogers ne la reconnaît pas : en effet, elle n'a pas d'invitation. Elle ne l'adoube pas et la regarde avec dédain, lui attribuant seulement une utilité de dimension sexuelle au profit de l'auteur fameux.
C'est une scène qui semble interagir avec d'autres moments que Johnson filme sans appui, de manière faussement neutre, théâtrale, comme si la mise en scène reflétait une incapacité à percevoir le trouble pour le sujet agissant, à souligner les mis à l'écart, les invisibles aux yeux de l'écrivain, tout en les dévoilant au spectateur attentif, en interrogeant sa conscience morale? Sa conscience face à des mécanismes d'effacement, à des mécanismes discriminatoires?
Je pense à des choses presque survolées, dérobées à la densité du plan, deux trajectoires du visible qui semblent se croiser:
dans le local d'une artiste peintre, un modèle, une femme ,de dos, nue que l'irruption de l'auteur dramatique renvoie au loin des préoccupations de la narration ; et pourtant, immobile, indéchiffrable, sans visage, c'est elle que l'on voit ; l'attention se déplace de l'oeuvre, le tableau, au sujet de l'oeuvre.
Et puis dans les locaux de la police, plus tard, la domestique du couple que forme l'auteur et Gene Tierney (qui est toujours intéressante quand elle joue à oublier la douceur, à être un jouet impersonnel_ mais j'ai pas vu tobacco road ^^), doit témoigner en s'exposant devant ses employeurs.
Nulle prévenance de leur part quand elle apparaît, âgée et tremblante _ délivrant une parole qui la porte à égalité sur la balance de l'enquête , simplement une politesse condescendante.
Puis un second témoin se présente, l'artiste peintre déjà mentionnée ; elle est reçue avec toutes les marques de leur attention; ils se lèvent, lui proposent de prendre un siège: le contraste est très brutal et cadré sans changement majeur par Johnson, ce qui ne manque de soulever un sentiment de révolte. Le statut social est tout .
the secret of love is greater than the secret of death;
cette phrase superficielle est répétée à l'envie, avec étonnement et gourmandise par la jeune Ordway; elle l'a entendue dans la pièce de théâtre to the stars.
Et de fait, le film noue intimement la mort et la difficulté à aimer dans sa construction; l'aval de l'amour, qui devrait assuré passage vers les étoiles, mais insuffisant face aux liens qui régissent l'ordre social représenté par la figure dévoreuse de Ginger Rogers.
Johnson met en scène des personnages dont la fonction est de représenter des facettes de la vie par le biais de l'art ; mais ces personnages ont opéré une substitution ; leur vie, publique, factice, devient le centre du spectacle, délitant ainsi la fonction critique, ablatant une synthèse puisée aux sources du réel ; critique interne à l'écriture cinématographique propre à la machine à rêves ? dont la finalité offre une assise à un système de représentation dominant ?
Johnson, humblement, met en crise ce système, évoque la ségrégation raciale du bout de la pellicule, place l'écrivain sur l'échiquier de la scène afin qu'il revisite le mélodrame.
Il le met en crise en défaisant les liens de domination du cinéma sur le théâtre, le plan large mieux que le gros plan tout en se servant du cinéma comme instrument d'enquête, comme outil nécessaire.[/justify]
Mais Johnson a quelques rares films à son actif en tant que réalisateur.
J'étais assez curieux; je sais pas la raison ... conflit des écritures, à entendre, à voir, ou alliance?
Le cinémascope aux couleurs primaires, pastelles, au cadre ample et glacé de la veuve noire m'attirait assez.
En matant le début, j'ai vite oublié que j'étais face à un film noir: cela semblait être un fac-similé d'un mélodrame de Minnelli:
Johnson y décrit avec sobriété, avec une grande aisance, le microcosme de l'élite culturelle new-yorkaise :
Un auteur de théâtre à succès rencontre une petite provinciale lors d'une soirée mondaine et déprimante ; valse peuplée de masques ricanants pendus à des portefeuilles matelassés.
Au centre de la pièce bondé gravite une Ginger Rogers fantasque en hôte de garde (Elle affronte un rôle stéréotypé d'actrice empâtée, qui a moins le souci du monde, lointain, que de l'encart du critique d'art dans le journal du lendemain).
Il n'y a rien de surprenant à ce que l'auteur s'intéressa à une jeune femme esseulée, sur le balcon, boudant rêveusement devant un New York de façade, aux fenêtres anonymes ; l'appétit en alerte. Elle lui révèle rapidement ses velléités d'écriture.
Leur conversation reflète avec précision et humour combien les lignes sur la page deviennent des frontières impersonnelles, des horizons mercantiles imprimés sur une carte de visite.
'_My last story ... My editor said it was alright to write like Somerset Maugham and it was alright to write like Truman Capote but ... not at the same time.
_why don't you do like everybody else who w'ld write like Hemingway?
_I tried ...'
L'auteur dramatique a une pièce qui se joue à Broadway avec le personnage de G Rogers.
Le nom de la pièce est « to the stars » ; il indique le mouvement premier imprimé par cette rencontre qui se confronte par la suite à la résistance de l'atmosphère qui régente les hautes sphères.
Ainsi l'écrivaine débutante qui souhaite prendre place parmi la petite communauté intello de New York répond au nom d'Ordway ; si on cherche l'étymologie sur le net, on apprend que cela viendrait d'un homme d'arme normand du XIè siècle, Orduii, un envahisseur de l'Angleterre, cadre hollywoodien typique de l'aristocratie inégalitaire?
Mais à la soirée, Ginger Rogers ne la reconnaît pas : en effet, elle n'a pas d'invitation. Elle ne l'adoube pas et la regarde avec dédain, lui attribuant seulement une utilité de dimension sexuelle au profit de l'auteur fameux.
C'est une scène qui semble interagir avec d'autres moments que Johnson filme sans appui, de manière faussement neutre, théâtrale, comme si la mise en scène reflétait une incapacité à percevoir le trouble pour le sujet agissant, à souligner les mis à l'écart, les invisibles aux yeux de l'écrivain, tout en les dévoilant au spectateur attentif, en interrogeant sa conscience morale? Sa conscience face à des mécanismes d'effacement, à des mécanismes discriminatoires?
Je pense à des choses presque survolées, dérobées à la densité du plan, deux trajectoires du visible qui semblent se croiser:
dans le local d'une artiste peintre, un modèle, une femme ,de dos, nue que l'irruption de l'auteur dramatique renvoie au loin des préoccupations de la narration ; et pourtant, immobile, indéchiffrable, sans visage, c'est elle que l'on voit ; l'attention se déplace de l'oeuvre, le tableau, au sujet de l'oeuvre.
Et puis dans les locaux de la police, plus tard, la domestique du couple que forme l'auteur et Gene Tierney (qui est toujours intéressante quand elle joue à oublier la douceur, à être un jouet impersonnel_ mais j'ai pas vu tobacco road ^^), doit témoigner en s'exposant devant ses employeurs.
Nulle prévenance de leur part quand elle apparaît, âgée et tremblante _ délivrant une parole qui la porte à égalité sur la balance de l'enquête , simplement une politesse condescendante.
Puis un second témoin se présente, l'artiste peintre déjà mentionnée ; elle est reçue avec toutes les marques de leur attention; ils se lèvent, lui proposent de prendre un siège: le contraste est très brutal et cadré sans changement majeur par Johnson, ce qui ne manque de soulever un sentiment de révolte. Le statut social est tout .
the secret of love is greater than the secret of death;
cette phrase superficielle est répétée à l'envie, avec étonnement et gourmandise par la jeune Ordway; elle l'a entendue dans la pièce de théâtre to the stars.
Et de fait, le film noue intimement la mort et la difficulté à aimer dans sa construction; l'aval de l'amour, qui devrait assuré passage vers les étoiles, mais insuffisant face aux liens qui régissent l'ordre social représenté par la figure dévoreuse de Ginger Rogers.
Johnson met en scène des personnages dont la fonction est de représenter des facettes de la vie par le biais de l'art ; mais ces personnages ont opéré une substitution ; leur vie, publique, factice, devient le centre du spectacle, délitant ainsi la fonction critique, ablatant une synthèse puisée aux sources du réel ; critique interne à l'écriture cinématographique propre à la machine à rêves ? dont la finalité offre une assise à un système de représentation dominant ?
Johnson, humblement, met en crise ce système, évoque la ségrégation raciale du bout de la pellicule, place l'écrivain sur l'échiquier de la scène afin qu'il revisite le mélodrame.
Il le met en crise en défaisant les liens de domination du cinéma sur le théâtre, le plan large mieux que le gros plan tout en se servant du cinéma comme instrument d'enquête, comme outil nécessaire.[/justify]
Dernière édition par erwan le Dim 16 Mar 2014 - 17:24, édité 2 fois
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