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Proust, Rosebud, et le monolithe

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Proust, Rosebud, et le monolithe Empty Proust, Rosebud, et le monolithe

Message par Borges Jeu 7 Nov 2013 - 18:32


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Une différence essentielle entre Welles et Kubrick pourrait être figurée par les "objets" les plus fameux de leur cinéma : le monolithe (de 2001) et le traîneau - Rosebud (de Citizen Kane) ; dans un cas, l'objet mène à une renaissance, à une nouvelle enfance ; dans le second, il ferme définitivement les portes du passé et de l'avenir. Tout est fini. Il est trop tard. Les personnages de Welles n'ont pas de seconde chance, contrairement à ceux de Kubrick, à la fin des films de qui on trouve presque toujours une ouverture vers l'avenir symbolisé par l'enfance. Je pense à la fin de Spartacus, à celle de Shining, mais même ses films qui semblent sans espoir, s'achever avec l'échec du héros, contiennent une manière de promesse ; Barry finit très mal, mais une date sur le document que signe lady Lyndon marque la fin prochaine de l'aristocratie.

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Le Rosebud de Kane, c'est un peu "le pan de mur jaune" de Bergotte, tous deux meurent conscients de l'échec de leur vie, de leur création, ou mieux peut-être, l'un de ces objets qui contiennent notre passé, notre promesse d'éternité, mais que nous manquons, parce qu'il appartient au hasard que nous les rencontrions ou pas.

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"Je trouve très raisonnable la croyance celtique que les âmes de ceux que nous avons perdus sont captives dans quelque être inférieur, dans une bête, un végétal, une chose inanimée, perdues en effet pour nous jusqu’au jour, qui pour beaucoup ne vient jamais, où nous nous trouvons passer près de l’arbre, entrer en possession de l’objet qui est leur prison. Alors elles tressaillent, nous appellent, et sitôt que nous les avons reconnues, l’enchantement est brisé. Délivrées par nous, elles ont vaincu la mort et reviennent vivre avec nous. Il en est ainsi de notre passé. C’est peine perdue que nous cherchions à l’évoquer, tous les efforts de notre intelligence sont inutiles. Il est caché hors de son domaine et de sa portée, en quelque objet matériel (en la sensation que nous donnerait cet objet matériel), que nous ne soupçonnons pas. Cet objet, il dépend du hasard que nous le rencontrions avant de mourir, ou que nous ne le rencontrions pas."
(Proust)


Proust, Rosebud, et le monolithe Snow+citizen+kane+rosebud
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Message par Invité Jeu 7 Nov 2013 - 20:16

C'est très joli.

Le petit pan de mur jaune :
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Message par Invité Ven 8 Nov 2013 - 17:38

La croyance celtique de Proust forme n'est pas celtique, et forme une des ossatures de "la Pensée Sauvage" de Levi-Strauss lorsqu'il parle des Churinga des Aranda, des pierres ou morceaux de bois taillés et gravés qui concentrent et médiatisent les esprits des morts  (mais ne les contiennent pas et ne les capturent pas, c'est plus complexe que ce que dit Proust, ils permettent uniquement à une relation matérielle avec les défunts de perdurer, indépendamment de l'idée de présence, ils sont déjà pour celui qui les détient du passé et de l'allusion).
Welles c'est peut-être l'histoire d'hommes auxquels il manque un système de classification du monde à la fois, à la fois externe et interne (réflexif). Tout ce que l'on sait sur Kane, Elmyr de Hory et Franz Kindler c'est qu'ils existent, mais on ne sait pas sous quelle forme, et si leur visage connu est le bon. Ce manque est placé au delà d'un horizon politique mort . Kane c'est la mort d'un homme après que la constitution et la perte de son empire se soit déjà produite, the Stranger la survie d'un fasciste après son jugement, les Ambersons aussi racontent un empire qui n'existe plus, ces films partent d'un néant individuel et en reconstruisent l'histoire, ainsi que l'impossibilité de la rattacher à une histoire extérieur plus globale(j'ai toujours l'impression que Welles filme des îles: j'ai par exemple aucun souvenir de la Soif du Mal, même si j me souviens que le monde du film était parfaitement cohérent, délimité par le travelling et explosion de la voiture).
Kubrick c'est peut-être l'inverse en effet: l'histoire de systèmes de classification pré-politique complétement externes, qui n'ont pas besoin de l'homme mais l'incluent pourtant.  Dans Eyes Wide Shut le sexe est plus montré comme une classe, au double sens du mot, à la fois définition et rang social, qu'un genre. Tom Cruise ne sait pas quel ordre sexuel intégrer, les passe tous en revue sans les changer du fait de son immaturité.

Un ordinateur comme celui de 2001  c'est cela: un classificateur qui peut générer lui-même les classes qu'il traite, et Kubrick le met en relation avec l'idée d'homme plus fragile et mortelle comme espèce que comme individu. Levi-Strauss effectue un rapprochement du même ordre en anticipant d'ailleurs qu'avec la génétique l'analyse du vivant devient de plus en plus informatique, et espère que les structures anthropologiques qu'il met à jour pourront peut-être traitée informatiquement, que ce traitement sera ce qui les raccordera à un sens: ce qui est ontologie pour le philosophe est peut-être directement converti en code et  production de code chez l'anthropologue et le généticien. Est-ce que ce passage est irréversible? Peut-être si la technique est le principal lieu de l'affrontement où s'oppose ce qui est de l'ordre du désir et de celui de la critique.

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Message par glj Dim 1 Déc 2013 - 23:57

pour en revenir à la citation de proust je trouve que celle se rapproche de celle-ci de kubrick : les films historiques ont ceci en commun avec les films de science-fiction qu'on tente d'y créer quelque chose qui n'existe pas...
glj
glj

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