La promesse de Jean-Pierre et Luc Dardenne (1996)
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La promesse de Jean-Pierre et Luc Dardenne (1996)
Premier long métrage des Dardenne tourné en 1996 à Bruges au plus près des corps, disent-ils, pour cacher les décors. A ma connaissance également le seul de leur film où il y a un cadavre, celui d'Hamidou, le travailleur clandestin tombé par accident d'un échafaudage. Corps vu ensanglanté et à l'agonie, immédiatement gommé, effacé par une chape de béton et les paroles qui l'entourent : donné pour disparu à sa femme Assita, inexistant pour les autorités.
Mais l'accident se transforme en meurtre. Igor, le fils, essaie d'arrêter l'hémorragie en ceinturant le blessure, alors que Roger, le père, va enlever ce garrot, le condamnant ainsi à mort : pas question de l'amener à l'hôpital avec tout ce que cela comporte de curiosité administrative.
Meurtre commis par le père devant un fils tétanisé et silencieux. meurtre sans tentation ni préméditation, simplement accompli dans la brutalité du "ni vu, ni connu". Mais ses ondes de résonnance vont amener igor à une prise de conscience inconsciente - deux termes non contradictoires ici - qui lui permettra d'accomplir "sa naissance" morale en tuant symboliquement le père, criant à Assita qui s'éloigne la vérité sur la mort d'Hamidou.
Tout oedipien qu'il soit, cet aveu marque aussi la prise de conscience biblique de la culpabilité, qu'endosse Igor, pas de celle qui empêche de vivre mais au contraire celle qui ouvre à l'autre.
Lévinas dit que "le meurtre est un fait banal. L'interdiction de tuer ne rend pas le meurtre impossible, même si l'autorité de l'interdit se maintient dans la mauvaise conscience du mal accompli" . Dans ce film les deux termes, celui de la banalité et celui de la mauvaise conscience, ne sont pas portés par la même personne.
Roger, le père l'Autre n'accède pas à l'humain. Pour lui c'est une marchandise importée, exploitée, source de profit ou d'ennui. L'Autre n'est qu'argent. Il veut maintenir son fils en tout point identique à lui même.
(Il y a en effet deux films : dans le premier le fils est l'apprenti-salaud comme le veut son père. Dans le second il s'éloigne parcourt avec Assita qui recherche son mari, tous les lieux qui lui étaient interdits jusque là, l'hôpital, le commissariat, la ville. La tension naît de l'attente ou Igor, le fils dira à Assita la vérité sur la mort de son mari. Lu dans Au dos de nos images : "lecture avec Jean-Pierre de la première version de La promesse. La première moitié et quelques scènes de la seconde sont bonnes. Je perds le rythme et le cinglant des personnages dans la seconde moitié. attention à ma compassion pour les personnages".
L'Humain est le fils, Igor. Se débarrasser du premier au profit du second est dans la logique du geste à faire. Igor va se mettre au monde en choisissant d'autres géniteurs, Hamidou et Assita, prenant place au côté de leur enfant sur lequel il a promis de veiller.
Mais il assume une double fonction, celle de protecteur de subtitution et celle de la demande de tendresse maternelle qu'il fait auprès d'Assita. Il ne peut alors que "tuer" son propre père, celui qui s'oppose à la filiation qu'il s'est choisie. Son père livré et lui, délivré. La parole fait lien : celle de la promesse et celle de l'aveu. Elle met au monde et tue.
Difficile de penser qu'un film qu'il s'appelle La promesse, ne parle pas d'engagement. Igor ne choisit pas une cause. Il serait sans doute étonné qu'on lui parle de manifestation en faveur de la légalisation ses sans-Papiers. Et pourtant il joue davantage sa vie que la plupart des militants. La Promesse est peut_être un film politique car il n'en fait pas.
Mais l'accident se transforme en meurtre. Igor, le fils, essaie d'arrêter l'hémorragie en ceinturant le blessure, alors que Roger, le père, va enlever ce garrot, le condamnant ainsi à mort : pas question de l'amener à l'hôpital avec tout ce que cela comporte de curiosité administrative.
Meurtre commis par le père devant un fils tétanisé et silencieux. meurtre sans tentation ni préméditation, simplement accompli dans la brutalité du "ni vu, ni connu". Mais ses ondes de résonnance vont amener igor à une prise de conscience inconsciente - deux termes non contradictoires ici - qui lui permettra d'accomplir "sa naissance" morale en tuant symboliquement le père, criant à Assita qui s'éloigne la vérité sur la mort d'Hamidou.
Tout oedipien qu'il soit, cet aveu marque aussi la prise de conscience biblique de la culpabilité, qu'endosse Igor, pas de celle qui empêche de vivre mais au contraire celle qui ouvre à l'autre.
Lévinas dit que "le meurtre est un fait banal. L'interdiction de tuer ne rend pas le meurtre impossible, même si l'autorité de l'interdit se maintient dans la mauvaise conscience du mal accompli" . Dans ce film les deux termes, celui de la banalité et celui de la mauvaise conscience, ne sont pas portés par la même personne.
Roger, le père l'Autre n'accède pas à l'humain. Pour lui c'est une marchandise importée, exploitée, source de profit ou d'ennui. L'Autre n'est qu'argent. Il veut maintenir son fils en tout point identique à lui même.
(Il y a en effet deux films : dans le premier le fils est l'apprenti-salaud comme le veut son père. Dans le second il s'éloigne parcourt avec Assita qui recherche son mari, tous les lieux qui lui étaient interdits jusque là, l'hôpital, le commissariat, la ville. La tension naît de l'attente ou Igor, le fils dira à Assita la vérité sur la mort de son mari. Lu dans Au dos de nos images : "lecture avec Jean-Pierre de la première version de La promesse. La première moitié et quelques scènes de la seconde sont bonnes. Je perds le rythme et le cinglant des personnages dans la seconde moitié. attention à ma compassion pour les personnages".
L'Humain est le fils, Igor. Se débarrasser du premier au profit du second est dans la logique du geste à faire. Igor va se mettre au monde en choisissant d'autres géniteurs, Hamidou et Assita, prenant place au côté de leur enfant sur lequel il a promis de veiller.
Mais il assume une double fonction, celle de protecteur de subtitution et celle de la demande de tendresse maternelle qu'il fait auprès d'Assita. Il ne peut alors que "tuer" son propre père, celui qui s'oppose à la filiation qu'il s'est choisie. Son père livré et lui, délivré. La parole fait lien : celle de la promesse et celle de l'aveu. Elle met au monde et tue.
Difficile de penser qu'un film qu'il s'appelle La promesse, ne parle pas d'engagement. Igor ne choisit pas une cause. Il serait sans doute étonné qu'on lui parle de manifestation en faveur de la légalisation ses sans-Papiers. Et pourtant il joue davantage sa vie que la plupart des militants. La Promesse est peut_être un film politique car il n'en fait pas.
Invité- Invité
Re: La promesse de Jean-Pierre et Luc Dardenne (1996)
Je n’aime pas trop le cinéma des Dardenne, (justement pour l'aspect oedipo-biblique que tu décrits, je trouve juste ta remarque "c' est peut_être un film politique car il n'en fait pas." justement parce que les liens directs et symboliques des personnages sont toujours trop évidents chez eux, ils décrivent toujours des petites cellules familiales en plein psychodrames qu'ils placent toujours immédiatement en deça du politique, mais sans rupture ) mais me permets de rectifier, je crois que c'était à Seraing près de Liège pas à Bruges (les Dardenne ne se sont à ma connaissance pas confrontés au bi-culturalisme belge) et que c’était en fait leur troisième long mais le premier à avoir du succès -premier film de Jérémie Rénier- (il y avait au moins "Je Pense à Vous" avant la Promesse un film sur une grève filmé sur un mode plus épique, et "Falsch" un film sur le nazisme)
Invité- Invité
Re: La promesse de Jean-Pierre et Luc Dardenne (1996)
oui tu as raison je pensais Liège et Seraing et j'ai bafouillé Bruges, va donc savoir pourquoi.
de mon coté j'aime ce rapport filial qu'il enrichissent et dont ils accroissent le poids de film en film. je ne pensais pas que leurS deux films d'avant étaient des longs métrages.
celui-ci est bien mais il n'a pas la densité du fils ou de rosetta.
régnier : très bien.
(c'est quoi ce bi-culturalisme à Bruges ; je sais ce qu'est le biculturalisme, mais pourquoi Bruges ?).
de mon coté j'aime ce rapport filial qu'il enrichissent et dont ils accroissent le poids de film en film. je ne pensais pas que leurS deux films d'avant étaient des longs métrages.
celui-ci est bien mais il n'a pas la densité du fils ou de rosetta.
régnier : très bien.
(c'est quoi ce bi-culturalisme à Bruges ; je sais ce qu'est le biculturalisme, mais pourquoi Bruges ?).
Invité- Invité
Re: La promesse de Jean-Pierre et Luc Dardenne (1996)
Je veux dire ils ont jamais fait de films avec des personnages flamands (Bruges est en Flandre*), le cinéma flamand (avec plus ou moins de bonheur d'ailleurs) aborde d'ailleurs plus souvent cette réalité du bilinguisme que les cinéastes wallons ont un peu tendance à escamoter. Après le Fils, qui inversait (pour dire la même chose) les situations de la Promesse, j'ai un peu décroché
*bon film à Bruges: Les Lèvres Rouges d'Harry Kümel
*bon film à Bruges: Les Lèvres Rouges d'Harry Kümel
Dernière édition par Tony le Mort le Sam 3 Aoû 2013 - 18:11, édité 2 fois
Invité- Invité
Re: La promesse de Jean-Pierre et Luc Dardenne (1996)
j'ai pas non plus aimé Lorna.
vous êtes particuliers vous, les belges lol
vous êtes particuliers vous, les belges lol
Invité- Invité
Re: La promesse de Jean-Pierre et Luc Dardenne (1996)
jamais vu un seul des films des D; le prochain, qui sait? l'un de mes neveux (9 ans) y sera figurant; espérons qu'il sera gardé au montage...
Borges- Messages : 6044
Re: La promesse de Jean-Pierre et Luc Dardenne (1996)
Borges a écrit: jamais vu un seul des films des D
c'est curieux, il me semblait qu'on pouvait même les voir sans faire exprès ...
parmi les frères cinéastes ce sont incontestablement ceux que je préfère ; ils sont polémiques et ont irrigué toute une nappe de cinéma polémique comme Dumont.
Invité- Invité
Re: La promesse de Jean-Pierre et Luc Dardenne (1996)
J'ai toujours trouvé que leur cinéma se prêtait au contraire à une réception consensuelle et édifiante.
Au moment de Rosetta, lorsque la critique parlait du contexte social du film l'accent était mis sur "les gens qui vivent en caravane", lors de "la Promesse", sur le Sans-Papier (vu comme enjeu investi de l'extérieur par le public, qui s'identifie soit négativement au père, soit positivement au fils), le Fils faisait dans mon souvenir fortement écho au problème belge de l'affaire Dutroux, et le rôle du père (Olivier Gourmet) était une sorte de métaphore de la conscience de la marche blanche, à la fois civique et pleine d'affects.
Mais en fait chacun de ces films segmente quelque chose d'une représentation de la crise ou de la relégation sociale, il n'y pas de mouvement inverse pour faire un lien vers ce qui relierait entre eux ces situations séparées en une problématique commun (une dialectique, un mouvement inverse au premier, mais qui le développe). Les films tiennent parce qu'ils représentent à chaque fois cette confrontation à la précarité sociale sur le mode de la rencontre avec l'altérité radicale. Dans leurs films, le personnage central vit toujours une initiation- c'est aussi une logique de représentation: cette initiation d'un seul personnage représente le point de vue du spectateur dans le film, et inversement le réel est ce que regarde le spectateur initié, et rien d'autre. Pour que le film soit politique, trouve une unité de discours au delà des catégories qu'il met lui-même en place, il faudrait une forme d'intérêt sur ce qui ne se recommence pas à l'identique dans chaque situation, sur ce qui est même possiblement perdu, inaperçu et épuisé, qui est en dehors de cette logique de représentation.
Au moment de Rosetta, lorsque la critique parlait du contexte social du film l'accent était mis sur "les gens qui vivent en caravane", lors de "la Promesse", sur le Sans-Papier (vu comme enjeu investi de l'extérieur par le public, qui s'identifie soit négativement au père, soit positivement au fils), le Fils faisait dans mon souvenir fortement écho au problème belge de l'affaire Dutroux, et le rôle du père (Olivier Gourmet) était une sorte de métaphore de la conscience de la marche blanche, à la fois civique et pleine d'affects.
Mais en fait chacun de ces films segmente quelque chose d'une représentation de la crise ou de la relégation sociale, il n'y pas de mouvement inverse pour faire un lien vers ce qui relierait entre eux ces situations séparées en une problématique commun (une dialectique, un mouvement inverse au premier, mais qui le développe). Les films tiennent parce qu'ils représentent à chaque fois cette confrontation à la précarité sociale sur le mode de la rencontre avec l'altérité radicale. Dans leurs films, le personnage central vit toujours une initiation- c'est aussi une logique de représentation: cette initiation d'un seul personnage représente le point de vue du spectateur dans le film, et inversement le réel est ce que regarde le spectateur initié, et rien d'autre. Pour que le film soit politique, trouve une unité de discours au delà des catégories qu'il met lui-même en place, il faudrait une forme d'intérêt sur ce qui ne se recommence pas à l'identique dans chaque situation, sur ce qui est même possiblement perdu, inaperçu et épuisé, qui est en dehors de cette logique de représentation.
Dernière édition par Tony le Mort le Dim 4 Aoû 2013 - 15:16, édité 2 fois
Invité- Invité
Re: La promesse de Jean-Pierre et Luc Dardenne (1996)
La Promesse est à peu près contemporaine a à la période de la lutte des Sans Papiers en France qui va de la rue du Dragon, puis Saint Bernard vers l'élection de Jospin. Dans mon souvenir (cela fait 15-16 ans que je l'ai vu) le film "raccorde" directement la question de reconnaissance des sans papiers à celle de la condition du travail non déclaré: les Sans Papiers constituent un prolétariat pour le prolétariat. Ils sont aussi placés au niveau en dessous duquel la sécurité sociale ne marche plus. On ne peut pas reprocher au Dardenne de décrire cette réalité, mais dans mon souvenir, la mort de l’ouvrier devient la mort d'un esclave faulknérien (à la fois la perte d'un investissement économique, et la découverte de ce qui ancre de l'intérieur la famille des "possédants" dans la tragédie): la situation n'est saisie que par analogie avec un code culturel antérieur de 70 ans à la situation. Il y a aussi une manipulation dans le fait que le personnage du fils est en quelque sorte placé en concurrence avec le Sans-Papier (il travaille avec eux, au même niveau qu'eux), et au dessus d'eux à la fois négativement (il est leur contremaître) puis positivement (il aide la veuve à s'en sortir), c'est un rapport complexe, qui résume toutes les différences d'opinion du centre politique par rapport aux sans-papiers, et traverse plusieurs classes sociales (le fils s'extrait aussi avec sa rédemption morale du caractère à la fois manuel et policier de son travail), toutefois le récit n'avance pas en distinguant ces liens contradictoires, mais en les annulant dans un récit oedipien qui les remplace tous (il cesse d’être à la fois l'employé de son père, et le surmoi de son père, mais seulement à partir du moment où la question de sa complexité avec un crime est posée et devient un cas de conscience d'emblée incarné dans des gestes et des souvenirs d'un évènement précis). Un film plus modeste, qui choisirait de se concentrer certains de ces rapports au lieu de les illustrer et résoudre tous, dirait peut-être plus de vérités.
Invité- Invité
Re: La promesse de Jean-Pierre et Luc Dardenne (1996)
Borges a écrit:jamais vu un seul des films des D; le prochain, qui sait? l'un de mes neveux (9 ans) y sera figurant; espérons qu'il sera gardé au montage...
Tu as de la veine Borges. Moi c’est dans la guerre des boutons (la version Barratier) qu’un de mes petits cousins a fait de la figuration. Un été où j’étais en vacances chez ses parents, j’ai dû me taper l’intégralité du film, avec plusieurs arrêts sur images et ralentis pour ne rien rater. Un cauchemar
gertrud04- Messages : 241
Re: La promesse de Jean-Pierre et Luc Dardenne (1996)
gertrud04 a écrit:Borges a écrit: jamais vu un seul des films des D; le prochain, qui sait? l'un de mes neveux (9 ans) y sera figurant; espérons qu'il sera gardé au montage...
Tu as de la veine Borges. Moi c’est dans la guerre des boutons (la version Barratier) qu’un de mes petits cousins a fait de la figuration. Un été où j’étais en vacances chez ses parents, j’ai dû me taper l’intégralité du film, avec plusieurs arrêts sur images et ralentis pour ne rien rater. Un cauchemar
Tu parles d'une veine... y a aussi mon beau-frère; lui qui ne voit pas deux films par an, pas de série non plus, essaye déjà d'avoir des places pour l'avant-première; sinon son expérience lui a appris deux choses : le cinéma c'est débile et chiant, n'importe qui peut en faire; Cotillard est une conne, elle a refusé une photo avec lui...
Borges- Messages : 6044
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