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Jours de 36 (T. Angelopoulos)

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Jours de 36 (T. Angelopoulos) Empty Re: Jours de 36 (T. Angelopoulos)

Message par Invité Dim 9 Sep 2012 - 18:13

« Jours de 36 » d’Angélopoulos (1972)

Très grand film!

Difficile à résumer. Pas beaucoup de dialogues, des plans sur la prison, le soleil, les banlieues, une plage où s’est réfugiée une nomenklatura d’extrême droite. C’est un film à « sujet historique », mais la mise en scène est d’une grande rigueur, d’une grande force.



Dernière édition par Tony le Mort le Dim 9 Sep 2012 - 18:28, édité 1 fois

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Message par Invité Dim 9 Sep 2012 - 18:28

On va commencer par l’histoire :

En 1936, avant la dictature de Métaxas (mais le film laisse de faux accords délibérés avec 1972, dans les vêtement, la configuration de certains bâtiments publics, comme un tribunal, le trafic automobile), la Grèce est encore dirigée par un gouvernement libéral.

Un leader syndical est assassiné pendant un discours dans la cour d’une usine. L’assassin présumé est un truand à la fois flamboyant et secret, un peu fassbindérien, un indic de police.
Il porte sans doute le chapeau d’un complot plus vaste; son procès gênerait beaucoup de gens.
Il est transféré dans une prison très dure, vétuste, perdue dans une région de champs, un lieu qui évoque les confins du "Désert des Tartares".
Un jeune député un peu dandy d’un parti d’extrême-droite le visite dans sa cellule, on ne sait pas trop pourquoi, et est pris en otage par le prisonnier. Les autres prisonniers (que l’on sent plus à gauche) profitent du désordre pour se mutiner et s’échapper, ils sont repris, triés dans la prison. Il ya alors très belles scène sur l'agencement de la prison, l'efficacité de la répression dans un lieu vétuste: un pouvoir qui n'a pas besoin de mots d'ordre explicite pour réprimer. Une idéologie où finalement l'ordre et le silence deviennent des substituts de modernité.

L’avocat de l’assassin essaye de savoir qui a passé l’arme, est tabassé, ne va pas vraiment au bout de son enquête, il revient vers la fin du film pour essayer de sauver le prisonnier, dit qu'il a "des informations", mais on ne sait pas lesquelles.
L’establishement d’Athène (procureur, flics gradés, militaires, chefs de partis) arrive à la prison, ne sachant pas comment régler la crise. Le directeur de la prison en profite discrètement pour avoir un ascendant psychologique sur eux. Le parti d’extrême-droite tient dans le député un martyr, qui lui permet de manipuler l’opinion (le gouvernement veut flinguer tout le monde par légalisme, l’opposition d'extrême droite fait semblant d'opposer un impératif humanitaire à ce légalisme)
Ils essayent d’empoisonner le prisonnier, qui déjoue le complot. Ils comprennent qu’il y a un lien sexuel entre le député pris en otage et le tueur, à mesure que les revendications du prisonnier (qui n’est plus qu’une porte, idée géniale) et le comportement de l’otage sont de plus en plus excentriques (ils veulent avoir un phonographe avec des airs sentimentaux, ils rient dans leur cellule, les gardiens peuvent le jurer...). A la fin le prisonnier est liquidé, l’otage est évanoui, la police lui tend une chaise sur laquelle s’asseoir. Les autres prisonniers sont exécutés sommairement, dans la campagne où ils essayaient de fuir.


Dernière édition par Tony le Mort le Mar 11 Sep 2012 - 0:11, édité 8 fois

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Message par Invité Dim 9 Sep 2012 - 18:34

Dans le bonus, Angélopoulos:

"Le sujet du film, c'est bien sûr d'où provient une dictature. Comment apparaît-elle? Qu'il y a-t-il qui la précède immédiatement?"

"Un Général dirigeait la région de Crète où je tournais. Il m'a dit: je sais quel genre de film tu veux faire. On s'en fout, on est plus fort que toi et ton public, vas-y...".

"Le film était un acte de guérilla. Dans une guérilla tu n'expliques pas tes principes, tu te montres, tu donnes un coup qui vaut pour 100 autres coups, et tu disparais. Tu n'offres qu’une disparition"


Dernière édition par Tony le Mort le Lun 10 Sep 2012 - 16:34, édité 3 fois

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Message par Invité Dim 9 Sep 2012 - 18:45

La lucidité du film: montrer que dans une dictature, finalement le désir gouverne encore.

Les gardiens, ridicules, doivent convoyer en voiture et escorter le phonographe demandé par un détenu qu'ils liquideront plus tard, que le directeur de prison attend. Un air à la Marlène Dietrich est joué dans la cour de la prison. Les autres prisonniers à la fin, tapent, et hurlent une clameur de libération.
Le film joue sur plusieurs retournements:
-un fait de consommation culturelle devient un geste de révolte dans ces scènes

-dans une dictature, le pouvoir ne décide pas lui-même des modalités de sa propre solitude. A la fin du film: les gardiens ont tué les prisonniers, ils sont sans emploi ni justification dans un champs, inutiles. Pour cela le pouvoir reste une passion, alors que la signification et le contenu du désir (notamment sexuel) ne sont pas modifiés par rapport à un régime de liberté.

-les partis politique, les flics du film n'ont pas d'histoire, ne parlent pas, sauf pour raconter l'histoire de leur prisonnier. Mais ce silence prévaut aussi pour les autres prisonniers, que l'on sent pro communistes ou militants syndicaux. C'est une lutte pour la liberté où la notion de reconnaissance est opposée à celle d'origine.

-impuissance de la dictature: elle se justifie sur une idée de stabilité par rapport à la démocratie, incertaine. Les murs de ses propres prisons, de ses propres tribunaux, sont certes aussi matériels, aussi lumineux, aussi indifférents à l'homme, que des montagnes, des champs. Mais elle échoue à penser cette durée. Il y a un vide entre la fin de la dictature et le monde physique, phénoménologique, où se tient la caméra, ce qui permet de penser la société comme l'origine plutôt que l'objet d'un regard.

-la bourgeoisie du film met en scène la disparation de son idéal libéral. Elle se pense elle-même comme transitoire. Tout ce qu'elle désire est de l'ordre de l'infrastructure (autos, modernité de l’électricité dans des lieux publics)

Le sens positif du film: ce n'est pas plus de réflexivité sur nous-même qui nous manque pour être démocrates, c'est au contraire l’idée que cette réflexivité n'a aucune valeur conclusive. Le passé de 1936 ressemble à ce point au présent de 1972 qu'il n'est même pas une mémoire de quelque chose à interpréter, c'est la confrontation à quelque chose qui est revenu sans changer de forme. De l'intérieur d'une dictature, mémoire et herméneutique ne se rejoignent pas pour ceux qui la subissent (cette jointure entre mémoire et herméneutique est un point de vue extérieur sur la finitude du politique).


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Dernière édition par Tony le Mort le Lun 10 Sep 2012 - 16:36, édité 6 fois

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Message par adeline Dim 9 Sep 2012 - 18:57

Ouvrir un topic sur le film ne serait pas une bonne idée, Tony ? Si d'autres gens l'ont vu, veulent en parler dans quelques temps, ils pourront retrouver le topic. Si ça te dérange pas, je déplacerai volontiers tes posts vers un nouveau topic. Qu'en dis-tu ?

adeline

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Message par Invité Dim 9 Sep 2012 - 19:00

Euh, je sais pas, pour l’instant c'est un peu soliloquant, et en plus le film est sorti chez Agnès B. Je ne connais pas si bien que cela les évènements dont parle le film de surcroît, mais si quelqu'un de mieux informé intervient ou en profite pour intervenir pourquoi pas?

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Message par Invité Dim 9 Sep 2012 - 19:07

Mais Angélopoulos mérite sans doute un topic à part.

On dirait que sa réception en France n'a pas évoluée depuis que Daney a forgé il y a 30 ans le concept de film "beau mais chiant" à propos de "Voyage à Cythère" (pour dire surtout que le film cessait d'être chiant là où il n'avait plus d'ambition politique, ce qu'il disait de tous les films à cette époque). Il a ainsi un peu malgré lui enfermé Angélopoulos dans le festival de Cannes.

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Message par Invité Lun 10 Sep 2012 - 13:37

Ainsi je n'avais pas percuté que Metaxas était avec les Anglais et contre les Italiens et les Allemands au début de la guerre, ce qui ajoute sans doute un nœud oedipien potentiel dans le rapport de la génération d'après-guerre à cette dictature (déjà qu'en France avec Pétain et ses "meubles"...). Cela joue un rôle dans le film, quand des diplomates au bord d'une plage (grise) se comparent à l'Espagne, et ne savent plus placer géographiquement l'instabilité dont ils veulent se prémunir, et on sent que cette conscience d'être au bord géographique de l'Europe et de n'avoir pas la clé des alliances diplomatiques est la seule limite de leur adhésion "morale" au franquisme. Quelqu'un dit (Metaxas?) "par principe je suis contre la violence", pour finir la discussion. On entend bien sûr un "mais...".

Je croyais que certains des diplomates de cette scène étaient allemands ou italiens et me demandais "mais pourquoi la scène est en anglais"?

Phrase intéressante, rapportée au fait que 35 ans après, Angélopoulos en parlant du film remarque que les vrais principes politiques, quand ils sont présents, n'ont pas à être expliqués sur le terrain, mais plutôt avant (à l'inverse de ce que fait une dictature, où le discours concernant sa propre légitimité politique se tient en même temps ou en conclusion du discours du contrôle sur les autres, et où l'état conserve ainsi une forme d'expression moraliste figée).



Dernière édition par Tony le Mort le Mar 11 Sep 2012 - 0:21, édité 4 fois

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Message par Invité Lun 10 Sep 2012 - 16:38

Sinon, cette filiation ne vient pas à l'esprit aussitôt, mais la partie de la Blessure de Klotz montrant les expulsions de sans papier par la police, leur internement, est très proche de la caméra d'Angélopoulos dans "Jours de 36"...

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