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L'Apollonide

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Message par Eyquem Mar 27 Sep 2011 - 17:33

J’ai vu le Bonello et je me demande ce qui peut bien fasciner les critiques dans cet univers de lupanar fin de siècle. Question clichés, ça se pose là : des pipes d’opium et des fauteuils profonds, des miroirs et des panthères noires. Franchement, ça rappelle moins Baudelaire que Gainsbourg :
Des escaliers, des couloirs sans fin se succèdent
Décorés de bronzes baroques, d'anges dorés,
D'Aphrodites et de Salomés.

S'il est libre, dites que vous voulez le quarante-quatre
C'est la chambre qu'ils appellent ici de Cléopâtre
Dont les colonnes du lit de style rococo
Sont des nègres portant des flambeaux.

Entre ces esclaves nus taillés dans l'ébène
Qui seront les témoins muets de cette scène
Tandis que là-haut un miroir nous réfléchit,
Lentement j'enlace Melody.

Quelle drôle d’idée de vouloir ranimer cet imaginaire.

Sur le blog de Asketoner, la critique du film commence par :
Cette année, il n'y a pas eu de cinéma. Il y a eu du cinéma qui a réfléchi au cinéma, il y a eu du cinéma qui a oublié de réfléchir, il y a eu des choses énergiques et laides, et d'autres très belles mais très molles. L'Apollonide est peut-être le seul film sorti cette année ; le reste n'existait que pour nous faire patienter.
Carrément. Qu’on me dise ce qu’il y a à voir dans ce film, au juste. Car j’ai rien vu. Rien de rien. Alors si, c’est feutré, c’est velours, c’est languide ; la caméra te peaufine des micro-travellings sur des visages pensifs et des roses fanées ; des décadrages savants laissent les conversations flotter et dériver hors champ dans un nuage d’opium ; les seins sont ronds, les chevelures dénouées. Du cinéma de haute couture, sans hésiter.



Bon, mais avec tout ça, quelle est l’idée du film ?

E.Renzi, sur Independencia, a l’idée de comparer le film au Kechiche :
On pense souvent à Vénus Noire en regardant L'Apollonide, où l'on trouve un monstre, jumelle de l'Ottentotte, qui elle aussi suscite la curiosité des aristocrates. Mais dans le Bonello circule une pensée positiviste. L'Algérienne lit un traité où un médecin prétend avoir découvert, à travers la mesure du cerveau, une microcéphalie commune aux prostituées et aux criminels. Il en conclut qu'elles sont donc plus proches des bêtes que des hommes. L'Algérienne en pleure. C'est la meilleure réponse possible au film de Kechiche.
Hein ? « dans le Bonello circule une pensée positiviste » : qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire ? Et qu'est-ce que c'est que cette idée qu'il suffit de pleurnicher pour répondre à ce qui vous fait honte ?
Enfin bon ; avec tout ça, Renzi loupe peut-être la ressemblance la plus évidente entre les deux films : le titre. Vénus contre Apollon. L’Apollonide nous cause de dieux : le suffixe «-ide», ça veut dire « de la famille de ». De la famille d’Apollon. (Pas vraiment du positivisme, donc, mais je renonce à comprendre cette phrase.)

On avait parlé du titre du Kechiche. « Vénus noire », au temps de Saartjie, c’était un sarcasme, une moquerie : comment une noire au gros cul pourrait-elle être conforme aux canons du Beau idéal, au Beau académique ? Le film se présentait comme un démontage de ces normes, pas seulement les normes esthétiques, académiques, mais les normes scientifiques, éthiques, politiques, qui étaient leurs fidèles compagnes.


Rien de tout ça dans le Bonello. La scène dont parle E.Renzi, c’est une plaisanterie à côté du Kechiche. Le film n’a pas d’épaisseur historique autre que décorative. D’ailleurs, il s’en tient significativement à une coupure parfaitement abstraite historiquement : celle qui sépare 1899 de 1900. Le monde extérieur n’existe pas, sinon à titre d’accessoire. Les références à La Guerre des mondes de Wells (1898), à l’ouverture du métro parisien, à l’affaire Dreyfus, ont l’air aussi artistement choisies et parsemées dans le film que les robes, les fauteuils, les tableaux qui habillent les murs du bordel, et au milieu de quoi le film roupille paresseusement.
(ce qui réunit ces références historiques, c'est évidemment l'idée qu'un monde prend fin : le monde de la vitesse, des échanges, remplace celui des vieilles aristocraties ; le film se finit un 14 juillet. Etc. Mais on s'en fout.)

Pourtant, Bonello, dans l’entretien aux Cahiers, raconte qu’il a beaucoup lu, que le film se nourrit de tout un tas de lectures. Deux lettres lues dans le film sont des lettres d’époque, par exemple. Mais le film ne nous laisse rien deviner ou ressentir des forces sociales qui traversent ce bordel : d’où viennent les filles, qui est la patronne, qui sont les clients. Le film le dit, mais il se contente de le dire : ça ne l’intéresse pas beaucoup. Ce qu’on retient, c’est une espèce d’égalité ou d’indifférence entre tous ces destins ; toutes les filles sont pareilles, tous les clients sont semblables. On a du mal à croire qu’un bordel de 1900 ressemblait à ça.

Mais pourquoi L’Apollonide ? Peut-être en référence à la lutte de l’apollinien et du dyonisiaque. Le film ambitionne quelque chose de ce genre : la belle apparence jetée sur les profondeurs terrifiantes de l’être. Des belles robes pour l’apparence ; et une panthère noire sur le divan, pour suggérer que tout ça est au fond, terrifiant. Bof. Si on veut.


En fait, le vrai parent de L’Apollonide, c’est pas Vénus noire : c’est Des hommes et des dieux. D’ailleurs, Beauvois a un rôle dans le film (mais bon, tout le pratin germanogratin semble s’être donné rendez-vous sur le plateau : Dieutre, Ferran, Pierre Léon, Lvovsky, une fille Garrel, Nolot, le fan ne sait plus où donner de la tête).
Des filles et des dieux. C’est ça le vrai sous-titre du film. Ce bordel, c’est un genre de couvent, me disait AM. C’est juste. Ces filles mènent la même vie que ces moines, la même vie de réclusion réglée par un tas de rituels, de cérémoniaux compliqués. Une sorte d’entente idéale, d’égalité, les rassemble toutes et leur permet d’affronter la face hideuse des désordres venus du dehors, dont elles prennent leur part, toute leur part, jusqu’au sacrifice de soi, afin que dehors la fête continue, comme le suggère le bal masqué final.

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Message par Invité Mar 27 Sep 2011 - 17:49

Faut vraiment avoir envie de dilapider son pognon pour aller voir un film sur un sujet aussi intéressant, déjà.

Mais putain les mecs, économisez un peu. C'est la crise.

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Message par Borges Mar 27 Sep 2011 - 17:52

Toubiana à SMacL :

Ayant joué un tel rôle, celui d’une prostituée au grand cœur, il est normal que la France vous adopte et vous aime. Et vous remette aujourd’hui, des mains de Frédéric Mitterrand, ministre de la culture, la Légion d’honneur.

je sais pas ce que ça veut dire, (la france aime, adopte, et décore les putes au grand coeur?) et si Shirley MacLaine a apprécié...
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Message par Invité Mar 27 Sep 2011 - 17:56

Il aurait pu la féliciter pour son rôle de liftière d'ascenseur au grand cœur dans "la garçonnière"...

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Message par Eyquem Mar 27 Sep 2011 - 17:57

jerzy P a écrit:Faut vraiment avoir envie de dilapider son pognon pour aller voir un film sur un sujet aussi intéressant, déjà.

Mais putain les mecs, économisez un peu. C'est la crise.
T'es pas sérieux. Franchement, est-ce que tu voudrais pas que la scène de bordel de "Van Gogh" dure deux heures ?
Mais ici, à la place du quadrille, une des scènes les plus bouleversantes, on a des filles en pleurs qui dansent sur "Nights in white satin".


Dernière édition par Eyquem le Mar 27 Sep 2011 - 18:03, édité 2 fois
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Message par Borges Mar 27 Sep 2011 - 18:02

Shirley MacLaine mérite toutes les décorations du monde pour son rôle dans "comme un torrent";
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Message par Borges Mar 27 Sep 2011 - 18:07

jerzy P a écrit:Il aurait pu la féliciter pour son rôle de liftière d'ascenseur au grand cœur dans "la garçonnière"...

Vous êtes inoubliable dans The Apartment, dans le rôle de miss Kubelik – avec deux K. Votre prénom est Fran, vous êtes liftière, un poste subalterne dans la grande compagnie d’assurances dont le patron est Fred MacMurray (Jeff D. Sheldrake), et où travaille C.C. Baxter (Jack Lemmon). Souriante, toujours aimable avec le personnel (andrew sarris, morton young, terry rensenbrink, josh hellman, tony anastasio, albert lewin, roger martin...) qui prend l’ascenseur le matin pour aller au travail, et le soir pour retourner à la maison. Vous êtes amoureuse du patron, un homme marié et cynique, ce qui vous met dans un drôle d’état.

souriante et aimable avec le personnel qui prend l'ascenseur le matin pour aller au travail, et le soir pour retourner à la maison , mais amoureuse du patron (qui prend aussi l'ascenseur, faut bien le dire) pas conne la liftière...
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Message par Invité Mar 27 Sep 2011 - 18:11

Eyquem a écrit:
T'es pas sérieux. Franchement, est-ce que tu voudrais pas que la scène de bordel de "Van Gogh" dure deux heures ?
Mais ici, à la place du quadrille, une des scènes les plus bouleversantes, on a des filles en pleurs qui dansent sur "Nights in white satin".


Comment dire... J'ai vu Bonello faire sa promo chez Taddéi. J'ai vite compris que c'était pas Maurice Pialat. Smile

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Message par Invité Mar 27 Sep 2011 - 18:17

un homme marié et cynique, ce qui vous met dans un drôle d’état.


lol. C'est pas possible... Il sucre les fraises.

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Message par Eyquem Mar 27 Sep 2011 - 18:32

Jerzy a écrit:Comment dire... J'ai vu Bonello faire sa promo chez Taddéi. J'ai vite compris que c'était pas Maurice Pialat.
C'est sûr. En plus, il dit des énormités :
J'étais en montage au moment où Vénus noire est sorti. Nos films montrent des époques similaires, avec des scènes d'exhibition. Mais la logique de Kechiche est très différente. Il ne travaille pas les contrastes ou les contradictions, il parle d'un racisme qui est celui de l'ignorance. A l'inverse, en montant L'Apollonide, je finissais par me demander si la Femme qui rit ne jouit pas un peu de son statut, d'ailleurs elle ressemble presque à une statue [sic] Les hommes dans le film croient avoir le pouvoir parce qu'ils ont l'argent, mais sont fondamentalement dominés. Les filles ne sont jamais dupes du théâtre qu'est la maison close, alors qu'eux sont comme des gamins.
(dans l'entretien des Cahiers, p25)
Eh ben, c'est formidable ; à plus d'un titre :
- dire que le racisme du Kechiche est un racisme de l'ignorance alors que tout le film s'emploie justement à montrer que ce racisme est une construction de savoirs, biologiques, historiques, la pointe la plus avancée de ce qui se fait de plus reconnu en termes de recherches académiques à l'époque.

- ressortir le cliché le plus débile sur les femmes, exploitées, vendues, agressées, emprisonnées, mais qui dominent en réalité : même le film est moins bête que ça.
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Message par Invité Mar 27 Sep 2011 - 18:35

A propos, j'ai vu le Kechiche (j'ai vu plein de films ces derniers mois, sans me sentir obligé d'en causer): très fort.

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Message par Eyquem Mar 27 Sep 2011 - 18:40

C'est vrai, je t'avais demandé si tu le verrais, après ton texte sur Elephant Man.
très fort
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Message par Invité Mer 28 Sep 2011 - 10:20

parler de la sexualité contrainte comme si c'était une sexualité libérée, ou libératrice, est-ce que ce n'est pas le dernier truc à bander ?


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Message par Eyquem Mer 28 Sep 2011 - 13:15

Parmi les tableaux au mur, j'avais repéré une Danaé dont je ne trouvais pas l'auteur.

L'Apollonide 74f70840-e3a3-11e0-ac2d-aca2c17c0fd4


Danaé, forcément : la jeune fille retenue prisonnière dont Zeus tombe amoureux et à laquelle il s'unit, en se faufilant jusqu'à elle sous la forme d'une pluie d'or.


Trouvé ce matin : le tableau est en fait de Léon-François Comerre, un académique pur jus de la deuxième moitié du 19e. Un élève de Cabanel (pas étonnant).

L'Apollonide Golden_rain

Dans l'entretien, Bonello dit qu'il n'a pas vraiment pensé à la peinture, qu'il n'avait pas de références précises en tête.

On ne s'étonne pas de trouver des tableaux pompiers dans un bordel de 1900. C'est pas le problème. Mais est-ce que Bonello ne devait pas, à un moment ou à un autre, se confronter à Manet, à l'Olympia ?
Il n'y a aucun plan, aucune scène, dans L'Apollonide, qui vous remette à votre place comme fait l'Olympia. Loin de viser les effets de surface, la frontalité, le film joue sur les profondeurs, les emboîtements. Le spectateur est toujours confortablement inclus dans le dispositif des scènes voyeuristes (les scènes de chambres, avec miroirs, ou miroirs sans tain) ; il ne se demande pas ce qu'il fait là.

Significativement, Bonello dit (dans l'entretien déjà cité) que les images finales, tournées dans la rue, aujourd'hui, sont nées de la nécessité d'exclure le spectateur du "cocon" de la maison close :
BONELLO : C'est un peu l'expulsion de la matrice. Je sentais que le film allait être un gros cocon.
C'est un problème, en effet, et il aurait peut-être fallu y penser avant.





Dernière édition par Eyquem le Mer 28 Sep 2011 - 13:31, édité 1 fois
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Message par wootsuibrick Mer 28 Sep 2011 - 13:26

ça m'a fait penser, d'assez loin... aux Fleurs de Shanghai de HHH.
y a un plan où le vent souffle sur de l'herbe verte, une fille allongée. certes c'est très "clichetoneux", mais me fait souvent avoir par ce type de formalisme.
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Message par Borges Mer 28 Sep 2011 - 14:28

je vois pas pq le mec aurait du "se confronter" à l'olympia de manet; ça veut dire quoi "se confronter" à l'olympia de manet?
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Message par Eyquem Mer 28 Sep 2011 - 17:07

Ca tient à l'étonnement dont je parlais au début : pourquoi Bonello s'intéresse à cet univers, une maison close du 19e, comme symbole d'un monde finissant ? Le thème charrie un tas de clichés datés et douteux (l'imaginaire fin de siècle, le décadentisme) ; le tableau de Manet, c'est une manière d'antidote.
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Message par py Mer 28 Sep 2011 - 17:10

Vous m'avez donné envie de revoir Irma la douce et ses collants verts
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Message par Borges Mer 28 Sep 2011 - 17:27

hello py, s'il y a un film à voir avec SMacLaine, c'est "comme un torrent"; n'oublie pas...là aussi elle joue le rôle d'une pute...

salut, eyquem; tu connais le séminaire de badiou où il cause du bordel de genet (le balcon, curieusement tenu par une certaine madame Irma) ?





- nous partons d’une figure de l’ordre comme ordre des images : là, image et ordre sont profondément liées. Cette figure de l’ordre, comme ordre des images, est un bordel. Le bordel est évidemment une figure exemplaire de quelque chose qui, à la fois, est rigidement ordonné, sous d’ailleurs l’autorité de Irma qui commande l’espace. Absolument clos sous sa loi et absolument régi par l’imaginaire : on vient là jouir d’une image. Parenthèse : y a-t-il une convenance au monde présent de cette figure du bordel ? je pense qu’à bcp d’égards oui. Soutenir que notre monde est un bordel, au sens que je viens de dire, ne serait pas une thèse absolument aberrante. Ceci d’un double point de vue, par rapport au Balcon, qui est une métaphysique, le bordel le plus sublimé de l’histoire de la littérature. D’un double point de vue : 1° à cause de la clause de fermeture : le bordel est un lieu clos, mais clos sur l’infini des images. Fondamentalement, un bordel c’est un miroir fermé. C’est la clôture d’un miroir. Un miroir dans lequel on vient regarder le simulacre qu’on propose. En ce sens, je pense que cette combinaison d’illimitation des images d’un côté, et le fait qu’elle soit complète de l’autre, est une allégorie possible de certains aspects, en tout cas, de notre monde. Il y a donc une convenance sur un problème sur lequel nous reviendrons, qui est capital : comment notre monde combine l’infinité et la clôture ? quel est le mode particulier d’articulation de l’infinité et de la clôture dans ce qui nous tient lieu de monde ? c’est quelque chose comme ça, le bordel du Balcon. Les gens viennent là jouir, sous la figure de la duplicité de la figure pouvoir



le rapprochement que tu fais entre "des hommes et des dieux" (on peut aussi penser au vatican de NM, bien entendu; c'est même à lui que j'ai d'abord pensé) et ce film peut aussi se penser depuis la lecture du "balcon" de lacan (séminaire "les formations de l'inconscient") qu'utilise bien entendu badiou dans son séminaire à lui;

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Message par Eyquem Mer 28 Sep 2011 - 19:49

'soir Borges,

ah mais tu as vu le film en fait.
Je ne connais pas ce séminaire de Badiou, non.


Je repensais à la fin du film, à ces images dans le Paris d'aujourd'hui : des images grises, bruyantes, à l'opposé du raffinement, du miroitement du bordel. Les prostituées font ça à la sauvette, dans des voitures garées dans des lieux glauques.

Que veut dire la brutalité de ce montage ? Est-ce qu'il revient à déplorer le désenchantement des temps présents, la fuite des dieux, Apollon et toute la famille laissant derrière eux un monde glacial, plombant, accordé à des désirs pornographiques cheap ? Est-ce qu'il cherche à rappeler la nécessité des constructions imaginaires, la nécessité pour le désir de se perdre dans ses jeux de miroir ?

Je me disais qu'il y avait peut-être quelque chose de ça. Mais si c'est le cas, c'est quand même embêtant, parce que le bordel est peut-être un lieu de désirs, mais c'est surtout un lieu inégalitaire, où le désir est seulement celui des clients, et où il ne se satisfait pas sans que certains (certaines) en paient le prix. En quoi le film alors, se rapproche effectivement des "Hommes et des dieux", avec son apologie du sacrifice.

Mh.

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Message par Flavien Mer 28 Sep 2011 - 20:11

Salut à tous,

Eyquem a écrit:Mais est-ce que Bonello ne devait pas, à un moment ou à un autre, se confronter à Manet, à l'Olympia ?
Il n'y a aucun plan, aucune scène, dans L'Apollonide, qui vous remette à votre place comme fait l'Olympia.

Eyquem, si tu dis ça, c'est que tu n'as pas vu la scène matricielle du film, son coeur traumatique : la scène de la défiguration. C'est le noir-Manet qui domine la scène et la plonge dans l'obscurité, comme si le décor s'était soustrait pour ne plus laisser voir que les visages, derniers remparts de l'humanité avant la pornographie (dixit Léaud dans Le Pornographe -avec un soupçon de Lévinas). Et puis le découpage, peu raccord, assez bressonien (une main, un visage, sans continuum), c'est, si on veut, si on tient à ce que Bonello salue Manet, le doux séquençage de l'espace dans Le Déjeuner sur l'herbe.
Tu ne reviens pas sur cette scène, qui elle, pourtant, revient en leit motiv récurrent, sous divers angles, tantôt révélateur, tantôt plus mystérieux encore (le plus beau/lyrique reste la figuration du rêve aux larmes de stupre). Dans cette scène, il y a le dialogue d'une putain, "la Juive", avec un pauvre dandy. Il y a pour elle l'espoir d'un amour -elle lui confie avoir rêvé fort qu'il la demanderait en mariage-, a fortiori l'espoir d'une échappée (être épousée c'est s'affranchir de la maquerelle). Et puis, plus tard, il y a l'accomplissement d'un fantasme (Attache-moi !). La complicité du fantasme bascule : il y a le sourire blessé, cisaillé, et donc l'éternel condamnation, non seulement à être interdit d'un amant, mais surtout à ne pouvoir jamais sortir de l'Appolonide, à moins (ce qui arrive) d'être le monstre des bourgeois.
Et tout cela ne se produit pas n'importe quand, à n'importe qui : c'est à la Juive du début XXème.

Ce n'est pas subtil, c'est gros comme à un truc auquel on croit très fort (en l'occurrence à l'amour fané des femmes de joie) mais qu'on vienne me dire que Vénus noire est subtil !

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Message par Eyquem Mer 28 Sep 2011 - 21:42

salut Flavien,

Que tu veuilles donner son importance à cette scène, c'est une chose ; mais que tu dises que c'est là ce que le film doit à Manet, c'en est une autre. L'Olympia n'a rien à voir avec la scène en question.
La scène est une exploration des profondeurs : profondeur du rêve, du fantasme ; le noir des décors mange tout l'arrière-plan ; tout est gagné par l'ombre, la nuit ; le montage complique les choses, éclate la scène en morceaux. La scène n'est pas claire parce qu'elle se mêle au rêve que la fille se rappelle ; par certains aspects, c'est aussi un désir, un rêve qui trouverait à s'actualiser (la fille a l'air de prendre du plaisir au début : elle simule pour contenter le client ou bien est-ce qu'elle est vraiment troublée ?)
Le tableau de Manet, c'est plus "simple" : il s'agit de peindre la nudité d'une femme, et de peindre cette nudité toute nue, sans alibi mythologique, sans les apolloneries ni les vénusiades à la mode d'alors.

La scène de défiguration, j'y pensais sans en parler, quand j'évoquais l'opposition beauté/terreur sur laquelle le film jouait. J'ai préféré parler de la panthère sur le divan, parce que j'aime bien les panthères.


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Message par Eyquem Mer 28 Sep 2011 - 22:28

Flavien a écrit:les visages, derniers remparts de l'humanité avant la pornographie (dixit Léaud dans Le Pornographe
Je n'ai pas de souvenirs du "Pornographe", mais "Tirésia", oui, c'était quelque chose. Bonello y abordait le mythe plus explicitement qu'ici, puisque c'était une adaptation assez fidèle de l'histoire de Tirésias. C'est un cinéaste qui place la barre très haut. Il vise le sublime, rien d'autre.

cf l'ouverture de "Tirésia" : Beethoven, sur fond de coulée magmatique. Comme ouverture, c'est clouant, mais c'est risqué (faut tenir la note ensuite, et c'est difficile) :

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Message par Borges Jeu 29 Sep 2011 - 7:36

Flavien a écrit:
la scène matricielle du film, son coeur traumatique
un soupçon de Lévinas...
le doux séquençage de l'espace dans Le Déjeuner sur l'herbe.
l'espoir d'une échappée...
le sourire blessé, cisaillé, et donc l'éternel condamnation, non seulement à être interdit d'un amant
l'amour fané des femmes de joie

come scriviiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii­iii
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Message par Flavien Ven 30 Sep 2011 - 12:41

Eyquem,

On parle ensemble de Manet ; en revanche pas du même geste (pas de la même toile).

Quid, du motif de la prostitution dans la modernité picturale, par Delacroix, et de ce qu'en retient probablement Bonello pour donner corps à l'Algérienne ?

L'Apollonide Delacroix5


Et quitte à sillonner la mémoire formelle de l'Apollonide, la programmation de Bonello pour La Roche-sur-Yon laisse entendre quelques pistes (Tarantino, Schroeter, Schmid, Paul Leni, Mizoguchi, Browning, etc.) :
http://www.fif-85.com/index.php?option=com_content&view=category&layout=blog&id=64&Itemid=92&lang=fr

Borges a écrit:come scriviiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii­iii

J'aime beaucoup comment tu me réécris Borges. Je dis cela sans sarcasme, très sincèrement.

En revanche, l'allenisme mal dégrossi de Moretti, non merci Smile

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