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Adieu Gary

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Borges
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Message par Eyquem Mer 5 Aoû 2009 - 13:54

C’est vrai qu’il est pas mal du tout, ce film. On en sort sous le charme, avec le sentiment de marcher un centimètre au-dessus du sol. Du coup, oui, forcément, nous viennent en tête de ces adjectifs comme ceux que j’ai pu lire dans la presse : « aérien », etc. Ca tient beaucoup au parti pris du cinéaste de se situer au milieu des choses, de saisir les faits comme des lignes qui s’entrelacent, non conclusives, plutôt que comme des segments narratifs qui s’enchaîneraient les uns aux autres. Nassim Amaouche, il est du genre à « esquiver », comme dans cette belle scène où il saisit un mec prêt à toréer, sur les voies de chemin de fer, avec le train de marchandises qui s’approche – mais dont il ne filmera pas la passe : il laissera filer, off, la musique du trio Joubran pour accompagner, ailleurs, une autre passe, celle des dealers.

La bande-son, la musique, sont d’ailleurs pour beaucoup dans ce jeu de lignes qui entrelace des faits, des lieux, disjoints les uns des autres, jusqu’à rendre poreuses toutes les frontières qui délimitent trop nettement le monde des vivants et celui des morts, celui de Gary Cooper et celui des ouvriers de la Cité Blanche du Teil. Il suffit de laisser filer la musique de « L’homme de l’ouest » ou de « Vera Cruz » pour transformer une cité ardéchoise en avant-poste d’on ne sait plus quelle Frontière. Ou, à l’inverse, de mêler la voix française de Gary Cooper, dans le poste de télé, et celle de Dominique Reymond, pour avoir le sentiment que la mère de famille interpelle ce grand dadet sur son chariot de cow-boy pour qu’il passe à table.

(Les amateurs du « Petit Christian » de Blutch, dont je suis, ne peuvent qu’être sensibles à ce genre d’effets.)

Le film travaille beaucoup à rendre à une certaine indétermination des motifs que le discours médiatique s’emploie à figer (les questions identitaires, etc, tout ce que les critiques ont relevé) ; il cherche à dénouer les récits du storytelling des quotidiens. Mais c’est sans doute sur ce point que j’aurai le plus de réserves, en y repensant. Parce qu’au fond, ce qui manque au film, c’est peut-être une certaine âpreté, un goût de la combativité. Un film qui plaît même aux critiques du Figaro ne peut pas ne pas avoir manqué quelque chose sur ce point, non ? Et le film verse parfois un peu facilement dans la mélancolie de la « fin du monde ouvrier » - comme lorsqu’il promène sous les fenêtres des habitants du village, par dérision, une de leurs vieilles banderoles, « Tous unis pour la victoire », recyclée en jeu d’enfants. L’image pince le cœur : où les prochaines victoires se gagneront-elles ? Où est la bataille, la lutte ? Où est la rue où se jouera le duel ? Quel nouveau masque l’ennemi a-t-il pris, si ce n’est plus celui de Gary ?

Le film trouve là sa limite – mais de cet état de flottement, il rend parfaitement compte.

Bien des choses à dire encore. En particulier sur le titre : de quoi Gary est-il le nom ? **


** je suis un peu fatigué de cette formule, mise à toutes les sauces : mais là, elle est pratique.
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Message par Invité Mer 5 Aoû 2009 - 16:34

Eyquem a écrit:Parce qu’au fond, ce qui manque au film, c’est peut-être une certaine âpreté, un goût de la combativité. Un film qui plaît même aux critiques du Figaro ne peut pas ne pas avoir manqué quelque chose sur ce point, non ? Et le film verse parfois un peu facilement dans la mélancolie de la « fin du monde ouvrier » - comme lorsqu’il promène sous les fenêtres des habitants du village, par dérision, une de leurs vieilles banderoles, « Tous unis pour la victoire », recyclée en jeu d’enfants. L’image pince le cœur : où les prochaines victoires se gagneront-elles ? Où est la bataille, la lutte ? Où est la rue où se jouera le duel ? Quel nouveau masque l’ennemi a-t-il pris, si ce n’est plus celui de Gary ?

Très franchement, je crois qu'il faut prendre la question autrement. Ne vaut-il pas mieux partir du fait qu'au fond, au Figaro, on pense que ceux qui considèrent que le cinéma ne changera pas le monde ont gagné et qu'on s'en contente bien volontiers ? Avec ceci à l'esprit, on peut dès lors considérer que le cinéma est un truc sympa à consommer, un art sans griffes, et ce en toutes circonstances (c'est à dire que même si un film en a, des griffes, on peut toujours les lui ôter gentiment, d'une façon ou d'une autre). C'est pourquoi la page critique du Figaro ne peut plus être un baromètre politique de tel ou tel film (il y aura désormais toujours une place pour l'"exotisme politique"), mais il en va symétriquement de même dans les pages de journaux et magazines de "gauche". Bon, j'imagine que ça t'intéresse pas particulièrement de discuter de ça, je n'ai pas encore vu ce film, alors, en attendant... Wink

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Message par Invité Mer 5 Aoû 2009 - 19:38

Il suffit de laisser filer la musique de « L’homme de l’ouest »

ça me fait penser qu'il y a tellement de choses que j'ai envie d'écrire à propos de Mann, de Naked spur en particulier.. en attendant le jour où ce film sort en DVD, The Last Frontier, aussi, là, mince, je n'ai aucune excuse !

Je n'ai toujours pas vu "Adieu Gary".

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Message par Borges Mer 5 Aoû 2009 - 19:56

Juste une remarque; chez RAZ aussi la référence au western est importante; les "Arabes-Français" (pour faire comme les Américains, qui sont Italo-, Irlando-, Africain...) seraient-ils les Indiens du cinéma "français", demanderait Deleuze?
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Message par adeline Mer 5 Aoû 2009 - 21:10

Oui, c'est pas mal du tout, Adieu Gary. J'ai même trouvé ça très très bien, je flottais même de plus que quelques centimètres au-dessus du sol, en sortant de la salle. Je suis bon public il faut dire, et les quelques critiques que j'entends ici et là, comme la tienne Eyquem, me paraissent pour autant très justifiées.

Quand même, je n'ai rien lu sur la réflexion sur le travail que le film comporte, qui m'a paru juste. De là, j'ai senti qu'on assistait, non pas à la fin d'un monde, car je crois qu'on arrive après la fin de ce monde, ouvrier, mais à la transformation d'un monde en un autre. En quoi, on ne sait pas trop, mais le dernier plan sur les hommes qui se rendent à la mosquée montre bien la naissance d'une nouvelle organisation pour le quartier, le début de quelque chose qui est en train de se construire. J'ai l'impression qu'Amaouche film le passage d'un monde à un autre, sans qu'il arrive très bien à définir quel seront réellement les spécificités de ce nouveau monde. Les nouveaux types de travail des milieux populaires, au supermarché ici, sont vides et creux, et semblent, comme lieu d'une nouvelle aliénation, n'offrir en eux-mêmes aucune compensation. Compensation que le père ouvrier trouvait, lui, dans la maîtrise de l'outil, et le pouvoir de création presque, qu'il avait dans l'usine, à tel point que finir la réparation de la machine est une nécessité qui survit à la mort de l'usine, et dont il peut tirer une grande fierté. Rien de tel dans le travail au supermarché, qui n'est qu'humiliation et enfermement. Un monde est mort qui avait été un monde de lutte et d'accomplissement. Finalement, la banderolle qui passe, "Tous unis pour la victoire", dit surtout qu'il faut se réinventer des raisons d'être unis, et qu'un autre monde est en train de se construire en lieu et place de l'ancien monde. Enfin, c'est une des choses du film qui m'a le plus touchée.

Tu décris très bien les jonctions et disjonctions, cette manière de suivre des rails pour en changer à chaque aiguillage que le film a pour dérouler son récit. J'ai senti certaines grandes faiblesses dans des scènes, notamment les scènes d'intérieur entre deux ou trois personnages (Bacri m'a beaucoup fait raler), mais dès qu'il s'agit de rendre palpables les différentes manières d'investir l'espace de cette cité (en attendant assis à un endroit, en parcourant les rails, les souterrains, à la fenêtre, au café, se déplaçant en fauteuil, en vélo, à pied), cette ville de western, il devient très fort.

Tu parles de manque de combativité, de manque d'âpreté. Je lisais dans des commentaires de blog, je sais plus trop où, quelqu'un qui râlait, car il trouvait qu'à nouveau (faisant référence au dernier film de Kechiche), les Arabes étaient figurés sans volonté aucune, sans capacité de décision, fatalistes et faibles finalement, et que c'était Samir et Isham qui se faisaient engueuler par leur père. Ben, pour le coup, je ne trouve pas que ça soit le cas ici. Samir quitte son travail, Isham supporte car il construit un rêve, l'étranger qui vient donner l'impulsion du renouveau du soutien scolaire est un Arabe, je ne crois pas qu'il y ait ici de manque d'action dans tous ces personnages. Le film est très doux, c'est vrai, le monde qu'il crée est assez flottant et onirique, les questions que tu poses sont justifiées, où est la lutte ? C'est pourtant je trouve le propos du film, de poser un regard curieux et aimant sur les choses et les êtres, sans les juger. Il constate. Dans ce lieu-ci, la cité du Teil, à cette époque, 2009, la question n'est pas de savoir contre quoi lutter, mais déjà comment continuer à exister ensemble. La lutte s'organise ailleurs sans doute, ou s'organisera après, mais encore faut-il tout d'abord savoir qui est à côté de soi. Et la création de la mosquée, en ce sens, est le premier pas. Enfin, c'est ainsi que j'ai tout ressenti.
Bah, c'est un très beau film, ça c'est sûr.


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Message par Invité Jeu 6 Aoû 2009 - 7:53

Borges a écrit:Juste une remarque; chez RAZ aussi la référence au western est importante; les "Arabes-Français" (pour faire comme les Américains, qui sont Italo-, Irlando-, Africain...) seraient-ils les Indiens du cinéma "français", demanderait Deleuze?

Hello,

Cela me rappelle "Bamako" du malien A Sissako, un film dont je ne garde pas un grand souvenir, mais dans lequel il y avait aussi un emprunt ironique au genre, au western. On y voyait notamment Elia Suleiman jouant une scène de règlement de compte dans un village (du) désert. J'avais oublié ce passage à l'époque mais elle pourrait être aussi intéressante à ressortir dans cet autre sujet, dans la mesure où il s'agit d'un film dans le film qui passe à la télévision. Comme si les indiens jouaient aux Cow-Boys ? Le film pose la question, je crois, et de façon pas trop didactique : faut-il faire comme les américains ?

RAZ qui joue au cow-boys et aux indiens, peut-être, il faudrait préciser un peu, sans doute. Il a aussi été dit qu'il jouait à Tintin en Algérie lors de la sortie de BNO ... Suspect

je vais voir le film cet aprèsm'. Wink

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Message par gertrud04 Jeu 6 Aoû 2009 - 20:27

Juste pour vous dire Eyquem et Adeline que je suis très sensible à ce que vous dites de ce film que j'ai beaucoup aimé et qui m'est devenu un peu plus cher depuis que j'ai appris la mort idiote de son acteur principal. Crying or Very sad
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Message par adeline Jeu 6 Aoû 2009 - 20:52

Hello Gertrud04,

oui, c'est une très triste histoire...

C'était l'un des bonheurs du film, retrouver des acteurs que j'avais aimés ailleurs. Yasmine Belmadi m'est revenu, après pas mal d'efforts, de Adieu Bambi, qui m'avait beaucoup plu. Et Sabrina Ouazani de L'Esquive. C'était bon, de les retrouver ainsi, plus adultes, plus mûrs, plus sûrs d'eux. Un beau couple...

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Message par Eyquem Ven 7 Aoû 2009 - 11:51

JM demandait, dans un topic à côté, quel film français pourrait dialoguer avec les films de Jia Zhang Ke : il me semble que celui-ci s'y prêterait plutôt bien - en raison de ce que dit Adeline : filmer le passage, d'un monde à un autre, saisir ce moment de flottement, où l'on sent qu'on ne pourrait pas rester fidèle au monde ancien (celui des pères ouvriers et de leur "fierté à la con", celui des luttes syndicales, des banderoles, des machines industrielles titanesques), sans trahir, d'une certaine façon, le monde à venir. Le film dit qu'il faut continuer le combat des pères, mais que le continuer, ça veut dire aussi le trahir - parce que le monde commun que les pères avaient construit et qui part en pièces détachées dans des wagons de marchandises, ce monde commun ne pourra pas être reconstruit à l'identique : il faut en inventer un autre - et pour l'inventer, trahir ce qu'on aime.

Le film se tient là, dans ce moment d'indécision, où il faut, pour les fils, se résoudre à trahir la leçon des pères, sans savoir au nom de quel monde nouveau, de quelles luttes nouvelles. Les banderoles "Tous unis pour la victoire", les locaux bardés de tracts SUD ou CFDT, ne pourront plus servir tels quels : leur emploi demande à être réinventé - et en attendant, on ne leur invente que des usages provisoires, un peu dérisoires (la banderole recyclée en jeu d'enfants), forcément décevants (les locaux des syndicats transformés en mosquée).

Seule l'arrivée du mystérieux cousin, à la fin, semble ouvrir quelques perspectives. Ce cousin, c'est celui qui propose de rouvrir le soutien scolaire dans les locaux dédiés à la prière. C'est aussi celui qui attire à lui les gamins de la cité par ses tours de magie. Un peu de magie, un peu de savoir ; homme de volonté et de séduction, il a tout de l'homme providentiel, de l'intrus, de l'étranger qui saura faire advenir le monde nouveau, le monde à venir, dont cette cité est "grosse". Mais tout ceci reste une promesse dans le film, puisque celui-ci s'arrête au moment où cet homme arrive, et avant que ses promesses ne se concrétisent. C'est, quoi qu'il en soit, l'arrivée qui fait pendant au départ de Gary, à l'adieu au monde ancien que représente le passage en ville du fantôme de Gary Cooper.**

(à moins qu'il ne s'agisse du fantôme de Clint Eastwood ? Vous avez remarqué la manière eastwoodienne de cette apparition : une rue, la nuit, sous la pluie, et le pale rider traversant la ville comme une ombre ?)
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Message par Eyquem Ven 7 Aoû 2009 - 12:03

Adeline a écrit:Quand même, je n'ai rien lu sur la réflexion sur le travail que le film comporte
Ce que tu en dis est juste. Et le film établit des correspondances assez subtiles.
Correspondance par exemple entre le travail au supermarché et la prison : l'ai-je rêvé, ce plan où Samir contemple la campagne à travers les barreaux de la fenêtre du local de repos ?

Correspondance aussi entre ce boulot au supermarché et prostitution : c'est dit littéralement dans les dialogues ("faire le tapin pour mille euros par mois", si je me souviens bien). Mais c'est aussi suggéré, plus subtilement, par l'opposition entre le monde viril des machines de l'usine paternelle, et celui dévirilisé du rayon Fromages, où les fils sont réduits à jouer les petites souris (on se souvient de la scène de drague dans les rayons : c'est difficile de draguer une fille quand on doit porter un costume de souris - surtout quand c'est une fille magnifique qui est du genre à porter des chemises de mecs !)
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Message par adeline Ven 7 Aoû 2009 - 12:12

Ah mais non, tu ne l'as pas rêvé ce plan. Le plan d'après, c'est Samir qui marche le long de l'eau. On ne sait pas alors qu'il a quitté ce travail, on sait juste qu'il est mieux à l'air libre que dans le plan d'avant.


Tu disais dans ton premier message, que l'ennemi à un moment avait pris le masque de Gary. À quoi faisais-tu référence ? Parce qu'il me semble que Gary est plutôt le symbole du monde ancien, du passé, du monde aussi de l'enfance et de ses rêves, plutôt que l'ennemi masqué. Et c'est bien ce que tu dis dans ton avant-dernier message.

J'aime beaucoup la figure de ce cousin qui arrive, alors que tout le monde part. Qui ouvre une perspective, qui fait des tours de magie pour les enfants. C'est l'étranger des villes de l'Ouest, mais l'étranger porteur de vie et de solutions. Le film s'arrête quand il arrive, alors que les westerns souvent s'arrêtent quand l'étranger, qui a résolu des problèmes et tué quelques méchants, repart, pour laisser la ville continuer à se construire. Ici, il arrive pour construire une nouvelle cité il semble. Gary s'en va, et lui arrive...

Pour autant, il n'est pas dit que la vie se construira dans la cité après. Nejma part. On peut se demander pourquoi c'est à nouveau une fille qui part, ce qui la rend plus active, indépendante, elle semble prendre beaucoup plus sa vie en main, et pas un garçon. C'est peut-être un reproche qu'on peut faire au film quand même, conserver ce partage garçon/fille que l'on retrouve dès qu'il s'agit de gens immigrés : les filles sont plus actives, intelligentes, "intégrables", débrouillardes, que les garçons. Là, ça pêche un peu quand même je trouve.

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Message par Invité Ven 7 Aoû 2009 - 12:22

Je n'ai toujours pas vu le film lol

Ce que vous dites me fait un peu penser aux propos de Guiraudie dans les boni du DVD de "Ce vieux rêve qui bouge". Le même genre de questions liées au monde ouvrier semblent être à l'oeuvre ici.

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Message par Eyquem Ven 7 Aoû 2009 - 12:24

En guise de PS :

Jia Zhange Ke, j'ai effectivement beaucoup pensé à ses films :
- pour ce qu'on peut appeler "douceur" ou "manque d'âpreté" (selon l'humeur) (c'était aussi un reproche qu'on pouvait faire aux derniers JZK)
- pour cette manière d'ajuster un monde d'apparitions fantastiques à celui des ouvriers (l'apparition de Gary Cooper, en écho à celle de Chow Yun Fat, dans le poste de télé de "Still life", par exemple)
- pour cette manière d' "étranger" les lieux (faisons comme si le verbe "étranger qqch" existait), de les soumettre à une certaine poésie du collage qui les rend difficilement situables (je pense à ce moment magique où Samir et Nejma se laissent guider par des cris d'enfants, des bruits de plongeons, comme à l'approche d'une plage, jusqu'à ce qu'on découvre en arrière-plan la silhouette monstrueuse, fantastique, de l'usine) (on trouve de tels moments d'hésitation, chez Jia Zhang Ke, dans "The world ou "Still life", où l'on ne sait plus très bien où l'on est).


Dernière édition par Eyquem le Ven 7 Aoû 2009 - 12:42, édité 1 fois
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Message par Eyquem Ven 7 Aoû 2009 - 12:41

Tu disais dans ton premier message, que l'ennemi à un moment avait pris le masque de Gary. À quoi faisais-tu référence ? Parce qu'il me semble que Gary est plutôt le symbole du monde ancien, du passé, du monde aussi de l'enfance et de ses rêves, plutôt que l'ennemi masqué. Et c'est bien ce que tu dis dans ton avant-dernier message.
Oui, c'est difficile de cerner ce dont Gary est le nom : c'est le nom des pères dans le film, puisque c'est le surnom du père parti et c'est aussi le costume qu'endosse Bacri à la fin.

"Gary" nomme aussi bien le monde de l'enfance, qu'il faut quitter, auquel il faut dire adieu, que celui de l'exploitation à laquelle les pères se sont héroïquement résignés (comme Samir le dit à son père, pour l'humilier).
Dire adieu à Gary, c'est aussi dire : "je ne serai pas l'ouvrier qu'a été mon père, syndiqué mais fidèle", non ?

Il y a, sous le nom de Gary, ce qu'on peut aimer et détester, l'injonction d'une fidèlité et la nécessité d'une trahison, et c'est pourquoi j'hésite à l'identifier au masque de l'ennemi ou de l'ami. Il tient des deux.
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Message par Eyquem Ven 7 Aoû 2009 - 13:00

Adeline a écrit:C'est peut-être un reproche qu'on peut faire au film quand même, conserver ce partage garçon/fille que l'on retrouve dès qu'il s'agit de gens immigrés : les filles sont plus actives, intelligentes, "intégrables", débrouillardes, que les garçons. Là, ça pêche un peu quand même je trouve.
Le film ne dit pas si le départ de Nejma est une bonne idée : est-ce qu'elle se débrouillera mieux que les garçons ? Ce n'est pas gagné.
Elle quitte la cité comme Samir quitte son boulot.
Je n'ai pas vu de clichés dans le partage garçons/filles, pour ma part.
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Message par Borges Ven 7 Aoû 2009 - 13:27

JZK; oui, mais aussi Gran Torino; c'est aussi une histoire d'adieu à un monde, ouvrier, et selon certains aussi à un cow-boy de légende. Le film d'Eastwood se termine, presque, à l'Eglise; ici, c'est une mosquée-maison-du peuple; la "mosquée" de RAZ était plutôt liée à l'usine. Quoi du religieux, chez JZK?
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Message par Largo Sam 8 Aoû 2009 - 0:12

C'est bien intéressant tout ça, Sébastien.

"De quoi Gary est-il le nom ?" Je me suis posé la même question en sortant et les éléments de réponse que tu proposes sont fort pertinents. Wink
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Message par adeline Dim 9 Aoû 2009 - 22:30

Eyquem a écrit:
Adeline a écrit:C'est peut-être un reproche qu'on peut faire au film quand même, conserver ce partage garçon/fille que l'on retrouve dès qu'il s'agit de gens immigrés : les filles sont plus actives, intelligentes, "intégrables", débrouillardes, que les garçons. Là, ça pêche un peu quand même je trouve.
Le film ne dit pas si le départ de Nejma est une bonne idée : est-ce qu'elle se débrouillera mieux que les garçons ? Ce n'est pas gagné.
Elle quitte la cité comme Samir quitte son boulot.
Je n'ai pas vu de clichés dans le partage garçons/filles, pour ma part.


Oui, tu as sans doute raison, je poussais un peu le reproche. Sans doute ma manière à moi de trouver pourquoi malgré tout, avec le temps qui passe, l'impression que me laisse le film est un peu trop lisse.
Grrrr, je crois que c'est la faute à Bacri lol. Disons que toutes les scènes trop dialoguées, presque toutes les scènes d'intérieur, m'ont paru beaucoup trop faibles, et cela empiète sur le reste du film dans le souvenir.
Alors que la manière dont il filme et fait exister la cité du Teil, c'est juste parfait.

J'aime vraiment beaucoup me souvenir de la manière dont on y accède, par cette voie de chemin de fer à sens unique, sur laquelle roule une voiture. Puis, on ne sait jamais jamais comment en sortir, si ce n'est à vélo, avec le père, pour aller à l'usine, un peu vers le passé ; ou en voiture, avec Nejma, pour Paris, mais on ne voit jamais la route. Et ce départ mène Samir à faire ce qu'il s'était promis de faire, en prison. Tu as raison, le départ de Nejma du Teil c'est la démission de Samir du boulot. Et c'est comme s'ils se donnaient l'un l'autre une impulsion pour aller de l'avant.

Est-ce que c'est un peu gros, la fin avec la machine de l'usine qui met la cité en suspension par sa musique, et le villebrequin qui fait trembler les murs sur le plan appuyé des deux vieux qui se souviennent ? Moi j'ai adoré, j'étais toute émue, mais je me demande à la réflexion si ce n'était pas un peu trop appuyé et démonstratif ?

C'est bon, de repenser à un film quelques temps après l'avoir vu, peser ce qu'il reste. Mais ça me plaît aussi, les films bancals...


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Message par Eyquem Lun 10 Aoû 2009 - 12:06

Hello Adeline,
...je crois que c'est la faute à Bacri lol. Disons que toutes les scènes trop dialoguées, presque toutes les scènes d'intérieur, m'ont paru beaucoup trop faibles, et cela empiète sur le reste du film dans le souvenir...
Oui, c'est bizarre mais avec Bacri, j'ai du mal aussi, je ne sais pas pourquoi.
Dans toutes ses scènes, je me disais que ç'aurait été mille fois mieux si le rôle avait été donné à...je ne sais pas, quelqu'un comme Stévenin, par exemple.
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Message par gertrud04 Mar 11 Aoû 2009 - 7:57

J’ai aimé moi Bacri dans ce film. Son jeu traduit bien le désarroi d’un père incapable d’aider ses fils à trouver leurs repères dans une société dont il se sent désormais plus spectateur qu’acteur. Acteur, il ne l’est plus seulement que dans l’imaginaire d’un adolescent dépressif.

Et Eyquem, admet que ne serait-ce que du strict point de vue de la vraissemblance (vilain mot je sais), la méditerranée se lit plus sur le visage de Bacri que sur celui de Stevenin.
Wink
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Message par Eyquem Jeu 13 Aoû 2009 - 8:23

Hello Gertrud,
gertrud04 a écrit:...admet que...
j'admettrai rien du tout, tu veux dire, surtout au nom de la vraisemblance, qui n'est qu'un système d'opinions arbitraire, au renversement duquel je serais prêt à dévouer ma vie, sabre au clair. Si.

Est-ce que Forest Whitaker fait pas un super samouraï ?
Et Laszlo Szabo, qui était hongrois, qu'est-ce qu'il joue dans "Week-end" ? Un ouvrier arabe.

Donc, nenni derechef : j'admettrai rien du tout. pirat

A part ça, le blog ciné du Diplo revient sur le film :
http://blog.mondediplo.net/2009-08-05-Adieu-Gary-pour-vivre-heureux
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Message par Leurtillois Jeu 13 Aoû 2009 - 17:29

Bonjour à tout le monde,

Question idiote : l'usine de Bacri, c'est un atelier SNCF, et sa machine chérie une locomotive ?

Adeline a écrit:(...) mais le dernier plan sur les hommes qui se rendent à la mosquée montre bien la naissance d'une nouvelle organisation pour le quartier, le début de quelque chose qui est en train de se construire (...)
La lutte s'organise ailleurs sans doute, ou s'organisera après, mais encore faut-il tout d'abord savoir qui est à côté de soi. Et la création de la mosquée, en ce sens, est le premier pas.

Si la plupart du temps dans son film (que j'ai comme vous beaucoup aimé - je n'ai au passage rencontré encore aucun avis négatif), Amaouche se contente de montrer les choses, de les constater, avec cette "tendresse" qu'il défend, les images de la transformation des locaux CFDT en mosquée ne sont-elles pas, elles, (un tout petit peu) plus chargées de sens que les autres ? Montrer qu'une organisation syndicale se transforme en lieu religieux c'est montrer une régression (?) et plus que dans le reste du film, on sent une légère inquiétude chez NA. Le premier plan, c'est le seuil de l'endroit qui se transforme, avec Icham aidé par le cousin pour déménager et en arrière-plan plusieurs hommes qui prient ; le second plan c'est l'arrière-plan qui devient plan rapproché avec les voix des prières qui ne sont pas intelligibles pour tous. (L'apprentissage de la langue de ses origines pour Icham semble compliqué et tenir plus du rêve qu'autre chose.) Et puis ceux qui prient, ce sont des pères eux aussi, celui de Nejma par exemple, tandis que les jeunes sont étrangers à la religion et reprennent la banderole syndicaliste. Comme si les deux générations retournaient chacune à celle qui la précède.
(La génération suivante, celle des enfants, elle est attirée par ce qui revêt un caractère mystique, quelque chose d'indéterminé, qu'on ne peut pas saisir encore : le neveu de Nejma s'intéresse, ou en tout cas est amusé par le jeu que son grand-père joue contre son ami imaginaire (le vent?) ; le groupe d'enfants qui délaisse le ballon de foot pour regarder les tours de magie du cousin.)

Il y a aussi une évocation de la tauromachie qui est un monde, on pourrait dire, fermé, comme "sacré" : passion du torero, fascination des aficionados. La fierté du jeune homme qui se sert de sa chemise rouge pour défier le train qui arrive est-elle la même ou non que celle de l'ouvrier Bacri ? Comme l'a rappelé Eyquem : on ne voit pas l'issu de la passe.

Un film qui plaît à ceux du Figaro qui voient l'"histoire" enchanteresse, celle qui nous enchante ; un discours joliment fardé.

Leurtillois

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Message par adeline Ven 14 Aoû 2009 - 14:22

Hey Leurtillois,

je n'avais pas compris que l'usine où travaillait le père était un atelier sncf, j'imaginais une usine dont on ne sait pas exactement quelle était sa production. Les trains, n'était-ce pas juste pour la vider ? En tous cas, la machine à mon avis n'était pas du tout une locomotive !

Je ne sais pas si on peut même se demander si le fait que le local syndical soit transformé en mosquée est une régression, ça me semble étrange. La question est, comment ça s'organise, qui décide, qu'est-ce que cela induit de positig ou négatif pour le quartier et ses habitants. Je n'ai pas senti d'inquiétude dans le film, comme tu le dis, de la part de NA dans les plans de la mosquée. J'ai trouvé qu'il était par contre, dans ce plan où les hommes prient à l'arrière, et où Icham et le cousin, au premier plan, discutent, beaucoup trop explicatif : les objets sont sortis du local de manière bien trop appuyée, etc. La symbolique du passage d'un monde à l'autre dans cette scène était beaucoup trop lourde pour moi. Par contre, le dernier plan du film renoue avec cette manière de constater, de regarder les choses qui est très bien, et je n'y vois pas d'inquiétude.

Je comprends la manière dont tu interprètes les scènes avec les enfants, et celle de la passe de corrida avec le train, mais je n'arrive pas à trouver cela juste. Pour moi, ces scènes avec les enfants, avec les jeunes, sont des tableaux qui disent simplement, voilà ce qui se passe. Je n'y vois pas de volonté explicative, elles sont très ouvertes au contraire, d'autant que ce que les enfants regardent, dans le jeu du vieux monsieur et dans les tours de magie, ce n'est pas quelque chose de mystique, mais quelque chose de mystérieux.

Ce qui m'a plu dans le film, c'est la manière dont NA aime tous ses personnages, sans les condamner jamais. Il aime ce monde, il aime le filmer, et il aime en filmer les gens. Comme je le disais, l'évolution du monde du travail, l'évolution du quartier m'ont touchée, j'ai trouvé ça très juste. Quelque chose reste indéterminé pourtant, peut-être ne pose-t-il pas assez de questions à ce petit univers, tellement il l'a coupé du reste du monde. Peut-être le temps passe-t-il de manière trop lisse, peut-être tout est-il trop coulant...


Dernière édition par adeline le Sam 15 Aoû 2009 - 12:44, édité 1 fois

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Message par Eyquem Ven 14 Aoû 2009 - 14:56

Je crois aussi qu'il ne faut pas faire de fixette sur ce retour à la mosquée (dernier plan du film), sans quoi on risque de vite tomber dans les pires clichés journalistiques sur "l'islamisation", tout ça, et on sait où mène ce genre de trucs.
Il me semble que la présence de la mosquée s'inscrit dans une réflexion plus large sur les croyances en général. Le film s'appelle "Adieu Gary" : Gary aussi, c'est un dieu, avec son église, ses fidèles, ses rituels, non ?

Gary est parti - s'il fut jamais venu. Seul un gosse l'attend encore.

- Qu'est-ce qu'on fait ?
- On attend Gary.
- Oui, mais que faire, en attendant ?

Vous faites bien de parler des tours de magie ou de la partie de cartes avec le fantôme.
C'est un film ultra-sensible à la présence de l'invisible - à la possibilité de croire en autre chose que ce qu'il y a - et on sait que c'est une question politique (cf Badiou dans le topic à côté), que la politique commence par ça : la croyance qu'il pourrait en être tout autrement que ce qu'il en est.
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Message par Leurtillois Ven 14 Aoû 2009 - 18:34

Inquiétude ce n'était pas le bon mot, mais comme tu dis Adeline, c'est plus appuyé, là-dessus on est d'accord.
Donc : aucune image reçue, bien entendu, sur l'islamisation etc., simplement quelque chose qui est "dit", plus que dans les autres images du film.
Quand je disais "régression", encore une fois pas le meilleur mot, c'était au sens historique et pas dans un sens qualitatif. Quand on ne peut plus croire à quelque chose parce que cette chose disparaît, on en revient à ce qui était avant, aux origines, semble-t-il, parce que la religion est toujours là.

Effectivement, Godot, ce n'est pas god au sens religieux, c'est une croyance, toutes les croyances.
Dans le film, les jeunes (la génération de Samir) sont pris entre les plus vieux qui prient et les plus jeunes, les enfants qui sont attirés par l'invisible (mais le seront-ils toute leur vie?). Chaque génération, chaque individualité, a sa croyance à elle. En attendant, on peut faire ce qu'on veut - aimer, prier, jouer, contre le vent ou contre la playstation, vendre de la drogue, etc. - ; mais ce qu'il y a d'inquiétant que montre le film, quand même, c'est qu'on peut en rester toute sa vie à ça qui est peut-être la première étape de l'éveil d'une conscience politique, ne jamais passer à l'étape suivante, je ne sais pas.

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