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Message par Invité Lun 16 Juin 2014 - 17:58

Le rapport avec les poules, c'est que la théorie de Wegener est en fait un modèle essentiellement  conceptuel déduit à partir de contradictions entre les modèles géophysiques de l'époque (qui n'expliquaient pas les mouvements de la croute terrestre) et la théorie de l'évolution (qui elle rendait compte de la dérive des continents), et que c'est en s'arrêtant sur ces contradictions que Wegener a proposé un modèle global, dans laquelle la distinction entre un milieu liquide qui serait du temps arrêté et un milieu terrestre qui serait plus stimulant n'a pas grand sens. C'est transférer des caractères résultants de l'évolution d'un organisme sur son environnement et cela me semble involontairement permicieux  au vu de la fragilité des écosystèmes côtiers dont beaucoup ont subi une eutrophisation massive ces 100 dernières années. Les milieux sont liés entre eux (par exemple, les zones placées à des milliers de km au milieu de l'océan mais s'inscrivant dans le rayon de l'embouchure de l'Amazone et du Congo  présentent une baisse importante de la diversité en espèces de poisson, du fait de l'apport en eau douce et sans doute de la pollution: http://www.aquamaps.org /) .  

Il y a en effet des belles histoires scientifiques ceci-dit qui impliquent des différences échelles de temps et d'espace. Par exemples des scientifiques utilisent un logiciel initialement prévu pour la recherche spatiale pour identifier les individus des population de baleine à bosse et estimer leur longévité (de l'ordre de la centaine d'années, on a trouvé recemment une baleine qui transportait un harpon qui l'avait blessée au XIXème siècle), il permet d'analyser et de classifier les motifs de la queue.

http://scholar.google.be/scholar_url?hl=en&q=http://www.researchgate.net/publication/221122618_Towards_computer-assisted_photo-identification_of_humpback_whales/file/60b7d51fa87f750575.pdf&sa=X&scisig=AAGBfm1S1NSyGUUw5M7NlGTuOLqAkngdoQ&oi=scholarr&ei=1i-fU-3FD8fZ0QWs84DQBQ&ved=0CB0QgAMoADAA


Dernière édition par Tony le Mort le Lun 16 Juin 2014 - 19:17, édité 3 fois

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Message par Eyquem Lun 16 Juin 2014 - 18:14

'soir Jerzy, 
Jerzy a écrit:Mais quel rapport avec les poules?
Disons qu'il faut imaginer une vieille poule qui aurait un seuil d'analyse de, mettons, un flash par million d'années; elle aurait le sentiment que les continents font du surf, ou que les montagnes poussent comme des vagues.
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Message par Invité Lun 16 Juin 2014 - 21:07

Le rapport avec les poules, c'est que la théorie de Wegener est en fait un modèle essentiellement  conceptuel déduit à partir de contradictions entre les modèles géophysiques de l'époque (qui n'expliquaient pas les mouvements de la croute terrestre) et la théorie de l'évolution (qui elle rendait compte de la dérive des continents), et que c'est en s'arrêtant sur ces contradictions que Wegener a proposé un modèle global, dans laquelle la distinction entre un milieu liquide qui serait du temps arrêté et un milieu terrestre qui serait plus stimulant n'a pas grand sens. C'est transférer des caractères résultants de l'évolution d'un organisme sur son environnement et cela me semble involontairement permicieux  au vu de la fragilité des écosystèmes côtiers dont beaucoup ont subi une eutrophisation massive ces 100 dernières années. Les milieux sont liés entre eux (par exemple, les zones placées à des milliers de km au milieu de l'océan mais s'inscrivant dans le rayon de l'embouchure de l'Amazone et du Congo  présentent une baisse importante de la diversité en espèces de poisson, du fait de l'apport en eau douce et sans doute de la pollution: http://www.aquamaps.org /) .  


Excellent boulot de documentation et de pédagogie, Tony. Tu es notre Frédéric Courant *
J'ai rien compris.
Et je ne saisis toujours pas le lien avec les poules.


*
Spoiler:


Tony le Mort a écrit:Par exemples des scientifiques utilisent un logiciel initialement prévu pour la recherche spatiale pour identifier les individus des population de baleine à bosse et estimer leur longévité (de l'ordre de la centaine d'années, [...], il permet d'analyser et de classifier les motifs de la queue.

...




Salut Eyquem.

Dans ces cas-là, si on remplace l'anthropocentrisme par le gallinacentrisme, je dis plus rien.


* * *


On plaisante, mais c'est juste pour dire qu'il est épistémologiquement impossible d'avoir un point de vue qui n'est pas anthropocentrique.

Un jour (ou plutôt un soir après quelques bières) un géologue  m’a fait remarquer que la distinction entre états liquides et solides était anthropocentrique et en effet liée à l’organisation des échelles de temps pour l'homme. Un être qui serait contemporain de l’évolution de la terre sur plusieurs millions d’années percevrait vraisemblablement océans et terres comme une seule et même texture liquide, à cause des mouvements tectoniques et des modifications du relief. C'est ce basculement conceptuel qui a permis à Wegener (d'abord pris pour un fou) d'émettre l'hypothèse de la dérive des continents et fournir un modèle explicatif.

Même un soir, après quelques bières, un géologue peut faire remarquer autant qu'il veut que "la distinction entre états liquides et solides est anthropocentrique et en effet liée à l’organisation des échelles de temps pour l'homme" : toute critique d'un point de vue, distinction, etc, "anthropocentriques", est elle-même anthropocentrique. Cad finie, temporelle, réceptrice.

Cad résultant d'un écart entre un sujet et un objet. Il n'y a pas de savoir conceptuel quelconque au sujet d'un objet quelconque, ni même de savoir non conceptuel - algorithmique (disait Kojève, puisque t. en parle, et qui était aussi épistémologue de la physique), qui ne soit pas anthropologique, autrement dit anthropocentrique, lié à "l'organisation des échelles de temps pour l'homme". Telle est la limite de tout savoir, discours, mesure, modèle explicatif, etc, relative à tout ce qu'on veut, que ce soit la "dérive des continents", "l''évolution de la terre sur plusieurs millions années" ou l'origine de l'univers.
Tout bon lycéen voire collégien pourrait, comme Tony, le savoir. S'il se rendait minimalement compte que la condition de possibilité même de son exemple est l'anthropocentrisme:


A)

" Un être qui serait contemporain de l’évolution de la terre sur plusieurs millions d’années percevrait vraisemblablement océans et terres comme une seule et même texture liquide, à cause des mouvements tectoniques et des modifications du relief" ---> La condition même de possibilité d'un tel énoncé est anthropocentrique: elle suppose un point de vue conceptuel, ou réflexif, d'un être humain, tony le mort en l'occurrence, sur ce que percevrait un être qui serait contemporain de l'évolution de la terre sur plusieurs millions d'années. Imaginer ce que serait "vraisemblablement" la perception d'un être sur plusieurs millions d'années, c'est une opération conceptuelle humaine, en ce qu'elle consiste à imaginer ou concevoir une position (être contemporain de l'évolution de la terre) qui serait indépendante d'un point de vue fini (qui ne serait pas "liée à l'organisation des échelles de temps de l'homme"), ou moins dépendante de, moins finie (ce qui serait moins "liée à...).
Cette position est elle-même, nécessairement, épistémologiquement inscrite dans ce qu'il nomme "l'organisation des échelles de temps pour l'homme". Il est impossible qu'elle soit autre chose que cela. Ce qui est "proprement humain" (anthropocentrique), c'est bien de chercher à conceptualiser/imaginer/discourir sur/ le point de vue d'un "être" sur le monde qui ne serait pas "lié à l'organisation des échelles de temps de l'homme": autrement dit chercher à se placer d'un point de vue absolu, non relatif, non temporel; un point de vue sans point de vue; penser ce que serait le monde en soi, tel qu'en lui-même, indépendamment de tout point de vue (représentation, Weltanschauung). Il est dans la nature de l'entendement, du savoir, disait le vieux Kant, que de chercher à unifier toujours plus haut, au delà des limites spatio-temporelles de l'intuition ou perception réceptrices.


B)

La connaissance (comme perception ou savoir) finie (spatio-temporelle) du monde est le lot de tout être vivant, il n'y en a pas d'autre: nous ne connaissons le monde que comme totalité des phénomènes, cad ensemble des objets accessibles à une conscience temporelle, réceptrice (qui ne crée pas elle-même l'objet de sa perception), et non comme totalité "nouménale" - concept que forge l'entendement pour désigner l'objet d'une intuition non sensible, cad non spatio-temporelle. Objet strictement impossible comme l'est un cercle-carré. C'est ce que Kant appelle une "antinomie de la raison pure".
Cette limite* interne à la connaissance, à toute science, est une donnée insurmontable. Je perçois et connais un cube nécessairement comme une structure spatio-temporelle. ça n'enveloppe aucune possibilité de saisie autre, qui serait le cube vu et connu sous toutes ses faces à la fois, en même temps, dedans-dehors, etc.

De la même façon, ça n'a strictement aucune portée épistémologique, ni même aucun sens tout court, de dire, pour illustrer la tectonique des plaques" : " Un être qui serait contemporain de l’évolution de la terre sur plusieurs millions d’années percevrait vraisemblablement océans et terres comme une seule et même texture liquide " ---> Puisqu'un tel être n'existe pas, puisque la tectonique des plaques a par définition lieu dans l'espace et le temps, et puisque tous les êtres vivants sont dans l'espace et le temps. Cad sont soumis à une "organisation des échelles de temps", quelle que soit cette échelle, quelle que soit sa grandeur, hommes ou pas (ce qui rend ipso-facto inopérante et vide de sens une distinction dans ce cadre entre "anthropocentrique" et "non anthropocentrique"), et qu'il n'y a par conséquence aucune expérience possible consistant à percevoir océans et terres comme une seule et même texture liquide.

Ce type de variation imaginaire est tout simplement du même ordre que de dire: "s'il y avait un dieu, il percevrait vraisemblablement océans et terres comme une seule et même texture liquide". La belle affaire. Certes s'il y avait un dieu, ou un être "contemporain de l’évolution de la terre sur plusieurs millions d’années", où un tripode à orbites en kryptonite recyclable et ignifugée, ou n'importe quelle autre forme d'être vivant ou non-vivant, connu ou inconnu, terrestre ou extra-terrestre, non soumis à l'espace et au temps (ou soumis à ces derniers selon une échelle digne d'une créature biblique), ils percevraient océans et terres comme une seule et même texture liquide. C'est une pure tautologie que de le dire (= s'il y avait un être non-soumis à la successivité temporelle des phénomènes, il percevrait ces phénomènes comme simultanés: on s'en doute, merci). Et on ne voit absolument pas en quoi cette variation imaginaire nous aide en quoi que ce soit à comprendre la tectonique des plaques, qui par définition a lieu dans le temps et l'espace, donc.


C)

La "théologie" est justement ce qui essaie de dépasser cette limite*, soit en posant que la foi (en un dieu créateur de toutes choses) n'est pas un objet de savoir (humain), soit en posant (comme Teilhard de Chardin ou les frères Bogdanoff) une identité entre l'univers et le divin, la science et la foi, etc.
Là où se situe la différence entre l'homme et l'animal, puisqu'il faut bien en constater une, qui n'est pas de nature, mais épistémo-logique, c'est que ce qu'on nomme "homme", c'est un étant parmi les étants qui 1) cherche à théoriser/conceptualiser la connaissance de cette totalité, 2) fantasme (= "vision de l'impossible", au sens de Platon) cette totalité comme nouménale.
D'où la fameuse formule, déjà débattue ici, de Sartre à la fin de EN: "l'homme est une passion inutile". Passion qui consiste à désirer être dieu ( en soi/pour soi, causa sui ); passion qui ne sera jamais étanchée (même après plusieurs bières, le soir), et à laquelle il ne renoncera jamais.

Voilà pourquoi il n'y a de connaissance du monde, de son origine, de sa totalité, etc, que descriptive et anthropo-logique, anthropo-centrique. On en a et on en aura jamais fini avec l'anthropocentrisme, cad avec la limite de toute connaissance. L'homme, en tant qu'il cherche à conceptualiser/théoriser/comprendre/définir le monde, ne peut que partir que de ce centre épistémologique qu'il constitue par cette opération. En dehors de ce centre, la "Question" de la nature, du cosmos, de la vie, ne se pose pas ou n'est posée, ne constitue un Problème pour personne. Et si quelqu'autre être vivant faisait de la vie, de la nature, du cosmos, un telle Question (la question de qu'est-ce "ce qui est", dirait Heidegger), il faudrait l'appeler par ce fait même "homme"...
L'anthropos n'étant pas une "nature", il n'y a pas de nature de l'homme, précisément. "Qu'est-ce que l'Homme?". C'est la question à 1.000 bières, bien entendu.

Pour Kant, on le sait, les trois questions (que puis-je savoir? Que dois-je faire? Que m'est-il permis d'espérer?) se ramènent à une seule : Qu'est-ce que l'homme?
C'est bien sûr un grand singe ayant perdu ses poils, doté de mains-outils de préhension guidées par un cerveau complexe, mais c'est aussi "l'être" qui s'en arrache pour la penser, ou plutôt qui en est arraché, et qui de ce fait essaie de la penser, de penser cette "perte originaire" qui le travaille comme un "refoulement actif". Il n'était pas "prévu" a priori par la nature qu'un animal parmi d'autres fasse d'elle cette question donnant lieu à discours, théorie, définition, savoir (ce que soutiennent par contre tous les spiritualismes: qu'ils soient dualistes [les 3 monothéismes], monistes [paganisme grec, bouddhisme, taoisme, ...], créationnistes, évolutionnistes, vitalistes, design-intelligentistes, etc.
Et l'homme ne peut que partir de ce centre ou point-de-vue anthropo-logique: pour saisir précisément qu'un tel centre n'existe (n'ek-siste) que dé-centré, périphérique: tournant inlassablement autour d'un noyau central qui le fonde, qu'il n'a pas fondé, et qu'il objective (ob-jecte, se posant devant, s'opposant à) par le fait même qu'il le désire, cherche à le conceptualiser/théoriser/comprendre/définir "en tant que" Nature, Vie, Cosmos...  Homme comme "trou dans l'être", néant d'être: le concept n'est pas la chose. "Le chien court et aboie, le concept de chien ne court pas et n'aboie pas", etc etc. Kojève encore: " on ne peut pas parler de la réalité physique sans contradictions ; dès qu’on passe de l’algorithme à la description verbale, on se contredit (corpuscules-ondes, par exemple) ".



Il faut être naïf, ou trop confiant dans ses capacités conceptuelles et avoir interrompu ses études philosophiques "lycéennes voire collégiennes" trop tôt, comme Tony le mort, pour resservir cette antienne de "l'anthropocentrisme" comme point de vue ou limite naïfs que pourraient dépasser telle ou telle science...



Ce maniement naïf, cad non-critique, du concept d'anthropocentrisme, n'est que la déclinaison d'une même confusion logique dans une "conversation" précédente où comme monsieur Jourdain Tony-le-mort faisait de la théologie sans le savoir:

https://spectresducinema.1fr1.net/t1648-michael-kohlhaas
Spoiler:

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Message par Invité Mar 17 Juin 2014 - 7:20

Va chier ducon

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Message par Eyquem Ven 7 Nov 2014 - 13:22

FilmFreak a posté ça sur FdC:



Ca a été diffusé comme ça, à la télé, entre deux programmes de rediffusions nocturnes.

C'est drôle et inquiétant. Chef d'oeuvre à mon avis.


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Message par wootsuibrick Mer 19 Nov 2014 - 17:17

Peut-on être trop à gauche ? (ce titre ayant été très justement critiqué par encultures, je me fout donc un coup de poing dans la tronche tout en ne l'effaçant pas pour tenter un début d'auto-critique) 
« Déclaration de Guerre »
Un gouvernement qui déclare l’état d’urgence contre des gamins de quinze ans. Un pays qui met son salut entre les mains d’une équipe de footballeurs. Un flic dans un lit d’hôpital qui se plaint d’avoir été victime de « violences ». Un préfet qui prend un arrêté contre ceux qui se construisent des cabanes dans les arbres. Deux enfants de dix ans, à Chelles, inculpés pour l’incendie d’une ludothèque. Cette époque excelle dans un certain grotesque de situation qui semble à chaque fois lui échapper. Il faut dire que les médiatiques ne ménagent pas leurs efforts pour étouffer dans les registres de la plainte et de l’indignation l’éclat de rire qui devrait accueillir de pareilles nouvelles.
Un éclat de rire déflagrant, c’est la réponse ajustée à toutes les graves « questions » que se plaît à soulever l’actualité. Pour commencer par la plus rebattue : il n’y a pas de « question de l’immigration ». Qui grandit encore là où il est né ? Qui habite là où il a grandi? Qui travaille là où il habite?
Qui vit là où vivaient ses ancêtres ? Et de qui sont-ils, les enfants de cette époque, de la télé ou de leurs parents ? La vérité, c’est que nous avons été arrachés en masse à toute appartenance, que nous ne sommes plus de nulle part, et qu’il résulte de cela, en même temps qu’une inédite disposition au tourisme, une indéniable souffrance. Notre histoire est celle des colonisations, des migrations, des guerres, des exils, de la destruction de tous les enracinements. C’est l’histoire de tout ce qui a fait de nous des étrangers dans ce monde, des invités dans notre propre famille. Nous avons été expropriés de notre langue par l’enseignement, de nos chansons par la variété, de nos chairs par la pornographie de masse, de notre ville par la police, de nos amis par le salariat. À cela s’ajoute, en France, le travail féroce et séculaire d’individualisation par un pouvoir d’État qui note, compare, discipline et sépare ses sujets dès le plus jeune âge, qui broie par instinct les solidarités qui lui échappent afin que ne reste que la citoyenneté, la pure appartenance, fantasmatique, à la République. Le Français est plus que tout autre le dépossédé, le misérable. Sa haine de l’étranger se fond avec sa haine de soi comme étranger. Sa jalousie mêlée d’effroi pour les « cités » ne dit que son ressentiment pour tout ce qu’il a perdu. Il ne peut s’empêcher d’envier ces quartiers dits de « relégation » où persistent encore un peu d’une vie commune, quelques liens entre les êtres, quelques solidarités non étatiques, une économie informelle, une organisation qui ne s’est pas encore détachée de ceux qui s’organisent. Nous en sommes arrivés à ce point de privation où la seule façon de se sentir Français est de pester contre les immigrés, contre ceux qui sont plus visiblement des étrangers comme moi. Les immigrés tiennent dans ce pays une curieuse position de souveraineté : s’ils n’étaient pas là, les Français n’existeraient peut-être plus.
La France est un produit de son école, et non l’inverse. Nous vivons dans un pays excessivement scolaire, où l’on se souvient du passage du bac comme d’un moment marquant de la vie. Où des retraités vous parlent encore de leur échec, quarante ans plus tôt, à tel ou tel examen, et combien cela a grevé toute leur carrière, toute leur vie.
L’école de la République a formé depuis un siècle et demi un type de subjectivités étatisées, reconnaissables entre toutes. Des gens qui acceptent la sélection et la compétition à condition que les chances soient égales. Qui attendent de la vie que chacun y soit récompensé comme dans un concours, selon son mérite. Qui demandent toujours la permission avant de prendre. Qui respectent muettement la culture, les règlements et les premiers de la classe. Même leur attachement à leurs grands intellectuels critiques et leur rejet du capitalisme sont empreints de cet amour de l’école. C’est cette construction étatique des subjectivités qui s’effondre chaque jour un peu plus avec la décadence de l’institution scolaire. La réapparition, depuis vingt ans, de l’école et de la culture de la rue en concurrence de l’école de la République et de sa culture en carton est le plus profond traumatisme que subit actuellement l’universalisme français. Sur ce point, la droite la plus extrême se réconcilie par avance avec la gauche la plus virulente. Le seul nom de Jules Ferry, ministre de Thiers durant l’écrasement de la Commune et théoricien de la colonisation, devrait pourtant suffire à nous rendre suspecte cette institution.
Quant à nous, lorsque nous voyons des profs issus d’on ne sait quel « comité de vigilance citoyen » venir pleurnicher au 20-Heures qu’on leur a brûlé leur école, nous nous souvenons combien de fois, enfants, nous en avions rêvé. Lorsque nous entendons un intellectuel de gauche éructer sur la barbarie des bandes de jeunes qui hèlent les passants dans la rue, volent à l’étalage, incendient des voitures et jouent au chat et à la souris avec les CRS, nous nous rappelons ce qui se disait des blousons noirs dans les années 1960 ou, mieux, des apaches à la «Belle Époque » : « Sous le nom générique d’apaches – écrit un juge au tribunal de la Seine en 1907 –, il est de mode de désigner depuis quelques années tous les individus dangereux, ramassis de la récidive, ennemis de la société, sans patrie ni famille, déserteurs de tous les devoirs, prêts aux plus audacieux coups de mains, à tous les attentats contre les personnes ou les propriétés.»
Ces bandes qui fuient le travail, prennent le nom de leur quartier et affrontent la police sont le cauchemar du bon citoyen individualisé à la française : ils incarnent tout ce à quoi il a renoncé, toute la joie possible et à laquelle il n’accédera jamais. Il y a de l’impertinence à exister dans un pays où un enfant que l’on prend à chanter à son gré se fait inévitablement rabrouer d’un « arrête, tu vas faire pleuvoir !», où la castration scolaire débite à flux tendu des générations d’employés policés. L’aura persistante de Mesrine tient moins à sa droiture et à son audace qu’au fait d’avoir entrepris de se venger de ce dont nous devrions tous nous venger. Ou plutôt dont nous devrions nous venger directement, là où nous continuons à biaiser, à différer. Car il ne fait pas de doute que par mille bassesses inaperçues, par toutes sortes de médisances, par une petite méchanceté glacée et une politesse venimeuse, le Français ne cesse de se venger, en permanence et contre tout, de l’écrasement à quoi il s’est résigné. Il était temps que le nique la police ! Prenne la place du oui, monsieur l’agent ! En ce sens, l’hostilité sans nuance de certaines bandes ne fait qu’exprimer d’une manière un peu moins feutrée que d’autres la mauvaise ambiance, le mauvais esprit de fond, l’envie de destruction salvatrice où ce pays se consume.
Appeler «société» le peuple d’étrangers au milieu duquel nous vivons est une telle usurpation que même les sociologues songent à renoncer à un concept qui fut, pendant un siècle, leur gagne-pain. Ils préfèrent maintenant la métaphore du réseau pour décrire la façon dont se connectent les solitudes cybernétiques, dont se nouent les interactions faibles connues sous les noms de « collègue», « contact », « pote », « relation » ou d’« aventure ».
Il arrive tout de même que ces réseaux se condensent en un milieu, où l’on ne partage rien sinon des codes et où rien ne se joue sinon l’incessante recomposition d’une identité. On perdrait son temps à détailler tout ce qu’il y a d’agonisant dans les rapports sociaux existants. On dit que la famille revient, que le couple revient.
Mais la famille qui revient n’est pas celle qui s’en était allée. Son retour n’est qu’un approfondissement de la séparation régnante, qu’elle sert à tromper, devenant elle-même par là tromperie. Chacun peut témoigner des doses de tristesse que condensent d’année en année les fêtes de famille, ces sourires laborieux, cet embarras de voir tout le monde simuler en vain, ce sentiment qu’il y a un cadavre posé là, sur la table, et que tout le monde fait comme si de rien n’était. De flirt en divorce, de concubinage en recomposition, chacun ressent l’inanité du triste noyau familial, mais la plupart semblent juger qu’il serait plus triste encore d’y renoncer. La famille, ce n’est plus tant l’étouffement de l’emprise maternelle ou le patriarcat des tartes dans la gueule que cet abandon infantile à une dépendance cotonneuse, où tout est connu, ce moment d’insouciance face à un monde dont nul ne peut plus nier qu’il s’écroule, un monde où « devenir autonome » est un euphémisme pour « avoir trouvé un patron ». On voudrait trouver dans la familiarité biologique l’excuse pour corroder en nous toute détermination un peu brisante, pour nous faire renoncer, sous prétexte qu’on nous a vu grandir, à tout devenir majeur comme à la gravité qu’il y a dans l’enfance. De cette corrosion, il faut se préserver.
Le couple est comme le dernier échelon de la grande débâcle sociale. C’est l’oasis au milieu du désert humain. On vient y chercher sous les auspices de l’« intime » tout ce qui a si évidemment déserté les rapports sociaux contemporains : la chaleur, la simplicité, la vérité, une vie sans théâtre ni spectateur. Mais passé l’étourdissement amoureux, l’« intimité » tombe sa défroque : elle est elle même une invention sociale, elle parle le langage des journaux féminins et de la psychologie, elle est comme le reste blindée de stratégies jusqu’à l’écœurement. Il n’y a pas là plus de vérité qu’ailleurs, là aussi dominent le mensonge et les lois de l’étrangeté. Et lorsque, par fortune, on l’y trouve, cette vérité, elle appelle un partage qui dément la forme même du couple. Ce par quoi des êtres s’aiment est aussi bien ce qui les rend aimables, et ruine l’utopie de l’autisme à deux.
En réalité, la décomposition de toutes les formes sociales est une aubaine. C’est pour nous la condition idéale d’une expérimentation de masse, sauvage, de nouveaux agencements, de nouvelles fidélités. La fameuse « démission parentale » nous a imposé une confrontation avec le monde qui a forcé en nous une lucidité précoce et augure quelques belles révoltes. Dans la mort du couple, nous voyons naître de troublantes formes d’affectivité collective, maintenant que le sexe est usé jusqu’à la corde, que la virilité et la féminité ont tout de vieux costumes mités, que trois décennies d’innovations pornographiques continues ont épuisé tous les attraits de la transgression et de la libération. Ce qu’il y a d’inconditionnel dans les liens de parenté, nous comptons bien en faire l’armature d’une solidarité politique aussi impénétrable à l’ingérence étatique qu’un campement de gitans. Il n’y a pas jusqu’aux interminables subventions que de nombreux parents sont acculés à verser à leur progéniture prolétarisée qui ne puissent devenir une forme de mécénat en faveur de la subversion sociale. «Devenir autonome », cela pourrait vouloir dire, aussi bien : apprendre à se battre dans la rue, à s’accaparer des maisons vides, à ne pas travailler, à s’aimer follement et à voler dans les magasins.
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Message par wootsuibrick Jeu 20 Nov 2014 - 6:38

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