La grotte des rêves perdus

Le cinéma donne aux choses une autre étoffe que celle de la matière, celle des rêves, ou plutôt celle de la matière rêveuse, c'est sans doute ce qui fait la force du film de Herzog : "La Grotte des rêves perdus", qui plonge dans une mémoire de la caverne, de l'obscurité, des ombres, et du surréel, plus ancienne que celle de Platon, à moins qu'il ne s'agisse de la même expérience du passé et de la mémoire; avec cette différence essentielle que le souvenir et l'oubli ne se rapportent pas ici à un savoir, à des idées que nous aurions connues ailleurs, et autrement, par la seule âme... Ce serait plutôt comme une préhistoire de la conscience, pour reprendre l'expression de Bazin à propos du Macbeth de Welles. Où sont ces animaux "peints" sur les parois? C'est la question de Merleau-Ponty, à propos de Lascaux. Sa réponse est à la fois simple et complexe : les animaux peints sur les parois ne sont pas là comme y sont les fentes, les boursoufflures, mais ils ne sont pas davantage ailleurs. Ni ici, physiquement, ni ailleurs. Où alors? C'est toute la question, d'autant plus forte si ces animaux nous sont donnés par le cinéma...Sommes-nous dans un rapport d'éloignement, dans une distance qui réduit la puissance d'impression, ou au contraire, le cinéma en redoublant la distance, l'écart entre eux et nous rapproche-t-il leur énigme? Je ne sais pas. Sans vouloir tomber dans un cliché, on peut peut-être suggérer que ces images renouvellent l'"originarité" de notre expérience du visible...Nous sommes tellement habitués aux images. On en fait tous, tout le temps, sans nous demander pourquoi. Là, la question ne peut être évitée. On ne peut pas ne pas se demander pourquoi peindre, dessiner, pourquoi rendre visible ce qui est déjà visible, pourquoi ajouter du visible au visible. Pourquoi, ils l'ont fait? C'est peut-être au fond ça l'histoire de l'art : nous replacer à chaque fois devant cette question, en renouvelant les modes de" construction" du visible. Pensons seulement à toutes les transformations du cinéma : le noir et blanc muet, sourd, ou silencieux, le parlant, la couleur, les différents formats, cinémascope, vidéo, numérique, 3D, comme s'il s'agissait à chaque fois de retrouver l'énigme de ce qui purement a surgi (comme dirait Hölderlin), pour les premiers spectateurs des films des Lumières, et plus loin, bien plus loin : pour le premier homme qui a tracé un visible, et l'a regardé. Mais cet homme a-t-il jamais existé?

je sais peu de choses aussi belles que ce genre de rencontres hasardeuses, hasardés...



Ramenez le drap sur vos yeux
Entrez dans le rêve
Reprendre la vie des autres où on l'a laissée
Quand le jour s'achève
Voir les couleurs voir les formes
Enfin marcher pendant que les autres dorment
Voir les couleurs voir les formes
Les villes sont des villes bordées de nuit
Et peuplées d'animaux qui marchent sans bruit
Toujours dans votre dos la peur qui vous suit
Toujours dans votre dos

Ramenez le drap sur vos yeux
Entrez dans le rêve
Allumez l'écran merveilleux
Quand le jour s'achève
Retrouver l'amour blessé
Au fond du tiroir où on l'avait laissé
Retrouver l'amour blessé
Découper le monde à coups de rasoir
Pour voir au cœur du fruit le noyau noir
La vie n'est pas la vie ni ce qu'on nous fait croire
La vie n'est pas la vie

Les villes sont des villes bordées de nuit
Et peuplées d'animaux qui marchent sans bruit
Toujours dans votre dos la peur qui vous suit
Toujours dans votre dos


et si cette chanson nous disait pourquoi ils ont peint :

La vie n'est pas la vie ni ce qu'on nous fait croire
La vie n'est pas la vie

Difficile même pour Manset de dire ce qu'est ou non la vie.

Sur cette question de la représentation : "Ainsi j'ai beau faire, je perçois toujours quelque chose, soit du dehors, soit du dedans. Quand je ne connais plus rien des objets extérieurs, c'est que je me réfugie dans la conscience que j'ai de moi-même : si j'abolis cet intérieur, son abolition même devient un objet pour moi imaginaire qui, cette fois, perçoit comme un objet extérieur le moi qui disparaît. Extérieur ou intérieur, il y a toujours un objet que mon imagination se représente".

(Bergson, L'évolution créatrice)

breaker a écrit:Le texte de Georges Bataille sur "l'homme de Lascaux" est très beau, très intense, L'Histoire de l'Art d'Élie Faure paraît assez terne en comparaison.

Hi;
c'est le moins que l'on puisse dire; je l'ai achetée, l'année dernière je crois, pour presque rien;mais bon Elie Faure c'est tout de même pas Bataille...

Hi;oui, délivrance de la nécessité, exactement, mais je ne sais pas si existait alors une classe qui forçait l'autre à bosser, pour pouvoir jouir...

merci pour le lien, c'est toujours libérateur d'avoir des textes en "numérique", pour les citations et tout ça...on n'est pas obligé de les taper, recopier...