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LA VIE AU RANCH, Sophie Letourneur

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Message par Invité Dim 8 Avr 2012 - 17:27

Je n'ai vu de la réalisatrice que ce film-là, mais je dois dire qu'il est très séduisant. C'est un mélange de mélanges de cinéma et aussi de ce qu'on y picole. C'est une histoire très simple : des amis étudiants, musiciens se réunissent pour des fêtes bien arrosées, font des rencontres fragiles parfois dans des matins blafards. Il y a une incroyable énergie dans le filmage frontal et sans recul, sans profondeur. Cela sature. Puis les filles en vacances dans le cantal vont enfin respirer dans cette montagne à vache, voire se fâcher. L'une d'elle rentre fait une rencontre, suit, à l'étranger.

C'est vraiment un joli film dont l'intérêt n'est pas dans les péripéties mais dans le filmage, juste, sérré, fluide, sa qualité première, je dirais.

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Message par Borges Lun 9 Avr 2012 - 17:14

vu, il y a déjà quelques temps; je pense qu'on en avait causé ailleurs sur le forum;

on sait vraiment pas quoi penser de ce truc. Au début, pendant les premières minutes, on y croit pas. On se dit que c'est pas possible, que ce film n'existe pas, ne peut pas exister; rien n'y semble mis en scène, joué, crée, tout semble naturel, mais d'une étrange nature.

Comment est-il possible de mettre la langue et les corps dans un tel état, dans un tel désordre; jamais on avait entendu des gens, des filles, parler comme ça, parler sans sembler pouvoir s' arrêter, sans rien dire, sans s'écouter, sans assumer aucun de leurs mots, de leur énoncés;

au début on sait pas quoi penser, ou s'il faut penser quelque chose; c'est trop bête, comme existence, comme communauté, comme mode de l'être-avec;

je dirais pas que ça parle, en elles, à travers elles, qu'elles sont parlées, ou quelque chose dans le genre; y a pas d'inconscient dans ces échanges, pas non plus du désir; c'est vraiment la parole sous le règne de la connerie; on en vient à se demander si le film lui-même est con, si ces filles existent, réellement; oui, elles existent réellement, dans ce film; ça on ne peut pas le nier; la force du film, c'est justement de nous imposer cette existence, cette réalité, ce réalisme, cette vie sans art, ou alors d'un art si fort qu'il se dépasse dans son contraire...

on peut parler de naturalisme. Mais naturalisme n'est pas le mot; il faudrait trouver mieux; "un film nature" serait plus juste, comme quand on dit de quelqu'un qu'il est "très nature"


on regarde, on ne peut que regarde, en se demandant comment on fait pour regarder ça; comment ça peut se regarder; ce qui peut-être le signe d'un vrai film, d'un véritable auteur; quelqu'un qui vous amène à vous demander comment regarder; y a tellement de trucs dont on sait comment les regarder, qui se laissent regarder, sans jamais que la question du regard ne se pose, surtout quand il s'agit de femmes, ou de filles...






"la vie au ranch", titre comme on dit "déceptif", qui ne répond pas du tout à ce qu'il promet; pour plusieurs raisons, y a pas de ranch dans le film, pas non plus de vaches, ou de cow boy; les vaches viendront plus tard, et aussi les cow boys, hors du ranch désigné par le titre

pas de ranch, pas de cow boy : c'est surtout des filles qui causent dans un espace très fermé, trop chargé de corps, de mots, d'insignifiance, de vide, curieusement; pas le vide ontologique, ou le vide zen, le vide d'un trop plein, un vide de sens, de signification, qui donne la nausée, donne envie de vomir;

on regarde ces filles, ces mecs, comme hypnotisé par leur connerie;

pas de ranch; le ranch c'est le western, les mecs, sans filles, les grands espaces, les bêtes, l'élevage; on pense un peu au film de pm, sport de filles; c'en est l'inverse; chez letourneur manque le dressage, la culture; ce sont des corps très peu dressés, peu éduqués, relâchés, sans pourtant être licencieux, ou libertins;

le ranch, l'appartement où l'on se retire pour se marrer, raconter des conneries, boire, vivre en attendant de rentrer dans la vie, dans les ordres de la vie;

la vie au ranch, c'est la vie qui se fuit, dans la connerie, une espèce de dépense sans noblesse, c'est pas du Bataille,


on a parlé de rohmer, ou encore de rozier: letourneur ce serait un rohmer féminin, un rohmer de l'énergie, plus que de la forme, un rohmer qui ne serait pas du 17ème siècle, mais de son temps, d'un temps et d'une parole sans maîtrise, pas assumée, qui déborde toujours ceux qui la parlent, la disent, des filles essentiellement; qu'aurait pu faire rohmer des filles de ce ranch? rien sans doute; ils les aurait dressées, fait parler contre leur nature;



imaginons une comparaison entre ces filles et celles de "boulevard de la mort"

un autre titre, cela aurait été la vie au bordel, au sens de désordre, anarchie, manque d'ordre...

le ranch c'est le contraire du bordel,


on a vu y a quelques semaines "Le Marin masqué" à la télé:








Dernière édition par Borges le Lun 9 Avr 2012 - 17:33, édité 1 fois
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Message par Invité Lun 9 Avr 2012 - 17:28

tu oublies ces plans de coupe qui ramènent tout à coup quelque chose du hors champ du film - Marion parle de son exposé devant Pamela hébétée, le déménagement etc : ah bon elles étudient. Il y a comme ça de petites percées distillées dans leur quotidien qui ne peut pas tenir qu'en fêtes, car elles se succèdent sur un rythme éffréné sans transition et l'on tient le sujet : ce que la fête tient à distance hors champs et rien pas un pouce ne sera cédé jusqu'à la fin. avec un minimum d'effets un maximun de variations autour du motif de la répétition, c'est surréaliste. un film gainé dans son bain amiotique.

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Message par Borges Lun 9 Avr 2012 - 17:50

oui; la vraie rupture, le hors champ absolu, pas seulement de l'image, dans le plan, celui que l'une des filles met hors champ de ses affects dans la scène à l'hôpital, c'est la mort, et les sentiments en général, la perte, ou l'amour, tout ce qui singularise; le groupe se dissout quand quelque chose de singulier arrive, le groupe ne peut se maintenir se constituer quand dans le refus de la singularité, comme le montre les scènes dans la campagne; dès que le dehors arrive, se pointe le réel, le groupe qui ne vit que de la fuite de soi, et de la vie, se décompose; le hors champ de ces filles c'est l'affect, surtout triste; comme tu dis la vie au ranch ça sert avant tout à tenir à distance, à fuir, à esquiver ce qui touche, ce qui affecte singulièrement, et qui ne peut pas être partagé, communiqué, cela est tenu hors de soi, hors du groupe; la vie au ranch, c'est la vie sans le dehors, qui n'est pas le contraire du privé, de l'intime, au contraire, mais le film les fait communiquer, c'est quand les filles sortent de leur petit espace, de leur vie au ranch, de la vie au ranch, que le privé, l'intime, le singulier déchire, décompose la communauté du plaisir, de la fête, de la connerie...

l'affection se donne tout d'abord sur le mode de l'esquive, dans le hors champ de l'existence, si on veut; on (se) fuit toujours dans la vie au ranch, dans le semblant d'une fausse communauté, la communauté de la connerie, et de la fausse jouissance;



Dernière édition par Borges le Lun 9 Avr 2012 - 18:19, édité 1 fois
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Message par Invité Lun 9 Avr 2012 - 18:09

il me semble qu'après le ranch à plusieurs, festif et oublieux de tout, il y a une vie au ranch à soi seule : il n'y a pas de résolution dans ce film je l'avais d'abord pensé puis je me suis rendu compte que la trajectoire du groupe a l'individu n'amenait rien, qu'une sorte de vague désespérance pour les personnages et pour la réalisatrice la marque d'une certaine frustration dans une histoire linéaire qui ne saurait masquer que petit à petit chaque plan est le mourroir de tous les autres possibles.
c'est généreux et déceptif.

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Message par Invité Lun 9 Avr 2012 - 19:18

en revanche on ne sent pas combien les lourdeurs de l'éxécution ont pu empêcher les images mentales de Letourneur de surgir à la surface de l'écran. j'ai eu l'impression que le film était l'exact décalque de ce qu'elle avait pensé.

je m'en suis fait la réflexion alors que je pense rarement à cela.

c'est sans doute à la fois sa profonde singularité et son absolue tenue, sa provoc calibrée qui m'ont fasciné - la leçon hitchockienne a été retenue.

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Message par Invité Lun 9 Avr 2012 - 19:41

en général le film s'appuie sur le début pour finir.

et bien ici, de façon roublarde, j'ai eu l'impression que la fin n'avait pas d'autre but que de faire regretter le début.

tout le film me semble d'une contruction millimétrée ... et pourtant déconnante.

le film donne le sentiment d'être construit comme un discours - peut être ce qui t'a fait penser à Rohmer.

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Message par Invité Lun 9 Avr 2012 - 20:28

je crois que Bergman lui se plaignait toujours d'être tributaire de contraintes diverses et de voir petit à petit lui échapper les images qui l'avaient inspiré.

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Message par Invité Mar 10 Avr 2012 - 1:16

Vu, à cause de vous, lol.


Film étonnant, oui.

Séduisant, alors là, je dirai pas ça. J'avais des sueurs froides tout du long, ça m'a épuisé. J'ai trouvé ce conglomérat inexistant de gonzesses gueulardes, à la voix cassée, épuisant, à baffer. Sans parler des mecs, encore plus cons qu'elles.
Vraiment un film de maso.
Je me suis identifié à une voix qui surgit "hors-cadre" dans la nuit et qui gueule: "vous pouvez pas la fermer, bande de grosses putes?".

C'est un bon film, je dis pas. C'est bien fait, comme on dit. Si le but est de communiquer le vide désespérant d'un tambour d'essoreuse dans un wash-machine, qui tourne en rond en faisant un boucan assourdissant.

Mais c'est pas du Rozier, clairement. C'est pas la "vacance" de Rozier, y a aucune vacance là-dedans, rien ne respire jamais. Tout est bouché partout, pas la moindre ligne de fuite, même brisée. C'est sans doute le propos, je l'ignore. Le négatif, la finitude, noyés à coups de rouge, de purées, d'envies de vomir sans arrêt. "Tonique" disent pas mal de critiques reprises sur allociné. Je vois rien de tonique là-dedans... Tout au contraire: atone, dévitalisé... "Nihiliste" me semble le terme approprié.
Je ne sais pas si ces filles représentent une "génération", ou quoi que ce soit, mais je m'en fous.
C'est horriblement parigot. Aucune empathie possible. Une interminable guindaille de bourges étudiants futurs cadres commerciaux, tous plus antipathiques les uns que les autres, où personne n'écoute personne, personne aime personne, personne s'intéresse à rien ni à personne. Même les vaches can't help it, même Berlin can't help it.

La brève randonnée-pic-nic à la campagne: seul moment où j'ai cru que ça allait "ouvrir" quelque chose... Aussitôt avorté, à dessein (car tout ceci est maîtrisé). A part ça, j'ai l'impression d'avoir été torturé pendant 1h30 par une perceuse à gros calibre, et je suis content que ce soit terminé. Je vais me coucher... Very Happy

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Message par Borges Mar 10 Avr 2012 - 8:29

hello slimfast, jerzy

comme chez rohmer, rozier, ou Mankiewicz, c'est le langage le souci de SL; mais c'est pas le même langage, pas les mêmes corps...

(SL, qui joue dans "le marin masqué", est une espèce de colosse, de géante, de xena, aboulique, dépressive, toujours fatiguée, sans désir, sans projet, rien de moins sartrien que ses filles)


ce qui l'intéresse, c'est les lieux communs, le bavardage, les formules vides, la répétition, le stéréotype; c'est un cinéma du plein, au sens de barthes; on a parfois envie de vomir, mais en même temps, surtout dans "le marin masqué", c'est très drôle... très ludique, joueur;

tous ces stéréotypes donnent le désir d'une parole pleine, assumée, responsable, engagée, où l'on s'engage...


à la fin de "le marin masqué"; il y a deux chansons, aznavour (la misère au soleil) que l'une n'aime pas, parce que c'est trop triste, et l'autre aime justement parce que c'est trop triste, et words don't come easy :




deux titres qui disent tout finalement; le désir de départ, voyage, loin de la misère des mots qui viennent trop facilement; là je pense à "vivre sa vie"; godard passe par un philosophe pour penser l'impossibilité à dire des mots à soi, là, c'est une chanson pop de la pire espèce, un truc gluant, plein, d'un horrible goût...




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Message par Invité Mar 10 Avr 2012 - 10:46

j'avais aussi remarqué le physique plutôt puissant des filles sauf la blonde Marion ;

et la très brune - d'origine asiatique ? - m'avait paru complétement idiote jusqu'à une bribe de phrase qu'elle prononce au détour d'une scène et qui peut raisonnablement laisser penser que SL a bien la maîtrise de ce qu'elle instille et distille.

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Message par Invité Mar 10 Avr 2012 - 11:23

"Connes" pas au sens d'idiotes, mais au sens d'un "vide" dont il n'est pas douteux que c'est le "mood" que Letourneur veut rendre.

Et en effet, difficile de ne pas remarquer le côté "amazones" de ces filles. Il y a toute une mise en scène du brouillage de la représentation des genres masculin/féminin: les mecs sont fluets, féminins, maniérés, au visage de chaton émacié, quasi-incorporels: entre le clone du chanteur Christophe Willem (le batteur), "Fritz" le végétarien, maigre et pâle comme un jour sans pain, "cricri" d'amour l'ex-ex fan de hong sang soo, qui ressemble à "Fritz" censé le remplacer, maigrichon et androgyne également, etc.
En contraste, les filles sont hypervirilisées, mastodontiques, cuisses puissantes, sauf la petite blonde donc (la cheftaine, celle qui les emmène à la campagne). Mais encore et surtout dans l'ethos social: elles ont tous les attributs traditionnellement dévolus aux mecs (qui, eux, sont connectés à "la nature" comme des elfes fluets, vaporeux ou évaporés): puissance physique, terrienne, grosse dégaine, picole, provoc, mauvais goût affiché, désérotisation, une certaine brutalité, grosses voix cassées, éraillées, à faire trembler les murs, on pisse dans la rue entre deux caisses avec jouissance et délectation, etc

C'est à mes yeux un film centré surtout sur l'indifférenciation des sexes en même temps qu'une certaine "désexualisation" (y a quasiment aucun motif "libidinal").

On remarque bien ceci, aussi: leurs "mecs", les filles du ranch en ont quasi rien à carrer. Ils sont juste là pour "meubler" provisoirement un vide, cet ennui latent. Ils sont choisis et/ou congédiés avec le même total "je m'en foutisme":
il y a le blond grassouillet du début, qui sert à rien, à part refiler des gâteaux, et qui se ramasse un coup dans les couilles, encore endormi dans son sac de couchage;
la blonde "à minerve" rencontre "Fritz" devant la boîte "le baron" (c'est elle qui le baptise ainsi, "Fritz", et tout au long de son affaire, elle s'en cogne éperdument de son vrai nom); après 10 secondes de conversation, et alors qu'il repart pour l'aéroport, ça devient son "grand amour". Elle le revoit une première fois (et le compte-rendu qu'elle en fait aux filles donne du gars l'image d'un castré aérien: le genre de mec "très propre sur lui", qui "peut te raconter ce qu'est un peuplier, un cèdre, trop mignon quoi". A la revoyure, 30 secondes suffisent pour qu'il soit devenu définitivement un "gros connard" auquel elle préfère l'autre "connard": son ex fan de films asiatiques "de merde" (dont elle a rien à carrer non plus).
Pareil pour la brune: on peut pas dire qu'elle s'entiche du blondinet qui l'invite à Berlin. Ce n'est, littéralement, pas une rencontre, juste une cause occasionnelle pour se tirer, et aller s'emmerder à Berlin (représentée comme le lieu où au moins on fait la fête tout le temps - comme à Paris, donc. La différence étant, selon le gars, qu'à Paris, on s'emmerde et il ne se passe rien. Mais à Berlin, il ne se passe rien non plus et on s'emmerde tout autant. C'est assez marrant, d'ailleurs).

Tout ceci, ce renversement des rôles (Masculin/Féminin), est assez comique, il faut le reconnaître. ça va de pair avec "l'état de connerie" permanent, qui n'est pas un état d'idiotie, mais la suspension de tout ce qui a traditionnellement de l'intérêt... Y compris pour le spectateur (auquel le film semble s'adresser aussi pour lui dire "va te faire foutre").


Dernière édition par jerzy P le Mar 10 Avr 2012 - 13:35, édité 2 fois

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Message par Borges Mar 10 Avr 2012 - 13:22



c'est tout de même génial;

la connerie est structurée comme un langage, celui de l'autre (bien entendu)

comme disait lacan, la psy ne peut rien contre la connerie

au fond c'est pas tellement ce que ces filles disent, on le dit tous plus ou moins, même si on n'accumule pas autant de tournures stéréotypées, en si peu de temps, en si peu de lignes, que la tonalité affective (blasée, désabusée, émoussée, lassée...) qu'elles donnent aux énoncés, qui rend malade, agace, ou fait rire, dans un second temps, celui que je dirais de la libération, même si je sais pas très bien de quoi il libère, peut-être du fait que ces filles n'accordent aucune place à celui qu'elles obligent à les écouter

(elles ne disent même pas va te faire foutre en fait, c'est implicite)

barthes disait qu'il règne dans toute société, un tas de langages, et "il est impossible qu'ils répondent tous à notre désir, à notre intellection (...) l'ennui, la vulgarité, la bêtise, sont les noms divers de la sécession des langages"

elles nous imposent une langue, idéale en un sens, que l'on ne parle pas, totalement, mais que l'on est forcé d'écouter jusqu'au bout; et dans cette écoute, y a quand même un désir, je crois; on ne peut pas ne pas désirer quelqu'un qui ne vous laisse aucun place dans son discours, on a envie d'y exister; la connerie ne dégoûte pas seulement, elle est aussi attractive;

ce qui nous éloigne du langage de ces filles, on l'appelle connerie, ici; mais c'est peut-être aussi la distance à laquelle, elles nous placent, nous mettent; on se sent sans intérêt; on ne les intéresse pas; elles ne nous parlent pas; au double sens de ce mot; elles n'ont pas besoin de nous;


la connerie, c'est le vide, mais un vide plein; un plénitude sans inquiétude; mais là, je suis ne décris pas justement le phénomène, comme je disais...elles sont à la fois inquiètes, à la recherche du marin masqué, et complètement indifférentes à son existence;



"la vie au ranch", c'est la nomination d'un désir, de même, et plus encore, sans doute, "le marin masqué"...

ces filles sont finalement hyper romantiques, trop romantiques...






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Message par Invité Mar 10 Avr 2012 - 13:42

Tout à fait, et ça se ressent par leur attirance pour ces mecs fluets, quasi-incorporels donc, pures "idées": des elfes, qui sont dans "l'art" (cinéma, photo, ou musak), du moins un certain "groove" arty pour le "lointain" (les films de hong sang soo, dont le type dit qu'il doit avoir 1000 fans à Paris, pas plus).

(Le bon gros à gâteaux, prosaïque, comme elles, ça peut être un pote, mais pas plus: il voudrait un câlin, "tu rêves, mec!".

Celui que j'appelle le clone de Christophe Willem, batteur qui fait pas le poids non plus parmi ces filles-hommasses, "pouliches" dégingandées aux cuisses amples, se met à beugler, sous le coup d'une inspiration-révélation subite: "Amelie Mauresmoo!" ).



A propos de musak: le groupe de musiciens, et leur chanson débile (mais en effet hyper-romantique), reprise en chœur par les nénettes lors du concert, une chanson encore plus merdique que la plus merdique chanson du groupe "kyo", mais qu'elles connaissent sur le bout des doigts: c'est assez à pisser de rire.

Pis quand elles improvisent leur chorégraphie sur la chanson de Julien Clerc ("ma préférence à moi").

Plus j'y pense, plus je trouve, en différé (après la sensation de torture), que c'est un film drôle.

Et oui, ces filles sont hyper-romantiques... Car leur trop grande adhérence à ce réel trop plein, pur en soi, cette plénitude leur révélant constamment le vide de l'existence, ne peut en aucun cas les satisfaire, doit être dépassé. Mais on sait pas, elles savent pas comment...
C'est assez sartrien, donc: il y a dans l'expérience de la facticité, de la nausée qu'elle suscite, l'indice de l'impossibilité de s'y tenir, l'obligation de la dépasser... Mais comment? Comment échapper à la nausée, au vomi, quand on est aussi plein et vide que ces filles, bourges à l'avenir tout tracé - futures cadres commerciales - qui s'intéressent absolument à rien.


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Message par Invité Mar 10 Avr 2012 - 15:09

je ne sais pas pourquoi leur discours expression d'un désir où nous ne sommes est, cinématographiquement, si troublant.

il y a quand même une façon d'embarquer sans détour, sans lui demander son avis fascinante.

c'est pour lui, pour nous spectateurs, la découverte d'un monde fascinant ! ( sans quasiment les codes habituellement en vigueur dans les films, et surtout politiques ).

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Message par Invité Mar 10 Avr 2012 - 18:18

une façon fascinante... découverte d'un monde fascinant, oui bon, faut pas pousser, non plus... J'ai connu des façons et des mondes plus fascinants. Cinématographiquement, s'entend. lol

Pour le reste, c'est pas un monde qui me surprend des masses: j'ai côtoyé ce genre de truc. Juste assez pour prendre mes jambes à mon cou.

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Message par Invité Mar 10 Avr 2012 - 21:03

fascinant au sens où même avec l'envie de ficher le camp on reste devant ;
si j'ai bien compris il nous est arrivé la même chose à Borges et moi.

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Message par Invité Mar 10 Avr 2012 - 21:55

Ben, je suis resté devant, et jusqu'à la la fin, puisque je fais ma chronique plus haut. Intéressé, par contre pas fasciné. Et je ne pense pas que ce film restera gravé dans ma mémoire comme une expérience décisive. Il est possible que je l'enlève du disque dur secondaire (celui que je connecte au hdd multimédia pour la téloche), pour faire de la place à d'autres chefs d’œuvre. Au prix du Giga. Qui a doublé en un an, en plus. Wink

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Message par balthazar claes Jeu 27 Sep 2012 - 13:21

Les féministes radicales s'interrogent régulièrement sur la possibilité même qu'un homme puisse de quelque façon que ce soit jouer un rôle dans leur mouvement d'émancipation. Question fort logique qui permet de mettre en relief l'irréductible différence entre l'exploiteur et l'exploité, leur irréconciliabilité de fait sur le plan de cette exploitation. Voir par exemple Julie Delphy.

http://lmsi.net/La-non-mixite-une-necessite
http://lmsi.net/Nos-amis-et-nous

Il serait sans doute préférable, donc, si La Vie au ranch est un film féministe, qu'un critique homme ne vienne pas se mêler d'expliquer de quoi il s'agit, ou d'affirmer qu'il a compris l'oeuvre et soutient pleinement la démarche. Au mieux, il pourrait humblement reconnaître ce qu'il ne comprend pas, ce qui lui échappe, ce qui le laisse à la porte du film.

Prenons un film d'homme sur le féminisme, l'Anatomie d'un rapport de Luc Moullet. Le film raconte les problèmes de couple de son personnage autofictif, confronté à la prise de conscience féministe de sa compagne. L'homme, en tant qu'intellectuel de gauche, veut bien sympathiser avec n'importe quelle contestation de l'ordre patriarcal, mais pas jusqu'au point de voir sa vie sexuelle réduite à néant par la radicalisation de sa compagne. Il est au moins honnête là-dessus ; mais il ne peut s'empêcher, dans le même temps, de réduire la position des féministes à un vague mal-être existentiel se traduisant par une crise de verbalisme, pour conclure sur une certaine impasse des revendications féministes. En ceci il ressemble au Nanni Moretti qui narre les impasses des mouvements gauchistes. Il y a de l'inégalité, on peut en parler, sacrifier ce qu'on veut à la question, mais il faut bien revenir un jour à la réalité de la fondamentale dissymétrie des rapports sexuels.

Ce qui étonne dans ce film c'est la différence de potentiel érotique entre les deux membres du couple. Moullet, avec sa voix bizarrement monotone, son corps raide et maladroit d'intellectuel un peu autiste, est la dernière personne qu'on ait envie de regarder se livrer à des activités érotiques. Celle qui joue sa compagne est une jeune fille agréable, elle sait comment bouger et comment parler avec grâce, elle n'est pas assortie à ce vilain petit canard binoclard. Toute la sensualité est de son côté à elle, et c'est elle qui ne veut plus faire l'amour : c'est très normal, pourquoi voudrait-elle se livrer à la concupiscence d'un homme dépourvu de sensualité ? Mais non : la seule chose que son personnage ne remet pas en question, c'est d'avoir une relation avec cet homme en particulier. Ce qui lui arrive se résume alors à une espèce de dépression floue et poétique, un dégoût du réel en général, avec lequel elle se voit contrainte de passer de ternes compromis.

A la fin le film bascule sur un mode métafilmique, la véritable épouse de Moullet surgit dans le champ et se met à débattre avec les deux autres sur le sens du film. Moullet insiste avec complaisance sur la jalousie à peine voilée de sa femme, qui a dû assister hors-champ depuis le début au batifolage de Moullet et d'une actrice plus jeune qu'elle. Alors que le discours explicite du film conclut sur une impossibilité de conclure la question, c'est bien cette apparition intempestive de la femme réelle dans la fiction qui se charge de poser comme argument définitif le fait que les femmes sont dépendantes des hommes et vouées à désirer s'assurer la possession d'un homme, de n'importe quelle manière, le reste n'étant que fiction. S'éclaire rétrospectivement, et à l'insu de l'auteur a-t-on envie de supposer, le fait que tout le film reposait sur le simple malentendu d'un couple dépareillé. De la classique prétention mâle en fin de compte.

La Vie au ranch pose de manière beaucoup plus franche la possibilité d'un monde sans hommes. C'est aussi qu'il est fait par une femme. A propos de Jacques Rozier à qui on la comparait, Sophie Letourneur disait dans une interview que même si elle apprécie Du Côté d'Orouët, elle y voit tout de même la manière dont un homme filme des femmes en y mettant ses propres fantasmes. On a fait remarquer plus haut que les paroles dans le film ressemblaient à du bruit blanc, composé d'une enfilade d'expressions stéréotypées, de gloussements et de cris hystériques. Ce qui est dit peut être qualifié de "con", comme vous l'avez écrit. Les actes chaotiques des personnages, consistant à faire n'importe quoi, picoler, traîner, mener une vie déréglée et privée de but, c'est ce qu'on appelle aussi "déconner", délirer. Il ne s'agit pas du tout pour ces filles d'imiter le comportement viril mais de sortir du sillon tout tracé que l'ordre dominant leur impose. Ces filles qui boivent et fument sans relâche, qui bondissent et glapissent et se complaisent dans une idiotie festive de groupe, formant une communauté de corps juvéniles interchangeables, dégoulinante d'humeurs et de sueur, c'est une manière de fuir la programmation patriarcale qui souhaiterait des filles propres et passives, attendant consciencieusement le mâle dans leurs petites chambres roses.

La communauté sauvage et débridée qu'elles forment, cette vague punk attitude sans revendications, cette triomphante immaturité, sont aussi la prise en compte du corps féminin, son droit à exister autrement que comme objet appartenant à la libido masculine. C'est bien parce que l'ambition politique affichée de ces jeunes filles est de zéro que leur féminisme "inné" éclate au grand jour ; non comme position théorique mais comme mouvement directement jailli du corps aliéné. Elles se tiennent certes apparemment en-deça de la prise de conscience féministe, mais donner à voir leurs danses et leurs cris fonctionne comme une démonstration de la nécessité du féminisme. Car même si elles ne sont rien d'autre qu'elles-mêmes, une bande de pouffes rigolotes et décomplexées, ce qui est donné à voir c'est d'abord qu'elles ne manquent de rien. L'envie du pénis est le dernier de leurs soucis. Le chanteur minet du groupe est-il le Dionysos de ces Bacchantes ? Il en est plutôt la parodie, le leurre, il n'a aucune importance. Les mecs, réduits à de vagues prétextes pour déménager, voyager ou tuer le temps.

C'est un film tonique et joyeux, un portrait d'après nature. Peut-être n'est-il pas exactement un film radicalement féministe, puisqu'il ne m'a pas entièrement rejeté à sa porte. Un film qui tolère la présence des hommes, comme celle du lourdaud qui traîne sur leur canapé au début du film, mais à la condition que sa concupiscence virile soit considérée comme nulle et non avenue, et lui réduit au rang d'ours en peluche parlant. Ou celle des autres types, maigrelets éthérés qui ont au moins l'avantage de ne s'intéresser qu'à leurs petites affaires, cinéma coréen ou nature&découvertes. Ou encore les gentils paysans très vieux qui les contemplent poliment vers la fin.

Et c'est parce qu'elles ne sont peut-être pas encore féministes que le critique masculin peut se permettre encore de la ramener et de les accabler d'un lamentable conseil paternaliste, « hé – vous devriez moins picoler et prendre conscience des conditions de votre aliénation » avant de battre en retraite sous les huées et les lazzis.


balthazar claes

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Message par Invité Jeu 27 Sep 2012 - 16:08

balthazar claes a écrit: Ce qui lui arrive se résume alors à une espèce de dépression floue et poétique, un dégoût du réel en général, avec lequel elle se voit contrainte de passer de ternes compromis.




Pas vraiment, le film est assez explicite sur l'avortement par exemple. Ce n'est pas une coupure océanique
La phrase qui m'a marqué c'est quand elle résume sa vie de couple et leur sexualité à "...tu m'as montré ce que tu savais faire, rien de plus...."
Ce qui est beau, c'est qu'au début, elle revient d'une longue absence, sans que l'on sache d'où...(peut-être un écho à un voyage aux USA que l'actrice Rachel Kesterber, qui l'a mis en présence du féminisme).

Il y a une interview intéressante d'elle:

http://www.kinok.com/index.php?option=com_content&view=article&id=392&Itemid=83

je serais curieux de voir son film "la Chambre Obscure".

Sinon je pense pas que la problématique de Moullet et Antonietta Pizzorna (aussi réalisatrice au mêm titre que Moullet ) soit un monde sans homme. Il y a une scène assez précise sur une réunion de femmes où quelque chose d'absurde ce passe sans que l'on sache quoi et l'actrice part, un malaise devant l’homogénéité du groupe (Moullet et Pizzorna me paraissent lucides sur le fait que le verbalisme idéologique n'est à lui seul le support d'aucune relation, d'aucun partage réel, et qu'une politique émancipatrice ne fonctionne pas par soustraction. Je pense que cela ressort dans le côté finalement "centrisme républicain" de Kesterber quand elle exprime directement sur la politique dans l'interview)


Dernière édition par Tony le Mort le Jeu 27 Sep 2012 - 16:19, édité 3 fois

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Message par Invité Jeu 27 Sep 2012 - 16:12

Voir par exemple Julie Delphy.

Y a Julie Delpy et Christine Delphy.

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Message par Invité Jeu 27 Sep 2012 - 16:17

Balthazar:

en fait pour postuler que l" Vie au Ranch" est une étape dans le féminisme même paradoxale (car post-politique, et post-idéologique), tu es obligé de voir dans "Anatomie d'un rapport" une naïveté que le film ne contient déjà plus.

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Message par Invité Jeu 27 Sep 2012 - 17:14

C'est un texte intéressant, BC.


La communauté sauvage et débridée qu'elles forment, cette vague punk attitude sans revendications, cette triomphante immaturité, sont aussi la prise en compte du corps féminin, son droit à exister autrement que comme objet appartenant à la libido masculine. C'est bien parce que l'ambition politique affichée de ces jeunes filles est de zéro que leur féminisme "inné" éclate au grand jour ; non comme position théorique mais comme mouvement directement jailli du corps aliéné. Elles se tiennent certes apparemment en-deça de la prise de conscience féministe, mais donner à voir leurs danses et leurs cris fonctionne comme une démonstration de la nécessité du féminisme. Car même si elles ne sont rien d'autre qu'elles-mêmes, une bande de pouffes rigolotes et décomplexées, ce qui est donné à voir c'est d'abord qu'elles ne manquent de rien. L'envie du pénis est le dernier de leurs soucis. Le chanteur minet du groupe est-il le Dionysos de ces Bacchantes ? Il en est plutôt la parodie, le leurre, il n'a aucune importance. Les mecs, réduits à de vagues prétextes pour déménager, voyager ou tuer le temps.

C'est un film tonique et joyeux, un portrait d'après nature. Peut-être n'est-il pas exactement un film radicalement féministe, puisqu'il ne m'a pas entièrement rejeté à sa porte. Un film qui tolère la présence des hommes, comme celle du lourdaud qui traîne sur leur canapé au début du film, mais à la condition que sa concupiscence virile soit considérée comme nulle et non avenue, et lui réduit au rang d'ours en peluche parlant. Ou celle des autres types, maigrelets éthérés qui ont au moins l'avantage de ne s'intéresser qu'à leurs petites affaires, cinéma coréen ou nature&découvertes. Ou encore les gentils paysans très vieux qui les contemplent poliment vers la fin.

Et c'est parce qu'elles ne sont peut-être pas encore féministes que le critique masculin peut se permettre encore de la ramener et de les accabler d'un lamentable conseil paternaliste, « hé – vous devriez moins picoler et prendre conscience des conditions de votre aliénation » avant de battre en retraite sous les huées et les lazzis.

Il est cependant permis de s'interroger sur une survalorisation éventuelle, dans ton analyse, de cette dimension "féministe" "sans revendication", mode d'exister hors-champ social d'un groupe de filles "in abstracto" qui ne manquent de rien, hommes compris.
Il y a de ça, bien sûr, mais ça me semble pas tellement central. J'avais parlé d'indifférenciation des sexes, ou plutôt des genres, dans une figure comique de renversement des codages, plutôt que de monde de filles. Car ce qui m'avait tout autant frappé, c'est que les mecs sont aussi vides et inexistants qu'elles: d'une autre manière, rejoignant une figure stéréotypée du "féminin" en même temps qu'en symétrie inversée, les filles rejoignent quant à elles une figure stéréotypée du "masculin".

Mais au delà de cette "problématique" des genres, on ne peut quand-même pas faire abstraction d'une donnée présente dans le film: l'appartenance des filles et des mecs de cet agrégat à une couche socio-économique assez déterminée de bourgeois aisés appelés à devenir des cadres d'entreprise, des winneurs, des décideurs. Le trip "musique, cinéma asiatique, écologie, nature" des mecs présente une symétrie complémentaire, plutôt qu'antagoniste, avec la brutalité sèche et urbaine des filles: c'est dans cet alliage de tempéraments et de genres, fussent-il une permutation des identités traditionnelles de sexe ou de genre (selon telle théorie "féministe" qui isole un peu abstraitement la dimension de l'identité sexuelle ou générique des autres dimensions), que se fomente la donne d'un monde bien codé, celui-là, où les Places se mesurent moins en termes d'hommes ou des femmes qu'en termes d'efficacité de compétences complémentaires dans la grande ruche écosystémique de l'entreprise.

La déconnade générale, "sans revendication", à mieux y regarder, n'a rien de "punk", n'est pas une révolte contre cet avenir tracé, le signe d'un refus d'intégrer un certain régime de l'entreprise, mais plutôt une préparation à cela. Les études sont présentes-absentes dans le Ranch: elles semblent absentes parce que l'ambiance est au je m'en foutisme, mais en même temps bien présentes, car ce je m'en foutisme "décontracté" - au sein d'une communauté de happy few autarciques - n'en est pas moins une condition de la bonne efficacité décontractée du nouveau régime de l'entreprise, sous le signe du fun et de l'absence d'état d'âme "politique".
La scène où une des filles expose, dans le brouhaha général, son très efficace plan de carrière, parfaitement planifié, d'une efficacité scientifique, même, ayant intégré toutes les conditions d'un bon profilage, ce n'est pas un moment qui fait tache dans l'ambiance de relâche apparemment sans fin: non, c'est inclus dans le trip même, et personne ne songe à s'en gausser où à le contester. Tous et toutes sont bien dans cette logique. Sous le désordre et la plage, les pavés.

Il y a certes la fille qui se barre à Berlin, mais je vois plutôt, même dans ce trip, la même tonalité que la tonalité générale: une étape formative, trangressive, un passage par le dégoût, le vomi, une station dans une trajectoire tracée d'avance de futurs cadres.
Comme ces rites estudiantins de passage des HEC, grand carnaval de beuverie interminable, où l'on goûte un moment délimité d'irresponsabilité totale qui est à la mesure des responsabilités qu'on s'apprête à embrasser. Également comme ces interminables bacchantes "after hours" des cadres commerciaux aliénés, au Japon par exemple, où l'on se défoule très "punkement", y compris sur la figure du Boss. Moments d'anarchie prévus, planifiés, organisés par l'entreprise elle-même, comme espace-temps "détente" autorisant une bonne efficacité et un bon investissement du cadre dans l'espace-temps "travail".

J'ai vu ça, bien plus qu'un mode d'existence festif vaguement "punk" placé sous la bannière d'un "No future".

En cela, le film est peut-être "tonique" et "joyeux", si on veut, pour cette tranche socio-économiquement située de privilégiés, en tant que portrait d'après nature non tant d'une situation abstraitement située du "feminin" ou de sa "délibidinisation", considérés pour eux-mêmes, indépendamment de ce cadre socio-économique, mais d'un groupe délimité de filles et garçons saisis dans un moment formatif. Et encore, "tonique", "joyeux", ça dépend du point du vue adopté. On a aussi souligné, à juste titre, qu'à proportion même de l'évacuation dans un "hors-champ" (le ranch étant le champ) de l'intrusion du négatif, de la fêlure, de la souffrance, de la mort, ce "hors-champ" n'en est que plus présent, travaillant dans le champ même et l'inquiétant, pour les personnages comme pour le spectateur...

Ce groupe n'est certainement pas celui des futurs laissés pour compte du système, mais plutôt d'une jeunesse dorée savourant, jusqu'au dégoût, la perte et l'oubli de soi, l'irresponsabilité anarchique qui précède généralement, et la prépare, l'intégration professionnelle dans un monde de responsabilité et de hiérarchie.

On est donc, indépendamment des questions des rôles assignés au "masculin" et du "féminin", assez loin de la "vacance" d'un Rozier, où les codes sociaux semblent provisoirement suspendus, dérivant sur une ligne d'horizon flottante. Mais je pense aussi que la dimension socio-critique, que je soulève, est assumée, révélée par le film lui-même.


Dernière édition par Baudouin II de Barvaux le Jeu 27 Sep 2012 - 19:15, édité 13 fois

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Message par Invité Jeu 27 Sep 2012 - 17:16

Letourneur a une interview dans les cahiers de septembre.

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Message par Invité Jeu 27 Sep 2012 - 17:35

Ce "centrisme républicain" pour signifier "émancipation non-soustractive" me fait chier parce que ce n'était pas cela au point de départ.

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