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The Grey / Le territoire des loups (Carnahan) : il faut bien mourir

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Message par Eyquem Dim 18 Mar 2012 - 17:26

The Grey / Le territoire des loups (Carnahan) : il faut bien mourir The-Grey-8-007

- - - GARE AUX SPOILERS - - - - - - - -

Salut Erwan,
Erwan a écrit:(?)
je suis allé prendre le pouls de Joe Carnahan. Narc m'avait laissé une impression _ une impression, qu'il aurait fallu que je ré-étayes d'une re-vision; puis il y a eu Mi$e à prix et l'Agence tous risques, deux buddy actionners, faussement décomplexés, très formatés, très découpés, un peu crétins, comme il se doit, comme il se donne, aux studios.
the grey, renommé le territoire des loups dans l'hexagone, parle d'un groupe travaillant pour une société construisant un oléoduc en Alaska. Un avion les transportant je ne sais où (plan sur l'extérieur du cockpit obstrué de neige) s'écrase sur le territoire d'une meute de loups affamés ,fantasmés, mais très visibles; et les survivants, menés par un chasseur interprété par Liam Neeson, commencent à envoyer des signaux de fumée au spectateur, à travers leur fuite, éperdue donc, sans repères, à lui faire comprendre que la neige, c'est l'équivalent du sable du marchand qui s'infiltre dans les tenues des GI's, là bas, au moyen orient, un contexte fantasmé, condensé sous la forme d'un conte réaliste, à l'usage de la communauté.

Le début est assez étonnant, comme si Hollywood, par le biais de Carnahan, essayait d'absorber la forme que Malick a inventé dans ses derniers films, ici un appel au passé _qui s'entremêle avec le présent, dans le froid, entre les flocons digitaux _, entre nostalgie (un enfant dans les bras d'un père, couleur sépia, les cheveux longs d'une fillette sur le visage d'un autre etc...), morbidité, irréductibilité de la perte, et moteur de l'action, du pas suivant sur le chemin de l'épuisement, du désespoir.
Carnahan privilégie les gros plan sur les visages, plans large sur des figures esseulées, l'image est contrastée, bougée, comme prise sur le vif, la rare lumière éblouissante, les corps alourdis; le découpage est rapide à contrario de ce que l'on attendrait dans un tel décor, c'est une film d'action tout de même, ou il fait mine de l'être, perd beaucoup d'énergie, d'originalité à l'être; ce n'est pas la tente rouge de Kalatazov.
La femme que le personnage de Neeson a perdue (on ne sait pas de quelle manière au commencement), qui l'étreint et le caresse avec la tendresse d'une mère pour un enfant, c'est en quelque sorte un idéal, échoué sur le théâtre de la guerre, un idéal dont les survivants du crash admettent un à un la disparition (un à un, ils meurent, et ceux qui restent ramassent leurs porte-feuilles, leurs porte-souvenirs, comme s'il s'agissait de dog-tag de soldats tués au combat).
Comment reconstituer cet idéal, ce paradis perdu? Posée est la question de la foi, par l'un des survivants, un croyant, souffrant de vertige, qui est attristé par le matérialisme hanté de deux de ses compères, parmi lesquels Neeson, qui ne croit que dans ce qui l'entoure, l'air dans ses poumons, les loups qui les encerclent.
Pourtant, quand seul, agenouillé, il contemple les photos de ses camarades tombés, il ne peut réprimé des larmes, et ses mains se joignent en une pose de prière (Auparavant son visage aura été mangé par le soleil, évoquant des images panthéistes (?) de tree of life). C'est à ce moment là qu'il se rend compte que son périple, sa fuite, l'a mené dans la tanière même des loups, que la clémence qu'il pouvait espérer, pour lui ou pour les autres, dans la croyance, la religion, se révèle être sa descente au tombeau.
Alors bien sûr, il faudrait parler des loups, des monstres au pelage noir ou gris, aux yeux flambants; de ce qu'il représentent de l'adversité, de l'autre; les survivants en bouffent un à un moment donné. Je sais pas, relire peut-être le topic initié par Borges, à propos d'un texte de Kafka?

Je suis allé voir ça, puisque tu en disais du bien, et puis j'adorais le titre, le double titre : The Grey / Le Territoire des Loups. J'ai parié qu'avec un tel titre, le film ne pouvait pas être totalement mauvais, qu'au moins sur un plan, il m'intéresserait.
J'ai vu aucun des précédents films de Carnahan : L'Agence tous risques, j'avoue que ça n'éveille rien en moi, alors que les loups, si : je me disais qu'il faut vraiment être le plus nul des cinéastes pour rater un film avec des loups. Les loups sont cinégéniques, c'est comme ça : c'est comme les voitures, ou les trains, ou la pluie, on dirait que le cinéma a été inventé pour les filmer.

The Grey / Le territoire des loups (Carnahan) : il faut bien mourir The-Grey-6-007

Très cinégénique aussi, la neige : la neige poudroie à l'écran, elle tend à effacer ce qu'on voit, c'est comme si l'image devait lutter pour rendre visible ce qu'elle filme. Ca crée nécessairement une dynamique.
Bref, le film mettait plusieurs atouts de son côté, semblait-il. J'ai pas été déçu : comme film d'action, c'est efficace. J'ai eu peur plusieurs fois, et ça, ça ne se néglige pas. C'est une qualité. On n'a pas le sentiment d'avoir perdu son temps devant un film quand au moins, on a eu un peu peur.
Derrière moi, il y avait un type : "Totalement bidon ce film", qu'il s'est exclamé quand le générique de fin a commencé. Je l'ai trouvé injuste. Il a sans doute raison sur un plan, mais pas sur tous les plans. Il y a au moins un plan sur lequel le film est intéressant.

Je regardais les critiques des imdb users : le reproche qui revient le plus souvent, c'est que le film n'est pas "réaliste" : quand on se crashe en avion, on s'enfuit pas vers la forêt, on reste sur place en attendant les secours ; quand on est attaqué par des loups, on se barricade dans un camp retranché, fait avec les moyens du bord, par exemple, les fauteuils, la carcasse de l'avion explosé, si vous vous retrouvez dans le cas d'une attaque de loups après un crash d'avion. Etc. Ma parole, y a des gens, ils pensent à tout. Ils savent toujours ce qu'il faut faire, en toute occasion. Ils s'endorment pas le soir, dans leur lit, sans se repasser les meilleures pages du manuel de survie à un crash d'avion en territoire hostile. Et ils ont raison au fond, on sait jamais, quoique la probabilité soit quand même faible, quand on vit à proximité de l’UGC Ciné Cité Bercy.

Le problème de ces critiques, c’est pas qu’elles soient pas fondées. Elles le sont, certainement. C’est vrai que le film exige de son spectateur qu’il avale quelques couleuvres, si on se place sur le plan du « réalisme », de la vraisemblance. Mais j’ai jamais trouvé que c’était une question importante, la question de la vraisemblance. Quand on juge qu’un film est vraisemblable, ça veut seulement dire qu’il ressemble à ce qu’on connaît, que les personnages se comportent « comme il faut », comme on pense qu’on doit se comporter dans telle ou telle situation, selon un système de valeurs préétabli, qui est extérieur au film. Or on peut pas simplement attendre d’un film qu’il ressemble à ce qu’on connaît ; on attend même plutôt le contraire, sans quoi, à quoi bon ? Le problème n’est jamais celui de la vraisemblance ; le problème, c’est toujours : quelle est l’idée du film, sa fin, son telos ?

C’est l’autre problème de ces critiques des imdb users : elles partent d’une définition du genre du survival. Le survival ai-je lu, c’est d’abord un principe de jeu vidéo « dans lequel le joueur doit survivre dans un environnement hostile et angoissant peuplé de monstres » - principe ensuite étendu à tout un tas de films d’action / d’horreur, si bien qu’on trouvera sur les sites des listes très différentes des meilleurs survival movies, les unes comptant La colline a des yeux et La nuit des morts-vivants, les autres Meek’s Cutoff et Les chemins de la liberté. Bon, on n’est pas très avancé.
Quoi qu’il en soit, si on définit le film comme un survival, on est forcément déçu, vu que tout le monde meurt. A partir de cette attente déçue, on peut se moquer, et dire que les personnages auraient dû faire ci ou ça, pour tenter de survivre, d’une manière réaliste et vraisemblable.
Mais le problème du film, ce n’est pas du tout la survie, justement. Comme tu dis, Erwan, c’est une descente au tombeau. Au lieu de prendre le film de haut en criant à l’invraisemblance, on devrait plutôt s’étonner de ce que les simples questions de survie y tiennent si peu de place : c’est comme si la question de savoir comment les personnages allaient combattre le froid, la faim, n’avait pas tellement d’importance. On les voit effectivement tuer et manger un loup, mais c’est plus dans une stratégie de combat, de lutte symbolique (montrer aux loups qui sont les maîtres du territoire) que pour la simple nécessité de se nourrir.

Ce qui m’a surpris, dans le cheminement du film à travers la forêt, les plaines désertiques de l’Alaska, c’est que justement, les personnages, progressivement, ne se posent plus la question de leur survie : la question cruciale devient le choix de la bonne mort, du bien mourir. « Il faut bien mourir » : ça pourrait être la phrase d’accroche sur l’affiche, prise dans ses deux sens.

Il faut bien mourir. Mourir, il le faut bien, par nécessité – mais bien mourir, voilà ce qu’il faut. C’est la question lancinante du film, l’objet de toutes les scènes, depuis celles du début, jusqu’à l’affrontement final. Tout le film n’est lui-même qu’une parenthèse entre un suicide, différé, et la mort affrontée en combat singulier ; tout le film décrit le passage de l’un à l’autre : de la mort, subie de l’extérieur, à la mort affrontée, dépassée, au terme d’une marche, d’un cheminement intérieur.

(la scène du suicide surprend, en début de film. C’est pas courant – quoique, en y repensant, c’est aussi une des figures du film d’action : le héros loser au début, alcoolique, paumé et tout, qu’une petite cure d’action héroïque remettra sur pied – je pense à Die Hard, par exemple. Passons. Au moment où Ottway pointe le fusil sur lui, il entend résonner le cri du loup au loin. Apparemment, c’est ce qui le retient de se tuer. J’ai craint, à ce moment-là, que ce cri au loin soit cet « appel de la forêt » dont parlait Jack London : « the call of the wild », l’appel sauvage, l’appel à une vie supérieure, plus sauvage, un retour à une vie « naturelle » qui sauverait le personnage de son désespoir, de son goût morbide ; on en a vu tant, de ces films « régressifs ». Mais ce n’est pas du tout ainsi que la suite éclairera cette étrange scène de l’appel : ce n’est pas un film où Liam Neeson deviendra loup lui-même, pour survivre. C’est un appel de la mort, ce qui est plutôt curieux, vu que le personnage est déjà en train de se tuer. Est-ce qu’on ne dit pas des loups qu’ils hurlent à la mort ? C’est comme si, au moment de se tuer, le personnage était appelé à une autre mort. Etrange, mais c’est le chemin du film : d’une mort à une autre, une qui serait mauvaise et l’autre qui serait la bonne.)

C’est donc un tort de regarder le film comme un survival – vu que tout le monde doit bien mourir à la fin. Le film se lit mieux, se reçoit mieux, si on le regarde comme un conte : un conte à la Hemingway :
« Mais l’homme ne doit jamais s’avouer vaincu, dit-il. Un homme, ça peut être détruit, mais pas vaincu. […]
« Et maintenant qu’est-ce que tu vas faire si ils s’amènent dans le noir, hein ? Qu’est-ce que tu peux bien faire ?
- Les chasser, dit-il. Je me battrai contre eux jusqu’à la mort. »
(Le vieil homme et la mer)

Ou un conte oriental. Dans son fond, The Grey rappelle ce conte très connu je crois, sous une forme ou une autre de ses nombreuses versions :

Un matin, le khalife vit accourir son premier vizir dans un état de vive agitation, qui lui dit :
- Je t'en supplie, laisse-moi quitter la ville aujourd'hui même.
- Pourquoi ?
- Ce matin, en traversant la place pour venir au palais, je me suis senti heurté à l'épaule. Je me suis retourné et j’ai vu la mort qui me regardait fixement.
- La mort ?
- Oui, la mort. Je l'ai bien reconnue, toute drapée de noir avec une écharpe rouge. Elle est
ici, et elle me regardait pour me faire peur. Car elle me cherche, j'en suis sûr. Laisse-moi quitter la ville à l'instant même. Je prendrai mon meilleur cheval et je peux arriver ce soir à Samarkand.

Le khalife, qui avait de l'affection pour son vizir, le laissa partir en direction de Samarkand.
Un moment plus tard, le khalife, qu'une pensée secrète tourmentait, décida de se déguiser,
comme il le faisait quelquefois, et de sortir de son palais. Tout seul, il se rendit sur la grande
place du marché, il chercha la mort des yeux et il l'aperçut, il la reconnut.
Le khalife se dirigea vers la mort. Celle-ci le reconnut immédiatement, malgré son déguisement,
et s'inclina en signe de respect.
- J'ai une question à te poser, lui dit le khalife, à voix basse.
- Je t'écoute.
- Mon premier vizir est un homme encore jeune, en pleine santé, efficace et honnête. Pourquoi ce matin, alors qu'il venait au palais, l'as-tu heurté et effrayé ? Pourquoi l'as-tu regardé d'un air menaçant ?
La mort parut légèrement surprise :
- Je ne voulais pas l'effrayer. Je ne l'ai pas regardé d'un air menaçant. Simplement, quand
nous nous sommes heurtés, par hasard, dans la foule et que je l'ai reconnu, je n'ai pas pu
cacher mon étonnement, qu'il a dû prendre pour une menace.
- Pourquoi cet étonnement ? demanda le khalife.
- Parce que, répondit la mort, je ne m'attendais pas à le voir ici. J'ai rendez-vous avec lui
ce soir, à Samarkand.

Le fait qu’à la fin, dans le dernier plan, Liam Neeson se retrouve dans la tanière des loups, le lieu même dont, depuis le début, les survivants du crash tentent de s’éloigner, c’est un moment très fort, qui donne au film son sens, son orientation. Celui-ci avait déjà commencé à prendre une tout autre tournure que celle d’un survival, à partir de la très belle scène avec Diaz, à bout de forces, abandonnant ce qui reste du groupe pour choisir le lieu de sa mort, au bord d’une rivière, au pied des montagnes.
(Diaz, c’est un beau personnage ; d’une manière générale, le film ne se fout pas de ses personnages, comme c’est si souvent le cas dans ces films de groupe attaqué par je ne sais quels monstres, zombies ou autres, et dégommé les uns après les autres, sans que ça nous fasse quoi que ce soit.)


Une autre piste à suivre, dis-tu, c’est cette nostalgie pour ce qui a été perdu, la piste malickienne dont tu parles. Le film est loin d’être aussi riche que La ligne rouge, le Malick auquel on peut peut-être penser ici. Ce qui est perdu se réduit trop souvent dans The Grey à quelques chromos familiaux (l’épouse perdue, les bons souvenirs de famille avec les enfants). Le film tente sans doute quelques « effets malickiens », voix off, surgissement de réminiscences dans la trame du présent ; ça reste des effets de manche ici : par exemple, l’irruption de l’image-souvenir de la femme aimée est surtout utilisée comme un moyen de masquer l’irruption du danger dans le présent des personnages ; c’est une habileté de montage pour créer du suspense, de la surprise, dans le jeu des actions ; rien à voir, donc, avec ce que Malick en fait. En un sens, le « Gris » du titre nous éloigne à mille milles du « Shining » de Malick. Malick, cinéaste de la lumière, de la gloire, de ce qui resplendit, est on ne peut plus éloigné de cette idée de « gris », qui donne au film son titre et son atmosphère (gris du brouillard, de la neige tombant sur de la neige : gris sur gris).

The Grey / Le territoire des loups (Carnahan) : il faut bien mourir The-Grey-2012-Movie-Image

Une des forces de la dernière scène est aussi de faire jaillir un loup tout noir de cette grisaille toute grise qui domine une bonne partie du film. Le loup qu’affronte Ottway (L Neeson) à la fin, le mâle alpha, est un loup noir : il fait peur sans doute, mais il a au moins le mérite de faire jaillir du gris de l’indéfini quelque chose de déterminé, de net, le noir de quelque chose qu’on peut affronter, au lieu du gris où on se perd, où on ne fait que fuir.


C’est quoi, d’ailleurs, le gris du titre, « the grey » ? Evidemment, c’est le gris des loups, mais c’est surtout, à mon avis, le gris du ciel : ce qui est gris, dans le film, c’est le ciel vide vers lequel se tourne Liam Neeson pour tenter une prière qui reste sans réponse. La mort est quelque chose qui s’affronte ici dans une solitude sans recours. Du moins, à ce qu’il semble. Tu as raison, Erwan, de noter que l’athéisme professé par le film se complique, à la fin, d’un réseau de signes religieux : les mains jointes au-dessus du petit cairn de portefeuilles est le signe le plus évident. Dès la scène du crash, Ottway nous est apparu, moins comme le héros qui va sauver tout le monde, que comme le prêtre capable d'accompagner les autres vers leur mort, pour qu'ils meurent en paix. Le parcours même du film semble attester que toute cette aventure, cette dérive, est en vérité guidée, orientée par une volonté supérieure, invisible, indéchiffrable : comment comprendre, sinon, que le personnage finisse dans la tanière même du loup qu’il cherchait à fuir à tout prix ? Quel sens donner à ce chemin ? C’est comme si les personnages, loin de dériver, de se perdre, opéraient une remontée vers quelque origine, vers quelque chose d’essentiel – la dérive, l’errance sans but ni fin, étant la forme même que semble devoir prendre cette quête qui ne sait pas ce qu’elle cherche, ou qui cherche son principe, qui cherche ce qui la fait errer, aller sans but.
Ce qui rend la scène plus riche, plus belle, si on aime les mots, c’est encore le nom que cette fin se donne en anglais : la tanière, c’est « the den ». Difficile de ne pas y lire l’anagramme de « the end »…




Qu’est-ce qui survit, alors, puisque tout le monde meurt ?
Le film est pris entre deux morts (un suicide différé, un combat singulier), entre deux souvenirs (la femme aimée, le père) et entre deux textes : une lettre qu’Ottway a écrite à la femme qu’il a perdue on ne sait comment, et un poème écrit par son père, qu’il se répète comme un mantra, sans bien le comprendre, dit-il, sans le comprendre entièrement, pleinement, vraiment :

Once more into the fray
Into the last good fight I'll ever know
Live and die on this day
Live and die on this day


Laisser une trace, devenir cette trace : il ne reste d'Ottway que la lettre qu’il a écrite, jetée, avant de la reprendre, pour la conserver, se souvenir, puis la laisser à la fin comme la seule trace de son passage ; et il meurt au moment où sa vie se confond avec le poème écrit par son père, appris par coeur, récité mille fois, incompris, et seulement compris à la fin, face au loup noir.
Il y aurait donc, un double mouvement dans le film : celui d’une errance grise, d’une errance dans le gris, orientée par et vers la noire mort, à affronter ; et celui d’un déchiffrement de l’écrit, par lequel des mots noirs se détachent pleinement de leur fond blanc, pour dire tout ce qu’ils ont à dire. Si la fin est belle, c’est parce qu’elle signe leur double rencontre : c’est en même temps qu’Ottway rencontre le sens du poème et sa propre mort.


Eyquem
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Message par Eyquem Dim 18 Mar 2012 - 20:30

Quelques notes de bas de page :

Je lis sur le forum FdC :
Film Freak a écrit:J'ai flippé un moment que l'ouvrage tombe éventuellement dans la bondieuserie rédemptoriste lourdingue tant le scénario semble s'acheminer vers ça, notamment lors d'une scène-clé sur la fin, mais je fus très agréablement surpris de voir qu'il n'en était rien. Au contraire. Je n'irai pas jusqu'à dire qu'il s'agit d'un film athée mais Carnahan a l'intelligence de n'offrir aucune réponse, à l'inverse de bien des films à la thématique similaire (salut Signs, ça va?).
Il me semble justement que le cheminement du film est assez proche de celui de Signs : la perte a déjà eu lieu, dans les deux cas il s'agit de l'épouse ; elle est d'abord perçue comme scandaleuse, désespérante, parce qu'insignifiante, contingente : elle aurait pu ne pas être, la vie est sans rime ni raison ; la trajectoire du personnage sera précisément, par un simple changement de perspective, de s'apercevoir que les éléments de l'histoire ne font pas sens pris isolément, mais rapportés les uns aux autres, ils tracent un destin, ils racontent une histoire.
Dans The Grey, la mort de l'épouse, ses mots rassurants à Liam Neeson ("N'aie pas peur", alors que c'est elle qui est en train de mourir), le poème du père, le crash de l'avion et l'errance, tous ces éléments prennent sens à la fin, au moment du combat avec le loup, dans la tanière.

Je me disais : c'est comme dans un jeu d'échecs ; d'abord, on ne voit rien, on avance au coup par coup, puis par le seul déplacement d'une pièce, toute la partie paraît jouée, tout fait sens.
Ca m'a rappelé une page de Gracq, qui évoque parallèlement cette idée du coup magique aux échecs et celle du sens caché d'un texte ; c'est pas tous les jours qu'on cite Gracq sur ce forum, alors profitez-en, au lieu de hausser les épaules :

On peut ressentir il me semble le monde comme ce carré d'hiéroglyphes d'un problème d'échecs où un mécanisme secret est enseveli, dissous dans l'apparence, - où un certain foyer découvert bouleverse pour l'esprit la puissance des pièces, la perspective des cases, comme un coup donné à un kaléidoscope. Il suffit de poser la pièce sur cette case que rien ne désigne pour que tout soit changé. Vue d'un certain angle, il y a une opération absolument magique. La démarche de l'esprit qui compose ainsi à grand'peine un monde fermé uniquement pour y rendre son efficacité à un coup de baguette magique est d'ailleurs quelque chose d'extrêmement révélateur. Il s'agit d'un monde suspendu, aux apparences brouillées, dont l'existence même, l'armature à y regarder de près, ne tient qu'à la révélation qui s'y embusque.
(...)
Ce que j'ai en vue, c'est ce goût inéluctable de chercher à une oeuvre parfaite, invisible, une clé d'or sur laquelle il suffirait de poser le doigt pour que tout à coup tout change. Il est pour moi depuis longtemps hors de doute qu'il existe dans toute oeuvre d'art, dans un livre par exemple, une telle clé. (...) J'ai parfois l'impression, en feuilletant un livre aimé, de sentir au-dessus de mon épaule l'auteur penché qui, comme dans les jeux de notre enfance, d'un certain clin d’œil dur m'indique que je "brûle" ou que je m'éloigne. Je suis convaincu que si je pouvais voir sous son vrai jour cette phrase, peut-être ce mot central, focal, qui m'échappe toujours et que pourtant me désignent, courant à travers la trame du style, certaines orbes grandioses et concentriques comme d'un milan qui plane au-dessus d'une vaste étendue de campagnes, - alors je sentirais changer ces pages dont le secret enseveli me bouleverse, et commencer le voyage sans retour de la révélation. Peut-être de nouvelles aimantations bouleverseraient-elles les constellations incertaines de ces caractères d'imprimerie tombés en pluie sur ces pages selon en définitive une série de hasards dont la contingence absolue ne peut d'aucune manière nous échapper - peut-être l'achèvement de l’œuvre, comme dans Le Portrait ovale de Poe, entraînerait-il, qui sait ? mort d'homme.

(Un beau ténébreux, p78-80)


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Message par Borges Lun 19 Mar 2012 - 11:01

hello erwan, eyquem;

pas encore vu le film; c'est intéressant ce que vous écrivez; des tas de problèmes;


je sais pas trop quoi penser de ce que tu écris, eyquem, du rapport du film à la vie et à la mort; si on te suit, au-delà de la nécessité de la mort, de la bonne mort ( thématique qui n'est pas innocente,cf être et temps) du bien mourir, du "il faut bien mourir", comme "il faut bien manger", le film sonne comme un éloge de la mort, un désir de mort, quelque chose d'un peu fasciste (comme dirait deleuze)

j'aime pas trop la tonalité de ce poème :
"
Once more into the fray
Into the last good fight I'll ever know
Live and die on this day
Live and die on this day"


le prochain projet du type serait le remake de "un justicier dans la ville", ou mieux en usien : "death wish"



I’m doing ‘Death Wish.’ But this version is a re-imagining of the book and set in present day Los Angeles. The L.A. of ‘Collateral.’ It’s on buses, cabs, metro trains. I want to show an unseen version of L.A. L.A. on foot. Prowling. Hunting. The vast emptiness of downtown. … Refn did a phenomenal job shooting L.A. It took on a different dimension. That’s the key.




- On a le sentiment que le film remplace la survie propre au survival, la survie biologique, par une autre survie, celle de la mémoire, de la trace, et théologique...la vraie survie n'est pas celle du corps, mais celle de "l'esprit", de la création, ce qui explique la place du poème; on se survit dans les oeuvres, les autres, et au-delà; non pas la vie, mais la sur-vie, la vie au-delà de la vie biologique, animale; c'est un écart pas rapport aux régressions du survival, qui nous ramène toujours à la vie animale, à la pure affirmation du conatus, à l'état de nature, où l'homme est toujours une victime ou un tueur possible, au loup, de hobbes, par exemple, mais ce "spiritualisme" n'est peut-être pas moins idéologique.









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Message par Eyquem Lun 19 Mar 2012 - 11:38

Salut Borges,

oui, le film pose des tas de problèmes, comme tu dis. Je me relisais hier soir, et je pensais : "tout ça n'est quand même pas très joyeux".

Bon. Est-ce qu'il y a une fascination pour la mort ? Pour la mort au combat, oui, sans doute (ce qui est refusé au héros, au début, c'est le suicide, qui serait une mort sans la lutte). Le combat n'est pas vraiment recherché, désiré: il s'impose comme une nécessité (c'est une nécessité qui prend une dimension "mythique" dans le combat contre les éléments, les loups ; mais au début, c'est aussi présenté comme une nécessité sociale, parce que tous les types de l'avion sont de simples ouvriers d'une compagnie pétrolière qui est soupçonnée de les abandonner à leur sort, après le crash).

(Le parallèle d'Erwan avec la guerre est juste : idéologiquement, le film semble reprendre le discours qui valorise le sacrifice des engagés, des simples soldats qui n'ont pas choisi la guerre, qui défendent dans la guerre des intérêts qui ne sont pas les leurs, mais auxquels on vend les sornettes de la noble mort au champ d'honneur.)

Dans le combat, dans la lutte irrémédiable contre plus fort que soi (le froid, l'immensité désertique, l'épuisement, les loups), la mort devient désirable. Ottway lui donne deux caractéristiques qui l'opposent au milieu hostile où les personnages sont perdus : la mort "glisse" sur eux, et elle répand une "chaleur" (par opposition aux obstacles, rencontrés par les personnages, au froid qu'ils endurent : la mort, c'est la pente douce qui permet de sortir du jeu, de quitter l'arène).

On ne sait pas trop pour quoi il faut combattre, sinon qu'il le faut : les héros du film sont un peu des gladiateurs.

C'est important de noter aussi que le père du héros, l'auteur du poème, est décrit comme une "brute irlandaise", pas tendre avec ses enfants, mais fana de poésie. C'est dès l'origine que le poème est lié à la violence (dont il constitue une forme de "relève" ? Je ne suis pas sûr d'utiliser ce terme comme il faut...)
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Message par Invité Lun 19 Mar 2012 - 14:04

salut Eyquem,
salut Borges,
Eyquem, je ne sais si tu as ressenti la même chose que moi devant les photos de souvenir qu'Ottway ( que signifie ce "ott"? over the top? "Fait d’une façon trop exagérée"? si on en croit wiktionnaire) sort des porte-feuilles de ses compagnons à la fin: une impression funèbre s'en dégage, ça m'a interpellé: un homme sur un lit, dans une pose qui évoque un tableau célèbre montrant un cadavre. La fillette au longs cheveux, vision frisant le fantastique, le cinéma des fantômes; faut il décrire la manière dont son père meurt, à la suite d'une chute, et, frôlant l'inconscience, sentant un duvet contre sa joue, imagine qu'il s'agit de sa fille, qui, par jeu, lui passe ses cheveux sur le visage, pour le réveiller, alors que ce sont les poils de la fourrure des loups qui le chatouillent.
Les souvenirs, le poème, n'ont rien de bénéfique, ils sont le sillon, l'aiguillon mortel, suivi par les protagonistes jusqu'à leur fin, un miroir aux alouettes. Si le film décrit un contexte d'une Amérique confrontée à une guerre obstinée hors de ses frontières et en elle, peut-être que Carnahan ne fait pas qu'en dresser un cliché, un instantané, peut-être cherche-t-il à un en proposer, à y lier, des causes, enracinées: l'idée religieuse (et le perception de la mort, conjointe), les liens familiaux (ou des ersatz de liens imagés réutilisés dans le domaine de la propagande lol), un cadre idéologique.
S'il réinvesti le champ malickien, sans en chercher la plénitude, n'est ce pas un travail de coupe, de critique, d'opposition sensible?

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Message par Borges Lun 19 Mar 2012 - 16:33

The Christian Manifesto Gracious Praise. Straight-Forward Critique.
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Message par Eyquem Lun 19 Mar 2012 - 16:37

Hello Erwan,

je ne sais si tu as ressenti la même chose que moi devant les photos de souvenir qu'Ottway ... sort des porte-feuilles de ses compagnons à la fin: une impression funèbre s'en dégage, ça m'a interpellé

D'accord avec l'impression funèbre, mais ça ne tient pas forcément à une pose particulière sur la photo, car certaines sont anodines (un couple qui se prend en photo, la photo d'un permis de conduire,...) Disons que c'est la situation dans laquelle elles apparaissent qui extrait de ces photos quelconques la dimension funèbre qui appartient à toute photo (comme trace d'un "ça a été").

D'accord aussi pour dire que le passé auquel se rattachent les personnages comme à leur raison de vivre est déjà marqué, porteur d'une fêlure : le jeune type a plusieurs copines, l'une est enceinte et lui fait des histoires ; Diaz sort de prison ; et si je me souviens bien, le père qui parle de sa fille qui le réveillait en le chatouillant de ses cheveux, a divorcé et voit rarement ses enfants, non ? ... Je ne suis plus très sûr de tout ça, quand même. Plus évident, il y a Ottway, marqué par la maladie de son épouse, par son père violent.

La nouvelle d'origine s'intitulait "Ghost Walker"...


Ottway ( que signifie ce "ott"? over the top? "Fait d’une façon trop exagérée"? si on en croit wiktionnaire
A ce compte-là, "ott", ce serait un antonyme de "grey" : "Lacking in cheer; gloomy ; neutral ; dull (esp in character and opinion)"
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Message par Eyquem Lun 19 Mar 2012 - 16:48

Borges a écrit:The Christian Manifesto Gracious Praise. Straight-Forward Critique.

I sat on my couch for three hours last night, pondering the philosophical concepts of The Grey. I didn’t remember the blood, the jump scenes, the scenery, the music or the acting; though all of that is outstanding. But, “The Grey” is not about the wolves, or even about Liam Neeson. It is first and foremost a story about God, and where he is when suffering bares it’s teeth. The film is not necessarily interested in answering the provocative questions it presents, but it presents them in the midst of transcendent emotion and complex spirituality.
J'ai lu des critiques (françaises) qui se réjouissaient du plan où Neeson interroge le ciel et n'obtient pas de réponse; par exemple :
On apprécie au passage le nihilisme vindicatif qui suit une adresse à Dieu de Neeson restée sans réponse (Critikat)
Erwan avait raison de dire que c'était loin d'être si simple.
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Message par Borges Mar 20 Mar 2012 - 8:30

Eyquem a écrit:
Borges a écrit:The Christian Manifesto Gracious Praise. Straight-Forward Critique.

I sat on my couch for three hours last night, pondering the philosophical concepts of The Grey. I didn’t remember the blood, the jump scenes, the scenery, the music or the acting; though all of that is outstanding. But, “The Grey” is not about the wolves, or even about Liam Neeson. It is first and foremost a story about God, and where he is when suffering bares it’s teeth. The film is not necessarily interested in answering the provocative questions it presents, but it presents them in the midst of transcendent emotion and complex spirituality.
J'ai lu des critiques (françaises) qui se réjouissaient du plan où Neeson interroge le ciel et n'obtient pas de réponse; par exemple :
On apprécie au passage le nihilisme vindicatif qui suit une adresse à Dieu de Neeson restée sans réponse (Critikat)
Erwan avait raison de dire que c'était loin d'être si simple.




I asked Joe Carnahan, the director and scriptwriter (it is an adaptation of a shorty story, “Ghost Walker” by Ian Mackenzie Jeffers), if he saw echoes of Jack London or O’Connor. “I think in terms of the overall spirituality or notion of the mystic and mysterious, yeah,” he said, “There’s larger themes in play in what would otherwise be a genre or thriller, action thriller category. Those things were working hand in hand. Something like ‘Deliverance’ – I’m a fan of the film, but I’m a bigger fan of the novel – and the theme of masculinity, what it means to be a man.”

“There is that brutality in O’Connor’s work. The hostility of the world around them. And what is your shelter, if there is a shelter.”

In one scene, Neeson’s character –who earlier denied belief in God – challenges God, demanding help or answers. It was Neeson’s idea, Carnahan says, to pause in something very like prayer and carefully arrange objects in what seems to be a cross.

That’s not to say the movie serves up easy answers. In fact, Carnahan is perfectly comfortable with ambiguity: “I think if you’re an atheist, you look at the film and you say ‘He didn’t believe in God.’ If you’re a Christian: ‘100% he believed in God.’ I like that. I that like those things coexist. I’m a hell of a lot more interested to hear people talking to me about the film than for me to be telling them about the movie.”

He also intentionally set up the wolf pack and the human pack, with their respective Alpha males, to mirror each other. Human natures is “unpredictable and as hard to map as the animal world. …Nature is wildly unpredictable and we are certainly part of that.”

How does one make a movie that so overtly examines faith and God’s role in individual lives without being preachy? Carnahan, who was raised Catholic, said, “Be open minded and available to everything and not just saying it’s Jesus Christ or bust. So much of the world will do that. I find it troubling …Don’t be dogmatic. I don’t see how it would be possible for us to make this movie if we were closed down or myopic in any form.”

So what is the movie about? “I think it’s the contradictions that exist in all of us at times in reference to God or to spirituality or to religion in general. There’s a duality of a guy calling on God: ‘Where are you when I need you?’ and then at the same time ‘God helps those who help themselves.’ I think that contradiction does exist in all of us, those of faith and those who profess to have no faith. I just thought it had to be something that was synonymous with the story itself and what we were trying to achieve and what we’re trying to tell. It wasn’t just a simplified view of life and death. Certainly, I ask myself those questions. What’s waiting for me? What will I be? My hope, my real hope, is that whatever you hold in your heart, whatever you truly believe, and you’ve put your faith in, that that’s what ‘s waiting for you. I think that’d be wonderful. You know what I mean? I think that would be the culmination of the life of the devout, or the believer.”


O’Connor, Flannery O’Connor, of course; l'immense écrivain us catholique.



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Message par Eyquem Mar 20 Mar 2012 - 17:17

Hello,

Il y a beaucoup d'idées, sur le topic Des dieux et des hommes, qui pourraient être rediscutées ici : il y était question de ce que c'est que "mourir en chrétien", ou "mourir en héros" ; de la mort propre ou impropre.

The grey se termine sur la même idée que le Beauvois : l'image d'une mort maîtrisée, appropriée ; de même qu'on voyait les moines s'éloigner dans la neige et non leur mort proprement dite, le film s'achève sur Liam Neeson plongeant son regard dans les yeux du loup noir, prêt à l'affronter : le combat est éludé car l'essentiel est atteint dans cette mort regardée en face, regardée fixement. Si bien qu'on peut dire que Ottway ne meurt pas : non pas parce que le loup ne le tue pas (qu'il le tue ou non ne change rien : j'ai appris qu'on voyait quelques images après le générique, laissant deviner l'issue du combat : je les avais ratées : mais ça ne change rien, ces images n'apportent rien ; l'essentiel était déjà joué dans l'échange de regards final ; après celui-ci, le combat aurait eu quelque chose de trop prosaïque, de trop borné : ça aurait été des coups, du sang, des hasards, bref, ça aurait été une retombée, par rapport à cet idéal de la mort affrontée héroïquement; idéal qui était déjà atteint dans le simple fait de soutenir la mort-loup du regard). Ottway ne meurt pas, ne peut plus mourir, il devient une figure héroïque : il a dépassé sa propre mort :
Borges (sur le Beauvois) a écrit:que vise, au fond, la mort héroïque : échapper à la mort, c'est mourir pour ne pas mourir; décider de quand, où; comment; la mort alors est changée en gloire, installation dans l'éternité de la mémoire lumineuse; la mort devient une naissance, passage au destin; monument

Bien que ce soit un film de groupe, dans The Grey, la mort est toujours affrontée dans la solitude : la mort les prend un par un (c'est une différence avec le Beauvois : vous aviez parlé, sur le topic Des hommes et des dieux, de la pente fascisante de cet idéal de la mort commune, de la mort individuelle dépassée dans le sacrifice en groupe).


Bien que le film se termine sur cette mort héroïque, il n'ignore pas la mort impropre : bien des compagnons meurent "bêtement", comme on dit, sans aucun héroïsme.






Borges a écrit:les limites de la mort dite propre, appropriée, c'est aussi qu'elle est non seulement liée à un désir de pureté (donc refus de l'altérité, absolue qu'est la mort; ou le mourir, mais c'est encore une autre histoire), c'est aussi qu'elle est essentiellement liée à un moi, à un je, à un égo qui tente d'atteindre à sa propre vérité en décidant de sa mort, en la voulant, en rendant possible l'impossible; ainsi la mort (finitude et passivité absolue, on ne peut jamais dire "je meurs", c'est pas un acte, une action) est liée au pouvoir, à l'extrême du pouvoir, dans un film qui lie le pouvoir au Mal; « donner la mort », et « se donner la mort », ou « se donner à la mort », n'est-ce pas toujours de pouvoir qu'il s'agit;
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Message par Borges Mar 20 Mar 2012 - 19:01

Ott-way : c'est aussi le chemin de ott, sa manière, sa voie...

bien des compagnons meurent "bêtement", comme on dit, sans aucun héroïsme.


j'aime beaucoup cette expression "mourir bêtement"; car, la mort propre (appropriée) est évidemment le propre de l'homme (pour heidegger, et bien d'autres, la bête ne meurt pas);

mourir bêtement rien de pire quand il s'agit de la mort...


derrida, dans son séminaire "la bête et le souverain", où il est bien entendu beaucoup question du loup, des loups, pense la relation entre la bête, la bêtise...

l'animal est-il capable de bêtise?
un animal peut-il être bête?
la bêtise est-elle animale?




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Message par Eyquem Mar 20 Mar 2012 - 21:57

"A comme Animal"
Car contrairement à ce qu’on dit, ce n’est pas les hommes qui savent mourir ou qui meurent, c’est les bêtes. Et les hommes quand ils meurent, ils meurent comme des bêtes… (Abécédaire)
...et Deleuze de raconter l'histoire de ce petit chat qu'il avait eu, qui cherchait un coin où se renfoncer pour mourir.

(fin de la parenthèse : le film a rien de deleuzien, malgré son titre)


Oui, il y a des morts bêtes dans le film : "bêtes" parce qu'on les remarque à peine, elles se font à peine voir ; "bêtes" à force de vouloir embêter personne (celui qui meurt de froid dans son sommeil ; celui que l'altitude empêche de respirer) ; "bêtes" parce qu'on se dit "C'est trop bête" de mourir maintenant, comme ça (celui qui était en train de pisser ; celui qui marchait trop lentement ; celui qui se noie alors qu'il était presque arrivé au bout du film).
(bon, faut avouer que tout ça, c'est sur le papier, dans le scénario : le film, en lui-même, ne la fait pas trop sentir, cette "bêtise" qu'il y a à mourir. Je veux dire : c'est pas un film angoissant proprement dit, un film sur l'angoisse, où on s'angoisserait pour son être-au-monde comme tel, où on s'angoisserait pour rien, devant le vide, juste parce qu'on est, et que c'est vivre, en son fond, qui angoisse. L'angoisse est sans objet, elle ne s'angoisse pas devant quelque chose qui est là devant nous. Or dans le film, il y a des raisons tout à fait objectives d'avoir peur : les loups, en un sens, nous divertissent de l'angoisse fondamentale : ils font peur - ils font seulement peur. Ils ont quelque chose de rassurant : ils nous changent les idées, en nous empêchant de buter sur le rien de la vraie angoisse, de l'angoisse sans raison tangible.)


Ce qui change la perception de toutes ces morts, ce qui fait qu'elles ont quelque chose de bête, c'est que les types viennent de réchapper à un crash d'avion : pour tous, ça paraît évident au début qu'après avoir échappé à ça, plus rien ne peut leur arriver : 'Qu'est-ce qui pourrait nous arriver de plus ?" Il y a de courts moments où ils plaisantent de tout ça, où ils se sentent invincibles, immortels, d'avoir survécu à pareille aventure (c'est peut-être le sens du titre de la nouvelle d'origine, "Ghost walker" : ils sont passés par la mort, ils y retournent : ce sont déjà des revenants quand la mort les rattrape pour de bon).


La mort d'Ottway vient à la fin comme au terme d'une série d'essais, plus ou moins ratés, plus ou moins concluants : "enfin une mort réussie! enfin une mort héroïque, achevée!" Avec ce dernier plan, de Neeson regardant la caméra dans les yeux, le film ne peut pas aller plus loin. Sur le coup, ça impressionne. Mais ce n'est peut-être pas ce moment qu'on retiendra, "trop beau pour être vrai". Le film touche davantage avec la mort de Diaz, parce qu'elle est moins "over the top", justement. Le mec renonce : il quitte la partie, parce qu'il estime qu'il a bien joué et joué suffisamment. Le paysage est somptueux, à la mesure de l'événement : un tableau, sublime, de la Nature : au loin, des forêts, l'horizon d'une montagne majestueuse : devant, une rivière limpide ; et au milieu, la clarté de l'air et de la lumière.
Diaz s'explique, dit ses raisons aux deux autres survivants : pourquoi il abandonne, pourquoi il en a assez (il a eu son compte, son content), pourquoi faut le laisser là, sans se retourner. Tout ça est filmé en un long plan fixe, dans un film plutôt rapide et découpé par ailleurs. Oh bien sûr, faut pas trop en demander : c'est un peu raté : quel cinéaste serait à la mesure d'une telle scène ? L'un des acteurs joue plutôt faux ; y a des répliques qui tombent à plat, qui sont en trop ; le film n'est pas assez économe, assez sobre, pour que la scène nous bouleverse de fond en comble. Mais c'est pas grave, c'est pas grave du tout, parce que quelque chose passe quand même, malgré ces défauts (et peut-être même, grâce à eux, grâce au ton un peu faux, aux ratages, qui nous obligent à recréer la scène, à la parachever, pour notre compte : il n'y a pas de beau film qui ne bâille par quelque endroit, qui ne soit mal ajusté à la beauté qu'il vise, qu'il rêve d'atteindre : c'est jamais ça, on y est jamais complètement, mais c'est seulement là que quelque chose se passe. Enfin bref. Il me semble.)
Diaz a dit tout ce qu'il avait à dire ; la scène était même un peu bavarde ; alors les deux autres s'en vont, le laissent là tout seul. Diaz s'assoit contre un tronc d'arbre, face au paysage, il nous tourne le dos. Un très lent travelling avant fait durer la scène. Mais c'est dans la bande-son, alors, que tout se passe : on tend l'oreille, jamais on a été aussi aux aguets de tout le film ; on se fait une oreille de loup pour percer le moindre murmure sous le murmure de la rivière ; alors on finit par capter les infra-sons, les frémissements de peur de Diaz, parce qu'il entend comme nous la mort venir dans son dos, et la neige crisser sous les pattes des loups.

Un moment fort.


Bon, mais on peut peut-être parler d'autre chose ?

Something like ‘Deliverance’ – I’m a fan of the film, but I’m a bigger fan of the novel – and the theme of masculinity, what it means to be a man
Là-dessus, le film n'est pas terrible : c'est surtout des clichés ; la virilité y est peut-être un thème mais pas une question. On picole au bar, on se bagarre, on raconte ses histoires de cul autour du feu, pendant que les loups font je sais pas quoi, peut-être la même chose.

A noter ici : le dialogue ne fait explicitement référence qu'à deux autres fictions : "Mc Gyver" (pas trop d'intérêt) mais aussi "Grizzly Man" d'Herzog, moins attendu dans un film de ce genre. L'un des types y fait référence en disant : "the movie about the fag and the bears".


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Message par Borges Mer 21 Mar 2012 - 10:11

vu le film, un peu déçu, même s'il pose des problèmes intéressants; ce que vous en dites est plus intéressant que le film même; le mec cite un peu trop la ligne rouge, je trouve, en moins fort, bien entendu, ou "délivrance", ou d'autres trucs; ses citations l'écrasent, comme celle de la scène de la noyade : l'original, c'était quelque chose :
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Message par Borges Mer 21 Mar 2012 - 10:33

the movie about the fag and the bears

oui, c'est assez étonnant, on imagine pas ces mecs regardant "Grizzly Man"; même si ça colle pas avec "fag", "Man in the Wilderness " (sarafian) serait plus proche du ton du film
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Message par Invité Mer 21 Mar 2012 - 10:43

Eyquem a écrit:The grey se termine sur la même idée que le Beauvois : l'image d'une mort maîtrisée, appropriée ; de même qu'on voyait les moines s'éloigner dans la neige et non leur mort proprement dite, le film s'achève sur Liam Neeson plongeant son regard dans les yeux du loup noir, prêt à l'affronter : le combat est éludé car l'essentiel est atteint dans cette mort regardée en face, regardée fixement. Si bien qu'on peut dire que Ottway ne meurt pas : non pas parce que le loup ne le tue pas (qu'il le tue ou non ne change rien : j'ai appris qu'on voyait quelques images après le générique, laissant deviner l'issue du combat : je les avais ratées : mais ça ne change rien, ces images n'apportent rien ; l'essentiel était déjà joué dans l'échange de regards final ; après celui-ci, le combat aurait eu quelque chose de trop prosaïque, de trop borné : ça aurait été des coups, du sang, des hasards, bref, ça aurait été une retombée, par rapport à cet idéal de la mort affrontée héroïquement; idéal qui était déjà atteint dans le simple fait de soutenir la mort-loup du regard). Ottway ne meurt pas, ne peut plus mourir, il devient une figure héroïque : il a dépassé sa propre mort
salut Eyquem,
il y a un truc bizarre pour moi dans ce que tu écris là. depuis le début du topic, je pensais justement qu'on voyait la mort de Neeson à l'image. en fait, on la voit bel et bien. et ce n'est pas du tout indifférent, je crois. même si je n'ai pas vu le film. mais s'il s'était achevé seulement par l'échange de regard avec le loup, il ne se serait pas achevé avec la mort du personnage. ça a l'air d'une lapalissade, mais c'est une chose de mourir, c'est autre chose de regarder la machine de mort dans les yeux. échange de regards après lequel la mort aurait été une hypothèse, mais aussi la victoire de Neeson, ou l'absence de combat, ou la perpétuation d'un combat éternel (Mazda et Ahriman), etc... ou rien de tout ça mais juste ce regard qui ne peut pas en finir, regard pour l'éternité. "Ottway ne meurt pas, ne peut plus mourir" : mais apparemment le film montre in fine qu'Ottway meurt.
j'ai l'air de pinailler mais je trouve important de s'attacher au visible d'un film, tout et rien d'autre, pour pouvoir passer à son invisible.


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Message par Invité Mer 21 Mar 2012 - 10:46

plus je suis cette discussion, plus je pense à The Lost Patrol, un Ford de 1935, pas vu depuis un bout de temps (pratiquement depuis sa sortie, haha). une histoire de militaires coloniaux anglais, english jackals, perdus dans le désert, réfugiés dans un oasis et cernés par une bande d'Arabes invisibles qui les dégomment un à un.
souvenirs, considérations métaphysiques, etc... si mes souvenirs sont bons, on y voit aussi un crash d'avion - mais peut-être que j'interpole avec un Tintin... Wink


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Message par Borges Mer 21 Mar 2012 - 10:49

Something like ‘Deliverance’ – I’m a fan of the film, but I’m a bigger fan of the novel – and the theme of masculinity, what it means to be a man


Là-dessus, le film n'est pas terrible : c'est surtout des clichés ; la virilité y est peut-être un thème mais pas une question. On picole au bar, on se bagarre, on raconte ses histoires de cul autour du feu, pendant que les loups font je sais pas quoi, peut-être la même chose.

oui, mais le propos du film, et du mec en question est précisément de renverser l'image dite hollywoodienne de la virilité, de montrer que les hommes ne sont pas si forts que ça, qu'avoir peur est humain; carnahan le dit quelque part; c'est le propos de la longue discussion clichée entre le mec qui ne veut pas avouer avoir peur et ottway... les dialogues sont assez lamentables, faut bien le dire;


on se demande un peu quel est le sujet du film, c'est pas du tout de nous refaire le coup de robinson-mcgyver, comment le génie inventif de l'homme peut l'amener à surmonter ses faiblesses naturelles, même si la dernière scène nous montre ottway se faisant des griffes artificielles, c'est pas non plus la mise en scène d'un conatus exceptionnel avec conclusion darwinienne à l'appui, seuls les plus forts survivent; les mecs ne semblent pas plus que ça tenir à la vie; l'isolement de l'être-pour-la mort, alors? peut-être; sept hommes, sept morts différentes; plus ou moins bêtes, appropriées, assumées...



une question, pq le mec a-t-il livré ces types aux loups, sans armes, sans la moindre chance de s'en tirer?

c'est, peut-être, Ebert qui donne une réponse :

When I learned of Sarah Palin hunting wolves from a helicopter, my sensibilities were tested, but after this film, I was prepared to call in more helicopters.












Dernière édition par Borges le Mer 21 Mar 2012 - 10:54, édité 1 fois
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Message par Borges Mer 21 Mar 2012 - 10:51

Stéphane Pichelin a écrit:plus je suis cette discussion, plus je pense à The Lost Patrol, un Ford de 1935, pas vu depuis un bout de temps (pratiquement depuis sa sortie, haha). une histoire de militaires coloniaux anglais, english jackals, perdus dans le désert, réfugiés dans un oasis et cernés par une bande d'Arabes invisibles qui les dégomment un à un.
souvenirs, considérations métaphysiques, etc... si mes souvenirs sont bons, on y voit aussi un crash d'avion - mais peut-être que j'interpole avec un Tintin... Wink


oui, de toute façon, ça joue pas mal avec les schémas du "film de patrouille"
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Message par Eyquem Mer 21 Mar 2012 - 11:30

Stéphane Pichelin a écrit:
salut Eyquem,
il y a un truc bizarre pour moi dans ce que tu écris là. depuis le début du topic, je pensais justement qu'on voyait la mort de Neeson à l'image. en fait, on la voit bel et bien. et ce n'est pas du tout indifférent, je crois. même si je n'ai pas vu le film. mais s'il s'était achevé seulement par l'échange de regard avec le loup, il ne se serait pas achevé avec la mort du personnage. ça a l'air d'une lapalissade, mais c'est une chose de mourir, c'est autre chose de regarder la machine de mort dans les yeux. échange de regards après lequel la mort aurait été une hypothèse, mais aussi la victoire de Neeson, ou l'absence de combat, ou la perpétuation d'un combat éternel (Mazda et Ahriman), etc... ou rien de tout ça mais juste ce regard qui ne peut pas en finir, regard pour l'éternité. "Ottway ne meurt pas, ne peut plus mourir" : mais apparemment le film montre in fine qu'Ottway meurt.
j'ai l'air de pinailler mais je trouve important de s'attacher au visible d'un film, tout et rien d'autre, pour pouvoir passer à son invisible.
Salut Stéphane,
Là-dessus, je ne te suivrai pas. Ou alors, on peut discuter pendant des pages cette notion de "visible".
- avant le générique, on voit Ottway se préparer à combattre le loup : le film s'arrête avant que la lutte commence, quand Ottway plonge son regard dans les yeux du loup, de la caméra, de la mort qui l'attend à coup sûr. Rien, à ce moment-là, ne nous permet de croire qu'Ottway pourrait s'en sortir : tout, au contraire, indique qu'il est allé au-devant de son destin, et qu'il a trouvé le lieu de sa fin dans cette tanière. On ne "voit" pas la mort d'Ottway mais tout la "signifie". Alors, qu'est-ce qui est le plus important des deux ?

- après le générique, il y a une simple image, pas très "lisible" : on voit le flanc du loup, couché à terre, respirant lentement ; la tête d'Ottway est posée contre lui. Cette image introduit de l'incertitude : Ottway est-il en train de mourir ? S'est-il bien battu, au point de tuer le loup ? Va-t-il s'en sortir malgré tout ? Et que fera-t-il au milieu des bois, s'il survit à cette épreuve ? C'est une image qui laisse ouvert ce que toutes les images avant le générique avaient pris le soin de fermer. Pas étonnant qu'elle vienne après le générique, qu'elle soit comme extérieure au film - elle veut introduire un suspens, alors que c'est un film sur un univers fermé, sur un univers qui se referme sur lui, malgré l'immensité parcourue : le monde, à la fin, se réduit à un point : la tanière, the den, the end, comme le point final d'un chemin, à partir duquel les éléments dispersés de la vie d'Ottway forment un segment, un destin.


(Cette image post-générique est un rappel d'une des scènes du début où on voyait Ottway poser sa main sur le flanc d'un loup qu'il avait abattu, et suivre son dernier souffle : une scène à la "Avatar" il m'a semblé : dans le Cameron, le héros, initié par la princesse Navi, tuait je ne sais quelle bête à la chasse, puis faisait une prière ; la princesse disait alors "Tu l'as bien tuée". Le plan sur Ottway au-dessus du loup mourant, c'était une manière de nous suggérer qu'Ottway n'est pas une brute, bien que son métier soit de dégommer tous les loups qui approchent de la base pétrolière : c'est pas un tueur, dit cette scène, c'est un chasseur.)

La fin + l'image après le générique (à mon avis, ça va disparaître assez vite du net :
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Message par Eyquem Mer 21 Mar 2012 - 11:42

hello Borges,
Borges a écrit:le propos du film, et du mec en question est précisément de renverser l'image dite hollywoodienne de la virilité, de montrer que les hommes ne sont pas si forts que ça, qu'avoir peur est humain; carnahan le dit quelque part; c'est le propos de la longue discussion clichée entre le mec qui ne veut pas avouer avoir peur et ottway... les dialogues sont assez lamentables, faut bien le dire
Des soldats pas si héroïques que ça, courageux et effrayés en même temps, j'ai l'impression que c'est devenu aussi un cliché justement (là, je pense au Spielberg, notamment, "...le soldat Ryan" : pas mal de scènes où les soldats pleurent, Tom Hanks compris, entre deux tueries.)


J'avoue que quand Liam Neeson dit qu'il est "shit scared", j'y ai pas cru une seconde. lol


une question, pq le mec a-t-il livré ces types aux loups, sans armes, sans la moindre chance de s'en tirer?
Oui : c'est le côté péplum, le côté romain du film ; c'est des gladiateurs livrés aux fauves.
(y a un autre film qui sort en ce moment : "Hunger games" (vu la bande annonce), où c'est encore plus clair. Ca arrive que les studios proposent au même moment des projets concurrents, sur un sujet proche)



Merci pour la référence au film de Newman. Effectivement ! Je ne connaissais pas. (un jour, il faudra se pencher sérieusement sur les films de Newman cinéaste...)
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Message par Eyquem Mer 21 Mar 2012 - 12:58

Je me demandais ce que Ottway écrivait dans sa lettre, j'avais oublié ; mais on trouve tout sur le net :

[Ottway daydreams of his wife; both lying on a bed with white sheets facing each other, smiling, we then see him alone, writing a letter]
Ottway: [voice over] There's not a second goes by when I'm not thinking of you in some way. I want to see your face, feel your hands in mine, feel you against me. But I know that will never be, you left me and I can't get you back. I move like I imagine the damned do, cursed. And I feel like it's only a matter of time. I don't know why I'm writing this, I don't know what can come of it. I know I can't get you back.

Ottway: [voice over] I don't know why this has happened to us. I feel like it's me, bad luck, poison. And I've stopped doing this world any real good.
Si le montage ne nous suggérait pas que le "You" interpellé était sa femme, la lettre pourrait prendre un sens religieux, non ?
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Message par Eyquem Mer 21 Mar 2012 - 13:18

Ah, ben tiens, justement : quand on parle du loup...

Carnahan may direct the film adaption of the Garth Ennis graphic novel Preacher.[4]

Preacher tells the story of Jesse Custer, a down-and-out preacher in the small Texas town of Annville. Custer was accidentally possessed by the supernatural creature named Genesis in an incident which killed his entire congregation and flattened his church.

Genesis, the product of the unauthorized, unnatural coupling of an angel and a demon, is an infant with no sense of individual will. However, as it is composed of both pure goodness and pure evil, it might have enough power to rival that of God Himself. In other words, Jesse Custer, bonded to Genesis, may have become the most powerful being in the whole of living existence.

Custer, driven by a strong sense of right and wrong, goes on a journey across the United States attempting to (literally) find God, who abandoned Heaven the moment Genesis was born. He also begins to discover the truth about his new powers. They allow him, when he wills it, to command the obedience of those who hear and comprehend his words. He is joined by his old girlfriend Tulip O'Hare, as well as a hard-drinking Irish vampire named Cassidy.

During the course of their journeys, the three encounter enemies and obstacles both sacred and profane
Dieu, le diable, le bien, le mal... et Custer.

Du lourd.

The Grey / Le territoire des loups (Carnahan) : il faut bien mourir Dprpa

In an interview with MTV A-Team director Joe Carnahan dropped the following on fans --

"I'm kind of desperate to do another comic book adaptation," he tells the network. "And the other thing I'm really keen on or interested in is 'Preacher' because I'm a big Garth Ennis fan and I love that series and that's out there, and that might be something ... I really love that."

(ça date de 2010)
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Message par Invité Mer 21 Mar 2012 - 14:04

Borges a écrit:
Stéphane Pichelin a écrit:plus je suis cette discussion, plus je pense à The Lost Patrol, un Ford de 1935, pas vu depuis un bout de temps (pratiquement depuis sa sortie, haha). une histoire de militaires coloniaux anglais, english jackals, perdus dans le désert, réfugiés dans un oasis et cernés par une bande d'Arabes invisibles qui les dégomment un à un.
souvenirs, considérations métaphysiques, etc... si mes souvenirs sont bons, on y voit aussi un crash d'avion - mais peut-être que j'interpole avec un Tintin... Wink


oui, de toute façon, ça joue pas mal avec les schémas du "film de patrouille"
En fait, The Lost Patrol n'est pas tellement un film de patrouille. S'il fallait le catégoriser, ce serait comme survival, ou plutôt non-survival.
Le capitaine de la patrouille se fait descendre dès le premier ou le second plan. Mais il était le seul à connaître le but de la patrouille, et même sa position dans le désert. Ceux qui restent sont donc véritablement perdus, sans autre but que de survivre, sans endroit où aller, sans direction, sans issue.
Ils sont cernés par les Arabes qui restent tout du long invisibles et qui les canardent. Ils trouvent un abri provisoire dans un oasis avec une masure en pisé. Et ils restent là à attendre la balle qui va les faucher en discutant de leur vie passée, de leur vie à venir, de leur situation.
À un moment, il y a un avion anglais qui passe par là. « Ca vient du ciel », comme dirait l'autre. Et tous les soldats anglais espèrent que l'avion va pouvoir aller chercher de l'aide, ils lui font des grands signes pour signaler leur présence. Alors, finalement, il n'y a pas de crash, l'aviateur se pose pour prendre de leurs nouvelles et il se fait descendre.
Il n'ya pas d'aide venue du ciel. Il y a juste la mort qui rôde, la totale altérité contaminante, et qu'on ne peut pas voir et qui vous arrive sans qu'on l'ai choisie. Le seul qui choisit sa mort se met à courir vers les Arabes, pour pouvoir les voir. Et alors on ne le suit pas mais on le voit s'éloigner jusqu'au coup de feu qui arrête sa course. A-t-il ou n'a-t-il pas vu ? Dans mon souvenir, il me semble que le film ne répond pas à ça. Mais celui qui veut choisir doit s'éloigner en courant de la condition commune.

Eyquem, tu parles aussi des choix sur la bande-son. Alors quelques lignes du papier de Chion sur celle de The lost patrol :
Le même effet de présence envahissante avait déjà été produit par la musique du même Steiner pour The Lost Patrol, film à propos duquel maurice Jaubert, reflétant là encore une opinion très partagée, affirmait que le metteur en scène nous y infligeait « sans nous accorder un instant de répit, une partition dont la constante présence risque à tout moment de détruire par se gratuité la poignante réalité des images ». Or, des scènes entières de The Lost Patrol ne comportent aucune musique, laquelle y est non pas « constamment présente », mais au contraire des plus intermittentes. Là encore, c'est le style même de cette intermittence qui donne à la musique l'allure d'être partout ; il est vrai que dans ce cas-là, celle-ci fut rajoutée après coup selon le désir de la production.
The Lost Patrol est d'ailleurs un faux film d'action dans lequel les personnages passent la moitié du temps allongés ou assis par terre à monologuer, à évoquer le bon vieux temps, etc... Une situation statique qui au cinéma peut très bien fonctionner et qui ne serait pas pesante si la musique n'était, elle, sans cesse en train d'évoquer de son côté l'idée d'action, par l'adoption de rythmes de marche très dynamiques, correspondant non à ce que les personnages font dans le même temps, mais à ce qu'ils disent. Si les dialogues et les scènes de The Lost Patrol nous semblent aujourd'hui statiques – c'est parce que nous percevons la musique comme si elle ne cessait de dire : « si on bougeait un peu les gars ? » au lieu de lui donner la signification symbolique et indirecte qu'elle vise.
[...] Le film comporte ainsi beaucoup de « musique mentale ». Apparemment, cette tentative séduisit beaucoup à l'époque puisque cette partition valut un premier Oscar à Max Steiner. Aujourd'hui, elle nous déconcerte en choisissant d'évoquer constamment un ailleurs de l'action au lieu de soutenir le hic et nunc sur l'écran. Il y avait donc là bel et bien un essai de « contrepoint » audiovisuel.

un écart à penser d'un film à l'autre, dans tout ça ?


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Message par gertrud04 Mer 21 Mar 2012 - 14:09

Mince alors, j’voulais faire mon cinéphile et relever la citation du film de Newman. Borges m’a coiffé au poteau. Smile

En tous cas merci à Erwan et Eyquem de m’avoir incité à le voir. Ça m’a énormément plu. Il n’est déjà plus dans les salles parisiennes.

Ce qu’a écrit Eyquem plus haut m’a fait penser au concept de la série Destination finale : des gens qui échappent à la mort provisoirement mais qui sont finalement rattrapés par elle malgré tous leurs efforts pour y échapper (l’ironie en moins dans The grey).

En tout cas, compte tenu de ce que dit Borges, il faut espérer que le film ne déclenche pas, comme Jaws en son temps pour les requins, une phobie anti-loups qui entraînerait des massacres.

Les films qui présentent les animaux sous un jour favorable ne sont à cet égard pas moins dangereux pour eux : il parait que le poisson-clown avait sacrément morflé après Nemo, à force d’être pourchassé partout dans les océans pour les gamins.
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Message par Invité Mer 21 Mar 2012 - 14:15

Eyquem a écrit:
Stéphane Pichelin a écrit:
j'ai l'air de pinailler mais je trouve important de s'attacher au visible d'un film, tout et rien d'autre, pour pouvoir passer à son invisible.
Salut Stéphane,
Là-dessus, je ne te suivrai pas. Ou alors, on peut discuter pendant des pages cette notion de "visible".
Wink



On ne "voit" pas la mort d'Ottway mais tout la "signifie". Alors, qu'est-ce qui est le plus important des deux ?

- après le générique, il y a une simple image, pas très "lisible" : [...] C'est une image qui laisse ouvert ce que toutes les images avant le générique avaient pris le soin de fermer. Pas étonnant qu'elle vienne après le générique, qu'elle soit comme extérieure au film - elle veut introduire un suspens, alors que c'est un film sur un univers fermé, sur un univers qui se referme sur lui, malgré l'immensité parcourue : le monde, à la fin, se réduit à un point : la tanière, the den, the end, comme le point final d'un chemin, à partir duquel les éléments dispersés de la vie d'Ottway forment un segment, un destin.
mais ça reste un peu bizarre cette histoire, non ? fin ouverte, fin fermée ? ou les deux ? ou deux fins ? et ce qui se joue dans l'écat ? (on dit "la différance" dans ce cas, non ?) l'éternité dans, pendant, après la mort ?

tout ça pour faire tourner la machine à texte. pour ne pas rater la discussion pendant des pages. Wink


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