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Message par Invité Dim 24 Juil 2011 - 13:12

ce topic Comment ne pas voir me rappelle le bouquin, best-seller de Daniel Arasse, On y voit rien.

Pour le tableau de Borges il est évident que les deux espaces ne peuvent cohabiter dans la réalité, ils ne sont qu'une espèce de figure de montage qui les juxtaposent dans le tableau.

Il ne faut pas oublier que la perspective est l'apanage de l'homme blanc chrétien cultivé occidental.

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Message par careful Dim 24 Juil 2011 - 13:40

ps: les flèches pointent les formes géométriques répétées (moulure colonne+plafond/arrière plan). J'y ai vu d abord cela pour ma part sur ce tableau de Piero della Francesca.
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Message par Eyquem Dim 24 Juil 2011 - 14:02

Careful a écrit:ps: les flèches pointent les formes géométriques répétées (moulure colonne+plafond/arrière plan). J'y ai vu d abord cela pour ma part sur ce tableau de Piero della Francesca.
Ok. Je croyais que tu pointais les colonnes pour montrer qu'il y avait quelque chose qui ne collait pas dans la construction perpective, et je ne voyais pas ce qui n'allait pas.

Slimfast a écrit:il est évident que les deux espaces ne peuvent cohabiter dans la réalité, ils ne sont qu'une espèce de figure de montage qui les juxtaposent dans le tableau.
oui, il y a un texte très passionnant de Jaubert dans son bouquin "Palettes" qui explique ça mathématiquement, en résumant toutes les thèses savantes sur ce tableau. En gros, il explique que l'espace de la loggia, où se trouve le Christ, dessine un carré de longueur L, tandis que le rectangle du tableau est de longueur L√2 (la racine de 2, c'est un chiffre "magique" depuis sa découverte par les Pythagoriciens) ; L√2, mathématiquement, c'est la longueur exacte de la diagonale du carré de la loggia. Conclusion : le rectangle n'est que le prolongement du carré de la loggia, suivant sa diagonale.
Autant l'espace inscrit dans le carré, explique Jaubert, est rationnel et rigoureusement restituable en 3D grâce à tous les repères perspectifs, autant l'espace à droite, hors de la loggia, est "irrationnel" (√2, c'est un nombre irrationnel en maths) : par exemple, il manque les pieds des bâtiments (à droite), ce qui fait qu'on ne peut ni les mesurer ni les situer.
Et de conclure : la perspective a ici une dimension temporelle ; l'Histoire (représentée par l'espace de droite) n'est que l'émanation, le prolongement d'un événement fondateur (l'espace de gauche), sa répétition irrationnelle.




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Message par Invité Lun 25 Juil 2011 - 12:41

tout ça est passionnant. est-ce une aberration de ma part ou peut-on dire que la direction des flèches rouges est également celle du regard de Jésus (confirmant l'analyse cite par Eyquem en somme) ?


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Message par gertrud04 Lun 22 Aoû 2011 - 15:37

Eyquem a écrit:

Scena del ristorante from Lorelain on Vimeo.


(j'ai toujours pensé que cette scène était une des plus sublimes de toute l'histoire : ce travelling aberrant au début qui recule pour découvrir toute la salle au lieu de suivre "naturellement" le regard de Stewart ; le thème d'Herrmann pour accompagner le lent recadrage ; et ce mur rouge qui s'illumine pour découper Kim Novak comme un médaillon. C'est d'une intensité...)

Ce plan tordu et magnifique est évoqué dans un article de Alain Bergala consacré à l'Aurore dans un ancien numéro des cahiers (janvier 2006) :

C’est sans doute dans l’Aurore qu’il faut chercher le modèle et l’inspiration de l’un des plus beaux plans de Nouvelle vague, celui où Alain Delon passe du quai au hors-bord avant la première noyade. Godard a trouvé, en revisonnant l’Aurore quelque chose d’autre que ce qu’il y cherchait, quelque chose d’un peu « à coté ». Il l’a trouvé dans le plan, devenu emblématique du film de Murnau où l’homme va rejoindre la femme de la ville dans le marais, sous la lune. La caméra commence par accompagner le personnage dans son déplacement avant de le quitter pour emprunter un chemin autonome à travers les branchages, plus fluide et aérien que celui de l’acteur. Le spectateur éprouve dans cette dissociation et ce mouvement la sensation que le désir de l’homme s’élance au-devant de lui-même et rejoint plus vite son objet, la femme-serpent, que son corps plus terrestre et plus lourd.
Le coup de foudre de Vertigo est filmé selon le même principe de la dissociation du corps du personnage et de la trajectoire autonome, sinueuse, fluide et aérienne, de son désir. James Stewart est assis au bar du restaurant où Kim Novak dîne avec son pseudo-mari : au lieu de suivre la ligne droite optique qui relie dans l’espace géométral l’homme à la femme, la caméra d‘Hitchcock emprunte la voie de son désir qui se détache en quelque sorte de son corps physique, le décentrant à lui-même, pour flotter un moment dans les airs avant d’être aspiré par la tache blanche du dos nu de Madeleine.
Au moment d’embarquer - au sens propre - ses deux personnages dans la scène de la noyade, la réminiscence de ce plan de l’Aurore va s’imposer à Godard. Lui aussi va dissocier le parcours de son personnage et celui de la caméra qui choisit la voie des sensations liées aux matières. Delon assis sur un muret descend les escaliers du petit port privé, ses sacs de pique-nique à la main. La caméra, qui l’a sagement accompagné jusqu’à là prend alors son autonomie et se met à parcourir en solo l’intervalle qui sépare le quai du hors-bord amarré au milieu du petit port, survolant avec fluidité la barque du jardinier (qui murmure, commentant à sa façon cette disjonction : « c’est quoi ces images « ) puis la transparence de l’eau (comme dans le plan qui succède au baiser du premier matin sur l’île de Monika) avant de faire entrer avec fluidité dans le champ la matière chaude du bois précieux du hors-bord, jusqu’à ce que le chemin de la caméra et celui du personnage se rejoignent à nouveau, dans un axe imprévu, comme à la fin du plan de l’Aurore.
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Message par Borges Lun 22 Aoû 2011 - 17:54

gertrud04 a écrit:

Ce plan tordu et magnifique est évoqué dans un article de Alain Bergala consacré à l'Aurore dans un ancien numéro des cahiers (janvier 2006) :

C’est sans doute dans l’Aurore qu’il faut chercher le modèle et l’inspiration de l’un des plus beaux plans de Nouvelle vague, celui où Alain Delon passe du quai au hors-bord avant la première noyade. Godard a trouvé, en revisonnant l’Aurore quelque chose d’autre que ce qu’il y cherchait, quelque chose d’un peu « à coté ». Il l’a trouvé dans le plan, devenu emblématique du film de Murnau où l’homme va rejoindre la femme de la ville dans le marais, sous la lune. La caméra commence par accompagner le personnage dans son déplacement avant de le quitter pour emprunter un chemin autonome à travers les branchages, plus fluide et aérien que celui de l’acteur. Le spectateur éprouve dans cette dissociation et ce mouvement la sensation que le désir de l’homme s’élance au-devant de lui-même et rejoint plus vite son objet, la femme-serpent, que son corps plus terrestre et plus lourd.
Le coup de foudre de Vertigo est filmé selon le même principe de la dissociation du corps du personnage et de la trajectoire autonome, sinueuse, fluide et aérienne, de son désir. James Stewart est assis au bar du restaurant où Kim Novak dîne avec son pseudo-mari : au lieu de suivre la ligne droite optique qui relie dans l’espace géométral l’homme à la femme, la caméra d‘Hitchcock emprunte la voie de son désir qui se détache en quelque sorte de son corps physique, le décentrant à lui-même, pour flotter un moment dans les airs avant d’être aspiré par la tache blanche du dos nu de Madeleine.
Au moment d’embarquer - au sens propre - ses deux personnages dans la scène de la noyade, la réminiscence de ce plan de l’Aurore va s’imposer à Godard. Lui aussi va dissocier le parcours de son personnage et celui de la caméra qui choisit la voie des sensations liées aux matières. Delon assis sur un muret descend les escaliers du petit port privé, ses sacs de pique-nique à la main. La caméra, qui l’a sagement accompagné jusqu’à là prend alors son autonomie et se met à parcourir en solo l’intervalle qui sépare le quai du hors-bord amarré au milieu du petit port, survolant avec fluidité la barque du jardinier (qui murmure, commentant à sa façon cette disjonction : « c’est quoi ces images « ) puis la transparence de l’eau (comme dans le plan qui succède au baiser du premier matin sur l’île de Monika) avant de faire entrer avec fluidité dans le champ la matière chaude du bois précieux du hors-bord, jusqu’à ce que le chemin de la caméra et celui du personnage se rejoignent à nouveau, dans un axe imprévu, comme à la fin du plan de l’Aurore.

hello gertrud04 : un des rares articles, sinon le seul des années 2000 des cahiers à m'avoir vraiment intéressé
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