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Chantrapas (O. Iosseliani)

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Message par Van Stratten Mar 12 Oct 2010 - 13:58

03 10 2010

Chantrapas. Retour de la mise en scène. Bis.

Iosselliani met en scène un recueil de souvenirs. M’a sidéré la liberté de sa mise en scène, qui n’est inféodée à rien, pas même à la vérité du souvenir. Iosselliani poursuit ses rêves avec un entêtement admirable, mais sans faire une seconde un film onirique. La présence de chaque corps de comédien est très importante chez Iosselliani. Rien n’est jamais vraiment léger. Tout est le fruit d’une mise en scène parfaitement réglée. Mais cette mise en scène est totalement libre, ce qui est très rare.

Scène vraiment mémorable, dont je me souviendrai toute ma vie, j’espère : celle du vol d’icônes dans la petite chapelle, par les trois enfants que l’on a devinés inséparables. Beauté sidérante : les gestes sont accomplis comme chez Rossellini, comme si chacun rassemblait toute la vie, comme s’il était accompli pour lui-même. Pourquoi chantent-ils ? Pour tromper l’ennemi ? Pour le plaisir ? Pourquoi volent-ils ces icônes ? Nous ne le saurons pas, car le souvenir vaut pour lui-même : il est d’une précision redoutable, mais tout ce qui l’environne, à commencer par les liens de causalité courants, n’est d’aucune importance, d’ailleurs totalement ignoré. Le moine paraît au détour du sentier : un ogre immense, dont la taille n’égale que la bonhomie. Comme en une mécanique de précision, il basculera au moment voulu, cul par-dessus tête. Puis on voit les trois inséparables prendre un train en marche. Le plan reviendra à la fin du film, des trois enfants suspendus les uns au-dessous des autres au flanc d’un train de marchandises. À la fin du film, le plan est en noir et blanc. Ce noir et blanc m’a un peu heurté d’abord, et il me semble maintenant que je le comprends mieux : lorsque ce plan nous est montré une nouvelle fois (et d’abord : est-ce le même ?) il apparaît en quelque sorte « sur le banc de montage », donc au milieu de prises de vues en noir et blanc. C’est une sorte de film idéal auquel rêve le personnage. Ses souvenirs se mêlent à ses projets de films réels. Ça me semble en effet la bonne explication.

Peut-on en dire autant du travail du cinéaste : qu’il mêle souvenirs et imagination ? J’aime énormément son film en tout cas (sauf tout de même pour ce plan d’imagerie en noir et blanc… décidément il y a un vrai, durable problème avec l’esthétique picturale au cinéma, ou quelque chose de la sorte. Disons que ça n’empêche pas la lumière et la composition, d’être non seulement fécondes, mais essentielles au cinéma. Ça dépasse le travelling affaire de morale. Il ne s’agit pas juste d’esthétique sans morale, ou immorale. C’est un ravalement de façade ─ rien à voir avec le « ripolin » de Daney, ou alors c’est une deuxième couche qui n’est pas de la même substance. On comprend très bien comment l’étalonnage noir et blanc d’un plan tourné en couleurs, ou simplement l’insertion d’un plan en noir et blanc dans la couleur, est un ravalement de façade. C’est de la publicité appliquée. Non pas de la publicité pour un produit, de la publicité « pure », mais de la publicité pour un discours. Le discours de l’image. C’est précisément ce que je déteste.)

J’aime énormément Chantrapas, tout de même. Un film à la poursuite de la liberté, comme tous les films de Iosseliani, mais avec un personnage principal. Ça commence dans une salle de projection clandestine, lieu idéal, véritable caverne d’Ali Baba (et non pas de Platon) du cinéphile-résistant. Ça se clôt dans l’eau, en compagnie d’une sirène. Non content d’échapper aux soviets, à sa famille, et aux producteurs français, Niko, l’alter-ego de Iosselliani, échappe à tous ses amis, et se jette à l’eau en marge d’une partie de pêche.

Iosselliani invente un drôle de personnage, presque mutique, qui ne parle que quand on l’interroge. D’une détermination absolue, mais dont l’objet nous échappe sans cesse. Lorsqu’il envoie un message à sa famille (à ses grands-parents, car ses géniteurs sont très vite oubliés) grâce à un pigeon voyageur, il écrit (le billet est lu par la grand-mère) : « Jusqu’ici tout va mal, comme toujours. Je ne regrette pas. Je tiens le coup. » Tenir le coup. Tenir la barre. Contre vents et marées. Niko est un entêté, mais dont le désir profond nous échappe. Pourquoi voler des icônes dans une chapelle en ruine ? Nous ne le saurons pas. Le désir est lié à l’image (peinture, photographie, cinéma), au cinéma surtout. Mais il sera finalement délaissé, pour une ultime dérobade. Ultime fuite. Le but que poursuit le personnage tout au long du film, c’est celui d’échapper aux autres. À tous les autres. D’où la sirène. Elle n’est pas un « autre » (elle n’est pas humaine). Une sirène n’est pas humaine, mais pas inhumaine non plus. La seule compagne acceptée par le personnage est une muse, une néréide, fruit de la poésie ou de l’imagination. Cette liberté que le personnage a poursuivie tout au long du film, elle n’existe pas sur terre. Elle n’existe en art qu’au sein de l’œuvre. Mais la rejoindre ? C’est chose impossible sur cette terre.

Restent quelques legs, quelques « trafics » (de veste ─ celle que le grand-père donne à son petit-fils, de bobines ─ celles du premier long-métrage censuré ─, de relations ─ multiples et de chaque plan, comme toujours chez Iosselliani ─, de pigeons ─ trafic aérien ─, de colleuse ─ le petit outil sans lequel le montage du film est impossible…). Et puis ?
Ça se passe toujours sans prévenir chez Iosselliani, il n’y a pas plus d’effet de réel que d’effet théâtral. Et pourtant tout est mis en scène scrupuleusement. Aucun déplacement ne lui échappe. Et il y a dans ce film-ci comme une mise en scène « au pied de la lettre », une mise en scène de cinéma comme on en a rarement vu, qui appelle bêtement un chat un chat, qui suit le souvenir à la trace, sans jamais se poser une seule fois la question de la vérité, et encore moins de la vraisemblance. Le cinéma est pris pour ce qu’il est : non pas l’art du réel, mais un moyen tout bête de figurer ses souvenirs. Il ne s’agit pas de les faire figurer par une photographie traitresse, mais de les figurer en en proposant une représentation cinématographique : une remise en scène. Un dernier tour de piste. La méthode est peut-être fellinienne. Je n’ai jamais beaucoup apprécié Fellini, mais j’ai l’impression que je l’aimerais bien désormais, et il faut que je revoie, que je redécouvre Fellini.

Il y avait un peu ce désir de confrontation frontale au souvenir comme il est, dans le dernier film de Guy Maddin. Mais Iosselliani va au bout du projet. Bien sûr ça finit de façon déceptive (d’ailleurs le personnage fait défaut au sens propre dans le dernier plan, laissant là sa canne à pêche et ses amis) mais avec cette belle morale : la vie est toujours décevante, alors autant poursuivre son désir. Aller au bout du projet, ce serait peut-être quitter le rivage du souvenir pour rejoindre le lac du rêve. Mais d’onirisme point. Il y a trop de rigueur, trop de logique de l’espace et de l’action, chez Iosselliani, pour parler d’onirisme. D’ailleurs durant tout le film il s’agit moins de rêve que de souvenir. Moins de rêve que de désir. Et puis, au bout du conte : la liberté.

Le rêve non pas comme délire de l’esprit, non pas comme imagination débridée ou expression du fantasme ou du refoulé : le rêve comme projection, comme projection-désir. Une projection permanente de l’être hors de sa condition. Projection vers un lieu qui n’existe qu’en rêve.

Le rêve comme projection vers un lieu qui n’existe qu’en rêve.

TO BE CONTINUED...

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Message par Van Stratten Jeu 14 Oct 2010 - 4:38

Iosselliani intéresse moins. Godard, aussi (on en parle parce qu'il faut, mais on ne sait plus voir).

La frontière humain/non humain est pourtant plus intéressante ici que dans Avatar. Il me semble.

C'est confirmé : si un jour j'entreprends de tenter le cinéma, personne n'ira voir. Au moins je serai prévenu.

Bonne journée, spectres.

TO BE CONTINUED quand même.

Van Stratten

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Message par Invité Jeu 14 Oct 2010 - 4:50

Salut VS,

C'est d'autant plus difficile d'arriver à voir lorsqu'on ne regarde pas.

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Message par Largo Jeu 14 Oct 2010 - 8:00

Hello VS,

Tu dis des choses intéressantes sur le film dans ce texte.

La scène de la sirène fait vraiment écho à celle du poisson-chat dans Oncle Boonmee : des effets spéciaux ostensiblement archaïques, un onirisme bricolé, comme un appel à l'imaginaire, au rêve. La princesse comme le cinéaste sont comme hypnotisés, happés et ils plongent ; ils traversent le miroir...

J'avais jamais vu de films de Iosseliani et le ton est très particulier. Il est vraiment dans le fantasme de l'artiste qui doit créer seul contre le reste du monde. Il doit se réfugier dans son imaginaire, poursuivre ses visions pour échapper à ceux qui veulent lui nuire (l'Etat et sa censure...). On retrouve cette fuite vers la marge dans son discours hyper-virulent à Cannes contre la programmation du festival. Il s'en est pris à Thierry Frémaux en disant qu'il n'y avait en compétition que des films de riche, de la merde et que grosso modo les vrais auteurs comme lui, tout le monde s'en fout (Chantrapas était hors-compétition). C'était quand même un peu caricatural.
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Message par Invité Jeu 14 Oct 2010 - 8:32

Van Stratten a écrit:avec cette belle morale : la vie est toujours décevante, alors autant poursuivre son désir. Aller au bout du projet, ce serait peut-être quitter le rivage du souvenir pour rejoindre le lac du rêve. Mais d’onirisme point. Il y a trop de rigueur, trop de logique de l’espace et de l’action, chez Iosselliani, pour parler d’onirisme. D’ailleurs durant tout le film il s’agit moins de rêve que de souvenir. Moins de rêve que de désir. Et puis, au bout du conte : la liberté.
Le rêve non pas comme délire de l’esprit, non pas comme imagination débridée ou expression du fantasme ou du refoulé : le rêve comme projection, comme projection-désir. Une projection permanente de l’être hors de sa condition. Projection vers un lieu qui n’existe qu’en rêve.

Le rêve comme projection vers un lieu qui n’existe qu’en rêve.

Etonnant. Dans son précédent film (Jardin en automne) que j'avais beaucoup moins apprécié en le revoyant il y a quelques temps, le bout du "projet" de liberté semblait être beaucoup plus terre à terre : pouvoir manger du saucisson en buvant des canons avec ses copains, aller aux putes, faire les quatre cent coups sous les ponts tout en gardant un petit pied-à-terre du côté de chez les bourgeois. Peut-être s'agissait-il là de l'envers "pratique" (dans le sens de l'"expérience") du "projet" poétique que tu évoques ? Je retrouve pas mes dernières notes moins enthousiastes sur ce film.

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Message par Van Stratten Jeu 28 Oct 2010 - 16:42

Iosselliani. Tout à fait.

Mais quelle vieille habitude vous pousse encore à aller au cinéma ? Qu'y voyez-vous donc ?

Le problème du cinéma, c'est que la merde n'y a pas d'odeur.


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Message par Le_comte Jeu 28 Oct 2010 - 17:43

La chasse aux papillons est un grand film par contre.

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Message par Van Stratten Dim 14 Nov 2010 - 14:30

Vive Iosselliani !
(to be continued, encore une fois... rappel à l'ordre, ou au désordre...)

Van Stratten

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Message par Van Stratten Lun 6 Déc 2010 - 20:34

Vive Iosselliani !

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