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Le rêve la nuit (Oncle Boonmee)

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Message par Borges Dim 26 Sep 2010 - 10:44

hello; le bouddhisme de mizo est infiniment plus sensible; il bouleverse; là, je dois dire, que je n'ai à aucun moment été concerné par ce film, ses images, ses personnages, ses temps... c'est peut-être le risque de ce cinéma; "les fantômes ne s'intéressent qu'aux vivants" dit sa femme à l'oncle b, la question est de savoir si les vivants peuvent s'intéresser à ces fantômes; autant la scène du retour de miyagi, dans "les contes de la lune vague", sa présence dans la voix off est déchirante autant ici c'est foiré; autre bouddhisme, qui doit tenir à l'usage de la musique; bien entendu, avec ce film, on peut penser le statut de l'images, des images, les reflets, les photos, les esprits, les images télé, celle du cinéma bien entendu, mais c'est purement intellectuel; comme dirait rothko, aucun intérêt vraiment humain; comment dire, le sentiment que laisse ce film? que c'est un film pas trop réussi; filmer le voile de l'être, l'impermanence, sans nous attacher à rien, ne peut pas trop nous concerner, en tous les cas, je ne me suis pas senti concerné; rien à voir bien entendu avec l'impermanence de ozu, ou le non-concernement de deleuze; imagine-t-on mizo filmant une scène d'amour physique entre une princesse pas jolie et un poisson-chat? scène belle, mais en même temps complètement grotesque; comme l'humour; la question est : pour qui filme AW? que filme -t-il?
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Message par Borges Dim 26 Sep 2010 - 10:56


Quand l'eau est étale, c'est là que la moindre ride en surface peut devenir bouleversante.

on peut dire que c'est un film sans ride; comme dit la sagesse zen : l'esprit doit être comme la lune se reflétant dans le lac; le lac n'est pas troublé, la lune n'est pas mouillé; c'est un peu l'effet que me font les images de aw; le problème est qu'il ne reflète aucun esprit, sinon celui de ses propres images; pas de peur, pas de rire, pas d'amour; la question est la même : où suis-je quand je regarde?


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Message par Eyquem Dim 26 Sep 2010 - 12:19

Le partage de Rothko me paraît trop simple et c'est une critique qui ressemble à ce qui a pu être dit au moment du palmarès : ce serait un "film de festival", pour les intellectuels et les étudiants en art, et non pour les foules sentimentales, qui veulent de l'amour et du rire. Je ne trouve pas du tout que ce soit un film sans "intérêt humain" (mais encore faut-il s'entendre sur ce mot). Ce qui me plaît dans ce film, ce sont des choses très simples : une manière de "violence au repos", une façon de rendre sensibles les forces qui traversent les choses immobiles - de faire sentir les courants sous-marins sous la surface étale, pour continuer la métaphore d'Adeline.
Quand Weerasethakul filme pendant plus d'une minute les remous d'une rivière, j'étais bouleversé, parce que justement, pour moi, il touche au nerf de ce que c'est que "l'homme", un certain rapport de l'esprit aux choses.
Il n'y a que l'esprit pour rafraîchir les choses. Notons d'ailleurs que ces raisons sont justes ou valables seulement si l'esprit retourne aux choses d'une manière acceptable par les choses : quand elles ne sont pas lésées, et pour ainsi dire qu'elles sont décrites de leur propre point de vue.
Mais ceci est un terme, ou une perfection, impossible (...) Il y a toujours du rapport à l'homme... Ce ne sont pas les choses qui parlent entre elles mais les hommes entre eux qui parlent des choses et l'on ne peut aucunement sortir de l'homme.
(Ponge)
Là où le film me touche le plus, c'est quand il s'enfonce dans la forêt, et qu'il filme la nuit, les bruits des insectes, la pâleur surnaturelle de poissons, les parois d'une grotte, la prolifération des arbres et des plantes, comme une image en négatif de l'homme - et que ce qu'on éprouve alors, c'est le sentiment mi-angoissant, mi-rassurant, de ne pouvoir se confondre avec ça ni de pouvoir s'en détacher tout à fait.
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Message par Invité Mar 28 Sep 2010 - 10:16

Est-ce que ce n'est pas un piège de ne prendre le film que selon la question du "pour qui", d'un public visé, d'un horizon d'attente pré-décidé ? N'est-ce pas le coincer (et nous coincer) dans l'alternative binaire entre cinéma d'auteur ou de festival (cinéma d'Etat) et cinéma commercial (ou industriel) ? Et ainsi lui (nous) interdire le passage à un tiers-cinéma, un cinéma dont les outils et la communauté d'interprétation seraient encore à venir ?
("interprétation" est ici musicale, comme on interprète un morceau de musique, en pensant à Beethoven dont les oeuvres composées sur un piano-forte ne trouvent leur sens que jouées sur un piano moderne, donc avec un écart d'une cinquantaine d'années dont Ludwig von était pertinemment conscient.)

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Message par Borges Mar 28 Sep 2010 - 16:30

hello eyquem, SP : bien entendu; c'est un partage simple;
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Message par Eyquem Mar 28 Sep 2010 - 16:54

Hello,
rien à voir bien entendu avec le non-concernement de deleuze
Je ne me souviens plus où il parle de ça. C'est dans quel livre ?


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Message par Borges Mar 28 Sep 2010 - 17:43

hello : un peu partout, par exemple, dans logique du sens (le concept d'événement), les bouquins sur le cinéma (le deuxième), dans les entretiens avec CP... dans ses cours...

par exemple ici :

http://www.univ-paris8.fr/deleuze/article.php3?id_article=155
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Message par Eyquem Mar 28 Sep 2010 - 20:01

Deleuze a écrit:Un autre style d’acteur va naitre. Le type qui, à la lettre, l’événement se pose sur lui, mais lui appartient pas vraiment, même si c’est sa mort ! Et on peut pas dire qu’il soit indifférent. Il agira, il réagira. En ce sens, il reste un bon américain. Parfois il réagira avec une extrême violence. Et en même temps, ça ne le concerne qu’à moitié. L’événement ne s’implante pas en lui -même, même si c’est sa mort, même si c’est sa souffrance. L’événement ne lui appartient pas ! (...)
C’est des personnages qui ne cessent de vouloir se débarrasser de l’événement. Voilà ! L’événement ne leur appartient jamais. L’événement se pose sur eux, les choisit un moment, et puis c’est un événement suivant qui va les choisir à son tour. C’est absolument comme ça. C’est cette impression que l’événement n’arrive qu’étonnamment amorti.
ah oui, effectivement, en lien avec la forme balade.
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Message par Borges Mar 28 Sep 2010 - 21:22

pas seulement, la forme-ballade; l'essentiel c'est le concept d'événement; deleuze "applique" ses analyses de "logique du sens";
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Message par Invité Sam 26 Mai 2012 - 4:27

Autant j'avais trouvé tropical malady fascinant, hypnotisant, envoûtant, autant je dois bien avouer que cet Oncle Boonmee s'est présenté pour moi comme un moment de pur... Comment dire... C'était pas la nuit, c'était l'ennui.

D'un bout à l'autre, je n'ai pas capté, reçu, l'entrée, l'accès de ce film. Qui me semble fermé sur lui-même. Je suis resté poliment sur le seuil, congédié, livré à mes supputations vaines, rendu à ma solitude de spectateur qui prend son mal en patience et essaie de se faire croire que son ennui distingué est une véritable expérience, un voyage sans pareil, quelque part, là où l'ineffable se cueille en toute simplicité. Quelque chose de tellement vaporeux, évanescent, impondérable, qu'on le désignera, forcément, sous l'espèce du "rêve", de la "rêverie", de cette étoffe si riche et si inexprimable dont sont faits les songes. Mais comme pour tout, il y a "songe" et "songe". Et comme disait Satie, il y a les "songes creux", aussi.

J'ai le sentiment que les commentaires que l'on peut faire sur ce film, par le fait même d'y apporter une nourriture extérieure (littéraire), signifiante (y compris signifiant l'in-signifiance, car rien, jamais, n'est donné en soi comme in-signifiant, on veut le croire, certes, mais...), mélange de références diverses et d'impressions vagues auxquelles on confère un pouvoir de suggestion, de donation, sensation, etc, sont comme la tentative d'insérer une expérience esthétique dans le vacuum d'un artwork conceptuel tendant vers la plus grande indifférenciation de tout dans tout, et qui sera riche de ce qu'on voudra bien y mettre, par foi ou ferveur, ou croyance dans la faculté qu'a A.W. de nous livrer cette expérience esthétique, sensorielle, "mystique".
Un objet d'exposition, plus précisément une installation pour musée d'art contemporain. Un peu comme une pièce de John Cage, cad en somme (selon moi, bien sûr) un postulat théorique d'immanence radicale de l'expérience esthétique. Il faut prendre la décision que le bruit, le silence, les mots, la nature, l'habitat, la vie et la mort comme équivalents, dans un doux entrelacs, envisagés comme "inchoatifs", soient l'objet de cette expérience même de contemplation, cad une pure émotion du cotonneux.
Bien sûr, je force un peu le trait, mais c'est pour mieux faire saisir l'amplitude de mon ennui, l'expérience quasi-pure de l'ennui que fut pour moi ce film. Le parti pris, assez systématisant d'ailleurs, de tout "adoucir" en permanence, d'horizontaliser tout sur un même plan de "tout est douceur, passage" (avec des poussées discrètes dans la fréquence "inquiétude" il est vrai), avec son lot de mystique un peu rapportée et apprêtée, m'aurait rapidement tapé sur les nerfs si je ne m'étais pas senti moi-même progressivement engourdi, anesthésié, dans cette torpeur cotonneuse.

Alors oui, y a un peu de tout dans cet artwork: de la lenteur, des fantômes, de la métaphore, de la non-métaphore, de la mémoire, du temps, de l'espace, de la mort, de la famille, un oncle, de la maladie, des conversations monotones, de la nocturnité, des lueurs, de l'amniotique, des formules poétiques sur la vie, la mort, la trace, l'amour, le paradis - qui sonnent "à la fois simple et profond", du conte, du songe, de la forêt vierge, une grotte-utérus, un poisson-chat qui nique, une princesse qui jadis fut niquée..., un moine qui se dédouble devant une tv, une belle fréquence sonore, une sorte d'humour kitsch pas drôle, une cafète "psychadélik-me demande pas c'que j'fabrique", des clichés photographiques en hommage explicite et appuyé à la Jetée de Marker (et c'est rappelé par AW lui-même). Et tout ça m'a laissé absolument de marbre, m'a paru complètement hermétique et hermétiquement clos, à mon grand regret, car j'aurais bcp aimé aimer.

Mon sentiment, provisoire, c'est que A.W. s'adresse principalement à lui-même, à son intimité, à son intériorité, en disposant quelques indices sémantiques ça et là, mais sans que quelque chose de cette intériorité fasse vraiment un pli avec l'extériorité qui est la situation du spectateur. Sauf par projection, de la part du spectateur, d'une toile sur la toile.
Bref, du cinéma "expérimental" un peu guindé, au fond, qui a l'air aussi un peu de se moquer de lui-même, en administrant en minor mood un "it's all fake" (rappeler constamment au spectateur qu'il regarde un film, que tout ça est faux, une illusion, répète A.W. dans la conversation: pour ça, objectif atteint sur toute la ligne) un peu convenu, censé nous ouvrir sur une expérience brute (l'expérience brute de la mollesse oserais-je dire) un peu convenue elle aussi.


Par contre, ce qui m'a procuré une grande émotion, ce qui m'a fait frissonner de la plante des pieds à la racine des cheveux, c'est le court-métrage de 17 minutes, sur le bonus, intitulé lettre à Uncle Boonmee. Assumant pleinement un formalisme minimaliste délesté de toute narration, et ouvrant, du coup, des sensations très riches, très fortes, produisant véritablement ce qu'on nommera une "image-temps", un bloc de temps, de mémoire pure.

Pour moi, c'est ça, le grand film, le vrai film d'A.W. Alors qu'il se présente, malicieusement, comme un recyclage de matériau non-utilisé dans le film, un rapiéçage de tissus dont il n'a su quoi faire, j'ai eu l'impression que le long métrage, paradoxalement en était une extension brouillonne et inutilement "narrative".
Avec cette bande-son extraordinaire du vent dans les arbres, ces plans de fenêtres, ces longs travellings "antonioniens" (façon "the passenger"), cette lettre répétée plusieurs fois jusqu'à ce que son contenu personnel excède en le divisant l'intime, investisse l'espace, les sons, d'une tonalité trans-personnelle, une intimité "ex-time", partageable, sensible.

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Message par Eyquem Dim 27 Mai 2012 - 18:36

'soir Jerzy,
en somme (selon moi, bien sûr) un postulat théorique d'immanence radicale de l'expérience esthétique. Il faut prendre la décision que le bruit, le silence, les mots, la nature, l'habitat, la vie et la mort comme équivalents, dans un doux entrelacs, envisagés comme "inchoatifs", soient l'objet de cette expérience même de contemplation
Je pense comprendre ce que tu reproches au film, mais dans ce passage, j'ai l'impression que quelque chose m'échappe...
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Message par Invité Dim 27 Mai 2012 - 19:10

Salut Eyquem.

ça prend sens avec ce qui suit (et ce qui précède). lol.

Sinon, rien de bien nouveau dans mon discours: je redis ce que je disais à côté sur le fait qu'il n'y a jamais de donation pure d'un présent immédiat, que l'expérience esthétique (comme aesthesis, sensation) est constructiviste etc, que de ce fait, la position d'immanence (et je crois que ce film d'AW entend se placer sur un tel plan), c'est toujours un postulat théorique, une décision de sens, on n'échappe pas à ça.

Tout est dans le dispositif, l'art de sa conception, qui rend ou ne rend pas possible la passivité, la réceptivité du spectateur, qui sont toujours créatrices, une sorte de liberté passive, de liberté de s'abandonner, et qui peuvent même aller vers la plus grande passivité.

Mais peu de cinéastes parviennent à cet art là. Quand quelque chose de cet ordre arrive dans un film, a la chance d'arriver, et mieux encore, a la capacité de se reproduire, de pouvoir se répéter à travers plusieurs visions, indépendamment de "l'auto-suggestion", avec tous ses replis ô combien rusés de la mauvaise foi (je préciserai plus bas ce que j'entends par "auto-suggestion"), ce sont vraiment les films que je préfère au monde.

("Bien peu parviennent à cet art là". Mon dieu, quel langage horrible. Je pontifie dans l'oraculaire, je sais. Je m'essaie aux formules pseudo-évocatrices, aux sentences mystérieuses sur "l'art", pour susciter je ne sais trop quel "choc épistémologique" ou "révélation" à la noix, auquel je ne crois pas moi-même. Sorry, c'est pas dans mes habitudes. lol).

Le paradoxe, selon moi, comme ici, c'est qu'un film qui se présente d'emblée sous le signe de la plus grande simplicité, qu'il faut se contenter de simplement "regarder", non dirigé, sans "point de vue", offert comme un pur bloc de sensation, immanent, matériau plastique délesté du poids du sens, propice à la rêverie, etc, n'est pas du tout accueillant pour le spectateur. Il ne rend pas du tout possible (du moins pour moi) cet abandon contemplatif-créateur. Au contraire, il crée la plus grande distance, la distance que peut susciter un objet conceptuel hermétiquement clos sur lui-même, dont on peut se sentir complètement expulsé, contraint dès lors à perpétuellement penser, réfléchir, interpréter, chercher un horizon de signification, par lequel on pourrait entrer dedans.

Pour le dire autrement, "regarder", "sentir", ne suffit pas si on ne sait pas quoi regarder et sentir, ni comment regarder et sentir. Si on n'a pas le sentiment d'une "structure", aussi ouverte soit-elle, on peut pas s'abandonner. On ne peut s'abandonner qu'à l'intérieur d'une structure (pour le dire vite et mal). Ou d'une logique. Logique de la sensation. Devant cette absence d'horizon, de perspective, on est alors enclin à compenser, par la méthode Coué, l'auto-persuasion, une sorte de mauvaise foi par laquelle on surenchérit dans le sentiment de vivre une expérience très riche, une sorte de "rêve" plein d'impressions fugitives, etc.

Un peu comme en musique, c'est pour ça que je mentionnais John Cage et son concept de "musique-bruit", "musique du hasard", ou du "tout est musique". On ne sait pas ce qu'on écoute, on sait pas même si on écoute, parce que, peut-être, il n'y a rien à écouter, en fait. Comme le "chant des oiseaux" cher à Cage (ou Messiaen) (qui est une structure, bien sûr, et très riche, complexe, faut au moins être ornithologue). Alors on est perdu, ou indifférent, et par décision subjective, on opère une donation de sens, ou de temporalité sonore. On se dit un truc du genre: oh que ces sons sont beaux, c'est comme des constellations qui brillent dans le noir, ça me procure des impressions indéfinissables, comment dire, une sorte de rêverie, une atmosphère, un je ne sais quoi de fugitif. Mais même sans opérer cette décision (décision de regarder, d'écouter, ...), qu'il faut distinguer de la volonté, on cherche, on produit, spontanément, dirais-je, dans le "spontané" (qui ne se donne jamais comme "spontané", justement) une séquence, une temporalité, un trope, un cycle, une boucle, un rythme, bref un processus.

Quand je vois cet oncle boonmee, je me dis que je peux tout aussi bien chercher ou produire, pour l'accueillir, ce processus, en regardant la pluie tomber sur une fenêtre. Je n'ai pas besoin du cinéma pour ça. Ou alors je peux écouter le chant des oiseaux, je n'ai pas besoin de musique composée pour ça. Etc etc.

Tout ça pour dire que je ne crois pas en l'immanence de l'expérience, esthétique ou autre.

Donc, le spectateur que je suis, devant ce film, ce n'est pas qu'il accède ici spontanément ou dans une pure passivité à ce qui lui est montré, propice au "rêve éveillé". Il prend la décision d'accorder une croyance au postulat qui innerve le film. Il doit participer activement à cette idée (abstraite, construite, nullement concrète ou immédiatement sensible) qu'à peu près tout est situé sur un plan horizontal où tout s'équivaut, se vaut à peu près, ou s'indifférencie: la vie, la mort, le silence, les mots, la nature, l'habitat, les hommes, les insectes, etc, comme un "entrelacs". Tout y est alors essentiellement "douceur" et "passage". Et ça donne un certain type de "fantômes", qui n'en sont pas du tout (des "fantômes"). Ni au sens de Derrida, ni au sens de Nicolas Abraham, ni à mon avis au sens de la tradition que AW invoque pour donner un tour sérieux à l'affaire.
En fait, dans cette histoire, on est bien plus dans un jeu référentiel avec le bric-à-brac de la mystico-mythologie des archétypes de Carl Gustav Jung: la grotte-utérus, la puissance du Mana, le grand Singe primitif, la Forêt originaire, continent obscur et principe féminin de l'inconscient, tout le bazar, et aussi la psychanalyse des contes façon Bettelheim, etc etc.



"Entrelacs", "entrelacement", allusion de ma part aux notions chères à Merleau-Ponty. Comme on sait, il y a, pour reprendre les mots de Deleuze, une phénoménologie tendre et réservée, "reliante", celle de MP, et une phénoménologie plus dure, tranchante, perçante, les trous, les lacs de néant, celle d'un Sartre.

Mais s'il n'acquiesce pas à ce postulat (où s'il n'est pas acquis à ce postulat - et comme tu sais, je suis pas très "mystique", enfin, si je le suis, qui sait, c'est pas de cette façon), s'il ne prend pas cette décision délimitant activement le cadre de sa perception du film, le spectateur ne marchera pas à cette proposition. Le film lui-même n'a pas de regard, ce que je soutiens plus haut; il est comme une tache de Rorschach. C'est le spectateur qui fait son film, le rendant riche de ce tout ce qu'il aura envie d'y mettre (suivant éventuellement sa pente ou tentation "mystique"), en croyant, ou plutôt voulant croire, désirant, que ça vient du film lui-même.

Le chemin le plus court vers l'ennui, l'ennui radical (avant poste de l'exaspération), pour moi, c'est la proposition du genre: "faites-vous vous-même votre film, vous êtes libre, totalement libre, d'associer, de dériver, de rêver, de créer, laissez-vous aller". Ce genre d'"offrande", qui est une contrainte pesante, le double-bind typique du "sois-spontané". Je suis ouvert à la rêverie, sensible au rêve, suggestible, contemplatif, bon public, bonne pâte, patient comme pas deux, et tout. Mais je vais pas m'extasier en voyant un type affublé d'un costume de carnaval loué à la Samaritaine, en hommage à la planète des singes, ou starwars, ou Cocteau, ou un poisson-chat qui parle dans une chute d'eau. Je suis pas J.M. Frodon, moi, je vais pas invoquer un retour à l'origine du cinéma, à la lanterne magique, l'art archaïque de l'artisan etc etc. Je me demande juste si on est pas en train de se foutre (gentiment) de ma tronche. Et je suis quasi-sûr que c'est bien le cas (voir plus bas). Et c'est peut-être le fond de l'affaire.

Je n'ai pas marché à tout cela, donc. Puis ce "bouddhisme" un peu trop apprêté, systématisant, plutôt frelaté et très moqueur en réalité ***;
un regard par ailleurs très occidentalo-centré de la part de AW (derrière l'apparente sincérité d'une "quête introspective" de sa région natale, de ses racines), et comme je l'ai vu, donc, une sorte d'installation d'art-conceptuel pour musée contemporain, assez vide, coquille creuse.
[Sur le plan plastique, je dois bien dire aussi que, en ce qui me concerne, j'ai pas ressenti grand chose. Là aussi, je suis obligé de me démarquer des éloges: j'ai trouvé la photographie souvent plate, écrasée, la lumière surexposée et les couleurs plutôt laides dans les séquences diurnes. Pas du tout immersif. Je ne sentais ni la nature ni les éléments (effet carte postale un peu fouillis); et tout me semblait en général filmé soit de trop loin, en plan moyen-large (ne captant souvent absolument rien des visages, sauf un peu vers la fin, dans l'appartement. Ce parti-pris m'a bcp rebuté. J'ai l'impression que AW ne sait pas comment filmer un visage...), soit de trop près (la marche vers la grotte ressemblant un peu à un reportage d'envoyé spécial).]


*** Faut vraiment voir, à cet égard, le très beau c.m. dont je parle plus haut (plastiquement à tomber: la photographie, les mvts de caméra, la profondeur de champ, ça n'a plus rien à voir), pour saisir à quel point AW inscrit son propos dans une dérision très "déconstructionniste" (à l'américaine, je veux dire la "déconstruction" telle qu'on l'enseigne dans les écoles d'art, "post-moderne"), de son "sujet". A la vérité, il nous fait une blague, presque tarantinesque. Il ne nous le cache pas. C'est un trompe-l'oeil, une histoire de Fun, de mystification, de parodie. Il lit sa lettre à Oncle Boonmee, voix-off, en faisant croire, tout d'abord, à un accent de son terroir: voix émue, presque étranglée par l'émotion. Puis il demande des conseils à qqun pour la prononciation de chaque mot. Puis crise de fou-rire. On comprend, finalement, qu'il n'y a peut-être pas d'oncle Boonmee, que tout ça est ridicule, it's all fake, que c'est une parodie de folklore, qu'il s'en tamponne éperdument, de la région de l'Isan, du karma, de l'animisme, des grottes, de l'insurrection, etc.
Il fait dans ce c.m. d'oncle boonmee un signifiant vide, prétexte à un glissement plastique et sémantique, un jeu d'emboîtement, sur la mémoire comme trace... de rien, mémoire qui est en même temps une pure création, invention, artéfact. Alors, on me dira: c'est toi qui te fais piéger, là. AW te fait croire que son sujet est bidon, que ça ne le concerne pas intimement, que tout ça c'est du faux-semblant, mais c'est par pudeur, les détours ironiques d'une pudeur extrême, il prêche le faux pour le dire le vrai, etc. C'est là que, selon moi, AW est très fort. Je pense que c'est un joueur brillant, bien plus proche de la (jadis) "magie" arty-déco de Tim Burton (qui ne s'y est peut-être pas trompé) que de n'importe quel trip mystique, fut-il bouddhiste d'apparence. Alors, finalement, au fond, c'est quoi l'intérêt, l'enjeu, de tout ça, sérieusement?

Ce film me rappelle assez, sinon, en moins bien, un film comme Pourquoi Bodhi Dharma est-il parti vers l’Orient ? Un film, fort prisé en son temps, qui m'avait pas mal ennuyé, à l'époque, du moins à la première vision. Il était bcp question aussi de Karma, de réincarnations, de vies antérieures, d'animalité, de rêve éveillé, de nocturnité, de forêt. Mais dans le souvenir que j'en garde, je le trouve infiniment plus magique, contemplatif, plastique, plus sincère, plus dense, plus émouvant, plus authentiquement "bouddhiste" (même si je ne connais rien au bouddhisme), que cet oncle Boonmee un peu trop doux et roublard pour être vraiment honnête à mes yeux.


Maintenant, je le redis, j'aime bcp Tropical Malady (le "voyage" n'y est pas du même ordre, la dimension de la "disparition" et de la "perte" sont bien plus fortes, sensibles. AW n'y prétend pas atténuer autant le "trauma", l'écart entre la vie et la mort).

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Message par Invité Mar 29 Mai 2012 - 10:49

salut jerzy,

au moment de la sortie du film j'avais écrit des trucs allant un peu dans le même sens que toi :

J'ai reçu le film peut-être un peu différent, sans onirisme ou référence à la nuit ou à un état hypnotique ou catatonique. Je trouve même qu'il y a quelque chose d'assez enlevé. Une question de rythme, je ne sais pas. D'un côté, j'y trouve un aspect contemplatif, la beauté plastique des images y invite. D'un autre côté, tout me semble aller très vite, le récit/discours avance sans pause, la contemplation partage toujours son moment avec l'action. Et puis il y a quelques séquences franchement burlesque, presque slapsticks : la tante avec cette immense raquette à électrocuter les moustiques, le singe-fantôme improbable, drôle par lui-même mais plus encore quand il est capturé par les soldats et qu'il les enlace, le manque d'étonnement des vivants à l'apparition des morts et leurs réactions saugrenues, Tong-le-moine guettant son cellulaire et allant se faire draguer par la tante et sa fille, etc... C'est très énergique
je continue à y penser comme à un burlesque ralenti à l'extrême, une espèce de canular ou bien d'anamorphose. ou plutôt les deux à la fois et l'un par l'autre. alors je trouve vraiment intéressant que tu décrives ce cm "blague" qui accompagne le long, peut-être comme un avertissement, une signalétique : il faut que ça parte en vrille. et il me semble qu_e c'est en assumant tout à fait ce comique, en tant que spectateur, en dotant les images de ce comique, que j'atteignais un autre sens de ces images, ou peut-être pas sens mais un autre quelque chose qui s'approchait d'une contemplation. pour reprendre une image de AW (mais je ne sais plus si c'est dans Boonmee ou dans Tropical M), comme si le comique était le boeuf pour attirer le tigre et laisser libre le reste du paysage, ou un truc comme ça.

après, ce n'est pas une approche plus passive que celle qui prend le rêve pour horizon, et tu as raison de signaler à quel point le film demande une activité du regard. mais quel film ne le demande pas ? il me semble même que c'est la pointe de tout ce que tu écris ces derniers temps : qu'aucun film ne se donne immédiatement, qu'on ne touche le film que par une élaboration. mais qui élabore ? qui est actif dans le regard ? qui est actif dans le spectateur compte-tenu du capharnaüm que c'est là dedans ?


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Message par Invité Mar 29 Mai 2012 - 12:06

Un objet d'exposition, plus précisément une installation pour musée d'art contemporain.
prendre le film comme une anamorphose du burlesque, ça peut aussi permettre un rapport au moins transgressif à l'art conceptuel (s'il est subversif, ce serait à discuter).
soit une princesse qui se fait lécher par un poisson-chat, avec les moustaches et tout et tout (potentiel comique des moustaches dans ce cunnilingus). c'est évidemment l'argument d'un gag mais que le film traite autrement, sans le rythme du gag mais en en donnant seulement l'idée. mais il donne cette idée, ou ce concept (dans le sens artistique plutôt que philosophique) dans le matériau même de ce dont ce concept est le concept. un gag de cinéma dont l'idée plus que la réalisation est donnée par le truchement du cinéma.
ce serait peut-être ce en quoi le film est "bouddhiste", plus que dans la contemplation-sérénité-rêve etc... : dans la rupture a priori du rythme cyclique dont le gag est normalement la rupture a posteriori. "tuer le rythme" : leitmotiv du zen.


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Message par Invité Mar 29 Mai 2012 - 17:41

j'avoue être enchanté par tout cela.
"tuer le rythme" : leitmotiv du zen. Autant dire du macchabée qui lui effectivement ne respire plus : la mort comique, rien de bien méchant ou plutôt un peu de fascime larvé ?

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Message par Invité Mar 29 Mai 2012 - 17:44

Le rêve la nuit                (Oncle Boonmee) - Page 2 2274871703_46c755cd77_zje me démarque.

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