Le Deal du moment :
Pokémon EV06 : où acheter le Bundle Lot ...
Voir le deal

Du formalisme.

Aller en bas

Du formalisme. Empty Du formalisme.

Message par Van Stratten Ven 13 Aoû 2010 - 21:36

18 07 2010

Minnelli. The pirate.
Judy Garland rêve d’un pirate qui l’enlève sur les mers. Elle trouve mieux (pour elle) : un saltimbanque qui la fait monter sur les planches. World is a stage. Il n’y a jamais aucune frontière chez Minnelli entre le monde est la scène. On passe sans crier gare de l’un à l’autre (et la musique n’intervient pas à chaque fois qu’on passe « sur scène » : les personnages ne cessent de se jouer l’un à l’autre la comédie, sans qu’il soit pour cela besoin d’une scène matérialisée). Du coup, la réalité devient bien plus intéressante que le rêve. Stage is a world. La jeune rêveuse jouée par Judy Garland apprend à être adulte, et à abandonner des rêves trompeurs pour vivre sa vie de femme. Or cette vie se passera sur les planches, aux côtés de son comédien de compagnon. Les rêves, c’est elle qui les mettra désormais en scène pour les autres (le « public » ?).
Les mises en scène de Minnelli, aussi enchantées qu’elles soient, s’adressent bien à un spectateur adulte. D’ailleurs adolescent j’avais du mal à aimer Minnelli jusqu’à la fin. Je me souviens que je trouvais Some came running un peu trop dur, trop implacable. Je ne l’ai jamais revu, mais je parie que je trouverais désormais le film très humain. Minnelli est avant tout très humain. Il a sondé le cœur de l’homme (de la femme) et lui rend ce qui lui revient, comme de juste, sans ergoter.
Minnelli n’est pas généreux. Il compte, et ne donne rien qui ne soit dû. Gene kelly / Serafin ne s’improvise pas pirate, ne s’échappe pas de la scène comme dans un film de Raoul Walsh, mais tente de prouver son innocence, avec ses seuls moyens de saltimbanque. Entretemps, il aura fait un beau numéro de danse, comme ça, pour le plaisir. C’est son métier, de donner du plaisir au public. Il le dit très bien à Judy Garland / Manuela au début du film. Avant de l’embrasser, celle-ci aura d’abord essayé de le tuer, et se sera vengée de la tromperie / violence qu’il a exercée sur elle et sur le village (c’est la scène, géniale, et presque en deçà de l’effet comique, où elle lui lance l’un après l’autre tous les objets de la pièce, dans le bureau du vrai Moccoco, son ex-futur-mari). Un prêté pour un rendu. Minnelli compte les coups.
Le film commence par un programme, comme au théâtre, ou plutôt comme à l’opéra. On nous annonce le contenu du livret : aventures et romance en haute mer. Le film déjoue alors une à une ces attentes : en fait d’aventures, nous n’aurons que de vagues quiproquos de mélodrame, sans même un duel, en fait de romance, un numéro de clowns (certes parfaitement dansé !), enfin quant à la mer, sans cesse évoquée par les personnages (Moccoco a sillonné toutes les mers du monde, et Serafin a traversé l’Atlantique) on ne la verra que dans deux plans (qui proviennent d’une seule et unique prise de vue) qui servent de contrechamp à un regard de l’héroïne, et qui correspondent à la seule prise de vue en extérieurs de tout le film. Les pirates de Minnelli ne sont pas ceux de Curtiz ou de Walsh : ils sont cupides et lâches, ne valent pas mieux que des ambitieux prêts à toutes les compromissions. Les seuls à trouver grâce aux yeux du cinéaste sont les jeunes filles, les saltimbanques et les rois (on pourrait ajouter les vagabonds, les types moyens et les vieux soldats, évidemment…). J’ai pensé au Carrosse d’or, qui est aussi censé se passer dans des colonies d’Amérique du sud. Tout pour le théâtre. Où Minnelli et Renoir se rencontrent, alors que leurs moyens (ou plutôt leur façon de s’en servir : l’un sans même qu’on s’en aperçoive, l’autre en pur formaliste) sont tout de même bien différents. Mais tous deux ont un sens très précis de la mise en scène. Rien ne leur échappe, et en même temps tout semble toujours possible. Rien n’est jamais joué à l’avance (comme aurait dit l’oncle Serge, ils échappent toujours au programme imparti), mais ce qui arrive est immanquable, même hors-champ.
Renoir et Minelli ont l’éthique de la scène. Ils respirent le théâtre, et ce sont de grands metteurs en scène de cinéma. Ce qui n’est pas forcément joué d’avance.
Minnelli n’est ni un baroque (enfin pas tout à fait…) ni un maniériste. Le geste fait tout, le geste ne contient que lui-même, mais il est souverain. Manuela, par exemple, s’apprête à quitter une pièce en robe de mariée, prête à se soumettre aux volontés de sa tante et à son vieux grigou de fiancé, lorsqu’un vacarme, l’arrivée de la troupe de Serafin, se fait entendre depuis la rue à travers la porte-fenêtre : elle se tourne alors et retrousse son nez comme l’actrice sait probablement très consciemment le faire, geste dont elle connaît à l’avance l’effet et le dosage qui convient. N’importe où ce serait surjoué. Mais on est chez Minnelli. Judy Garland ne cabotine pas : elle danse presque déjà. Sa façon de retrousser son nez n’est pas qu’une minauderie : c’est sa vie de femme qui lui arrive de façon tonitruante, et ce destin ne lui plaît pas forcément, parce qu’il n’est pas fidèle à ses rêves d’enfant. Elle ne sera pas enlevée par un pirate sanguinaire, mais par un amuseur, par un saltimbanque. Cet avenir n’est pas séduisant, mais elle le reconnaît, et peut-être, dans le fond, lui plaît-il plus qu’aucun autre : il nous plaît bien, à nous ! Ce n’est plus un rêve d’enfant : c’est un rêve de femme. Tout cela est dans ce soudain repli de son visage.
La première fois qu’elle se retrouve « sur scène », Manuela est sous hypnose. Un peu plus tard, celui qui l’a hypnotisée (son amant) lui conseillera de recommencer, parce qu’elle ne s’est pas rendu compte du plaisir qu’elle donnait au public : elle n’a pas pu entendre les acclamations de la foule. À la fin elle recommencera donc, cette fois-ci en feignant d’être sous hypnose, et en adressant une vraie fausse déclaration d’amour à son faux pirate, mais vrai amant, tout cela dans le but de rendre jaloux le vrai pirate, et prétendu fiancé, et de le pousser à se démasquer. Cette fois-ci elle montre qu’elle connaît son métier !
L’éveil d’une conscience : rien de moins que le sujet du film. Ce qui importe ce n’est ni la révélation des fantasmes (l’hypnose), ni la vérité (tout le monde passe son temps à mentir, et les « artistes » en premier) mais de vivre ses rêves en toute conscience. Manuela choisira donc en conscience de faire le clown chantant et dansant : il est vrai que c’est in fine le rôle qui va le mieux à Judy Garland. Un vrai rêve éveillé.
Conscience du personnage, conscience du spectateur. Minnelli n’est-il pas le premier cinéaste moderne ? Mais je pense aussi à Preminger, et à Cukor. Des cinéastes modernes au temps du cinéma classique ? Sont-ils des exceptions, ou est-ce la notion de modernité au cinéma qui est mal posée, ou bancale ?
Après avoir vu le film, je vais aller lire ce qu’en écrit Daney dans un texte (vu à la télé, donc…) de Devant la recrudescence des vols de sacs à mains.


20 07 2010

Idées en vrac.
Daney donc. Et paf ! aussitôt dit, aussitôt démenti par l’oncle Serge. Page 37 du livre - De la recrudescence des vols de sacs à main - (à la fin d’un article au sujet de Valerio Zurlini) : « (…) les films que l’on taxait volontiers de maniérisme (de Minnelli à Zurlini) ». Minnelli maniériste ? Je viens d’avoir l’idée inverse. Cependant, lisons avec sagacité : Daney, comme un corrélat au maniérisme, utilise les mots de « formalisme », de « mise en scène » et de « style » (ou plutôt de stylisme, recherche de style). S’il repère des traits de maniérisme chez certains cinéastes, c’est pour mieux les racheter par ailleurs, et légitimer leur démarche. Je rejoins pleinement Daney : Minnelli est un formaliste (pas pour le décor, mais pour la rigueur de la mise en scène), et un metteur en scène parmi les plus subtils, mais le taxer de maniériste est franchement à côté de la plaque, justement. Ce n’est pas Daney qui me démentirait (finalement) sur ce point : « cette façon de faire, dit-il de Zurlini, n’est pas gratuite, ce stylisme est une recherche déjà désespérée du style ». Or qu’est-ce qui fait son style ? Réponse de daney : sa « mise en scène ». Zurlini est « un pur metteur en scène ».
Il me semble que la forme au cinéma passe d’abord par cette question de la mise en scène. De The Pirate à Politist, adjectiv, la mise en scène est première au cinéma. Qu’elle soit minimaliste ou grandiose, férocement réglée ou lâche et aléatoire, la mise en scène ne peut jamais être négligée, si l’on ne veut pas courir le risque de l’informe.
L’expression Cinéma formaliste ne devrait jamais être qu’un pléonasme. Les cinéastes que l’on appelle usuellement formalistes, de Kurosawa à Anthony Mann, de Bresson à Welles, en passant par Sternberg et Ophuls (et tous les cinéastes russes), seraient alors simplement des radicaux qui connaissent si bien la « boîte à outils » du cinéma (comme dit Daney dans ce même article) qu’ils en sont obsédés, au point qu’on ne voit qu’elle, ou plutôt la maîtrise qu’ils en ont. Tous leurs films sont autant de traités théoriques sur le cinéma. Mais si l’on veut bien les regarder vraiment, ils nous montrent bien davantage.
Justement, j’ai la douloureuse impression que les images n’ont jamais tant manqué de forme. Être formaliste pour les jeunes turcs des années cinquante, c’était d’abord avoir quelques intuitions géniales à propos du cinéma. Aujourd’hui c’est l’esthétique (publicitaire, forcément publicitaire, mais là aussi c’est presque un pléonasme) qui a remplacé le formalisme, et dans toutes les images, pas seulement au cinéma. Evidemment je repense à Hunger, à ce film qui trahit tout le vingtième siècle, qui nous assomme à coup d’images-sensations et d’images-concepts, mais qui éradique dans le même mouvement toute possibilité de durée, et évidemment, toute idée de plan.
L’économie du cinéma, c’est le plan, ça ne peut être que le plan. Impur, le cinéma ne saurait se passer de cette réconciliation de l’enregistrement, du temps qui passe, et ne saurait se passer non plus du formalisme qui lui permet d’exister malgré l’hétérogénéité des formes et des substances diverses qui composent l’image.

Gus van Sant, Gerry.
Vu avant-hier, au soir. Film formaliste s’il en est. Mais film maniériste ? Pas une seconde ! Pas un plan ! Recherche formaliste, jusqu’auboutisme, radicalité inouïe (d’ailleurs jamais vue non plus, je ne crois pas). Un film, est-il dit sur la jaquette du DVD, coécrit avec les deux comédiens. Sans doute, donc, un film qui a trouvé sa trajectoire dans l’espace même et au moment même de sa mise en scène. Gus Van Sant a très bien compris que la mise en scène est première : chez lui, elle semble même précéder l’histoire (autrement dit le « scénario », mais même le terme n’a plus de sens dans ce cinéma). Mise en scène minimaliste, certes, mais réglée, déterminée, obstinée même. La seule chose qui soit fixée à l’avance, dans ce jeu avec le temps et avec la mort. Quoi de moins gratuit que ce film ? Quoi de moins maniériste ? Gerry est l’exemple de ce que formalisme ne veut pas dire maniérisme.
Deux personnages se perdent, puis marchent obstinément, droit devant eux, avec l’espoir, de plus en plus ténu, de retrouver leur chemin. Aucune psychologie. Des dialogues tellement concrets et parcimonieux qu’on pourrait les taxer d’insignifiants (une constante dans les films récents de GVS ─ évidemment, cette niaiserie d’Harvey Milk mise à part). Traces d’animaux, quête de repères dans l’espace, repérage du territoire : on pense à John Ford, le plus grand des metteurs en scène, mais on n’est pas chez John Ford, et c’est évident dès le premier plan ─ preuve, s’il en faut une autre, que le film n’a rien de maniériste. Pour les personnages comme pour nous, il est impossible de se repérer dans l’espace, d’un plan à l’autre, et au-delà du raccord. Parfois les personnages se déplacent de droite à gauche, parfois de gauche à droite.
Cette perte de repères, très « flippante », est évidemment affaire de mise en scène. Avec les mêmes outils (et presque le même « univers profilmique » !) GVS produit exactement l’inverse d’un John Ford. C’est faramineux. Enfin, moi, je trouve. Ça n’est pas moins important que Film Socialisme.
Je me souviens, particulièrement chez Hitchcock (Au début de I Confess, que je n’ai finalement jamais vu en entier) mais aussi chez Mankiewicz (Suddenly last summer, ouverture également), de l’importance des directions de mouvements de personnages. Personnage qui marche, panneaux indicateurs, etc. : tout concourt à une « logique de mise en scène » imparable. Ligne horizontale et orientée : gauche-droite, ce n’est pas droite-gauche.
Evidemment c’est valable chez Gus Van Sant, sauf que la logique chez lui est beaucoup plus obscure : une logique un peu folle, un peu malade (de la catégorie des grands films malades pointée naguère par l’oncle Serge), et que malgré tous ses efforts le spectateur peine à interpréter (on ne risque pas chez GVS d’affirmer des inepties du genre « à droite le Bien », « à gauche le Mal »). Et pourtant quelle mise en scène ! Quel sens du découpage aussi. La steadycam n’est pas qu’une marque de fabrique chez GVS (qui répétons-le n’a rien d’un maniériste) : c’est d’abord un outil indispensable, qui lui permet de mettre en scène, ou plutôt de laisser les choses se mettre en scène, de sorte qu’il n’a plus qu’à les accueillir dans le cadre comme il le souhaite, ou plutôt encore une fois, comme il le doit, selon cette logique quelque peu maladive, et que sans doute lui-même, en tout cas au cours du tournage, ne saurait expliquer. Mais comment douter, dans un film tel, que cette logique existe, la logique interne de cette forme unique qu’est Gerry, le film ? Forme unique et quelque peu sidérante. Ce que j’aime avec GVS, c’est qu’il est très proche d’Hitchcock, mais qu’il ne lui doit rien(encore une fois : il n’a rien d’un maniériste, sauf peut-être quand il fait un remake de Psycho, mais là encore je demande à voir, parce que c’est un franc remake, officiel, d’un film précis, donc un exercice de style, mais non pas une suite d’allusions voilées et de signifiants déjà usés et remis à neuf dans un scénario bâclé ─ évidemment, je pense à DePalma, mais oublions-le un peu, celui-là).
MISE EN SCENE : ça ne veut pas forcément dire que le cinéaste dirige tout. La mise en scène dirige, une logique formelle interne vit sa propre vie dans l’espace et le temps du film, mais le cinéaste là-dedans peut n’avoir que le rôle de déclencheur, puis ensuite un rôle très concret de suiveur, parfois de relanceur (d’attaquant aussi, évidemment, au besoin). La caméra de GVS est tantôt près, tantôt loin des personnages, presque en une alternance systématique des plans. Tantôt il précède, tantôt il suit les personnages, tantôt de face, tantôt dans leur dos. Tantôt à leur gauche (et ils vont de droite à gauche dans le champ) tantôt à leur droite (et ils vont de gauche à droite dans le champ). Souvent les plan « de droite » sont des plans larges, et les plans « de gauche » sont des plans rapprochés (mais pas au sens strict : plus ou moins rapprochés).
Plus le film avance bien sûr, et plus l’espace filmique devient à la fois présent, singulier, mais aussi indéterminé. L’indétermination est la grande force du cinéma de GVS, j’ai déjà eu l’occasion de le penser (voir Last Days et son personnage).
Dans Last Days l’indétermination était d’abord celle de l’identité du personnage (personnalité, âme, rôle, mais aussi état civil, bien sûr) et celle de la temporalité : Quel repère temporel ? Quand sommes-nous ? Pourquoi cette certitude de déjà-vu au beau milieu du film ? Dans Gerry l’indétermination est celle des personnages bien sûr (motivations, enjeux dramatiques, mais aussi liens entre eux : sont-ils frères, ou amis ? Qui appellent-ils « maman » ? Où se rendent-ils ? Quelles sont leurs intentions ? Qui s’appelle Gerry ? l’un, l’autre ou les deux ? ─ comme d’habitude chez GVS le dialogue est trop erratique pour répondre) mais aussi celle de l’espace. Ici le temps, la succession des jours, étrangement, ne pose pas trop problème. Parfois on ne sait plus bien à quel moment de la journée on se trouve, mais c’est surtout l’espace qui devient indéterminé dans le film, c’est bien l’espace qui nous perd. Au point que l’espace finit par devenir le troisième personnage du film. Au point qu’il en devient terrifiant. Au point que l’on songe que c’est lui qui pousse l’un des deux personnages à étrangler l’autre.
On en arrive donc à ce paradoxe (qu’il faut éclaircir) d’une mise en scène implacablement précise qui génère la plus grande indétermination qui soit. Au point que l’on n’est plus jamais vraiment sûr de « ce qui se passe ». L’action est simple, on n’en doute pas beaucoup, mais on en doute toujours un peu. Ce ne sont pas seulement les personnages qui semblent flotter à divers moments du film (et surtout dans cet incroyable plan surexposé, où les deux personnages marchent l’un derrière l’autre sans que l’on arrive vraiment à les distinguer avant l’extrême fin du plan, et qui rappelle Cocteau et Pasolini à la fois), mais l’action, le drame, le temps lui-même. Et cela arrive, me semble-t-il, avant tout par des moyens de mise en scène. Cela reste à éclaircir. Donc à développer.
To be continued.

11 08 2010

Relu ce qui précède. Idée assénée du maniérisme. Triste d’en être à rabâcher. Assurément, au sujet de GVS, tout le travail reste à faire.

Aujourd’hui, The crowd roars. La foule est saisie d’effroi : elle ne fait plus qu’un. Et rugit, presque à l’unisson du moteur.
Vitesse et précision. 1932. Hawks vient à peine de quitter le film sans parole, mais c’est déjà son troisième film parlant. En deux ans il en tourne quatre. Le suivant dans la filmo est Scarface.
Hawks va très vite, et visiblement il ne se retourne pas. On sent dès les quatre premiers plans, ceux du générique, qui rendent caduque toute tentative de traduction du titre, tant ils sont plus saisissants que toute explication, on sait donc dès ces quatre plans qui s’enchaînent très vite (en fait il y en a sept…), que Hawks aime les voitures et la vitesse. Mais pas comme tout le monde, non, passionnément, comme un fou. Hawks est un sincère. D’ailleurs, si l’on en croit le générique, c’est lui qui est à l’origine de l’histoire du film (Ben Hecht l’assiste-t-il au scénario ? À vérifier, mais c‘est plus que probable : Howard Hawks a autre chose à faire qu’à écrire une histoire : il surveille le montage du film précédent, et songe déjà au suivant…et le suivant est un gros morceau, donc).
Autour d’un circuit automobile, Hawks est comme chez lui. Alors ça va encore plus vite que d’habitude. Ça prend environ une heure dix. C’est dire s’il faut être attentif. J’avoue d’ailleurs à ma honte avoir laissé filer le nom des personnages, ainsi que la situation entre Lee et Joe au début du film. Hawks, cinéaste moderne ? Là encore, pour lui comme pour Minnelli, combien j’ai envie de le crier !
Hawks sort à peine du muet, et l’on dirait que le cinéma a toujours été parlant. C’est sidérant. En même temps, subsistent quelques vieilles habitudes, qui ne rendent la mise en scène qu’encore plus alerte, le montage plus intelligent, le récit plu rapide. D’abord il y a ces sept plans du générique (il y en a exactement sept, j’ai vérifié, dvd oblige). Hawks invente le pré-générique, trente ans avant la télévision (la bonne télévision en l’occurrence, de Mission : impossible à Columbo). Mais il le fait à sa façon, plus vite que son ombre. Cette première séquence, sortie de nulle part, annonce bien sûr l’avant dernière, celle de la course finale, au cours de laquelle se produisent tant d’événements dramatiques, et en si peu de temps. Saisissant. Donc les sept plans valent pour leur précision, redoutable (preuve s’il en faut que dans certaines séquences ultérieures, si les situations sont difficiles à saisir, c’est sciemment, c’est que le maestro l’a choisi : ainsi de la situation entre Joe et Lee, dans le compartiment du train, au début du film, où l’on peine à comprendre ce que la jeune femme attend de son amant, et d’ailleurs s’ils sont amants ou fiancés, où l’on peine surtout à comprendre pourquoi, et surtout comment Lee reste dans le train au lieu d’en descendre avec Joe : où va-t-elle ? pourquoi avoir fait le trajet jusqu’ici ? De même, une seconde plus tard, découvrant le personnage de Spud, on a du mal à saisir au vol le mot d’ « assistant driver » que lâche Joe alors qu’il marche sur le quai de la gare, et poursuit plusieurs conversations à la fois ─ d’ailleurs j’ai longtemps eu du mal à comprendre ce rôle dévolu à Spud ─ d’autant qu’il est aussi mécano ─, avant que ce soit la mise en scène elle-même qui nous le montre, sur la piste). Mais ils valent peut-être autant par la bande son. Par le bruit assourdissant des moteurs lancés à pleine vitesse, interrompu par le bruit métallique de la taule qui vient s’écraser contre la taule, lui-même surmonté aussitôt par le hurlement de la foule, submergée à son tour par la musique stridente du générique. Vous avez dit film parlant ? Mais si tout le monde avait eu le talent d’Howard Hawks, on aurait dit film de bruits ! De bruits et de fureur.

Bien sûr cette ouverture impressionne le spectateur : c’est du grand spectacle, et le public en a pour son argent. Du sensationnel. Sauf que Hawks est un sincère. Et surtout, comme le dit l’adage, il est génial. Donc lors de la deuxième séquence, celle qui ouvre le récit, deux gros titres de journal viennent nous rappeler que le muet n’est pas loin derrière nous. Mais le roublard en profite surtout pour gagner du temps dans l’exposition : le spectateur a l’habitude des cartons ? Tant mieux : on ira plus vite à l’essentiel. On apprend donc les rudiments du récit : Cagney est un grand pilote, et revient faire un tour dans sa province à l’occasion d’un championnat local (quatre plans). Mais l’essentiel est ailleurs : ainsi chez les champions automobiles, on ne perd pas de temps. On fait les réglages du carburateur à bord du train en marche, quitte à enfumer le contrôleur dudit train, qui n’apprécie pas les émanations de gazoil à leur juste valeur. Provocation : si vous n’aimez pas les progrès techniques, si vous n’aimez pas les automobiles, si vous n’aimez pas la vitesse, passez votre chemin. Nous voilà prévenus. C’est aussi moderne que l’ouverture d’A bout de souffle. Presque trente ans avant. J’ai dit aussi moderne ? Non, ça l’est davantage, parce qu’ici ça ne passe pas par la parole, par les invectives frontales de Belmondo regardant le spectateur dans les yeux, mais directement par la mise en scène. Ainsi que par le réalisme : le réalisme du premier cinéma, de l’Arrivée du train… Un réalisme spectaculaire. Le réalisme ontologique du cinéma. Oui, Hawks est un cinéaste moderne.

Le scénario est mince. La story composée par le maestro himself n’a pas dû être beaucoup retouchée par les writers attitrés de la warner. Du coup la mise en scène n’en est que plus forte. La dernière séquence, éminemment dramatique, est magistrale : en quelques plans à peine les événement s’enchaînent à la vitesse du bolide, voire plus vite (on devine des ellipses au cours des tours de piste). D’ailleurs on ne soupçonnait même pas que Joe faisait de nouveau partie de l’écurie de son frère, et qu’il se tenait tout prêt dans le stand à servir d’ « assistant driver » et à prendre la place d’Eddie au volant. Le coup de théâtre n’en est pas un : c’est un vrai coup de cinéma. Les deux frères se réconcilient par les pieds, particulièrement par le pied droit, celui qui appuie sur l’accélérateur (ce qui nous vaut deux plans de coupe incroyables sur la pédale d’accélérateur). Dans le même temps Joe surmonte au côté de son frère le traumatisme de la mort de son ami Spud, au milieu du feu de gazoil qui envahit la piste de fumée. Et ce n’est qu’une fois franchi la ligne d’arrivée que leur pneu éclate, et les envoie dans le décor. Tout cela en quelques secondes. Eisenstein est battu. À plate couture.


Van Stratten

Messages : 165

Revenir en haut Aller en bas

Revenir en haut

- Sujets similaires

 
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum