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Message par Invité Ven 18 Juin 2010 - 9:22

Nozomi est une poupée gonflable qui s'éveille, façon Pinocchio, ou Edward Scissorshands. Elle s'aperçoit qu'elle a un coeur et ça lui pose pas mal de soucis. Elle trouve un travail dans un vidéoclub où elle rencontre Jun'ichi, avec qui elle va vivre une histoire d'amour. Mais elle vit aussi avec Hideo, inconscient de son éveil, qui joue avec elle au couple modèle et s'en sert comme objet sexuel. Tout les gens qu'elle rencontre se plaignent d'une manière ou d'une autre d'un vide existentiel : Jun'ichi, le patron du magasin, une cadre vieillissante, un vieux bonhomme, une boulimique... Un jour, au magasin, elle se coupe et se dégonfle mais Jun'ichi lui sauve la vie en collant un scotch sur la coupure et en la regonflant, en insuflant de l'air dans la valve qu'elle a sur le ventre. Plus tard, cette résurrection devient leur jeu sexuel, leur façon de faire l'amour. Mais Nozomi profite de ce que Jun'ichi est endormi pour lui faire la même chose (il lui a dit qu'il était comme elle : vide), le faire jouir à son tour : elle lui plante une paire de ciseau dans le ventre, cherche en vain la valve pendant qu'il se vide de son sang, essaie de le sauver en lui soufflant de l'air dans la bouche (baiser).

Il y a surement autre chose que le seul constat (banal et un peu vain) du vide des habitants de la grande ville. Il y a d'un côté un sentiment du vide, de l'absence de l'autre. Mais la poupée, elle, est réellement vide, ce que Kore-Eda ne manque pas de rappeler dans la différence des ombres de Nozomi et Jun'ichi. Et ce vide-là, ce vide objectif, est visiblement lié à la capacité d'ouvrir une fenêtre pour tendre la main vers une goutte d'eau et se dire : « superbe ». C'est aussi le dernier geste du film, accompli par la boulimique sortant un peu de son enfermement : la goutte d'eau est remplacée par un tas d'ordures singulièrement disposées mais le constat est semblable : « superbe ».

Une lecture possible est alors l'affirmation de la présence dans le film de deux morales opposées : celle du monde, où on est pleins d'un vide dicible, remplis de l'absence d'une femme ou d'un chien qu'on a aimé ; et la morale de la poupée, où le vide n'est plus un sentiment mais un état, une transparence au monde, non plus l'absence d'un disparu mais celle d'un jamais apparu, ou d'un toujours réapparaissant sous mille formes variées, inattendues, incontrolables : une goutte d'eau, un tas d'ordures, les étoiles au ciel plutôt qu'au plafond d'Hideo.
« As-tu vu quelque chose de beau ? », demande à la poupée son créateur – et Nozomi hoche la tête sans donner plus de précision car aucune précision n'est possible. Ce vide-là comme condition de l'envol, de la puissance de mourir pour l'autre et renaître par l'autre, du choix de sa propre disparition.

Une autre lecture possible est de voir dans cette transparence de la poupée une métaphore de la transparence de la pellicule et du film, un art cinématographique.
Ça cause beaucoup de cinéma tou au long du film, puisque Nozomi travaille dans un vidéoclub. On voit notamment Sussumu Terajima, l'acteur fétiche de Kitano, venir louer le Violent Cop d'Abel Ferrara – alors que Violent Cop est aussi le titre du premier film de TK. C'est un exemple parmi d'autres. Mais il me semble que tous les films nommés sont états-uniens. S'y opposerait donc la transparence au monde de la poupée.
Les deux lectures ne sont pas exclusives ou opposées. Elles symbolisent ensemble. La vision de la poupée enregistrant tout et marquant tout est comme la vision de la caméra, part objective du cinéma. Alors que son étonnement constant et sa capacité d'admiration est la place du cinéaste, la place de l'affect et de la décision. Classiquement, le cinéma comme ascèse spirituelle.

Dans l'ensemble, on retrouve la thématique du réagencement du passé dans le présent habituelle dans les films de Kore-Eda (Maborosi, After Life, Still Walking), mais avec une différence de traitement qui recouvre une différence d'approche. Il me semble que la caméra était généralement fixe dans les films précédents, ce qui pouvait rappeler Ozu, surtout dans le huis-clos familial de Still Walking. Cette fixité était cohérente avec l'enjeu, qui était de geler dans le présent la course incessante et répétitive du passé pour ouvrir (ou non) les possibles variés qu'elle interdisait. Prendre le temps de la remémorisation avant de tout recommencer comme avant ou, au contraire, de prendre la tangente.
Dans AirDoll, le personnage de la poupée n'a évidemment rien à se remémorer et l'enjeu s'inverse. Il s'agit justement de faire vivre le présent sans mémoire dans un environnement englué, figé dans le passé et dans sa perte. Pour celle qui n'a jamais rien eu, rien n'a pu disparaitre, il n'y a rien à faire revivre contre la mort et il ne reste que d'aller vers l'avant jusqu'à la fin inévitable sur un tas d'ordure. À ce mot d'ordre de la marche en avant correspond une caméra elle aussi en mouvement, avec beaucoup de travellings – un peu trop à mon goût, alors qu'une solution très élégante est donnée dès le premier plan, où un personnage est appuyée sur la vitre d'un train roulant dans la nuit : son corps est immobile dans le wagon tandis qu'à travers son reflet, par transparence, on voit le déplacement du paysage. Mais du propre aveu de Kore Eda, ce plan a été obtenu par hasard.

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