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La Dentellière - C. Goretta (1977)

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Message par adeline Lun 14 Déc 2009 - 22:24

Elle s'appelle Pomme. Elle n'est pas dentellière, mais shampouineuse dans un salon de coiffure de Paris. Elle est toute jeune. Quelques taches de rousseur, des cheveux roux coiffés en carré. Elle habite avec sa mère. Elles ne se parlent pas beaucoup, mais l'une des plus belles scènes du film montre comme elles s'aiment, sans se le dire. Pomme se coiffe devant le miroir de la petite salle de bain. Sa mère la regarde, tendrement. Pomme tourne la tête vers elle, esquisse une ombre de sourire doux, continue à se coiffer.

Je crois que Pomme est l'un des plus beaux et des plus émouvants personnages que j'ai vus dans un film.

En fait, elle s'appelle Béatrice.

La Dentellière est une adaptation du roman du même titre, prix Goncourt 1974, écrit par Pascal Lainé. (Je ne connaissais pas son nom du tout, mais il semble que le Goncourt et ce film ont fait bien de l'ombre au reste de ses livres). Le film a eu beaucoup de succès (prix à Cannes, d'interprétation pour Huppert). Je ne connais pas du tout le réalisateur, Claude Goretta. Je n'en avais jamais entendu parler avant de tomber par hasard sur le dvd chez quelqu'un.

C'est un très beau film, poignant, simple, qui ne parle pas beaucoup, comme son héroïne, et qui dit bien de choses.

C'est avant tout une belle et triste histoire d'amour, entre Pomme, toute modeste, et François, étudiant en lettres à la Sorbonne, un jeune bourgeois qui s'ennuie.

Ce n'est pas l'histoire clichée, du jeune homme cynique qui s'amuse durant un été avec une jeune fille fraîche et naïve avant de la laisser tomber quand le retour à Paris rend l'histoire irréelle, impossible et anodine. On est à Cabourg, l'hôtel où le jeune Marcel rêvait d'Albertine est juste à côté, près côté du casino, et il est vraiment question d'amour.

Je crois que François aime vraiment Pomme, qu'il aurait vraiment voulu son bien. Ils emménagent ensemble. On dirait, durant quelques scènes, qu'ils sont heureux. Mais l'idiot se voyait comme une chance pour Pomme. Celui qui lui permettrait de sortir de sa condition de petite shampouineuse, qui lui ouvrirait des portes et la ferait changer. Il serait faux de dire que Pomme est heureuse, et qu'elle se satisfait de sa condition, s'y plaît et s'en contente. Ce n'est pas un rêve de vie. Mais son mutisme et son détachement viennent plutôt d'une absence de désir, d'une acception tranquille de ce qui est, de ce que la vie fait pour elle. Elle prend sa copine Marylène comme elle est, ne s'offusque de rien, et l'accompagne tranquillement jusque dans ces boîtes un peu glauques de Deauville, alors qu'elle ne sait pas danser. Elle prend François parce qu'il se présente à elle, mais alors se donne, dans son mutisme, toute à lui. La scène dans la voiture, où François lui demande ce qu'elle fait dans la vie, si elle a connu des garçons, si elle est vierge, est d'une grande dureté. "Mais alors, c'est quoi ta vie ?"
La vie de Pomme est au présent, à distance des choses et des gens. Est-ce pour cela qu'elle n'aime pas, ou qu'il est impossible de l'aimer ? Est-ce la différence de classe qui devient pour François un obstacle débile, qui le pousse à la quitter ? François se rend compte sans doute chez ses parents que sa mère est hostile à Pomme, mais ce qu'il ne peut accepter, c'est la placidité de Pomme. Son manque de désir pour le futur. Il voulait la faire changer, lui permettre de construire une vie meilleure. Mais Pomme est trop loin.

Elle finira par se retirer complètement du monde, de douleur. Pas dans un couvent, non, dans un hôpital.

Le monde est trop lourd parfois lorsqu'on n'a pas les mots pour le dire.


Dernière édition par adeline le Mar 15 Déc 2009 - 7:48, édité 1 fois

adeline

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La Dentellière - C. Goretta (1977) Empty Re: La Dentellière - C. Goretta (1977)

Message par adeline Lun 14 Déc 2009 - 22:32

Le film dresse un portrait assez dur de François, jeune révolutionnaire de livre, mais il pose par un biais douloureux, l'impossibilité d'une histoire d'amour, la question des liens politiques entre les "élites" cultivés révolutionnaires et les classes qu'ils défendent. La scène où Sabine Azéma, avec ses lunettes énooormes, discourt sur Marx, est incroyable : ils parlent d'émancipation, de grève, de matérialisme de dialectique, et Pomme est là, avec qui personne ne parle, ne communique. Elle ne comprend pas. Et lorsqu'elle demande à François ce que veut dire "dialectique", il répond comme si elle ne pouvait pas comprendre.

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Message par Invité Mar 15 Déc 2009 - 5:04

C'est un beau film, assez ambigu.

J'ai vu ce film à 15 ans: ça m'a fait pleurer, j'étais à fond dans le truc. Je l'ai revu 10 ans plus tard, je marchais toujours mais déjà, quelque chose me gênait. Je l'ai revu à 35 ans, et je reste partagé depuis…

Le problème de ce film, c'est justement que par l'organisation de sa dramaturgie, il semble ne laisser aucune chance à ses personnages: ils semblent d'emblée des axiomes figurés à accomplir l'idée ou la démonstration de leur stéréotypie sociale (c'était déjà sensible dans son premier film: "l'invitation", qui est un jeu de massacre systématique et, avec le recul, plutôt horripilant, et ça empirera jusqu'à "la provinciale", complètement raté, la carrière de Goretta s'orientant ensuite vers les adaptations tv mi-figue mi-raisin de Maigret - avec Bruno Cremer).
L'ensemble est bizarrement à la fois totalement juste et totalement faux: une certaine approche de l'aliénation sociale et de la lutte des classes, consistant à appliquer et à retourner contre lui-même, comme idéologique, un certain discours schématiquement marxiste de l'époque. Mais trop mécanique, d'une dialecticité pauvre, plus de l'ordre de la rhétorique.
Les "gauchistes" qui nous sont présentés dans ce récit sont des caricatures peu avenantes et peu sympathiques, c'est peu dire, de jeunes bourgeois déréalisés par cet "opium des intellectuels", comme disait Aron, que semblent dans leur bouche les concepts d"aliénation", "lutte des classes", "solidarité avec les prolétaires", etc. Il y a en filigrane, dans ce dispositif de la rencontre entre l'ensemble "Pomme" et l'ensemble "François", le procès désenchanté, sous-jacent, de "mai 68", une ironie amère sur le projet libérateur et émancipateur dont ce dernier se voulait porteur;
de là à avancer que ça place le film dans un horizon de perception réactionnaire (à la Jean Dutour: "l'école des jocrisses") ou anarcho-droitiste? de "68" (du style: le mai 68 "estudiantin" ne fut au fond, dans son effectivité, qu'un mensonge, un carnaval transgressif permettant aux fils de la classe bourgeoise de se préparer à l'exercice de leurs prérogatives de futurs patrons - et cela dit, le front syndical ouvrier lui-même ne s'est jamais complètement départi du soupçon de s'être senti "quelque part" dépossédé du motif réel de sa lutte), la question peut évidemment être posée, tout comme on se doute bien que la réponse sera sujette à verte polémique et comprendra son lot de procès divers-z-et variés. Mais bon: y a "des" mai 68, de strates et de couches différentes; celui de Deleuze n'était pas forcément celui des étudiants de la Sorbonne, etc...

L'"l'intello-gauchisme" des étudiants est d'une certaine façon montré, ici, comme l'exercice à l'œuvre d'un écrasement de la classe dominée par ce que Bourdieu appellerait la fraction dominée de la classe dominante: celle qui jouit du "capital symbolique", du savoir, de la culture, des "mots pour dire" ce qui s'apparente à une "conscience politique". La démonstration me semble néanmoins cadenassée, verrouillée de triste façon et pour le pire (ou l'efficacité du drame), en figeant au maximum les deux termes de l'équation dans une impossibilité… "quasi-ontologique" (hum et sic) de s'arracher à leur hyper-détermination sociale par la conscience critique, réflexive ou pré-réflexive, de leur situation.

A un certain degré, ces personnages de "roman bourgeois" pourraient être ressentis, en termes sartriens, comme des essences (clichés), grevés de l'en soi des déterminations socio-objectives qui pèsent sur eux comme une "quasi-nature", et ainsi séparés de toute possibilité de sursaut analytique ou critique, condamnés à leur détermination et non condamnés à la liberté (laquelle s'engendre dans l'aliénation sociale, une lutte, et non dans un ego solipsiste déjà constitué: idée vers laquelle s'achemine précisément le "second" Sartre, lorsqu'il tente de dépasser sa primo-conception de la liberté sur le modèle de l'ego-conscience cartésienne, vers l'historicité collective d'une "raison dialectique"). (Évoquant Sartre, me revient tout à coup en mémoire que c'est Goretta qui a réalisé cet ahurissant téléfilm-biopic en 2 parties: "Sartre et le temps des passions", avec Bruno Podalydès "imitant" Sartre comme Patrick Sébastien imiterait Bourvil - et pour la compréhension de la pensée de Sartre, la bio par BHL tiendrait du génie fracassant.)

Donc d'un côté, Pomme, enfermée d'emblée, essentialisée dans la double imagerie convenue de la femme douce et passive, tendre chair, pure présence offerte et aimante (qui aime sans rien "demander"), et qui, si elle est du côté du silence n'est donc pas du côté du "logos" comme eût dit La Palice, et du milieu social où elle vit, celui des "petites gens" présenté lui-aussi comme espace du silence et de la passivité, de l'effacement et de la discrétion.
De l'autre, François, étudiant en lettres à la Sorbonne, belle âme et/ou conscience malheureuse dont la compréhension des mécanismes de l'aliénation est non seulement complètement abstraite, non réflexivement assumée, mais pire, loin d'ouvrir une quelconque forme de "conscience politique", constitue l'instrument clivant, plus ou moins conscient (et plutôt plus que moins), d'une haine de classe appliquée à l'objet non pas d'un amour désintéressé, mais d'un programme pervers d'éducation : il lui tend d'une main les "mots émancipateurs" qu'il lui retire de l'autre, par un langage de maîtrise destiné en fait à la tenir à distance, dans les cordes.
A partir de là, le drame est cousu d'avance. Une vraie horlogerie suisse.

On pourrait cependant s'essayer à voir aussi le film comme une transposition décalée de "Bartleby", lecture pas forcément incompatible ou hétérogène avec celle que je propose, mais plus riche et la contredisant sur un point précis: Pomme serait davantage, par sa passivité étrange, un pôle d'affolement rendant le discours de François inepte et creux, agissant sur lui comme un révélateur de sa propre abstraction et de sa propre aliénation.
Dans la progression dramatique, c'est assez troublant: une énigme humaine - qui attend d'une certaine façon quelque chose sans l'attendre, qui dit sans dire, qui demande sans demander, suscitant l'attraction-répulsion de l'étudiant dans le rôle de l'avoué et le jetant dans une haine-panique irrationnelle: la fuyant et la repoussant jusqu'à la condamner à n'être plus qu'un fantôme contemplant un "non-paysage" (dans le cas de Pomme l'affiche pour un pays lointain et exotique) derrière une fenêtre aveugle. Et à qui il rend une dernière visite dans sa chambre d'hôpital, de la même manière que l'avoué allait voir Bartleby en prison, dans un mélange de culpabilité et de compassion impuissante.


Dernière édition par Simon Cussonaix le Mar 15 Déc 2009 - 15:47, édité 1 fois

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Message par balthazar claes Mar 15 Déc 2009 - 11:32

Mais merde, il avait dit qu'il partait, tel le noble chevalier errant.


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La Dentellière - C. Goretta (1977) Empty Re: La Dentellière - C. Goretta (1977)

Message par Invité Mar 15 Déc 2009 - 15:43

Ben oui, je repars, et de temps en temps, je repasse brouter l'herbe .

Noble? Chevalier? Tu projettes encore ta mise distinguée et tes croisades à la flan sur mes grolles. Et le nomadisme n'est pas une ligne droite.

Mais si ça te défrise, mon bichon, je vais déposer ma crotte ailleurs, aucun prob. Rien à schnoufer des identités territoriales. J'interviens bien plus, et depuis longtemps, dans des forums "généralistes" qui ne sont pas recensés sur ta carte, et fort éloignés du triangle cinéphilique des Bermudes et des cantons bien connus qui le composent.

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