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Message par Eyquem Sam 24 Oct 2009 - 11:41

Je n'avais pas été très convaincu par "The saddest music..." et le court que j'avais vu en première partie, "Sissy-boy slap party".

Mais ce "Winnipeg", ça m'a vraiment beaucoup plu.

Autoportrait en passager de train assoupi, en somnambule pris dans la neige des souvenirs, décidé à partir, ne partant jamais.
Portrait d'une ville plus égyptienne que canadienne, pleine de cryptes souterraines, et dont la forme, en surface, change plus vite que le coeur des hommes.
Et par-dessus ces images qu'on rêve à moitié, une voix-off pour légender tout ça.

C'est un beau film.


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Message par Largo Sam 24 Oct 2009 - 12:27

Evidemment que c'est un beau film, comment peut-on en douter ? Wink

C'est drôle, avant d'avoir vu le film j'avais pas du tout réalisé que les trucs noirs sur le photogrammes étaient des têtes de chevaux enfouis sous la glace Laughing
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Message par Largo Sam 24 Oct 2009 - 13:23

Entretien avec Guy Maddin qui n'a pas l'air mal...
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Message par Borges Sam 24 Oct 2009 - 13:54

Eyquem a écrit:

C'est un beau film.


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Quelques réflexions postkantiennes, et un peu gratuites;


Quand je dis "c'est un beau film"; je ne dis pas seulement "c'est beau"; je dis "c'est un film", et "c'est beau"; ce n'est donc pas un jugement esthétique pur; en effet, je fais intervenir dans mon jugement un concept, celui de film; je dis donc c'est un film, et ce film est beau; mais pour déterminer qu'un "objet x", est un film, il faut que je dispose d'un concept, d'une règle qui me permette de déterminer ce qui est un film...je suis alors dans le jugement déterminant : un "objet" donné je le subsume sous un concept (norme); par exemple, c'est un homme, c'est un cheval, c'est un tableau; disant "c'est un beau film", au fond, je fais comme si n'était pas discutable cette subsomption (ça se dit?); je ne me pose pas la question : "est-ce un film", ou de savoir si je sais ce qu'est un film, ou si une telle chose est de l'ordre du savoir....


etc.


"C'est beau" ce n'est pas "c'est un beau film"
"c'est beau" ce n'est pas "c'est de la belle musique";

ici, doit intervenir une analyse de la rencontre entre Schönberg et Thalberg (l'homme qui devait, le seul, penser je ne sais plus combien de film par jour; c'est Godard, qui parle ici; mais je me souviens pas assez de ce qu'il disait à propos de lui...)

Thalberg veut engager Schönberg, croyant le flatter, il lui dit :

-j'aime votre "lovely music"
-je ne fais pas de la "lovely music", répond sèchement Schoenberg...


De la musique, mais pas de la belle musique;

ou alors ce n'est pas de la musique, on le dira; et ce n'est pas beau, donc? ou ce n'est pas de la musique, et tant mieux, parce que alors seulement c'est beau...




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Message par Eyquem Dim 25 Oct 2009 - 13:19

où veux-je en venir?
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Message par Eyquem Lun 26 Oct 2009 - 11:41

Quand je parlais de crypte, de ville égyptienne, je le faisais par un branchement un peu sauvage, en reliant le film à ce que Jerzy écrit de la « crypte » selon Tisseron sur son blog (le paragraphe 3 de ce texte : http://mainoptique.blogspot.com/2009/10/cryptes-perroquets-canards-et-autres_24.html).
La "crypte" est tout à la fois un secret, une cachette, un code chiffré, une énigme, un rébus. Tout à la fois caché et montré, un secret est toujours une crypte qui suppose cryptage et décryptage.

L'organisation d'une crypte implique une dia-chronie historique: la constitution d'un sujet, le processus de subjectivation ne se déroulent plus seulement dans le cadre topologique du triangle père-mère-enfant, mais implique encore un tissu plus vaste composé par "les ancêtres", et par "ancêtres", il faut méthodologiquement comprendre le rapport "à la filiation ancestrale" que chacun des membres de cette "famille" entretient pour lui-même ET avec les autres, chacun dé-cryptant un fragment de la crypte, et aucun ne saisissant l'ensemble de cette crypte.

La "crypte", de ce point de vue, est un processus à la fois caché, passif, et générateur, actif: elle renvoie à un passé tant immémorial (indécryptable) que toujours à inventer, dynamique, avec lequel on s'arrange, ou pas, qu'on re-compose, qu'on re-distribue.
L'individuation des sujets a lieu, se crée, se tisse, se compose, selon les ressources et les aptitudes à décoder l'environnement (spatial et mémoriel), qui impliquent toujours une collectivité, une famille non plus au sens cellulaire, mais une véritable "société", réelle, fantasmée, vécue ou inventée, à la fois dans l'espace et dans le temps.
Jusqu'à la socialité globale (mémorielle autant que géographique) dont la famille cellulaire est à la fois un "dépôt", une "courroie de transmission", et un 'lieu de transit" (du dedans au dehors, vers une interaction sociale globale, plus ou moins réussie, comme toute interaction).

Je vais sans doute schématiser à outrance, vu que je n’ai jamais lu Tisseron, mais je trouve cette métaphore de la crypte assez suggestive pour m’aider à décrypter le film.

D’abord, il faut dire que c’est un film hanté par l’idée de recouvrement, d’enfouissement, et par celle d’exhumation, au sens littéral. Tout le film s’organise autour de lieux enfouis, souterrains, qui forment, sous la neige des souvenirs, comme un double fantomatique de la ville. Il y a les rivières Rouge et Assiniboine, dont une légende indienne raconte qu’elles se doublent de fleuves souterrains similaires. Il y a la piscine municipale, construite sur trois étages, dont le plus bas serait alimenté par l’eau des fleuves légendaires qui coulent sous la ville. Il y a la maison familiale, organisée en blocs indépendants mais aussi sur plusieurs étages : la chambre du garçon au-dessus du salon de coiffure, et le tombeau du père, creusé en plein milieu du salon.

Je reliais ça à l’Egypte, puisque l’Egypte, c’est par excellence le lieu des cryptes, mais aussi, parce le film évoque explicitement ce pays, en racontant cette anecdote du pont de Winnipeg enjambant les voies ferrées, et qui avait été conçu, au départ, pour franchir le Nil.

En plus de ces lieux souterrains, il y a tous les lieux disparus totalement (le parc d’attraction Happy Land, le grand magasin, le stade de hockey), que, par la grâce des images, on voit à la fin resurgir de terre (par exemple, le stade qui se relève de ses ruines, par un effet de montage primitif qui fait défiler les images à l’envers).

Ce qui est enfoui n’est donc jamais très loin, jamais enfoui très profondément, et peut sortir de terre – si tel est le désir de la voix off, qui rêve à voix haute, à la fin, qu’une citoyenne, tout droit sortie de l’imaginaire visuel du réalisme socialiste, puisse appeler tous les spectres de Winnipeg (ouvriers, Indiens, homeless) à se lever et à faire surgir le Winnipeg enfoui, légendaire, « my Winnipeg ».

Ici, il faudrait tenter une petite théorie des climats. Si le climat continental se prête si bien à une telle rêverie de l’inhumation/exhumation, c’est sans doute à cause du froid et de la neige.
La neige recouvre tout, très vite, elle fait disparaître, elle assourdit. Mais le froid, concurremment, c’est ce qui conserve les choses disparues bien au chaud, si je puis dire, c’est-à-dire qui les tient en réserve, prêtes à émerger aux premiers rayons.
Ou bien, à l’inverse : le froid, c’est ce qui engourdit, ce qui rend somnambule, ce qui plonge dans un oubli instantané. Mais la neige, c’est ce qui imprime, ce qui conserve l’empreinte des choses passées.

De quoi on conclura que la nature est décidément bien faite – et que rien de ce qui a été perdu ne l’est tout à fait.


Le froid et la neige sont donc d’excellents conservateurs (et par bien des aspects, c’est un film « conservateur », mais je garde cette question pour une autre fois : il y a bien des manières d’être conservateur, comme vous savez). Les plus belles images du film sont peut-être celles qui jouent de la façon la plus évidente des vertus «conservatrices» du froid et de la neige, qui enfouissent et conservent, qui effacent et impriment, en même temps. Rien de plus fort que cette image des chevaux pris dans la glace, qui composent comme des statues sculptées directement dans le temps. Rien de plus émouvant que cette idée d’exhumer, sous la neige, les minces pellicules de glace ayant conservé les empreintes de pas des passants comme des fossiles provisoires – ou comme un nouveau procédé « photographique », qui écrirait non avec de la lumière, mais avec de la neige, un peu de temps gelé.

(Tout ceci me rappelle notre discussion sur « Shining » : c’est à bien des égards un film qu’on pourrait relier à la crypte kubrickienne – avec un changement notable : ici, c’est la mère qui joue les deux rôles, il me semble : elle aime, une hache à la main. Le père est congelé, enfoui, dès le début.)


Me voilà un peu loin de mes cryptes égyptiennes. J’y reviens.
Ce qui me plaît dans ce film, c’est que le décryptage des secrets familiaux (puisqu’il est question de ça : c’est un autoportrait, un autoportrait en forme de ville), ce décryptage ne se fait jamais de manière univoque. Il n’y a pas de révélation, par quoi la foudre de la vérité déchiffrerait d’un coup tous les secrets familiaux, en lettres de feu. Il n’y a pas de trésor caché, comme dit l’anecdote racontée dans le film : le trésor n’est que dans la course labyrinthique qui vous le fait chercher et vous rend la ville hospitalière, familière, vivable. De même, décrypter, sortir les cryptes de terre, ici, c’est crypter dans une autre langue, c’est recomposer ses cryptes à soi. Ce qui compte, c’est le mouvement qui vous permet de tracer votre propre labyrinthe, un labyrinthe qui soit habitable, et non le mouvement qui permet d’en sortir, d’en trouver l’issue.
Ainsi, les traumatismes ne sont-ils pas seulement exhumés : ils sont rejoués, réécrits, sous la forme, par exemple, d’une série télé où la mère tient le premier rôle. Et dans ce jeu d’écritures et de réécritures, le film échappe à ce que le projet pourrait avoir de complaisant – puisque ce qui est en jeu, alors, c’est le jeu lui-même, et non sa solution ; c’est le processus de réécriture, dans ce qu’il a de collectif, et non sa solution personnelle.
Comme c’est un jeu, « My Winnipeg » est souvent drôle : on se bidonne pas mal devant cette série télé qui met en scène un fils suicidaire, perpétuellement accroché au rebord de la fenêtre, et que sa mère sauve du suicide à chaque épisode.

Puis, c’est un jeu collectif, comme je le disais : la mémoire familiale n’est jamais « pure » ici, jamais réduite au triangle du fils, du père et de la mère. Elle se reconstruit sous différentes perspectives, en incluant des souvenirs des frères et sœurs par exemple, mais surtout en ne se séparant jamais de la mémoire du lieu – et c’est ainsi que surgissent les spectres des Indiens, des dieux du stade ou des grévistes de 1919, en lesquels le fils trouve de puissants alliés – contre qui ? Disons : contre tous les fossoyeurs, ceux qui du passé (attention : d’un certain passé seulement) veulent faire table rase, les agents administratifs du progrès et de la modernité (mais attention : d’un certain progrès, d’une certaine modernité seulement).

Bon, c’est juste un début. Tout reste à dire.
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Message par Largo Lun 26 Oct 2009 - 13:28

Tout reste à dire.

lol Very Happy
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Message par Borges Lun 26 Oct 2009 - 16:08



Pour toi, Eyquem; pour être un peu sérieux, et précis.


"
Maria Torok, les fantômes de l’inconscient
Serge Tisseron


L’œuvre de Maria Torok est double. Tout d’abord, cette œuvre se confond avec celle de Nicolas Abraham. Ensemble, ils ont apporté à la psychanalyse deux contributions essentielles : la théorie des clivages du Moi, avec les concepts d’inclusion et de crypte (celle-ci n’étant qu’une forme aggravée d’inclusion) ; et celle des influences entre générations liées aux traumatismes non surmontés des ascendants, qu’ils ont théorisée sous le nom de « fantômes ».

Mais l’œuvre de Maria Torok contient aussi un volet plus personnel. Elle a d’abord travaillé sur la pédagogie, au début des années 1950. Puis après sa rencontre avec Nicolas Abraham, elle a plus précisément approfondi la place du fantasme dans la vie psychique et l’originalité de la sexualité féminine. Enfin, après la mort de Nicolas Abraham et avec Nicolas Rand, elle a exploré l’existence d’un secret dans la famille de Freud, ce secret ayant empêché le fondateur de la psychanalyse – et après lui ses successeurs – de suivre jusqu’au bout certaines de ses découvertes les plus libératrices. Nous suivrons ces étapes et envisagerons successivement les théories du clivage, de la crypte, du fantôme, puis les apports originaux de Maria Torok.

Le clivage du Moi : l’introjection et l’inclusion


L’approche du traumatisme par Nicolas Abraham et Maria Torok se situe dans la continuité des travaux de Sándor Ferenczi, hongrois comme eux. L’importance du clivage a été repérée en cure, par Nicolas Abraham et Maria Torok, par leur attention aux discours de leurs patients. Ils ont été frappés par l’importance, chez certains d’entre eux, des changements de rythme, d’intonation, d’accent, et même parfois de voix. Ils sont alors devenus attentifs à la manière dont un patient peut parfois parler en son nom propre, mais aussi d’autres fois, sans crier gare et sans s’en apercevoir lui-même, au nom d’un autre. Autrement dit, un patient peut parfois donner voix à quelqu’un d’autre à l’intérieur de lui. Et cela ne passe pas forcément par le discours, mais peut engager aussi les actes et les comportements. Nicolas Abraham donne ainsi l’exemple d’un garçon qui s’était mis à voler des soutiens-gorge à l’âge où sa jeune sœur, morte tragiquement quelques années auparavant, en aurait eu besoin. Il ne le faisait pas pour lui, mais pour elle, en s’identifiant à elle à l’âge qu’elle aurait eu alors.

Cette approche du clivage, avec la possibilité de s’identifier à un autre à son insu, trouve sa place dans une théorie générale de l’intériorisation qui oppose deux processus, l’introjection et l’inclusion psychique, l’une et l’autre faisant référence à une conception générale du symbole.

L’introjection n’est pas réservée à la situation analytique, bien que celle-ci en soit le lieu privilégié. Elle intervient dans de nombreuses autres circonstances de la vie, même si c’est de manière involontaire et inconsciente. Son bénéfice est toujours de lier les éléments des expériences nouvelles aux traces laissées par les expériences précédentes, rendant ainsi la personnalité accessible aux modifications pouvant survenir à la suite d’expériences ultérieures dans un enrichissement permanent. Nicolas Rand a précisé les étapes successives : se familiariser avec l’idée nouvelle, puis l’envisager sous ses différents aspects et se la reformuler, enfin établir des liens avec d’autres pensées.

Dans tous les cas, cette élaboration est étroitement tributaire, pour se réaliser, d’un tiers et du lien social tel qu’il existe notamment dans le couple et la famille. C’est parce qu’une personne est soutenue et encouragée dans les élaborations de ses expériences existentielles nouvelles qu’elle peut introjecter celle-ci.

L’impossibilité du travail psychique de l’introjection a donc deux grandes séries de causes. La première est intrapsychique et a été identifiée par Freud : certaines expériences produisent ou réactivent des conflits entre des désirs d’un côté et les interdits intériorisés correspondants de l’autre. Mais ce caractère traumatique de l’expérience peut également être lié à un affrontement entre le désir de savoir et de comprendre d’un côté, les diverses formes d’opposition à ce désir que manifeste l’entourage d’un autre côté (qu’il s’agisse d’interdits explicitement formulés ou de silences organisés autour de clivages et de dénis). C’est la seconde série de causes possibles qui rendent l’introjection impossible. Celle-ci, à la différence de la précédente, n’est pas intrapsychique, mais relationnelle et interpsychique. C’est notamment le cas lorsqu’il existe un secret familial. La prise en compte de la honte qui bloque le travail de l’intégration psychique est alors essentielle (Tisseron, 1992) [1].

Lorsqu’une introjection complète n’est pas possible, l’individu réagit en enfermant à l’intérieur d’une partie de sa personnalité l’ensemble des émotions, des pensées et des représentations qui ont été mobilisées en lui lors de la situation éprouvante qu’il a vécue [2]. Cet enfermement est parfois réussi : rien ne se manifeste de son contenu [3]. Mais à la faveur d’un traumatisme nouveau qui réveille le précédent – ou d’une date anniversaire –, un sujet peut s’identifier plus ou moins durablement à l’un ou l’autre des personnages enfermés dans cette inclusion : le sujet tel qu’il s’est perçu lui-même au moment du traumatisme, la façon dont il a perçu son (ou ses) agresseur(s), ou même les témoins de la scène. À la différence de ce qui se passe dans les manifestations consécutives à une introjection, les manifestations d’un tel enfermement psychique – que Nicolas Abraham et Maria Torok nomment une « inclusion » – sont stéréotypées et opèrent en général selon le même rituel. Les manifestations qui en résultent peuvent paraître à celui qui les vit et, parfois, à son entourage, étranges, décalées et angoissantes. Il ne s’y reconnaît pas. Il lui semble être poussé par une force étrangère à dire ou faire des choses qui ne lui correspondent pas et il peut en éprouver un sentiment d’étrangeté angoissante. Le psychanalyste, heureusement, a appris à repérer de telles répétitions et à favoriser leur dénouement.

De l’inclusion fonctionnelle à l’inclusion figée


L’inclusion psychique est d’abord fonctionnelle. Ce qui y est mis en dépôt l’est en attente de résolution. C’est ce qui fait dire à Nicolas Abraham et Maria Torok que « l’inclusion a l’introjection pour horizon nostalgique ».

C’est ce qu’on voit dans les deuils normaux. Il y a un clivage fonctionnel partiel qui ne va durer qu’un moment, le temps que le sujet introjecte dans son Moi, la majorité des liens qui l’ont attaché au disparu.

La contribution principale de Maria Torok à la dynamique de l’inclusion a consisté dans ce qu’elle a appelé le « fantasme du cadavre exquis ». Sous ce vocable, elle décrit le fantasme d’incorporation qui accompagne parfois le processus d’inclusion psychique. Par ce fantasme, la personne qui a réalisé une inclusion dans son Moi se représente le processus de l’introjection qu’elle n’a pas pu réaliser sous la forme d’une assimilation digestive. Elle a des fantasmes de manger quelque chose de répugnant… Mais il y a dans ce phénomène imaginé une volupté, celle qu’il y aurait à réaliser l’introjection qui, elle, est un phénomène uniquement psychique.

Cette distinction entre « introjection » et « inclusion » introduit d’ailleurs à la place du fantasme dans l’approche de Torok. Pour elle, le fantasme doit être différencié de la rêverie. Le fantasme bloque le travail de l’introjection. Il témoigne d’une imago interdictrice qui bloque la possibilité de s’imaginer occuper les différentes places dans le scénario fantasmatique. Au contraire, l’imagination témoigne de l’efficacité de l’introjection comme processus alimentant la créativité psychique.

Cryptes au sein du Moi et « fantômes »


Mais Nicolas Abraham et Maria Torok ont décrit des cas particuliers de deuil impossible qu’ils ont appelés « crypte au sein du Moi ». Les cryptes sont des formes particulièrement dramatiques de perte, liées à deux circonstances : l’objet perdu était narcissiquement indispensable au survivant, et un secret inavouable honteux les liait l’un à l’autre. C’est notamment ce qui se passe en cas de séductions sexuelles précoces, lorsque le séducteur disparaît. Car avec lui, disparaît la possibilité de faire reconnaître la séduction et son préjudice. Dans les cas graves, les patients porteurs de crypte vont pouvoir se révéler comme des « patients cas limites », voire psychotiques.

Lorsque les patients porteurs de crypte ont des enfants, ceux-ci peuvent être affectés par ce que Nicolas Abraham a appelé un « fantôme ». Sous ce terme, il désigne les conséquences sur un sujet « du secret inavouable d’un autre ». Alors que la crypte est une forme particulièrement grave d’inclusion psychique, le fantôme relève donc d’un processus radicalement différent.

Aucun concept de la théorie d’Abraham et Torok n’a donné lieu à autant de confusion. Outre le fait qu’il soit parfois rapporté à un secret personnel (ce qui est, encore une fois, une erreur), son mode de transmission est souvent évoqué de façon un peu magique. Le « fantôme » au sens de Nicolas Abraham et Maria Torok aurait la capacité de traverser les esprits des personnes qui sont proches les unes des autres un peu comme les « fantômes » des légendes médiévales ont la possibilité de traverser les murs pour s’inviter chez quelqu’un. Il est vrai que Nicolas Abraham est mort jeune et n’a pas eu le temps d’expliciter complètement ce mécanisme. En outre, les années 1960 où ces concepts étaient conçus étaient marquées par la sémiologie, et Torok et Abraham ont été tentés de faire porter au langage – et partiellement aux gestes et aux attitudes – l’entière responsabilité de l’existence de « fantômes » chez les descendants de porteurs de secrets non résolus. Mais les diverses formes d’images privilégiées dans chaque famille, ainsi que les objets, notamment les jouets, y jouent un rôle considérable (Tisseron, 1995, 1998).
En fait, les intuitions de Nicolas Abraham et Maria Torok ont manqué de trois choses : un socle d’observation des interactions précoces entre parents et enfants ; une théorie des images, aussi bien matérielles que psychiques et de leur rôle comme passeurs de contenus inconscients entre les générations ; et enfin une théorie de nos objets quotidiens.
À l’époque d’Abraham et Torok, ces travaux étaient soit embryonnaires – comme l’observation directe de la relation mère-enfant prônée en Angleterre par Esther Bick –, soit totalement absents – comme une théorie de nos objets quotidiens. Il est donc difficile de faire le reproche à Abraham et Torok d’avoir construit une théorie qui laissait la place à des dérives idéalistes, qui se sont en effet produites dans leur sillage. Au moment où ils ont construit leur approche, plusieurs outils leur manquaient et ceux qu’ils avaient à leur disposition – à savoir ceux de la psychanalyse – clochaient déjà, pour bon nombre d’entre eux, par une sous-estimation de l’intersubjectivité et du rôle qu’y prennent l’émotionnel et le sensori-moteur.

Revenons à la théorie du « fantôme », qui est incontestablement l’apport le plus original et le plus fécond de ces auteurs. Maria Torok y a apporté une contribution importante sous la forme d’une redéfinition du sentiment d’« inquiétante étrangeté ». En reprenant le conte d’Hoffmann intitulé L’homme au sable, elle a montré, avec Nicholas Rand, que la folie du héros Nathanaël est liée au secret de la vie et de la mort de son père, qui lui ont été toujours cachées par la famille. Pour elle, l’inquiétante étrangeté est un signe majeur du fantôme, et ce repère est capital dans le déroulement des cures.

Les fantômes de la psychanalyse


À partir de ce repère, Maria Torok a enfin étudié l’intervention de la psychanalyse du point de vue des difficultés où Freud s’était trouvé d’aborder certains problèmes du fait de secrets existant dans sa famille.

Quand Freud avait un peu moins de 10 ans, son oncle Joseph a été impliqué dans un trafic de faux roubles et envoyé au bagne. La famille Freud a été stigmatisée et le père du jeune Sigmund n’a échappé à la prison que faute de preuve. S’en est suivi un déménagement précipité pour échapper à l’opprobre, sans qu’aucune explication ne soit manifestement jamais donnée à Freud sur ces événements. On comprend alors la difficulté du père de la psychanalyse à pouvoir penser le traumatisme et le secret. Et on comprend aussi sa difficulté à penser le rôle du tiers comme support du désir d’introjection, puisque son entourage – et notamment sa mère, qui vécut fort âgée – lui avait toujours caché la vérité. Freud aurait alors en quelque sorte, et selon l’une de ses plus célèbres formules, « jeté le bébé avec l’eau du bain » : il se serait interdit de penser le secret, la honte, et la réalité du traumatisme, non seulement pour lui-même, mais dans l’ensemble de sa théorie. En auraient également résulté la création de la première société de psychanalyse sur le modèle d’une société secrète et sa frayeur haineuse devant Sándor Ferenczi lorsque celui-ci prétendit rouvrir la boîte de Pandore des traumatismes réellement advenus.

Le complexe de castration


Maria Torok était très critique sur le mot de « castration ». Elle le réservait à la désignation de la suppression traumatique de l’expérience structurante de l’orgasme. La castration, pour elle, était la frustration par autrui de nos capacités orgastiques.

Pour Torok, la fillette, à la différence du garçon, rencontrerait en effet l’expérience orgastique bien avant la puberté. La masturbation orgastique est une des bases indispensables de la constitution du soi. Mais cette capacité d’orgasme, et le désir qui l’accompagne, se heurtent à l’ignorance ou à l’incrédulité des proches, notamment des garçons, que la fillette croit être dans la même connaissance qu’elle. En outre, cette capacité se heurte au droit que la fillette accorde encore à la mère de posséder et de contrôler l’intérieur de son corps.

L’angoisse d’une mère archaïque contraignante et envahissante, qui serait en quelque sorte propriétaire de l’intérieur du corps de l’enfant, est en effet partagée par tous les êtres humains, quel que soit leur sexe, puisque tous doivent d’abord apprendre à s’aligner sur les rythmes d’alimentation et de défécation imposés par la mère. Chez la fillette, cette angoisse la conduit à inhiber sa capacité autoérotique. Mais, en contrepartie, elle élit fantasmatiquement le pénis du garçon comme un moyen de retrouver l’orgasme sans pour autant contester les droits de la mère archaïque sur l’intérieur du corps, puisque le pénis est justement un organe qui en est extérieur. Autrement dit, pour Maria Torok, l’« envie du pénis » est un fantasme et un mythe que la fillette se construit en réponse à son désespoir de voir reconnu son accomplissement sexuel, et il s’agit donc d’un symptôme analysable.

La notion de « complexe de castration », quant à elle, fait surtout problème par la vulgarisation erronée qui en a été faite. En réalité, il n’y a pas un sexe « castré » – les femmes – et un autre qui ne le serait pas. Les deux le sont dans la mesure où ils partagent l’angoisse et l’amertume de devoir se contenter du sexe qu’ils ont sans jamais pouvoir jouir de celui de l’autre, sauf à travers le sien propre au moment des relations sexuelles. L’être humain est homme ou femme et il ne peut jamais être l’un et l’autre.

La critique du contre-transfert : la résonance


Pour Nicolas Abraham et Maria Torok, le transfert n’est pas particulier à la situation analytique. Il intervient chaque fois qu’une personne tend à faire jouer à une autre le rôle d’un personnage clé de son histoire, à son insu bien entendu. Mais la cure constitue le lieu irremplaçable où il est utilisé comme moteur du changement parce que le psychanalyste déjoue ses pièges, évitant ainsi l’enkystement de la relation autour de simples répétitions du passé, comme c’est si souvent le cas dans la vie quotidienne, amoureuse et professionnelle notamment !

Parallèlement au transfert, les analystes ont également affaire à ce qu’on appelle le « contre-transfert ». Il s’agit en principe de la réaction de l’analyste au transfert du patient.

Or le psychanalyste doit rester conscient – et c’est parfois difficile ! – du fait que les divers personnages de leur histoire que ses patients lui font tour à tour incarner ne sont pas seulement le fruit de leur imagination, mais aussi, en partie, le reflet de sa propre vie psychique. Lang (1988) et Searles (1981), notamment, ont noté que le « transfert » aggrave certains traits personnels du psychanalyste – ou de la situation où il se trouve avec son patient – sans les inventer pour autant totalement. Le thérapeute est toujours peu ou prou comme son patient le voit, et les mêmes auteurs ont montré que la dynamique du transfert se déroulait bien mieux lorsque le psychanalyste savait le comprendre et l’accepter. Malheureusement, c’est plus facile à dire qu’à faire, certains patients renvoyant à leur analyste une image où il n’a guère envie de se reconnaître… Au « transfert » du patient correspond un « contre-transfert » de l’analyste, et l’analyse de celui-ci est un aspect tout aussi important de son travail.

Mais Maria Torok préférait parler de « résonance ». Celle-ci concerne en effet toutes les formes d’implication et d’imbrication affective traumatiques, intellectuelles. Elle peut porter sur les souvenirs, la vie actuelle, les rêves et les rêveries, ou encore les symptômes. Et c’est ce qu’elle privilégiait dans les cures à la fin de sa vie.

Enfin, tout comme le travail de l’introjection et le processus de l’inclusion psychique, la résonance ne concerne pas seulement la situation psychanalytique, mais toutes les situations de la vie. Par exemple ce qui se passe entre celui qui écrit et ceux qui le lisent…

BIBLIOGRAPHIE

• Abraham, N. ; Torok M. (1978). L’écorce et le noyau, Paris, Flammarion, 1987.
• Anzieu, D. 1985. Le Moi-peau, Paris, Dunod.
• Bowlby, J. 1969. Attachement et perte, tome 1, L’attachement, Paris, puf.
• Ferenczi, S. 1968-1970. Œuvres complètes, Paris, Payot (4 tomes).
• Freud, S. (1938., « Le clivage du moi dans le processus de défense », Résultats, idées, problèmes, 1921-1938, Paris, puf, 1985.
• Hermann, I. (1943). L’instinct filial, Paris, Denoël, 1972.
• Kohut, H. (1971). Le Soi, Paris, puf, 1974.
• Lang, R. 1988. Thérapie de vérité, thérapie de mensonge, Paris, puf.
• Nachin, C. 1989. Le deuil d’amour, Paris, Éditions Universitaires.
• Pankow, G. 1969. L’homme et sa psychose, Paris, Aubier.
• Rand, N. ; Torok M. 1995. Questions à Freud, Paris, Les Belles Lettres (rééd. Champs Flammarion).
• Searles, H. (1979). Le contre-transfert, Paris, Gallimard, 1981.
• Tisseron, S. 1992. La honte, psychanalyse d’un lien social, Paris, Dunod.
• Tisseron, S. 1995. Psychanalyse de l’image, des premiers traits au virtuel, Paris, Dunod.
• Torok, M. 1972. « L’envie du pénis chez la femme », dans J. Chasseguet-Smirgel et coll., Nouvelles recherches sur la sexualité féminine, Paris, Gallimard.
• Viderman, S. 1970. La construction de l’espace analytique, Paris, Denoël.
• Wallon, H. 1970. De l’acte à la pensée, Paris, Champs Flammarion.
• Winnicott, D. 1971. Jeu et réalité, Paris, Gallimard.

NOTES

[1] Enfin, à notre avis, pour être complète l’introjection nécessite de faire intervenir les trois grands types de représentations engagées par toute expérience humaine, à savoir sensori-motrices, imagées et verbales (S. Tisseron, 1985, 1998).
[2] C’est ce que Nicolas Abraham et Maria Torok appellent le processus de l’inclusion psychique.
[3] Le principal reproche qu’on peut faire au concept de « résilience », poussé en avant par la reconnaissance du rôle joué par les traumatismes réellement vécus, est de confondre les moyens qui permettent leur élaboration complète – ou, même, qui témoignent de cette élaboration une fois réalisée, comme l’humour – avec ceux qui tentent de tenir leurs effets à l’écart de la vie psychique, au prix de comportements adaptatifs qui perturbent les proches, notamment les enfants, et reportent ainsi souvent les troubles à la génération suivante (S. Tisseron, 1985, 1996).
"
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Message par Eyquem Lun 26 Oct 2009 - 17:06

Merci pour le texte, que je ne retrouve pas sur le net et que tu as dû chercher.

Effectivement, mon usage du mot "crypte" n'est pas du tout fidèle à la définition qu'en donne Tisseron
Les cryptes sont des formes particulièrement dramatiques de perte, liées à deux circonstances : l’objet perdu était narcissiquement indispensable au survivant, et un secret inavouable honteux les liait l’un à l’autre.
, mais à la limite, je trouve que ce n'est pas très grave, vu que je m'en sers comme d'une métaphore pour décrire la construction du film, ses jeux d'écriture, et que mon message ne s'aventure pas sur le terrain de la psychanalyse (je parle de secrets familiaux, de scènes traumatiques, parce que le film tourne autour de ça, mais je n'interprète rien : pourquoi la mère a la phobie des oiseaux, pourquoi le fils se souvient de l'accident de sa soeur avec le daim, comment le frère est-il mort, etc)
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Message par Borges Lun 26 Oct 2009 - 18:20

Naturellement, c'est pas grave; c'est juste pour qu'on puisse distinguer les usages du terme, selon eyquem, torok, tisseron, heidegger, derrida... jerzy... etc.

Tu ne trouveras pas sur le Net (en clair); c'est dans les zones cryptées, et tout ça.

Wink
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Message par Eyquem Lun 26 Oct 2009 - 18:54

selon eyquem, torok, tisseron, heidegger, derrida, jerzy...
je cherche l'intrus... scratch
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Message par Eyquem Mar 27 Oct 2009 - 11:55

La revue Vertigo a mis en ligne l'entretien avec Guy Maddin paru dans le dernier numéro :

http://www.revuevertigo.com/pdf/numero36/Vertigo36.pdf

Quelques extraits :

J’ai compris que je ne ferais pas des choses brillantes, parfaites, mais que je serais toujours un primitif, parce que je suis à la fois très impatient et toujours en retard.
...
j’aime la musique de groupes qui savent à peine jouer de leurs instruments
mais qui le font avec passion ; j’aime la peinture primitive, la sculpture primitive, l’art enfantin.
...
J’ai toujours eu l’espoir utopique de retrouver quelque chose de perdu depuis très longtemps… J’aime beaucoup la littérature du XIXe siècle, les romantiques, les décadents. Ça me bouleverse de la même manière que la musique punk ou post-punk bouleverse un adolescent.
...
Qu’ils soient heureux ou malheureux, les accidents me sont toujours utiles. Pendant le tournage de mon quatrième long métrage, "Twilight of the Ice Nymphs", j’étais entouré d’une importante équipe, qui veillait à ce qu’aucun accident ne survienne, à ce que l’image soit nette et bien exposée. Je n’aimais pas ça du tout et le résultat est ennuyeux : on n’y sent aucune perte de contrôle.
...
J’aimerais faire des films comme les enfants peignent à la crèche : ils s’assoient, mettent immédiatement les doigts dans la peinture, l’étalent sans réfléchir, sans règle. Leur sensibilité coule directement sur le papier. Comme eux, je suis très impatient. Je garde un mauvais souvenir de la première fois où j’ai visité un plateau de tournage ; j’étais choqué de voir à quel point faire un film pouvait être lent et ennuyeux, alors que ça peut être si excitant. Je veux éviter que les gens s’ennuient sur mes tournages, qu’ils pensent à moi comme à celui qui leur gâche la vie !
...
J’aime les histoires de possession, bien que je ne croie pas aux esprits. Mais les fantômes sont tellement cinématographiques, et ils renvoient à tant de choses. Nous sommes tous hantés par des regrets, des désirs
frustrés, des instants ou des êtres qui se sont éloignés de nous, des tristesses ou des euphories qui font que nous ne sommes pas vraiment les maîtres de nous-mêmes, mais plutôt des sortes de somnambules de l’existence. Ces hantises sont plus bouleversantes que les fantômes,
mais les fantômes sont de belles métaphores permettant de ne pas évoquer trop directement nos sentiments, ce qui a tendance à les aplanir, à les banaliser.
...
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Message par Invité Mar 27 Oct 2009 - 17:08

Borges a écrit:
Eyquem a écrit:

C'est un beau film.


My Winnipeg Mywinnipeg2-e2c4b


Quelques réflexions postkantiennes, et un peu gratuites;


Quand je dis "c'est un beau film"; je ne dis pas seulement "c'est beau"; je dis "c'est un film", et "c'est beau"; ce n'est donc pas un jugement esthétique pur; en effet, je fais intervenir dans mon jugement un concept, celui de film; je dis donc c'est un film, et ce film est beau; mais pour déterminer qu'un "objet x", est un film, il faut que je dispose d'un concept, d'une règle qui me permette de déterminer ce qui est un film...je suis alors dans le jugement déterminant : un "objet" donné je le subsume sous un concept (norme); par exemple, c'est un homme, c'est un cheval, c'est un tableau; disant "c'est un beau film", au fond, je fais comme si n'était pas discutable cette subsomption (ça se dit?); je ne me pose pas la question : "est-ce un film", ou de savoir si je sais ce qu'est un film, ou si une telle chose est de l'ordre du savoir....


etc.


"C'est beau" ce n'est pas "c'est un beau film"
"c'est beau" ce n'est pas "c'est de la belle musique";

ici, doit intervenir une analyse de la rencontre entre Schönberg et Thalberg (l'homme qui devait, le seul, penser je ne sais plus combien de film par jour; c'est Godard, qui parle ici; mais je me souviens pas assez de ce qu'il disait à propos de lui...)

Thalberg veut engager Schönberg, croyant le flatter, il lui dit :

-j'aime votre "lovely music"
-je ne fais pas de la "lovely music", répond sèchement Schoenberg...


De la musique, mais pas de la belle musique;

ou alors ce n'est pas de la musique, on le dira; et ce n'est pas beau, donc? ou ce n'est pas de la musique, et tant mieux, parce que alors seulement c'est beau...




où veux-je en venir?

Quand il commence à être incompréhensible, c'est alors que le film est beau, lorsqu'il est au-delà de la critique et ne peut plus se définir grâce au vocabulaire technique consacré, mais exige une imagination active pour l'accompagner, et exprimer ce qu'il est dans l'acte créateur. Non ? Rolling Eyes

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Message par Borges Mar 27 Oct 2009 - 18:01

Hello JM; Oui, on peut dire ça;


En fait je pensais à Kant, et à Derrida; et à cette idée que le jugement esthétique est toujours singulier, il porte sur un ceci, en même temps qu'il est mon jugement, mais ce jugement ne consiste pas en un savoir (sans concept); la question alors est de savoir si je sais ce qu'est un film quand je le dis beau, ce film, qui n'est pas un autre, qui n'appartient pas à une classe, à un genre, qui d'une certaine manière ne peut pas être nommé; on se souvient de la jeune Juliette demandant à Roméo de renoncer à son nom, serait-il moins lui-même, moins aimé; une rose si elle n'était plus appelée, nommée, rangé dans la classe des roses perdrait-elle ses qualités... je n'aime une rose que si je ne sais pas qu'elle est unr rose, sans histoire, sans science, sans rien, juste elle et mon plaisir, car, c'est cela que se résume finalement la beauté, le plaisir que j'éprouve, mais un certain plaisir, le plaisir d'un moi sans marque sensible, sans lien avec le monde, sans religion, sans politique, sans famille, bref, un être non sensible, qui n'existe pas, kant dit désintéressé, mais comme l'intérêt c'est la vie même, alors c'est une manière de non vivant, ou de survivant...


je cite Derrida, "la vérité en peinture "


"le "ceci" beau est donc beau pour lui-même (pas pour moi, pas en vue d'autre chose...j'ajoute) : il se passe de tout (sans monde, sans société...), il se passe de vous (et pourtant sa beauté n'existe que dans mon plaisir, comme mon plaisir, un plaisir qui est mien sans être mien, comme je disais); derrida dit "il se passe de vous en tant que vous existez", et, ajoute, il se passe de sa classe (c'est ce que je disais quand je disais que si je dis qu'un "ceci" est un film alors je l'inclus dans une classe, celle des films, "c'est un beau film", ce qui ne veut pas dire c'est beau, mais c'est un beau film, c'est tout à fait différent...si je parle de classe, de film, alors il y a du savoir, et le beau, en tant que pur, la beauté libre, détachée, est sans savoir, je ne sais rien, je n'en sais rien, du beau...

la beauté, c'est l'expérience du "sans"...mais un sans, qui ne manque de rien...

auto-hétéro affection



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Message par Invité Dim 15 Nov 2009 - 12:31

Je sais pas si vous avez lu ce petit bouquin de Nancy :
Spoiler:

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Message par Flavien Mar 17 Nov 2009 - 17:14

Je rejoins l'idée de JM. Le film ne se fait beau que dès lors qu'il côtoie des formes sybillines, voire rhizomatiques, pour filer la métaphore d'Eyquem. Car du reste, lorsqu'il est dans la critique, dans le sempiternel passéisme, c'est vers le réactionnaire Of Time and the City de Terence Davies que verse My Winnipeg.

Je crois que les chemins de traverse qui creusent les nerfs du film, comme les souterrains innervent le récit du Visage de Tsai Ming-Liang, sont les meilleurs voies proposées.
Car le film, dans son trajet en train à partir de "la plus grande gare du continent" multiplie les pistes de lecture. La première séquence, sur les différentes takes d'un plan, propose de voguer dans le film comme sur le portrait d'un tournage. D'autres séquences, notamment celle où la famille reconstituée regarde la série Ledge Man, suppose l'effigie d'un doux foyer. Ainsi de suite, les bifurcations ne manquent pas et ne cessent de déployer les plis contenus dans l'intrigue, et jusque dans l'icônicité des plans (cf. des têtes de chevaux dépassant d'un lac gelé donnent autant lieu à une séquence haletante qu'à une promenade d'amoureux).

Flavien

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Message par Invité Mar 17 Nov 2009 - 17:40

Flavien a écrit:Je rejoins l'idée de JM. Le film ne se fait beau que dès lors qu'il côtoie des formes sybillines, voire rhizomatiques, pour filer la métaphore d'Eyquem. Car du reste, lorsqu'il est dans la critique, dans le sempiternel passéisme, c'est vers le réactionnaire Of Time and the City de Terence Davies que verse My Winnipeg.

Je crois que les chemins de traverse qui creusent les nerfs du film, comme les souterrains innervent le récit du Visage de Tsai Ming-Liang, sont les meilleurs voies proposées.
Car le film, dans son trajet en train à partir de "la plus grande gare du continent" multiplie les pistes de lecture. La première séquence, sur les différentes takes d'un plan, propose de voguer dans le film comme sur le portrait d'un tournage. D'autres séquences, notamment celle où la famille reconstituée regarde la série Ledge Man, suppose l'effigie d'un doux foyer. Ainsi de suite, les bifurcations ne manquent pas et ne cessent de déployer les plis contenus dans l'intrigue, et jusque dans l'icônicité des plans (cf. des têtes de chevaux dépassant d'un lac gelé donnent autant lieu à une séquence haletante qu'à une promenade d'amoureux).

Salut,

Voulu aller voir le TML samedi après-midi mais raté la séance d'un petit quart d'heure ! Wink

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Message par DB Ven 8 Jan 2010 - 9:02

Après tant de temps et de perspectives ratées ou déçues j'ai enfin pu voir le film. UNe des dernières séances, sinon LA.

Je trouve le long message d'Eyquem très juste, je rejoins beaucoup de tes conclusions en ce qui concerne la neige et le froid. Il y a effectivement définitivement du conservatisme dans ce film, ou en tout cas dans son admiration pour un cinéma de la pellicule qui fait du grain et des effets spéciaux qui jurent et des titres qui tremblent mal définis.

ON dirait que Maddin aime reprendre des motifs visuels qui reviennent assez souvent comme la grue qui détruit le stade et qui fait penser à la lanterne qui se balance dans le train.
OUl 'image du train qui file que l'on retrouve dans les voitures, les taxis, les trucs qui passent à toute vitesse dans la nuit.

Quelque chose que je n'ai pas lu mais qui ne concerne peut être que mon expérience du film, c'est le rapport au muet. J'ai trouvé le film très proche du muet, surtout au niveau du montage, la même énergie primitive, un côtè très brut, pas du tout poli.
Notamment toute la séquence de divination, personnellement adorée, qui m'a beaucoup aux premiers films fantastiques et au côtè romantique.

Parfois j'ai pensé à Orphée de Cocteau aussi, au cinéma de Cocteau pour son imagination visuelle, son amour des trucages "à l'ancienne" (par là je veux dire face caméra, sur la pellicule).


"Winnipeg!"

Quel kif de l'entendre dire ça à chaque fois, cette ponctuation de la voix off est un des points du film que j'ai préféré, une sorte de point virgule (pour faire plaisir à Raphael) qui revient souvent.

"Homosexual bulls !"
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Message par Largo Ven 8 Jan 2010 - 9:15

Yep DB,

Content que le film t'ait plu.

Quelque chose que je n'ai pas lu mais qui ne concerne peut être que mon expérience du film, c'est le rapport au muet.

Ce rapport au muet caractérise toute l'oeuvre de Guy Maddin, c'est en général ce que rappellent tous les critiques à chaque nouveau film. Smile

une sorte de point virgule (pour faire plaisir à Raphael)

Merci Simon, je suis flatté Laughing
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Message par DB Ven 8 Jan 2010 - 13:37

Bon donc c'est bien "quelque chose que je n'ai pas lu" alors !
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Message par Van Stratten Jeu 18 Fév 2010 - 13:47

Film rassérénant, débordant d'enthousiasme pour simplement faire du cinéma : surimpressionner, monter, filmer, remonter, mettre en scène, remettre en scène, remettre en cause, recommencer, j'adore cette construction qui revient sur toutes les conceptions du cinéma de fiction... avec toujours des trouvailles, et une espèce de désinvolture pas du tout paresseuse (bien au contraire, film des plus stimulants pour les sens, pour l'intellect aussi, mais de façon un peu plus facile).
J'apprécie le travail très sérieux fait par Eyquem sur le film, mais... tout ça pour dire que je n'ai pas assez de temps pour vous lire, Spectres, jamais le temps, c'est toujours en passant.... c'est le dommage de l'internet, et qui cause des dommages, du reste, enfin, passons, continuez !
Et je disparais pour un bon moment, parce que j'ai du pain sur la planche... par ailleurs...

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Message par Eyquem Mar 23 Fév 2010 - 7:52

Tenez, ce petit extrait de Nietzsche m'a paru bien convenir ici :
L’histoire appartient donc en second lieu à celui qui conserve et vénère, à celui qui, avec fidélité et amour, tourne les regards vers l’endroit d’où il vient, où il s’est formé. Par cette piété, il s’acquitte en quelque sorte d’une dette de reconnaissance qu’il a contractée envers sa propre vie. En cultivant d’une main délicate ce qui a existé de tout temps, il veut conserver les conditions sous lesquelles il est né, pour ceux qui viendront après lui, et c’est ainsi qu’il sert la vie. Le patrimoine des ancêtres, dans une âme semblable, reçoit une nouvelle interprétation de la propriété, car c’est maintenant lui le propriétaire. Ce qui est petit, restreint, vieilli, prêt à tomber en poussière, tient son caractère de dignité, d’intangibilité du fait que l’âme conservatrice et vénératrice de l’homme antiquaire s’y transporte et y élit domicile. L’histoire de sa ville devient pour lui l’histoire de lui-même. Le mur d’enceinte, la porte de sa vieille tour, les ordonnances municipales, les fêtes populaires, tout cela c’est pour lui une sorte de chronique illustrée de sa propre jeunesse et c’est dans tout cela qu’il se retrouve lui-même, qu’il retrouve sa force, son activité, sa joie, son jugement, sa folie et son inconduite. C’est là qu’il faisait bon vivre, se dit-il, car il fait bon vivre ; ici nous allons nous laisser vivre, car nous sommes tenaces et on ne nous brisera pas en une nuit. Avec ce « nous », il regarde par-delà la vie individuelle, périssable et singulière, et il se sent lui-même l’âme du foyer, de la race et de la cité. Il lui arrive aussi parfois de saluer, par-dessus les siècles obscurcis et confus, l’esprit de son peuple, comme s’il était son propre esprit. Sentir et pressentir à travers les choses ; suivre des traces presque effacées ; instinctivement lire bien le passé, quel que soit le degré où les caractères sont recouverts par d’autres caractères, comprendre les palimpsestes et même les polypsestes — voilà ses dons, voilà ses vertus.
(...) Ce sens de la vénération historique et antiquaire atteint sa valeur suprême, lorsqu’il étend sur les conditions modestes, rudes et même précaires, où s’écoule la vie d’un homme ou d’un peuple, un sentiment touchant de joie et de satisfaction.
C'est dans Considérations inactuelles : "De l'utilité et des inconvénients de l'histoire pour la vie" : §3, celui où Nietzsche définit sa notion d'histoire traditionnaliste (ou antiquaire, selon les traductions).
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Message par Largo Mar 23 Fév 2010 - 9:24

Effectivement ça épouse parfaitement la forme du film !
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Message par Borges Mar 23 Fév 2010 - 11:54

étant entendu que Nietzsche fait une critique de cette forme d'histoire...
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Message par Eyquem Mar 23 Fév 2010 - 12:51

C'est vrai, mais il lui reconnaît quand même certaines vertus - et puis, il critique les deux autres aussi.
Je trouvais que ce passage collait bien à "Winnipeg", parce que Nietzsche dit justement que cette histoire traditionnaliste est particulièrement utile à ceux qui s'accrochent à des terres hostiles - comme c'est le cas dans ce coin du Canada où il neige sans cesse...
Il me semble aussi que le film de Maddin, tout en cherchant à conserver même ce qui est insignifiant, garde une certaine distance ironique vis-à-vis de cette passion de la conservation.
En tout cas, dans le film, celle-ci n'étouffe pas le goût de ce qui est nouveau ; elle attend aussi passionnément quelque chose de l'avenir, ce n'est pas juste une muséification du passé (ce qui est le risque pointé par Nietzsche et que tu rappelles avec raison).
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