Heaven with a Barbed Wire Fence (Ricardo Cortez, 1939)
Heaven with a Barbed Wire Fence (Ricardo Cortez, 1939)
Joe (Glenn Ford), après avoir trimé durant six ans de petits boulots en petits boulots, se fait arnaquer par une société immobilière auprès de laquelle il achète un "ranch" de 20 acres en Arizona (en réalité : une vieille bicoque délabrée au milieu d'un terrain aride où rien ne pousse). Ayant dépensé toutes ses économies dans l'achat du terrain, il décide de se rendre sur place en voyageant clandestinement dans des trains de marchandises. Pendant le périple, il rencontre un hobo italien dérivant sans réels buts (Richard Conte) et une espagnole étant arrivée illégalement aux USA afin de fuir le franquisme.
Le film est de bout en bout hanté par les spectres de la Grande Dépression et évidemment du fascisme (l'Italie, l'Espagne etc...) La cabane et le terrain miteux de Ford étant les métaphores d'une Amérique en bout de course, avec son lot de rêves factices. Le titre est d'ailleurs ambigu, pouvant à la fois rappeler les fameux "homestade acts" et leurs barbelés qui ont donnés la propriété des terres de l'Ouest aux fermiers et également être un renvoi vers la politique ultra-isolationniste des USA d'alors (le "paradis" entouré d'enclos infranchissables par Anita qui fuit Franco). Le film emprunte de nombreux thèmes et références à "The Wild Boys Of The Road" de Wellman. En particulier en ce qui concerne les jambes et les amputations. Dans "Heaven...", c'est Conte qui finira par perdre sa jambe après avoir reçu des plombs de chevrotines alors qu'il voulait de la nourriture chez un fermier. C'est ainsi que le film lui fait payer le fait de n'avoir, contrairement aux autres, aucune destination ni raison de errer le long des voies ferrés. Après son hospitalisation, il sera d'ailleurs totalement rayé du récit. Ce sera d'ailleurs sa faute si la police arrive à retrouver la trace de Anita après une de ses visites à son chevet. Afin de lui éviter l'expulsion, Joe accepte de la marier afin qu'elle puisse jouir de la nationalité américaine. Le mariage prendra place au sein d'une petite communauté russe (le communisme ? Le scénario étant de Trumbo, un des "10 d'Hollywood") au cours d'une cérémonie orthodoxe qui fait évidemment penser à celle de Deer Hunter. Le couple unit sera la seule possibilité de s'en sortir. On réactive alors l'êternel mythe de la Frontière, la lutte dans le désert afin d’amener de l'eau et irriguer ces terres qui vont se transformer en nouveau jardin d'Eden (dans l'esprit de Joe en tout cas). Dans le film, l'Amérique ne peut se reconstruire qu'à travers cette ré-affiliation avec l'Europe, la reconstruction du cordon coupé, l'ouverture de la frontière pour parvenir à une nouvelle Frontière, un nouveau mythe à forger. Car la fin de la première Frontière en 1890, c'est aussi le début de la fermeture du robinet d'immigration des USA et la création d'Ellis Island. Le choix de l'Arizona n'est probablement pas un hasard. Dès 1880 et l'installation du dépôt principal de la Southern Pacific à Tucson (toujours les trains), il y eu un fort partage et mélange entre les communautés mexicaines, chinoises et européennes (alors qu'en Californie, par exemple, les cheminots chinois étaient totalement ostracisés sur les chantiers. Sans compter toutes les lois racistes anti-asiatique qui vont être par la suite mise en place dans l'Ouest). Cela fut aussi un des rares Etats qui, pendant la Dépression, venait en aide aux travailleurs illégaux mexicains par le biais de diverses associations.
Bien que "tardif", le film reprend une partie de l'idéologie de ceux de la Dépression : l'Amérique arrivera toujours à rebondir et se remettre sur les rails (c'est le cas de le dire pour des hobos) malgré toutes les adversités qui lui tombent dessus.
Le film est de bout en bout hanté par les spectres de la Grande Dépression et évidemment du fascisme (l'Italie, l'Espagne etc...) La cabane et le terrain miteux de Ford étant les métaphores d'une Amérique en bout de course, avec son lot de rêves factices. Le titre est d'ailleurs ambigu, pouvant à la fois rappeler les fameux "homestade acts" et leurs barbelés qui ont donnés la propriété des terres de l'Ouest aux fermiers et également être un renvoi vers la politique ultra-isolationniste des USA d'alors (le "paradis" entouré d'enclos infranchissables par Anita qui fuit Franco). Le film emprunte de nombreux thèmes et références à "The Wild Boys Of The Road" de Wellman. En particulier en ce qui concerne les jambes et les amputations. Dans "Heaven...", c'est Conte qui finira par perdre sa jambe après avoir reçu des plombs de chevrotines alors qu'il voulait de la nourriture chez un fermier. C'est ainsi que le film lui fait payer le fait de n'avoir, contrairement aux autres, aucune destination ni raison de errer le long des voies ferrés. Après son hospitalisation, il sera d'ailleurs totalement rayé du récit. Ce sera d'ailleurs sa faute si la police arrive à retrouver la trace de Anita après une de ses visites à son chevet. Afin de lui éviter l'expulsion, Joe accepte de la marier afin qu'elle puisse jouir de la nationalité américaine. Le mariage prendra place au sein d'une petite communauté russe (le communisme ? Le scénario étant de Trumbo, un des "10 d'Hollywood") au cours d'une cérémonie orthodoxe qui fait évidemment penser à celle de Deer Hunter. Le couple unit sera la seule possibilité de s'en sortir. On réactive alors l'êternel mythe de la Frontière, la lutte dans le désert afin d’amener de l'eau et irriguer ces terres qui vont se transformer en nouveau jardin d'Eden (dans l'esprit de Joe en tout cas). Dans le film, l'Amérique ne peut se reconstruire qu'à travers cette ré-affiliation avec l'Europe, la reconstruction du cordon coupé, l'ouverture de la frontière pour parvenir à une nouvelle Frontière, un nouveau mythe à forger. Car la fin de la première Frontière en 1890, c'est aussi le début de la fermeture du robinet d'immigration des USA et la création d'Ellis Island. Le choix de l'Arizona n'est probablement pas un hasard. Dès 1880 et l'installation du dépôt principal de la Southern Pacific à Tucson (toujours les trains), il y eu un fort partage et mélange entre les communautés mexicaines, chinoises et européennes (alors qu'en Californie, par exemple, les cheminots chinois étaient totalement ostracisés sur les chantiers. Sans compter toutes les lois racistes anti-asiatique qui vont être par la suite mise en place dans l'Ouest). Cela fut aussi un des rares Etats qui, pendant la Dépression, venait en aide aux travailleurs illégaux mexicains par le biais de diverses associations.
Bien que "tardif", le film reprend une partie de l'idéologie de ceux de la Dépression : l'Amérique arrivera toujours à rebondir et se remettre sur les rails (c'est le cas de le dire pour des hobos) malgré toutes les adversités qui lui tombent dessus.
Dr. Apfelgluck- Messages : 469
Re: Heaven with a Barbed Wire Fence (Ricardo Cortez, 1939)
salut Doc,
j'ai vu le film sur youtube, aiguillé après avoir lu ton texte.
Je commence à mieux apprécier Glenn Ford par ses premiers rôles; je pense à so ends the night sur les réfugiés fuyant le nazisme; il y est juste, sans ostentation comme dans ce film de ... Trumbo.
On peut dire que c'est un film de scénariste, que c'est le scénario que l'on voit à l'écran.
Il y a un personnage que tu n'évoques pas et qui est assez symptomatique du mythe américain, de la constitution d'une identité américaine, c'est celui de l'ancien professeur de paléontologie devenu Hobo lui même, il doit préciser à ses compagnons de chemins ferroviaires ce que cela signifie, histoire de fossiles;
il possède tous les attributs vestimentaires du britannique; peut être le père dans l'histoire américaine (il y a toute un aparté au sujet de sa montre, signe d'une temps ancien où il avait une place dans la société)? de fait il joue ce rôle auprès d'Anita qu'il pousse dans les bras de Joe.
C'est la scène dans la communauté russe, une auberge, dont tu parles. Anita demande d'ailleurs du lait comme un désir maternel. Le professeur et la tenancière qu'il aura connu étant jeune jouent le rôle de parents de substitution; ce mariage est une nouvelle naissance pour elle, et elle est délivrée par la citoyenneté américaine qui en résulte.
On retrouve cette même idée autour d'une communauté russophone, dans une boîte de nuit cette fois, qui permet la constitution d'un couple qui n'arrivait pas à s’accrocher l'un à l'autre auparavant dans un film de Borzage de 1943, la soeur de son valet (dans ce titre on entend là encore l'horizon à l'est des structures sociales anglo-saxonnes ou européennes qu'il s'agit de transformer par les liens amoureux).
on en aperçoit quelques plans et on entend une chanson en russe dans cette vidéo:
j'ai vu le film sur youtube, aiguillé après avoir lu ton texte.
Je commence à mieux apprécier Glenn Ford par ses premiers rôles; je pense à so ends the night sur les réfugiés fuyant le nazisme; il y est juste, sans ostentation comme dans ce film de ... Trumbo.
On peut dire que c'est un film de scénariste, que c'est le scénario que l'on voit à l'écran.
Il y a un personnage que tu n'évoques pas et qui est assez symptomatique du mythe américain, de la constitution d'une identité américaine, c'est celui de l'ancien professeur de paléontologie devenu Hobo lui même, il doit préciser à ses compagnons de chemins ferroviaires ce que cela signifie, histoire de fossiles;
il possède tous les attributs vestimentaires du britannique; peut être le père dans l'histoire américaine (il y a toute un aparté au sujet de sa montre, signe d'une temps ancien où il avait une place dans la société)? de fait il joue ce rôle auprès d'Anita qu'il pousse dans les bras de Joe.
C'est la scène dans la communauté russe, une auberge, dont tu parles. Anita demande d'ailleurs du lait comme un désir maternel. Le professeur et la tenancière qu'il aura connu étant jeune jouent le rôle de parents de substitution; ce mariage est une nouvelle naissance pour elle, et elle est délivrée par la citoyenneté américaine qui en résulte.
On retrouve cette même idée autour d'une communauté russophone, dans une boîte de nuit cette fois, qui permet la constitution d'un couple qui n'arrivait pas à s’accrocher l'un à l'autre auparavant dans un film de Borzage de 1943, la soeur de son valet (dans ce titre on entend là encore l'horizon à l'est des structures sociales anglo-saxonnes ou européennes qu'il s'agit de transformer par les liens amoureux).
on en aperçoit quelques plans et on entend une chanson en russe dans cette vidéo:
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