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William Wellman, la First National et la Dépression

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Message par Dr. Apfelgluck Jeu 31 Juil 2014 - 9:08

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Ain't talkin', just walkin'
Hand me down my walkin' cane

Ain’t Talkin’ by Bob Dylan on Grooveshark


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Message par Dr. Apfelgluck Dim 3 Aoû 2014 - 12:44

"Night Nurse" (1931)

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Message par Dr. Apfelgluck Jeu 16 Oct 2014 - 15:55

The Conquerors (1932).

Wellman raconte l'histoire des USA à travers les trois premières grandes crises financières du pays : la crise bancaire de 1873, la "grande panique" de 1893 et enfin le krach de 1929. Bien que terribles et coutant des vies à certains protagonistes du long-métrage, ces trois crises sont vu comme des passages obligés devant amener à un certain "renouvellement". "Ce pays est comme un gosse qui veut grandir trop vite et qui craque parfois les coutures de son pantalon", telle est la devise de Standhish le personnage principal. En gros, quoiqu'il arrive, l'Amérique finira toujours par se relever encore plus fortes de ces épreuves. Tel le célèbre slogan "together we stand (Stand-Standish, le patronyme de la famille du film), divided we fall". C'est, évidemment, un message à l'Amérique de la Grande Dépression. On va s'occuper de vous, refaites confiance aux banques (après avoir été ruiné en 1873, les Standish partent vers l'Ouest où ils fondent... une banque).
La figure du paternel Roosevelt, visible dans une bobine d'actualité, n'étant pas là par hasard non plus. Les dates du 19ième choisit en disent également long sur l'évolution de l'Amérique que propose le film.
1873, c'est le début du second mandat de Grant et l'Amérique post-sécession de la période de la Reconstruction. La guerre finie, il est temps de nouveau se tourné vers l'Ouest, ce que feront les Standish. Des terres vierges où une nouvelle Amérique est prête à s'ériger. C'est également l'année de l'invention de la machine capable de produire industriellement le fil de fer barbelé (aka la propriété privée) et l’acquisition de la patent par Levi pour produire les jeans.  Les colonnes de chariots des pionniers du film renvoie aux migrants de la Grande Dépression, un des thème favoris de Wellman alors. Son cinéma n'a d'ailleurs jamais été aussi fort que lorsqu'il filme l'Amérique de la Dépression.
1893, le Colorado donne le droit de vote aux femmes (l'Ouest se "civilise", c'est la fin de la Frontière) alors que Edison sort le Kinétoscope. Le chemin de fer rejoint Fort Allen, la ville de pionniers du film qui s'est bien agrandit. On assiste à une projection dans un des halls de la ville, un des court-métrage de Méliès ouvrent une série d'actualité (alors que généralement, c'est l'inverse) où l'on abreuve le public du "grand progrès américains" : les frères Wright etc... Les pionniers sont dans l'industrie, les inventions maintenant. Mais, malgré tout, la crise est toujours présente. C'est une menace constante, comme la balle non extraite qui se trouve dans le poumon du père Standish, reçu dans une bagarre contre des outlaws. Le mal est toujours là, dans le poumon de l'Amérique. Dans une autre perspective, les infirmités et blessures sont omniprésentes dans les films de Wellman. Ce dernier ayant une jambe boiteuse après avoir été abattu dans son avion en 1917. La noirceur et la mort guette toujours, Wellman n'était pas toujours très tendre avec ses personnages. En parlant de crise d'ailleurs, le film a été un flop pour la RKO.

Hormis le message idéologie, c'est très certainement l'un des films les plus personnels de Wellman. En effet, le petit-fils des Standish a dans le film un parcourt quasiment identique. Né en 1896, Wellman fait de Roger Standish un membre de sa génération en le faisant naître en 1873. Il découvre la passion pour l'aviation lors de la projection de cette bobine sur les frères Wright puis, en 1914, s'engage comme volontaire dans les ambulances de Horton-Harjes avant de rejoindre l'escadrille Lafayette où il devient un as. Bref, la jeunesse de Wellman. Il y aurait beaucoup à dire également, je m'intéresse à Wellman depuis plusieurs mois et essaie de tout voir tout en prenant des notes et en comparant les films. Même s'il n'est pas un "cinéaste essentiel" et qu'il n'a pas vraiment pondu des chefs-d'oeuvres, il reste quand même un metteur en scène trop sous-estimé à mon goût. Ses films ont toujours quelques choses d'imprévisibles, à l'image de son caractère assez fort (beaucoup de témoignages concordent sur le fait qu'il s'engueulait toujours avec tout le monde et qu'il avait des crises, pardon de ce honteux jeu de mot, très régulièrement. Le seul réalisateur qu'il respectait était, paraît-il, Borzage avec lequel il était lié).

Ces renvois à la vie privée de Wellman viennent très certainement de la présence comme co-scénariste du proche Robert Lord. Ce dernier, initialement journaliste au New Yorker, a travaillé avec Wellman sur plus quatre autres films (So Big !, The Purchase Price, Frisco Jenny et Heroes For Sale).


Dernière édition par Dr. Apfelgluck le Jeu 16 Oct 2014 - 18:01, édité 3 fois
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Message par Invité Jeu 16 Oct 2014 - 16:35

Et c'est là -grâce aussi au passage de James Baldwin sur Margaret Sullavan, épouse du deuxième- que je prends conscience du fait que, depuis le début, je confondais William Wellman et William Wyler (sans doute parce que "The Best Years of Our Lives" est aussi une histoire de prothèse, de main mutilée et un film politiquement hyper-roosveltien sur une crise économique )

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Message par Dr. Apfelgluck Lun 27 Oct 2014 - 17:36

Récemment, j'ai écris plusieurs pages sur les films de Wellman pour la First National. J'en ai quatre pages dans un fichier Word pour le moment. Je sais pas si cela vaut la peine d'être publié ici, c'est un peu foutoir. En voici un petit bout.

Entre 1930 et 1933, Wellman réalise seize films pour la First National :
- Maybe It’s Love (sortit le 4 octobre 1930).
- Other’s Men Women (17 janvier 1931).
- The Public Ennemy (23 avril 1931).
- Night Nurse (8 août 1931).
- The Star Witness (22 août 1931).
- Safe In Hell (12 décembre 1931).
- The Hatchet Man (6 février 1932).
- So Big ! (30 avril 1932).
- Love Is A Racket (10 juin 1932).
- The Purchase Price (23 juillet 1932).
- Frisco Jenny (30 décembre 1932).
- Central Airport (15 avril 1933).
- Lily Turner (13 mai 1933).
- Heroes For Sale (17 juin 1933).
- Wild Boys Of The Road (7 octobre 1933).
- College Coach (4 novembre 1933).

Récurrence(s)

Entre 1931 et la fin 1933, il réalise donc cinq films par années au sein du studio. Films qu’il tourne avec plusieurs collaborateurs récurrents sur ses plateaux.
A partir de « Safe In Hell », il travaille sur sept de ses films avec le chef opérateur Sidney Hickox. Né une année avant Wellman, en 1895, Hickox a été photographe pour l’US Naval Air Service pendant la première guerre mondiale avant de rejoindre la First National. Détail, on l’imagine, crucial pour un pilote vétéran comme Wellman. Sa photographie, sobre et parfois crue, accentue le côté brut du cinéma de Wellman. Sur quatre autres films, c’est James Van Trees qui sera au poste de chef opérateur. Barney McGill, quand à lui, sera sur « Night Nurse » et « Other’s Men Women » et « Night Nurse ». Pour les deux derniers films de l’année 1933, Wellman travaille avec son contemporain Arthur L. Todd.
Au niveau du montage, Edward M. McDermott collabore sur les quatre premiers films de Wellman pour la First National. Autres monteurs récurrents : William Holmes (trois films), Owen Marks (deux films) ou encore Thomas Pratt qui montera « Wild Boys Of The Road » et « College Coach ».
Bien que son premier film chez First National fut une comédie musicale, la musique est cependant plutôt absente dans les autres films de Wellman de cette période. Hormis sa présence au générique d’ouverture, la musique n’apparaît en général que quand un des protagonistes écoute la radio où se trouve dans un lieu où un orchestre est en train de jouer (bar, club, soirée etc…). Pas de fond musical chez Wellman, la musique n’est pas là pour créer une atmosphère ou suggérer des sentiments. Pour cela, il s’en réfère entièrement à la force des plans et de la mise en scène. Certaines fois, la présence du compositeur ne sera même pas créditée. Le fait que les petits budgets n’avaient bien souvent pas les fonds et le temps nécessaire pour se payer le luxe d’une bande originale contribua également au maintien de ce style par Wellman. Style qui, comme cité plus haut, colle avec la rudesse de certains de ses films.
Mais là aussi, il collabora avec les mêmes fidèles chefs d’orchestre et compositeurs. Il travaille avec Erno Rapee et Louis Silvers, les deux co-directeurs du Vitaphone Orchestra. Rapee était alors le directeur musical général de la First National. Il se fera licencié, tout comme Silvers, en 1931, pour « raison économique ». Ils seront remplacés par Leo F. Forbstein, nouveau directeur musical du studio qui signera la bande originale de plus de cinq-cents films dans sa carrière. C’est avec de dernier que Wellman travaillera sur huit projets. Bernhard Kaun sera également un autre habituel, apparaissant aux génériques de quatre films.
La récurrence chez les techniciens et assistants se fait également au niveau des directeurs artistiques. Ainsi, Jack Okey officiera à ce poste sur sept long-métrages de Wellman. Earl Luck sera quand à lui au département costume sur quatre films tout comme Orry-Kelly.
Comme on le sait, une équipe ayant l’habitude de tourner régulièrement ensemble favorise les tournages rapides imposés aux séries B et évitent les dépassements de budgets qui mettent les producteurs dans tous leurs états. Il fallait, de toute façon, savoir comment travailler avec Wellman. Ce dernier ayant la réputation d’être extrêmement colérique sur ses tournages (d’où son surnom « Wild Bill ») et parfois pas vraiment tendre avec ses assistants. Là aussi, on peut dire que bien souvent ses films sont à l’image de son caractère impulsif. Autre points commun entre tous ces collaborateurs d’horizons différents : ils sont tous de la même génération, nés entre 1890 et 1900.
La génération de la grande époque du muet américain où le réalisateur était, comme la écrit Kenneth Anger, « un Dieu vivant »Wellman s’est très mal adapté au nouveau système des studios en vigueur dès l’arrivé du parlant. Ses relations avec les producteurs étaient souvent houleuses. Dans le numéro de mai-juin 1970 du magasin « Action », William Wellman Jr. y écrit que son père est l’un des rares réalisateurs à avoir été « viré » de presque tous les studios d’Hollywood. Il détestait que les producteurs viennent mettre leurs nez sur ses tournages, n’hésitant pas à leur faire peur avec des explosifs lors de leurs passages sur ses plateaux. Il n’aimait pas non plus l’atmosphère des studios, regrettant le temps des tournages « on location ». Il était également contre l’utilisation de la «projection arrière » et autre artifices, ne cessant de prôner « la sobriété ». Ce qui lui valut d’être surnommé « le réaliste » dans le milieu. Lors de son passage chez First National, il eu particulièrement des problèmes avec la production lors du tournage de « Wild Boys Of The Road ». Plusieurs scènes furent sucrées au montage, jugées trop violentes et démoralisantes par le studio.

Et pour les actrices et acteurs, c’est un peu le même système. Barbara Stanwyck, alors en pleine ascension, est à l’affiche de trois films de la période First Nationale de Wellman. Elle deviendra l’une de ses actrices fétiches, jouant au total dans cinq de ses films. Duo plutôt intriguant. Alors que dans plusieurs de ses films la plupart de ses personnages sont écrasés par le destin, parfois broyés et désillusionnés par l’American Way Of Life, Stanwyck était une ultra-conservatrice qui n’acceptait pas le défaitisme. Elle utilisait d’ailleurs régulièrement son parcourt personnel afin de prouver que « le rêve américain existe bel et bien ». D’ailleurs, alors que Wellman défendait Polonsky en plein McCarthysme, Stanwyck applaudissait à deux main la « House Commitee On Un-American Activities ». Elle fut d’ailleurs une des premières adhérentes de la » Motion Picture Alliance For The Preservation Of American Ideals » en 1944. Dans les années de la Grande Dépression, elle s’est d’ailleurs plusieurs fois exprimée sur le New Deal et Roosevelt, auquel elle était formellement opposée. Pour résumer, les gens n’avaient qu’à se sortir les pouces du cul pour s’extirper de la crise.
Alors certes, Wellman n’était non plus pas le réalisateur le plus à gauche d’Hollywood. Même s’il se définissait parfois comme « une sorte d’anarchiste détestant l’injustice », il était idéologiquement bourré de contradiction. Se déclarant anti-communiste, il s’oppose cependant à la « liste noire » et au règne du McCarthysme (des « motherfuckers », selon lui). Parfois machiste dans les années quarante et cinquante (« Westward The Women » est d’ailleurs limite idéologiquement, les femmes ne sachant au final pas se débrouiller sans les hommes), ses films des années trente montrait régulièrement des femmes fortes, battantes et héroïques, faisant face à tous les pires aléas de la vie. On ne le répètera pas assez, c’est un type incroyablement cyclique à l’image de son humeur redoutée par tout le monde. S’il s’est parfois déclaré comme un « anti-individuel », les communautés qu’il filme et qui l’intéresse sont souvent parallèles : les hobos, les bootlegers, les gangsters, le monde fermé de Chinatown, la prostitution, les paumés du Tenderloin Disctrict de San Francisco, les aviateurs (un monde dans un Monde pour lui). Quand ses personnages dérivants au grès du courant entre en contact avec la communauté américaine, le résultat est souvent désastreux. C’est le cas de Stanwyck dans « The Purchase Price », devant se battre contre la rudesse et la misogynie d’une communauté de paysans du Nebraska. Même chose dans « So Big ! » où la même Stanwyck, éducatrice venant de Chicago pour enseigner à la campagne, doit faire face à au puritanisme d’une communauté hollandaise. Détail amusant d’ailleurs, car Wellman était le descendant de Thomas Wellman, un puritain étant arrivé dans la colonie de la baie du Massachusetts en 1640.

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Message par Dr. Apfelgluck Mar 28 Oct 2014 - 12:27

Dans son livre « Riding The Rails », Erroll Lincoln Uys estime le nombre d’enfants et d’adolescents hobos à 215'000 au pic de la Grande Dépression en 1932. Dix pourcent de ces enfants du rail étant de sexe féminin. Les raisons ayant incités ces jeunes à rejoindre la statut d’hobo sont variées : fugue, instabilité familiale, perte des parents, honte vis-à-vis de la pauvreté ou alors simple esprit d’aventure. Dans cet univers masculin, les filles s’habillaient la plupart du temps avec des vêtements d’hommes, coiffées de casquette dissimulant leurs visages et chevelures.
Dans une statistique établie par Herman Schubert auprès de 20'000 hobos en 1935, 662 d’entres eux était des afro-américains âgé entre 15 et 24 ans. Ces derniers étaient en général plus longtemps « sur la route » que les autres, certains depuis trois années complètes. Le faible nombre d’afro-américains hobos s’expliquait par la dangerosité d’être noir de peau dans le milieu, particulièrement auprès des autorités du rail de certaines villes.
Les rapports annuels de l’Interstate Commerce Commission rapportent que, entre 1929 et 1939, 24'647 de ces jeunes hobos sont morts en essayant de prendre un train ou durant le trajet. 27'171 ont été blessés lors d’accident survenue sur des propriétés des chemins de fer.
Les problèmes et maladies liées à ce train (désolé pour le jeu de mot) de vie étaient principalement la malnutrition, l’hypothermie, le manque de propreté qui attirait les puces et les poux.
Les places les plus courues de ces jeunes nomades du rail étaient l’ouest des Etats-Unis, en particulier la Californie et les Montagnes Rocheuses où ils se rendaient pour participer aux moissons en été. Durant l’hiver, ils mettaient généralement le cap vers le Sud, dans les champs de cotons.

Toute cette communauté est représentée dans « Wild Boyd Of The Road » de Wellman. Des jeunes fuyant la pauvreté familiale en passant par la fille voyageant incognito aux ados afro-américains.
Ce n’est cependant pas la première fois que Wellman consacre un film aux hobos, comme en témoigne « Beggars Of Life » avec Louise Brooks, tourné pour la Paramount en 1928. Le phénomène hobos ne datant pas de la Grande Dépression. On pense que la pratique fut popularisé à la fin de la guerre de Sécession quand les soldats démobilisés commencèrent de prendre les trains de marchandises pour rentrer au foyer.
Dans « Wild Boys Of The Road », les adolescents de Wellman n’effectuent pas un voyage en direction des vignes de la Californie ou du Sud, mais vers la côté est.  Jusqu’à New York en passant par Chicago et Cleveland. Le rigolo de la chose, c’est que tout a été filmé en Californie, les scènes de dépôts et d’extérieurs ayant été tournées au Taylor Yard de la Southern Pacific à Glendale (maintenant abandonnés). Il ne manque plus que le Sud, représenté par certains personnages du film, pour que l’on ai une géographie plus ou moins complète des USA. Car, pour Wellman, les hobos de « Wild Boys Of The Road », ce sont les USA. On peut également penser à toute la symbolique et l’importance du train dans la culture populaire américaine, ainsi qu’à son importance dans son cinéma (d’ailleurs le cinéma n’est-ce pas un peu aussi l’éternel répétition du train de la Ciotat ?). Le premier train transcontinental, mis en service le 10 mai 1869, est le symbole de la connexion totale de l’Amérique, de l’est à l’ouest. Symbole encore plus fort alors qu’il a lieu quatre ans après la fin de la guerre de Sécession qui a déchiré la jeune nation. C’est un peu une sorte de volonté de création d’une Amérique enfin recomposée, unie. Cela annonce aussi le début de la fin de la Frontière idéalisée par Turner. Le train, c’est l’arrivé du « progrès », de la civilisation et des lois de l’Est sur l’Ouest alors encore rude et sauvage, comme en parle Boorstin dans son « Histoire des Américains ».
D’ailleurs, on ne compte plus les westerns dans lequel des grands propriétaires terriens et modestes fermiers se battent pour conserver leur terre face à l’arrivée du chemin de fer. Comme le cattle-town battu par le vent d’Arizona dans « Johnny Guitar » de Nicholas Ray.
Le côté aventurier et mythologique du train intéresse Wellman. Les locomotives apparaissent régulièrement dans ses réalisations. Le monde des cheminots étant au cœur de « Other Men’s Women » alors qu’un duel entre un avion d’acrobatie et un train se déroule dans « Central Airport ». C’est d’ailleurs la confrontation entre le passé et l’avenir, la terre et le ciel, l’avion chez Wellman étant le futur et le moyen de déplacement ultime. Il ne semble d’ailleurs prêter que guère d’attention au voiture. Celle d’Eddie dans « Wild Boys Of The Road » étant un vieux tacot, la décrépitude de l’Amérique en crise, qu’il revendra pour donner quelque argent à son père.
Autre moyen de locomotion à l’honneur dans le film, les jambes. Le nombre de plans montrant uniquement des jambes en gros plans est d’ailleurs impressionnant. Des jambes de la jeune fille qui cassent la portière de la voiture quand Tommy l’embrasse (éveil du désir sexuel chez l’adolescent), en passant sur les pieds  du père d’Eddie devant un panneau d’une agence pour l’emploi (on fait le pied de grue pour du travail). Le symbole le plus fort du film étant la jambe que Tommy doit se faire amputer après avoir été écrasé par une locomotive. Aller de l’avant, continuer le chemin, la vie semble désormais impossible pour lui. Impossibilité, également, de continuer le mouvement (les jambes des hobos qui courent d’une ligne à l’autre) et de trouver une direction où aller. Sortir du merdier, en gros. D’ailleurs, quand les policiers viennent faire évacuer le camp des jeunes migrants à coup de lance à incendie (éteindre le feu qui brûlent en eux), un officier préconise de « viser les jambes ».  Cette volonté de se débarrasser d’eux par les autorités et la communauté venant après que Eddie aie volé une jambe artificielle pour que Tommy puisse à nouveau marcher et reprendre la route pour New York.
Les jambes également comme moyen de subsistance, car c’est en dansant sur les trottoirs de la ville que Sally rapporte quelques dollars au trio du film. Ses jambes seront d’ailleurs la première partie de son corps que les deux garçon verront lors de leur rencontre sur un wagon-plateforme.
Pour revenir à l’amputation de Tommy, il est intéressant de savoir que Wellman a été blessé à la jambe le 18 mai 1918. Son Nieuport 24 a été canardé par la DCA allemande, il se crasha assez violement mais y survécu. Cette blessure de guerre provoqua chez lui un léger boitement qu’il gardera à vie. Caractéristique qu’il exagérait, parait-il, parfois pour impressionner les femmes.
Cette blessure est en quelque sorte comme la jambe de Tommy. La violence de la guerre et de la crise a frappée et jamais plus rien ne sera comme avant.  Mais, chez Wellman, l’Amérique finie toujours pas penser ses plaies et repartir en marche poussé. C’est  la  même idéologie véhiculée dans la fin « Heroes For Sale ». Comme le chante Dylan, « "Ain't talkin', just walkin' ».
En 1933, année durant laquelle « Wild Boys Of The Road » est tourné, le chômage aux Etat-Unis touche quinze millions de personnes. Soit un million de plus que l’année précédente. En février, Roosevelt est victime d’une tentative d’assassinat à Miami et le Blaine Act signe l’arrêt de la Prohibition et le trafic d’alcool qui allait avec. L’alcool a d’ailleurs une place de choix dans les films de Wellman, reflétant le fort penchant de ce dernier pour l’ éthylisme. On y boit souvent, y rencontre des bootleggers (« Night Nurse »), se saoule dans des soirées décadentes (« Night Nurse » toujours et « The Purchase Price »). Femmes comme hommes, ses personnages se prennent généralement au moins une cuite au court du film. Soit pour faire passer un chagrin récent, soit pour fêter un évènement. Il est rare qu’ils boivent réellement par désespoir. Il n’y a d’ailleurs pas vraiment, chez les personnages principales, d’alcoolique à la façon deleuzienne qui « ne cesserait pas d’arrêter de boire ». La cuite chez Wellman c’est également parfois une sorte de rite de passage. Les buveurs, après la soirée bien arrosée, passant à un autre stade, s’étant endurcis ou ayant changé de directions.
A la fin de l’année, les nouvelles grandes mesures du New Deal font leurs apparitions. La Civil Works Administration est créée en novembre, promettant aux chômeurs l’accès à quatre million de nouvelles places de travail.
La séquence finale au tribunal de « Wild Boys Of The Road », où les trois adolescents se voient relaxés par le juge qui promet à Eddie qu’il pourra retrouver son emploi au sein un hôtel. Le happy end de ce film pourtant si désespéré est évidemment là pour soutenir le discours « Le New Deal arrive, l’Etat s’occupe de vous. La crise est finie ».


Dernière édition par Dr. Apfelgluck le Mer 29 Oct 2014 - 12:23, édité 1 fois
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Message par Eyquem Mer 29 Oct 2014 - 12:00

salut Doc,

16 films en 3 ans: c'étaient vraiment les rois du monde.

Je ne connais pas Wellman, à part Ox-Bow Incident ("un film dégueulasse" d'après Straub, mais vu ado, ça m'avait beaucoup impressionné) et "Wings" vu il y a quelques mois, qui ne m'a pas enthousiasmé, mais que je voulais voir à cause d'"Aviator" (Scorsese paraît reprendre dans le film des anecdotes du tournage de "Wings": le fait d'attendre des nuages pour donner le sentiment de la vitesse pendant les poursuites aériennes, par exemple)

D'après ce que tu dis, et ce que j'ai lu ailleurs suite à tes posts, il a l'air d'avoir suivi le courant. Sensibilité sociale au moment de la crise, puis c'est le premier à faire un film anti-communiste en 1948 ("Le rideau de fer").

L’alcool a d’ailleurs une place de choix dans les films de Wellman, reflétant le fort penchant de ce dernier pour l’élitisme.
Tu veux dire: éthylisme, non?
Il y a effectivement une longue scène de cuite dans "Wings", assez marrante, où l'ébriété du personnage est figurée par des bulles de champagne en surimpression.

wellman - William Wellman, la First National et la Dépression Wings_10

: une leçon de vie à méditer. Wink


Ici, à partir de 1h08'30 (avec, en ouverture de la scène, un très joli travelling avant au-dessus des tables, digne d'une comédie musicale)
https://www.dailymotion.com/video/xmr3p8_wings-1927-the-first-movie-got-oscar-1929_shortfilms
Eyquem
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Message par Dr. Apfelgluck Mer 29 Oct 2014 - 12:49

Eyquem a écrit:salut Doc,

16 films en 3 ans: c'étaient vraiment les rois du monde.

Je ne connais pas Wellman, à part Ox-Bow Incident ("un film dégueulasse" d'après Straub, mais vu ado, ça m'avait beaucoup impressionné) et "Wings" vu il y a quelques mois, qui ne m'a pas enthousiasmé, mais que je voulais voir à cause d'"Aviator" (Scorsese paraît reprendre dans le film des anecdotes du tournage de "Wings": le fait d'attendre des nuages pour donner le sentiment de la vitesse pendant les poursuites aériennes, par exemple)

Cadence incroyable en effet, même Godard n'y est pas arrivé.
Après, je ne sais pas si le nombre de cinq films par années lui était imposé contractuellement par la First National. Si l'on regarde les sorties, il y a presque toujours deux films en début d'année, deux en été et un en hiver.
Concernant ce que tu dis pour ces films d'après guerre, pour ma part c'est vraiment sa période du début des années 30 qui m'a toujours intéressé. Après c'est souvent mi-figue mi-raison. Ses westerns sont souvent, pour reprendre le mot de Straub, "dégueulasses" en effet et débordant de misogynie. La morale finale de "Westward the Women" c'est que finalement elles arrivent à rien faire sans les hommes. J'ai deux exceptions cependant, pour ma part, "Track Of The Cat" et son "Buffalo Bill"  de 1944 où règne une certaine mélancolie. Là aussi, on retrouve la même obsession de Wellman pour "La fin de la Frontière" etc...
Wellman semble être devenu pas mal pote avec Wayne au début des années 50 (il avait été figurant pour lui dans certains de ses films des années 30). Ce qui a malheureusement eu une influence plutôt néfaste sur les films qu'il a tourné avec.

PS : merci pour la correction, je fais parfois des lapsus assez terribles.
Dr. Apfelgluck
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Message par Dr. Apfelgluck Mar 4 Nov 2014 - 17:01

Lily Turner (1933).

Nombre de films de Wellman pour la First National présente, si l’on peut dire, des couples en crise dans la Crise. Ses personnages doivent régulièrement faire face à la tentation de l’adultère, de la bigamie ou alors hésites entre deux femmes (très souvent une brune et une blonde, manichéisme stylistique alors récurrent).
Lily Turner n’y fait pas exception, mariée sur un coup de tête à un magicien de cirque ambulant qui s’avérera être bigame. Son précédent mariage a d’ailleurs été contracté en 1927 et il ne fréquente plus sa première femme dès les années 30. Là encore, le mariage n’a pas résisté au krach de 1929.
Enceinte alors qu’elle apprend la vérité, Lily divorce et se remarie « par nécessité » avec un de ses collègue du cirque ambulant, l’alcoolique (encore et toujours) Dave Dixon. Mal mariée, ayant perdu l’enfant en couche, ne couchant pas avec Dave, Lily tombe finalement amoureuse d’un autre homme. Mais, à la fin du film, elle sacrifie cet amour pour rester avec Dave après une défenestration l’ayant rendu paraplégique. Tout cela malgré la promesse d’un troisième et dernier mariage heureux, un « New Deal » selon les mots du prétendant. Les femmes de Wellman retrouvent régulièrement en fin de film une foi inébranlable dans le couple. Ces unions re-cimentées  pouvant être des métaphores de la propre foi de Wellman dans la capacité de l’Amérique à se sortir de la crise. Ce motif récurrent de couples mal assorties est d’ailleurs intriguant quand on le compare avec la vie privée de Wellman. D’après les dires de son fils, Wellman aurait été très malheureux en amour, changeant presque compulsivement de femmes et de maîtresses, avant sa rencontre et son mariage en 1934 avec l’actrice Dorothy Coonan qu’il a fait jouer dans « Wild Boys Of The Road ».
Finalement, le premier mariage de Lily n’aura été qu’un prétexte pour s’extraire de sa famille et de la ville de Buffalo. Car Lily rêve de New York, ville où se déroule ou termine plusieurs films de Wellman. La côte est opposée à la côte ouest. Cette région du nord-est, New York, la Nouvelle-Angleterre, Rhode Island, que Wellman connait si bien. Mais le film et le parcourt de Lily s’avérera être un véritable road movie. Assistante pour son premier mari dans un cirque puis « potiche » dans un medecine show, elle parcourt les Etats-Unis en roulante, dormant sous tentes. Elle est condamnée à la route et le deuxième mariage n’a en fait jamais de « vraie » maison, de foyer. Comme elle le dit d’ailleurs à Bob « Moi et Dave n’ont n’avons jamais vraiment habités ensemble ». Difficile de ne pas y voir un parallèle avec les migrants et autres déplacés de la Crise tel que l’on peut les voir sur les photographies de Dorothy Lange.
Ce médecin charlatan, pour lequel elle travaille, vend d’ailleurs « de la santé et du bonheur » en potion. Ce dont l’Amérique de 1933 a d’ailleurs bien besoin. Mais au final, tout n’est que simulacre et l’envers du décor en carton pâte de la troupe est bien moins glorieux.
Comme le personnage de l’homme fort, Fritz un émigré allemand, qui souffre soudainement de paranoïa et ne sait plus contrôle sa force. Il est interné en asile psychiatrique, mais finit par s’échapper pour venir tenter d’assouvir ses pulsions sexuelles envers Lily. A travers lui, Wellman fait pour la première fois une allusion à la situation en Allemagne où Hitler vient d’être fait chancelier au début de l’année (certains réalisateurs américains reprocheront à d’autres leur passivité au sujet du nazisme). Fritz est un personnage dont, au début, tout le monde se moque et que personne ne prend réellement au sérieux. On l’interne afin de l’oublier. Personne ne croit d’ailleurs Dave quand il affirme l’avoir croisé dans la rue après son évasion (il arrive d’ailleurs en ville par train de marchandise, comme les hobos). Finalement, tout le monde prendra conscience du danger qu’il représente alors qu’il jette Dave par la fenêtre à la suite d’une bagarre dans la chambre de Lily. Dave en aura l’épine dorsale brisée et Fritz sera conduit menotté devant des passants semblant tombés des nues. Le film se termine d’ailleurs dans une ambulance, Lily veillant sur Dave qui réclame de l’alcool. Plans ambigüe sur une Amérique qui semble alors avoir du mal à se relever. Mais si Lily reste, c’est qu’au fond elle y croit.
Avec « Wild Boys Of The Road », « Lily Turner » pourrait être un des films First National les plus pessimistes de Wellman. L’ambiance y est d’ailleurs sombre, la grande majorité du film se déroulant dans la nuit ou par temps de pluie. La grande utilisation des gros plans et autres « images affection » accentuent évidemment le pathétique de la chose. Les protagonistes semblent compartimentés dans leurs espaces, enfermés. L’aspirine et l’alcool étant là pour faire oublier jusqu’au petit matin les angoisses et l’attente d’un jour meilleur qui ne semble jamais venir.
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Message par adeline Mar 4 Nov 2014 - 19:40

Hello Doc, Eyquem,
j'ai parcouru une première fois le topic, que je prendrai le temps de lire tranquillement ce week-end. Je me demandais si vous alliez parler de "Track of the Cat", seul film de lui que j'ai vu et dont je garde un souvenir marquant. Comme je lisais que Straub le traite de dégueulasse et qu'il a fait des films anti-communistes, je me demandais si c'était finalement bien le même William Wellman. Mais c'est donc bien lui. Je me souviens d'un film d'une simplicité, d'une sécheresse et d'une dureté déroutante. La traque dans la neige et la nuit est incroyablement forte, c'était pour moi à la hauteur, enfin, presque, de "La Chevauché des bannis". Bon, pas tout à fait, mais quand même…

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Message par Dr. Apfelgluck Mar 4 Nov 2014 - 19:46

adeline a écrit:Hello Doc, Eyquem,
j'ai parcouru une première fois le topic, que je prendrai le temps de lire tranquillement ce week-end. Je me demandais si vous alliez parler de "Track of the Cat", seul film de lui que j'ai vu et dont je garde un souvenir marquant. Comme je lisais que Straub le traite de dégueulasse et qu'il a fait des films anti-communistes, je me demandais si c'était finalement bien le même William Wellman. Mais c'est donc bien lui. Je me souviens d'un film d'une simplicité, d'une sécheresse et d'une dureté déroutante. La traque dans la neige et la nuit est incroyablement forte, c'était pour moi à la hauteur, enfin, presque, de "La Chevauché des bannis". Bon, pas tout à fait, mais quand même…

Bonjour Adeline,

En fait c'est plutôt le Wellman des années trente qui m'intéresse. Pour moi, c'est un des réals américains qui a produit les films les plus intéressants et beaux sur la grande dépression et l'ambiance malsaine de l'amérique de 1930-1933. Quand tu parle du "même Wellman", j'ai toujours vraiment eu l'impression qu'il y a une réelle et nette coupure dans sa filmographie. A mon sens, hormis quelques exception comme "Track Of The Cat" et d'autres, ses films deviennent moins intéressants et idéologiquement parfois très malsains (souvent sur les femmes, comme je l'avais dis). Effectivement, on a vraiment l'impression d'avoir affaire à un autre type.
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Message par Eyquem Mer 5 Nov 2014 - 11:45

Salut Adeline, salut Doc,

La citation de Straub, c'est dans le bouquin sur Ford. Il ne parle pas de Wellman en général, il évoque les films américains sur le lynchage et dit:
Tous les films comme "The Ox Bow Incident" de William Wellman, à l'exception de "Fury" de Lang, sont des films dégueulasses sur la pratique du lynchage.

Pour équilibrer, y a Manny Farber, qui classe Wellman aux côtés de Hawks, Walsh, Mann, le premier Ford, parmi les "vrais maîtres du film d'action viril":
N'importe quel travail de Bill Wellman inclut au moins quatre réalisateurs: un sentimental, un penseur profond, un burlesque effréné, un artiste de l'expédient et du raccourci qui entretient un penchant prononcé pour les durs à l'air buté qui s'expriment avec des têtes d'enterrement et de sombres déambulations. Wellman est au mieux de sa forme dans les ambiances froides, vulgaires, les situations de romans de gare. Dans ce décor, il fait preuve de l'ingéniosité du pauvre, qui crée des éclairs féroces et aveuglants, une violence authentique et blagueuse et un chaos qui défie l'entendement.

La scène préférée de Wellman est un groupe de malabars aux traits durs, debout en cercle - pour aucune fichue raison et sans qu'on sache depuis combien de temps ni pourquoi ils sont rassemblés. Ses pires films se résument tout bonnement à cette lugubre conférence d'hommes de pierre. Tout ce qui sauve ses films, ce sont de légers accès d'action semblables à des balles qui donnent à ces hommes un air pénétré de méchanceté crédible et d'entêtement passablement stupide.

Les talents maigres, elliptiques, de Wellman pour créer des films culottés faits avec des bouts de ficelle et multiplier les références feutrées à la mort, au patriotisme, à la masturbation, suggèrent qu'il emprunte des autoroutes privées vers la vérité, alors que des réalisateurs plus célèbres suivent une route lente à l'asphalte sirupeux.

Le film de Wellman constitue la seule vision claire dont on dispose dans tout le cinéma de l'âme mesquine, téméraire et cruelle du loup solitaire américain.
Tout l'article est absolument super.
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Message par Dr. Apfelgluck Mer 5 Nov 2014 - 12:03

Merci Eyquem, je ne savais pas que Farber avait écrit sur Wellman.

Il me semble, d'après le rapprochement à Mann, Walsh etc... que Farber le range dans ce qu'il appelait les "cinéastes termites" opposés aux "cinéastes éléphants blancs" (les grandes productions à Oscars). Je ne connais pas toute son oeuvre, je n'ai lu que certains de ses articles des années 60, mais il semble généralement défendre et privilégier les série B des années 30 contre les gros budgets qui véhiculaient selon lui une image de l'Amérique trop fantasmée.
Vu que Straub cite "Fury", il me semble également que Farber ne disait pas grand bien de la période américaine de Lang (il avait écrit "Lang ne comprend rien à l'Amérique").
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Message par Eyquem Mer 5 Nov 2014 - 12:23

Oui, c'est le 1er article d' "Espace négatif": "Les films souterrains".

En vo, ici:
http://www.commentarymagazine.com/article/underground-filmsa-bit-of-male-truth/
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Message par Dr. Apfelgluck Mar 10 Fév 2015 - 15:40

J'ai finalement renommé le sujet pour pouvoir parler ici des films d'autres films sur la Dépression.

Si la First National a produit certains de ses plus intéressants films pendant la crise entre 30 et 33, elle a aussi sortit son lot de longs métrages bien réactionnaires, comme ce "Week-End Mariage" de Thornton Freeman. Sous sont air de commentaire social, c'est un film totalement réac et misogyne. En gros, la crise à plongé les hommes dans la boisson et a envoyé les femmes au turbin alors que leur place est au foyer. Dans le film, c'est Lorretta Young qui ramène le plus gros salaire du ménage. Cependant, le couple ne peut être épanouit car il faut quelqu'un pour s'occuper du ménage, de la cuisine. L'appartement est toujours en chantier, les bouteilles et les mégots trainant partout. Quand le mari fait la cuisine, "évidemment" c'est une catastrophe car ce n'est pas sa place dans l'organisation patriarcale du foyer. Et aussi "évidemment", c'est de la faute de Young s'il s'est mis à boire et à fréquenter les speakeasy car ce dernier n'a plus de vie sexuelle satisfaisante depuis qu'elle fait les trois fois huit.
Le résultat est qu'il fini par perdre son emploi et la quitter, ne voulant pas la suivre à St Louis où elle a décrochée un travail où elle serait payée double.
Chez Freeman (et pas Freewoman, on l'aura comprit), le couple c'est l'état de l'Amérique. Pour la redresser, la sortir de la crise et de la Dépression, il faut retourner aux "bonnes vieilles" méthodes et organisations, délimitations, des espaces de chacun. C'est d'ailleurs la litanie des parents de Loretta Young, nostalgiques d'une Amérique du 19ième siècle où tout le monde pouvait faire face (c'est finalement un fantasme récurrent du cinéma américain de cette période), mais surtout où tout était "à sa place". Comme la soeur de Young également, qui a réussit à accéder à la middle class, et qui ne jure que "par les bonnes vieilles techniques". C'est finalement elle qui aura toujours raison, surtout à la fin quand Young finira par venir rejoindre son mari malade et abandonner son travail pour rejoindre "la place qui lui est due". Qu'importe que l'on crève la dalle, tant que "l'équilibre" est retrouvé.
Le plus étonnant, c'est qu'il n'est jamais question d'enfants, de descendance. D'ailleurs, aucuns des couples présent dans le film n'a d'enfants. Chez Freeman, comme les femmes travaillent toutes elles ne peuvent être mères. Quel désespoir pour l'avenir du pays, condamné à se phagocyter et disparaître.
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Message par Dr. Apfelgluck Sam 6 Juin 2015 - 16:30

"Secrets" de Borzage, 1933.

Je parle de ce film ici car, par certaines caractéristiques, il rejoint un peu ce dont nous parlions plus haut. C'est un film de commande, Borzage ayant été sollicité par Mary Pickford, qui est lui même un lointain remake du film du même nom de 1924. Dès 1930, Pickford travaillait sur une transposition de cette histoire dans l'Amérique de la Dépression (l'original se déroulant en Angleterre) avec Neilan, son réalisateur fétiche de sa période muette. Après avoir dépensé 300'000 dollars dans un début de tournage, Pickford décida d'arrêter la production en cours de route et détruisit les négatifs avant de tout recommencer avec Borzage pour la United Artists.

Le film appartient à une catégorie que j'appelle les "pickforderies", dont le canon est les films de Pickford/Neilan de la fin des années 10. Ils ont tous en commun la vision idéaliste d'une Amérique pure, naïve, transcendant les classes sociales et guidée par l'idéologie de la "Destinée Manifeste" popularisé sous la présidence de James Polk (et utilisée entre autre pour justifier la guerre avec le Mexique).
En gros c'est souvent une Amérique rurale, l’éternelle Promised Land fantasmée par le cinéma américain, d'une virginité inégalable où en gros l'Histoire n'existe pas. En effet, il n'y a jamais de trace de la guerre de Sécession, des Indiens, des travers. Le seul évènement historique qui est cité dans ces films c'est la guerre d'Indépendance, c'est même clairement la "guerre sainte". Des fois cela me fait penser de ce que disait Godard à propos de Capra, qui voulait plus américains que l'Amérique. C'est un peu le cas avec la canadienne Pickford qui fantasme et fabrique, films après films sur lesquels elle a un contrôle quasi absolu parfois, son Histoire américaine. Sans parler du fait qu'elle joue des gamines de 13 ans alors qu'elle en avait 27, mais ça c'est un autre sujet. Dans son autobiographie, Walsh écrivait que c'était elle qui avait inventée le cinéma de propagande américain quand, en 17, elle s'était lancé dans un délire belliqueux pro-interventionniste avec De Mille à Hollywood. Certains de ses films de cette période étaient précédés par une petite séquence où l'on voyait Pickford devait un tableau noir devant réciter ses leçons. Procédé d'infantilisation (elle s'y connait dans le genre) qui se terminait souvent par un "acheté des bons de guerre" ou "soutenez nos soldats", la guerre c'est la paix tout ça tout ça quoi.

Dans le Borzage, le couple c'est l'Amérique. Pickford est une fille d'une riche famille de la Nouvelle-Angleterre (les origines de l'Amérique) qui refuse un mariage arrangée avec un Lord anglais (le vieil ennemi). Elle fugue alors avec un jeune clerc sans argent qui va devenir un self-made man qui se lancera par la suite dans la politique. Le couple part d'abord pour l'Ouest, effectuant ainsi sa destinée manifeste. Il n'y a pas de dangers sur la piste, pas d'Indiens, pas d'embuscades. Les pionniers qui les accompagnent sont d'ailleurs tous de bons WASP. Le danger réel n'interviendra que quand, une fois installé, ils se feront voler leur bétail par une bande de desperados. L'atteinte à la propriété privée, le crime originel qui doit être sévèrement punit. Les propriétaires terriens, sur l'initiative du mari de Pickford, se lancent dans une chasse à l'homme pour pendre les bandits. Pickford dit d'ailleurs une fois dans le film qu'il faut faire justice sois-même, alors son mari obéit. Une fois l'Ouest débarrassé des scélérats, la vie peu continuer. Le bébé du couple meurt au milieu du film, ce qui peut être perçu comme une métaphore de la Dépression. En effet, après son décès qui ébranle le couple ce dernier se bat et travaille encore plus pour s'en sortir (quitte à faire 4 gosses supplémentaires). C'est la même morale que dans la plupart des autres films de cette période : l'Amérique meurtrie pourra toujours s'en sortir et se enfants faire face à tous les dangers. C'est une épreuve divine, on accède pas à la Promised Land aussi facilement quand même.
Comme par magie, le film passe des années 1850 à 1870. Y a un épisode cruciale de l'Histoire américaine qui manque là au milieu, non ? Ah non, cela n'a jamais eu lieu chez Pickford car l'Amérique est indivisible et uniforme.
La dernière partie du film est peut être celle qui est véritablement l'oeuvre de Borzage, le couple se questionnant sur ses réussites, ses échecs, ses infidélités.
A la fin du film, situé vers le début du 20ième siècle, le couple "fugue" pour fuir leurs enfants devenu trop prévoyants à leur sujet et refusant qu'ils retournent vivre en Californie, l'ouest du début. Pickford leur tiens un discours qui est digne du dernier clip des Enfoiré(e)s : on a fait notre part, à vous de vous bougez le cul maintenant. Chacun pour soit, si le pays va mal c'est que vous avez pas assez bossé pour qu'il se remette sur pieds comme nous on l'a fait. Message évidemment à peine adressé à la jeunesse désœuvrée des années 30.
Le couple repart alors dans la direction de l'Ouest, retrouver leur monde et espace originaire. Mise en image de la théorie de la Frontière de Turner, où "la démocratie américaine est née à l'Ouest, propagé par l'esprit pionnier".

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Message par Dr. Apfelgluck Jeu 25 Juin 2015 - 6:36

"Baby Face" de Alfred E. Green, 1933 (Warner)

Film souvent prisé comme étant un des meilleurs réalisés pendant la Dépression et l'ère pré-Code... triple bof.

Le scénario est signé Mark Canfield, un des pseudonymes utilisés par Darryl Zanuck. C'est des plus ambigu, on ne sait jamais où finalement il veut en venir.
Lily Powers (le nom de famille est évidemment important) est la fille du tenancier d'un sombre speakeasy dans la zone industrielle de Erie en Pennsylvanie. L'introduction "sortie des usines Lumières" du film montrent les ouvriers allant s'enivrer dans le bouge tout en pinçant les fesses de Stanwyck leur servant de la bière frelaté. Le père représente le vice, la mauvaise Amérique rurale qui profite de la crise et de la prohibition pour faire son beurre. N'hésitant pas d'ailleurs à utiliser sa fille pour "charmer" certains hauts pontes afin que la police ferme les yeux sur son établissement. Stanwyck rêve d'émancipation. Son mentor est un cordonnier (l'Amérique qui doit continuer d'aller de l'avant, une symbolique utilisée dans presque tous les films Warner/First National de cette période), sorte de fasciste qui se croit disciple de Nietzsche alors qu'il n'y a rien compris et qui ne parle que par aphorismes. Il bourre la tête de la gamine avec ses concepts à lui de "volonté de puissance", "faut écraser les autres pour pouvoir grandir", "tu es une femme, sers-toi de tes charmes pour obtenir tout ce que tu veux". 1933 est l'année pendant laquelle est fondé la Silver Legion Of America, parti nazi à l'américaine qui se voulait une réponse à la crise.

Stanwyck n'aura sa liberté que lorsque son père va s'occuper lors de l'explosion d'un alambic (c'est évidemment d'une finesse hors-norme). Elle part alors pour New York avec Chico, une amie afro-américaine, en faisant la hobo dans les trains de marchandise. N'hésitant pas à coucher avec les cheminots afin d'éviter d'être interpellée et bastonnée par la police du rail.
Dès son arrivée, le reste du film n'est qu'une succession de scènes où Stanwyck use de la promotion canapé pour monter socialement. Elle se plonge dans un anarchisme de droite absolu, tout est bon pour faire du fric et se redresser. Certains de ses amants finissant par se suicider, mais c'est pour la bonne cause car comme lui dit son mentor "c'est des faibles". On assiste à "l’éternelle répétition" des mêmes scènes : séductions de gogos pleins d'argent, "dépression" de ces derniers etc...  Chico ne peut d'ailleurs plus être son amie, devenant par défaut sa domestique.... Elle la recadre d'ailleurs plusieurs fois sur le fait qu'elles ne doivent plus se montrer comme étant proche.
Elle ne trouvera finalement l'âme soeur qu'à la fin du film et cela ne pouvait être personne d'autre qu'un directeur de banque. Quand ce dernier veut se suicider (encore) après avoir fait faillite, Stanwyck sacrifie tous l'argent mis de côté grâce à ses fesses pour sauver la banque (en gros l'Amérique). Le film se termine par une séquence dans une ambulance, symbole de l'Amérique malade qui part vers la guérison.
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Message par Borges Lun 29 Juin 2015 - 15:53

Hi; je ne connaissais pas ce "Baby Face", l'histoire est tellement "abracadabrante " que ça donne envie de le voir.
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Message par scienezma Mer 1 Juil 2015 - 8:33

Deux topics à lire ailleurs sur le même sujet, éventuellement :

Sur Borzage : http://www.scienezma.com/forum/viewtopic.php?f=3&t=3184

Sur le "pré-code" : http://www.scienezma.com/forum/viewtopic.php?f=3&t=3225

scienezma

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