The Immigrant (Gray)
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The Immigrant (Gray)
C'est assez beau mais assez vide, pour ainsi dire décoratif, académique. Marion Cotillard a appris ses tirades en polonais à la perfection, mais son personnage est un peu enfermé dans son costume de victime souffrante et courageuse. Ça commence comme un mélodrame sadique et féministe, toutes les rencontres d'Ewa-Justine tournent à l'horrible, les hommes sont des porcs impitoyables et sournois. Puis vers le milieu ça bifurque sur une rivalité fratricide, deux hommes se disputent Ewa, pour des raisons métapsychologiques mal fondées dans le scenario. Chaque décor est épatant mais reste à l'état de décor, il manque un doigt de liant entre les scènes ; on ne sent pas la respiration de ce monde pourtant reconstitué à grands frais. On ne sort pas de ces décors ; on pourra dire que c'est justement le sujet du film, l'enfermement dans une famille, une communauté, un mauvais lieu.
Joaquin Phoenix (Bruno) aliène Ewa, il l'enferme par d'habiles manipulations mentales ; il est un maquereau. En même temps ce bourreau est un bourreau gentil ; il aimerait faire autrement mais ne sait pas faire ; sa petite entreprise de maquereau, c'est tout ce qu'il est parvenu à agencer pour survivre. Il ne s'agit pas de juger les gens, quand ils s'accrochent à la survie. Dieu lui-même attend et espère que leurs conditions d'existence se feront moins inexorables.
Un deuxième homme arrive, Emil, c'est Oeil de faucon dans Avengers, un super-héros à la noix s'il en est. Il joue le rôle du sauveur. Bruno essaie de le chasser par tous les moyens, il prétend qu'Emil est son bourreau à lui et s'acharne sur lui depuis toujours. On comprend qu'il y a une espèce de rivalité mimétique haineuse entre les deux hommes ; Bruno étant le mauvais, Emil le bon, mais toutes les qualités étant susceptibles de s'échanger. Comme chez Hitchcock, la culpabilité s'échange et passe de main en main. Le triangle sauveur-victime-bourreau exécute une mystérieuse rotation. Il y a là un schéma métapsychologique universel, dont les droits seront certainement bientôt rachetés par google ou apple. (c'est sur des variations épurées autour de ce schéma que reposent les bluettes noires et éthérées de HSS, qui excelle dans le genre de la bulle de savon cinématographique).
Il ne faut pas grand chose pour faire fonctionner ce schéma ; mais enfin, il faut quand même le nourrir avec des éléments de scenario, assurer un minimum d'épaisseur diégétique, de supension d'incrédulité. Là, il y a plein de sous, des acteurs très professionnels, et toutes sortes d'ingrédients coûteux, mais on ne sent pas cette espèce de nécessité qu'on trouve à l'oeuvre dans les films vraiment prenants. Du coup ils ont laissé des trous dans l'histoire, en espérant que Margot pleurerait quand même en voyant comment ils se sont globalement appliqués ; mais il faut vraiment que Margot ait une poussière dans l'oeil ce jour-là, sinon même elle n'y arrive pas.
Il faudrait peut-être parler aussi du sujet explicite : the immigrant ; l'utopie américaine. Le film commence sur un plan de la statue de la liberté ; puis Ewa devient une dérision de statue de la liberté dans un spectacle canaille. Le drapé de la toge est la figure autour de la quelle le film se bâtit, en un sens. Importance des écharpes, châles, fichus, des étoffes, des costumes, des accessoires de mode. Au début on fait croire à Ewa qu'elle pourra travailler comme couturière.
Deleuze parlait du patchwork comme figure de l'utopie américaine. Pièces de tissus de toutes origines, cousues ensemble, formant le corps social de la nouvelle fraternité entre les hommes. En gros le film maintient une espèce d'optimisme au sujet de l'Amérique ; le tissu résiste, malgré les coups de couteau et les souillures. Enveloppée dans ses hardes noires, Ewa traverse les avanies. Le film protège sa pudeur, ne va pas voir sous ses jupes. Ewa devient alors la très digne incarnation de l'utopie américaine, qui se traduit comme espérance, résistance à la chute, foi en la morale et en la famille. Que du positif.
Joaquin Phoenix (Bruno) aliène Ewa, il l'enferme par d'habiles manipulations mentales ; il est un maquereau. En même temps ce bourreau est un bourreau gentil ; il aimerait faire autrement mais ne sait pas faire ; sa petite entreprise de maquereau, c'est tout ce qu'il est parvenu à agencer pour survivre. Il ne s'agit pas de juger les gens, quand ils s'accrochent à la survie. Dieu lui-même attend et espère que leurs conditions d'existence se feront moins inexorables.
Un deuxième homme arrive, Emil, c'est Oeil de faucon dans Avengers, un super-héros à la noix s'il en est. Il joue le rôle du sauveur. Bruno essaie de le chasser par tous les moyens, il prétend qu'Emil est son bourreau à lui et s'acharne sur lui depuis toujours. On comprend qu'il y a une espèce de rivalité mimétique haineuse entre les deux hommes ; Bruno étant le mauvais, Emil le bon, mais toutes les qualités étant susceptibles de s'échanger. Comme chez Hitchcock, la culpabilité s'échange et passe de main en main. Le triangle sauveur-victime-bourreau exécute une mystérieuse rotation. Il y a là un schéma métapsychologique universel, dont les droits seront certainement bientôt rachetés par google ou apple. (c'est sur des variations épurées autour de ce schéma que reposent les bluettes noires et éthérées de HSS, qui excelle dans le genre de la bulle de savon cinématographique).
Il ne faut pas grand chose pour faire fonctionner ce schéma ; mais enfin, il faut quand même le nourrir avec des éléments de scenario, assurer un minimum d'épaisseur diégétique, de supension d'incrédulité. Là, il y a plein de sous, des acteurs très professionnels, et toutes sortes d'ingrédients coûteux, mais on ne sent pas cette espèce de nécessité qu'on trouve à l'oeuvre dans les films vraiment prenants. Du coup ils ont laissé des trous dans l'histoire, en espérant que Margot pleurerait quand même en voyant comment ils se sont globalement appliqués ; mais il faut vraiment que Margot ait une poussière dans l'oeil ce jour-là, sinon même elle n'y arrive pas.
Il faudrait peut-être parler aussi du sujet explicite : the immigrant ; l'utopie américaine. Le film commence sur un plan de la statue de la liberté ; puis Ewa devient une dérision de statue de la liberté dans un spectacle canaille. Le drapé de la toge est la figure autour de la quelle le film se bâtit, en un sens. Importance des écharpes, châles, fichus, des étoffes, des costumes, des accessoires de mode. Au début on fait croire à Ewa qu'elle pourra travailler comme couturière.
Deleuze parlait du patchwork comme figure de l'utopie américaine. Pièces de tissus de toutes origines, cousues ensemble, formant le corps social de la nouvelle fraternité entre les hommes. En gros le film maintient une espèce d'optimisme au sujet de l'Amérique ; le tissu résiste, malgré les coups de couteau et les souillures. Enveloppée dans ses hardes noires, Ewa traverse les avanies. Le film protège sa pudeur, ne va pas voir sous ses jupes. Ewa devient alors la très digne incarnation de l'utopie américaine, qui se traduit comme espérance, résistance à la chute, foi en la morale et en la famille. Que du positif.
balthazar claes- Messages : 1009
Re: The Immigrant (Gray)
Ca ne donne pas envie, à juste titre, car en ce qui me concerne je pense que gray est un cinéaste trop largement et trop facilement sur-évalué.
Invité- Invité
Re: The Immigrant (Gray)
C'est un beau texte BC, il faudrait le publier.
De ce film, je n'ai retenu qu'une chose, un très beau plan final mais je ne sais pas si ce plan est assez solide pour justifier tout ce qui a précédé.
De ce film, je n'ai retenu qu'une chose, un très beau plan final mais je ne sais pas si ce plan est assez solide pour justifier tout ce qui a précédé.
DB- Messages : 1528
Re: The Immigrant (Gray)
beau texte BC,
meilleur que le film, que j'ai trouvé assez pénible, d'une lenteur à peine croyable, le plus mauvais film de JG, jusqu'ici. Si on excepte les 20 dernières minutes, peut-être, quelques emprunts à Malick, "days of heaven", et à "TOL", y a pas grand-chose. S'il y a une leçon à tirer de ce film, c'est que c'est pas facile à faire, un mélo; faut des acteurs à la hauteur, une femme à la hauteur, qui soit à la fois un cliché, et l'ironie de ce cliché; c'est au-delà des possibilités de jeu de Marion Cotillard, qui plombe le film jusqu'au ridicule; elle pige rien, on dirait : trop lourde, trop lente, comme elle le dit elle-même à Bruno, lors de la scène de poursuite dans les égouts par les flics; c'est l'image qui pense le film...JP (très bon, je trouve) tire MC, pour l'entrainer dans un devenir hors la loi, hors de la religion, la détacher de sa soeur, de sa famille, du vieux monde, mais elle peut pas, elle résiste, elle est pas assez américaine au sens de deleuze, qui fantasmait pas mal, comme je l'ai souvent dit, son amérique... Le film substitue à la statue de la liberté, l'église, au bonheur, le salut, par la foi; comment peut-on vouloir être heureux, être américain, si on croit?
bien entendu, y a bien des choses à penser depuis le film : le devenir pute de la statue de la liberté, par exemple...
Un cliché antisémite : le juif qui prostitue la jeune fille polonaise vertueuse...
meilleur que le film, que j'ai trouvé assez pénible, d'une lenteur à peine croyable, le plus mauvais film de JG, jusqu'ici. Si on excepte les 20 dernières minutes, peut-être, quelques emprunts à Malick, "days of heaven", et à "TOL", y a pas grand-chose. S'il y a une leçon à tirer de ce film, c'est que c'est pas facile à faire, un mélo; faut des acteurs à la hauteur, une femme à la hauteur, qui soit à la fois un cliché, et l'ironie de ce cliché; c'est au-delà des possibilités de jeu de Marion Cotillard, qui plombe le film jusqu'au ridicule; elle pige rien, on dirait : trop lourde, trop lente, comme elle le dit elle-même à Bruno, lors de la scène de poursuite dans les égouts par les flics; c'est l'image qui pense le film...JP (très bon, je trouve) tire MC, pour l'entrainer dans un devenir hors la loi, hors de la religion, la détacher de sa soeur, de sa famille, du vieux monde, mais elle peut pas, elle résiste, elle est pas assez américaine au sens de deleuze, qui fantasmait pas mal, comme je l'ai souvent dit, son amérique... Le film substitue à la statue de la liberté, l'église, au bonheur, le salut, par la foi; comment peut-on vouloir être heureux, être américain, si on croit?
bien entendu, y a bien des choses à penser depuis le film : le devenir pute de la statue de la liberté, par exemple...
Un cliché antisémite : le juif qui prostitue la jeune fille polonaise vertueuse...
Borges- Messages : 6044
Re: The Immigrant (Gray)
quelques notes, remarques, pas seulement amusantes...
Le film de JG porte le même titre qu'un film fameux de chaplin : "the immigrant"(1917); ce n'est pas le seul point commun bien entendu entre les deux films; si on les rapproche par deux image, de manière orientée par l'époque, qu'est-ce qu'on voit ?
les images :
pas besoin de faire un dessin; quand chaplin et l'émigrante se retrouvent , par hasard, dans le resto, cette dernière porte un chapeau, comme chaplin, personne ne l’embête, par contre, chaplin lui a des ennuis :
(à partir de la dixième minute du film, pour ceux qui n'ont pas le temps de tout regarder, ou qui ne sont pas sensible au génie de chaplin)
dans le film de james gray, au début, je pense que MC est la seule femme à ne pas avoir la tête couverte...ni fichu, ni chapeau, ni rien; elle ne sera couverte que lors de la scène dans l'église, et cette fois assez massivement, presque comme une iranienne...
(lors du spectacle, on ne verra de manière ostentatoire les seins que de deux des filles : la pseudo-japonaise, et la pseudo-égyptienne)
règle de savoir-vivre : pas de chapeau pour les hommes dans les restos; règle religieuse : les cheveux couverts, mais uniquement dans les églises...
Borges- Messages : 6044
Re: The Immigrant (Gray)
salut,
séance de rattrapage en ce qui me concerne; j'ai également trouvé le film ... assez mauvais, désaffecté;
Emil, à Ellis Island, à travers son spectacle de magie, donne à voir un détachement de la terre, des racines, une histoire passée qui disparait (le cercueil qui s'évide), l'Amérique vierge qui laisse à la porte les germes et les virus de la vieille Europe. Rêve de Californie et de cinéma (le pistolet n'était pas chargé).
Tandis que Bruno représente un lien, perverti par l'argent, par une autre représentation, exotique, mais un lien, tout de même, au passé, à l'étranger, à la sœur.
Dans ce tableau, il n'y a guère de place hors de ces deux forces cousines et le film ne trouve pas vraiment l'histoire qu'il aurait dû raconter. La sœur dans l'hopital d'Ellis Island par exemple; je ne sais pas.
Quelques plans complexes que semblent témoigner d'un rapport très personnel du cinéaste à la matière du film, le film peut se voir comme les relations entre un metteur en scène et son objet d'élection, une actrice. Ici assez mauvaise lol. Mais la statue de la liberté est française je crois (revoir Park row ).
séance de rattrapage en ce qui me concerne; j'ai également trouvé le film ... assez mauvais, désaffecté;
Emil, à Ellis Island, à travers son spectacle de magie, donne à voir un détachement de la terre, des racines, une histoire passée qui disparait (le cercueil qui s'évide), l'Amérique vierge qui laisse à la porte les germes et les virus de la vieille Europe. Rêve de Californie et de cinéma (le pistolet n'était pas chargé).
Tandis que Bruno représente un lien, perverti par l'argent, par une autre représentation, exotique, mais un lien, tout de même, au passé, à l'étranger, à la sœur.
Dans ce tableau, il n'y a guère de place hors de ces deux forces cousines et le film ne trouve pas vraiment l'histoire qu'il aurait dû raconter. La sœur dans l'hopital d'Ellis Island par exemple; je ne sais pas.
Quelques plans complexes que semblent témoigner d'un rapport très personnel du cinéaste à la matière du film, le film peut se voir comme les relations entre un metteur en scène et son objet d'élection, une actrice. Ici assez mauvaise lol. Mais la statue de la liberté est française je crois (revoir Park row ).
Invité- Invité
Re: The Immigrant (Gray)
hi;
revu récemment sur grand écran et tout, ce qui change un peu le film, surtout au début, le parrain 2, qui aurait servi de modèle à JG; c'est autre chose, la représentation de ellis island...
je sais pas si tu as vu le documentaire de perec, et Robert Bober (quels nom et prénom, on dirait une invention du godard des débuts, j'entends presque la voix de JPB le dire alors que je l'écris )? pas terrible, selon moi
Borges- Messages : 6044
Re: The Immigrant (Gray)
salut Borges
C'est ce que je me demandais en regardant certaines images, mouvements très "subtils" de l'"âme", qu’est ce que ça donnerait dans une salle de ciné, sur grand écran? En quoi la perception de cette image serait modifiée, par les détails, les décors, la peau, je ne sais.
non je n'ai pas vu ce doc de Perec ,
Le court de Chaplin est très beau. La corde qui comprime tous les corps des non-américains sur le bateau, comme un troupeau, je l'avais vu ailleurs, chez les frères Hughes dans From Hell (je sais pas si c'est dans la bd). Le seul moment qui m'avait vraiment touché; je crois que c'était des prostitués endormies que l'on (qui?) regroupait, maintenait, ainsi. Quels rêves?
Autre représentation d'Ellis island, y-a Golden Door (Nuovomondo) d'Emanuele Crialese. Mais le film débutait en Sicile, c'est une différence essentielle. J'en ai peu de souvenirs, quelques impressions ... j'avais bien aimé ...
C'est ce que je me demandais en regardant certaines images, mouvements très "subtils" de l'"âme", qu’est ce que ça donnerait dans une salle de ciné, sur grand écran? En quoi la perception de cette image serait modifiée, par les détails, les décors, la peau, je ne sais.
non je n'ai pas vu ce doc de Perec ,
Le court de Chaplin est très beau. La corde qui comprime tous les corps des non-américains sur le bateau, comme un troupeau, je l'avais vu ailleurs, chez les frères Hughes dans From Hell (je sais pas si c'est dans la bd). Le seul moment qui m'avait vraiment touché; je crois que c'était des prostitués endormies que l'on (qui?) regroupait, maintenait, ainsi. Quels rêves?
Autre représentation d'Ellis island, y-a Golden Door (Nuovomondo) d'Emanuele Crialese. Mais le film débutait en Sicile, c'est une différence essentielle. J'en ai peu de souvenirs, quelques impressions ... j'avais bien aimé ...
Invité- Invité
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