Le Chant des Oiseaux (A. Serra)
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Eyquem
Largo
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Le Chant des Oiseaux (A. Serra)
Donc, un texte que j'aime bien sur Le Chant des Oiseaux, plus intéressant que ma courte critique peu inspirée...
Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode, voici que des mages venus d’Orient arrivèrent Jérusalem en disant : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu, en effet, son astre à son lever et sommes venus lui rendre hommage. »
Saint Matthieu
Le cinéma n’est absolument pas de la culture, la musique n’est pas de la culture. La culture, c’est la télévision. La télé ne véhicule que de la culture. Et les gens en ont besoin, ils en manquent tellement. Ils n’arrivent pas à la trouver dans les livres, parce qu’il faut travailler pour lire. Mais ils travaillent déjà huit heures par jour dans des conditions invraisemblables.
Jean-Luc Godard
Autant le dire ex abrupto : le nouveau film d’Albert Serra, qui est aussi son deuxième, est sorti à Paris au mois de janvier dans deux salles. Et pour être plus précis, seulement neuf salles sur l’ensemble de notre territoire accueillaient (pour combien de temps ?) Le chant des oiseaux. Ce n’est évidemment pas une surprise. On pourrait même se réjouir qu’il soit sorti tout court en France, qu’il soit visible, fût-ce dans le cinéma le plus indépendant et perdu. Deux salles donc, à Paris : les 3 Luxembourg (qui accueillait un soir le réalisateur pour une discussion d’après projection), et le MK2 Beaubourg. Bon. C’est déjà ça… tant le film est ce qu’on pourrait appeler péjorativement une curiosité esthétique, tant il ne ressemble à rien qui soit du cinéma, même d’auteur. Tant il est un objet d’art, quelque chose de tout temps détesté par la production dominante. Et en effet, on comprend : un tableau de Mondrian aurait-il jamais été un tableau de Mondrian s’il avait dû se faire connaître par les salles de cinéma, lieux avant tout, et cela vaut pour toutes les salles, de consommation culturelle ? C’est que la culture se mange, à la différence de la peinture par exemple, ou du bon cinéma, qui laisse un goût amer dans les bouches non averties des fanatiques de fast-food.
Albert Serra, à la question « Vers où va le cinéma ? », répond : le cinéma, en tant qu’il est un art, se dirige vers les musées, ou encore, peut-être, vers les festivals. Mais restons proche du film, Le chant des oiseaux, et gardons-nous ces incertaines considérations pour plus tard.
Que sait-on des Rois Mages ? Très peu. Il y a toute l’iconographie chrétienne, un tableau de Vélasquez par exemple que Serra aime beaucoup. Et au cinéma ? rien, il me semble. Alors voilà un beau sujet. La quête des Rois Mages. Dans le film, ils sont trois. On les voit dans des déserts de neige, de sable et de pierres. Dans une grotte où il y a des pierres précieuses, ou encore, se réveillant sous le soleil, gênés par des arbustes qui leur font mal au dos. On les voit cherchant, se perdant. Ils errent, à la recherche du Sauveur. Alors, ils se parlent : on entend l’accent catalan qui est une vraie musique. Ils se demandent si en marchant sur un nuage qui leur fait face ils ne rencontreront pas de la glace, ce qui leur permettrait de marcher, de continuer la route. Voilà, c’est tout. Comme on dit, « il ne se passe rien ». Et à la sortie des séances, on peut entendre : « C’est difficile, c’est un peu aride, mais c’est vraiment beau, esthétiquement ! » Certes, les paysages repérés deux semaines avant le début du tournage sur Google Earth, en Islande et aux îles Canaries, sont très beaux, magnifiques, tellement hors du temps, etc. On pense du reste aux plans séquences de Philippe Garrel qui pour La cicatrice intérieure, s’était lui aussi rendu en Islande. Mais, est-ce bien suffisant ? « Les paysages sont magnifiques », c’est un peu vain, ça ne fait pas un film, ça ne fait pas, encore moins, un objet d’art. Et comme le fait remarquer non sans malice Albert Serra, cela voudrait dire que Yann Arthus-Bertrand pourrait devenir un grand cinéaste ! Non, la séparation n’est pas à faire entre fiction et esthétisme.
Il y a dans ce film quelque chose d’autre qu’une image fixe. Les trois personnages arpentent avec peine des terres inconnues et, il faut le dire, un peu désolées. À leur image : tous les trois vieux ou trop gros, ils évoluent au hasard des chemins, sans but précis, revenant parfois sur leur pas, égarés dans le vide d’un environnement qui les domine. Et le spectateur est avec eux, il connaît dans la salle presque les mêmes difficultés, troublé, se demandant quand le miracle pourra bien arriver, et comment. Tout le monde l’attend, ce miracle, et dans cette attente, c’est une véritable expérience poétique que Serra propose au spectateur : la beauté, qui n’a rien à voir avec l’esthétisme, est en train de naître. Mais, il faut le dire : l’accouchement est douloureux. Arrivés au sommet d’une colline, essoufflés, ils s’arrêtent pour faire un pause. Nous sommes là, nous demandant avec eux quand est-ce qu’ils atteindront le chemin que l’astre leur propose, et quand est-ce que nous, spectateurs, pourront enfin jouir du plaisir qui vient après la peine. Du coup, toujours de concert avec ces personnages de fiction qui semblent se débattre dans de véritables tableaux, on reprend notre souffle, comme eux. Et on replonge. C’est reparti : on se laisse griser par la parcimonie des paroles absurdes et comiques qu’ils échangent, on continue de rêver, parfois, on pense à autre chose. Mais on les suit, on les voit. Par exemple, leurs corps. Sous une mer agitée par le choc des vagues contre les rochers immuables, le ventre énorme d’un des trois qui se rafraîchit près d’une barque, et qui n’arrive pas à nager sous l’eau tellement il est gros, obligé de patauger à la surface. On sourit, on continue. Et puis, tout d’un coup, ça y est, ils ont repéré l’astre, ils ont trouvé un guide. Le chemin est tracé, et du coup, on les laisse aller seuls, ils n’ont plus besoin de nous. Du reste, ils ne nous intéressent plus. Alors, soudainement, on se retrouve chez Marie, Joseph, et Jésus. Ici aussi, le vide, le silence ; quelques dialogues insignifiants et sans rapport avec le sujet. Il n’y a plus qu’à attendre : que Serra se décide enfin à joindre les deux bouts. Et en attendant… on se laisse environner par une atmosphère, celle très aride de la nouvelle famille. On sourit, quand la chèvre urine sur la jambe de Marie qui la berçait. (Chèvre qui d’ailleurs semble avoir pris la place de l’enfant, pour l’instant.) Mais déjà, on en sait plus sur le trio qu’après une année de catéchisme. Parce qu’on les voit vraiment. Toute cette épure, ce vide dans le cadre, porteur d’aucun symbole, d’aucun intellectualisme, nous fait voir enfin quelque chose : un homme et une femme, qui n’ont rien à faire ou presque, qui sont seuls, et qui attendent ; la lumière autour deux et l’ombre ; les dialogues très prosaïques. C’est bien cela la vie, le rythme de la vie. Et on sent l’odeur de la poussière, des plantes assoiffées et des pierres blanchies par le soleil. Et on est là, les yeux démesurément ouverts, dans la salle et avec eux.
Enfin, la scène tant attendue, l’événement de l’histoire, arrive. Les trois mages ont trouvé le foyer du Seigneur. On les voit arriver par la gauche, surgissant lentement dans le cadre qui était planté là depuis déjà quelques minutes. Ils marchent toujours aussi difficilement, mais cette fois ils sont au bout de leur effort. Sans un mot, devant Marie assise sur une pierre et berçant l’enfant, ils se prosternent, s’allongeant littéralement sur le sol. C’est très impressionnant : le premier est allongé sur le ventre, comme avant de s’endormir, la tête quasiment sur les pieds de Marie. Les deux autres, se suivant à la queue leu leu, sont également courbés, une main au sol. Voici le temps enfin que la beauté peut accoucher. Et ce dans une véritable explosion lyrique. Du film jusque là sans accompagnement musical que le vent et les rares paroles, jaillit une vibration poétique insoutenable tant elle était attendue désespérément, et tant elle est bouleversante. Ce plan de l’adoration des mages est absolument fixe. On atteint ici le sommet du néant dramatique. Mais voilà la musique, le morceau de Pau Casals qui donne son titre au film : El cant del ocells. On n’a rien sans peine, et ici, cette satisfaction du travail accompli devient véritable jouissance.
La troisième partie du film, redevenu quasiment silencieux, ne se peut, encore moins que le reste du film, raconter. C’est en quelque sorte un doux retour à la réalité, à la quotidienneté. Les trois mages errent toujours dans la nature, etc. Il y a une scène extraordinaire, vers la fin, dans une forêt : l’ange Gabriel est assis sur une branche d’un arbre au pied duquel se reposent les trois mages. Deux d’entre eux alors, le troisième restant silencieux, se racontent des rêves qu’ils ont faits, traversés par des anges et des serpents, traversés par la mort. C’est aussi une occasion pour eux de disserter dans la plus grande innocence sur l’éternelle frontière réel-irréel, frontière qui est au cœur même du film.
Ainsi, en nous offrant ce très beau film qui vient interroger un cinéma en manque de repères (à noter que le film a été réalisé à l’aide de « deux petites caméras numériques »), Albert Serra réaffirme la légitimité artistique d’un cinéma qui semblerait-il – et c’est assez dommage – s’est définitivement éloigné du cinéma populaire de qualité (mort ?), accrocheur et consommé par un plus grand nombre.
« Albert Serra est un prince »
Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode, voici que des mages venus d’Orient arrivèrent Jérusalem en disant : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu, en effet, son astre à son lever et sommes venus lui rendre hommage. »
Saint Matthieu
Le cinéma n’est absolument pas de la culture, la musique n’est pas de la culture. La culture, c’est la télévision. La télé ne véhicule que de la culture. Et les gens en ont besoin, ils en manquent tellement. Ils n’arrivent pas à la trouver dans les livres, parce qu’il faut travailler pour lire. Mais ils travaillent déjà huit heures par jour dans des conditions invraisemblables.
Jean-Luc Godard
Autant le dire ex abrupto : le nouveau film d’Albert Serra, qui est aussi son deuxième, est sorti à Paris au mois de janvier dans deux salles. Et pour être plus précis, seulement neuf salles sur l’ensemble de notre territoire accueillaient (pour combien de temps ?) Le chant des oiseaux. Ce n’est évidemment pas une surprise. On pourrait même se réjouir qu’il soit sorti tout court en France, qu’il soit visible, fût-ce dans le cinéma le plus indépendant et perdu. Deux salles donc, à Paris : les 3 Luxembourg (qui accueillait un soir le réalisateur pour une discussion d’après projection), et le MK2 Beaubourg. Bon. C’est déjà ça… tant le film est ce qu’on pourrait appeler péjorativement une curiosité esthétique, tant il ne ressemble à rien qui soit du cinéma, même d’auteur. Tant il est un objet d’art, quelque chose de tout temps détesté par la production dominante. Et en effet, on comprend : un tableau de Mondrian aurait-il jamais été un tableau de Mondrian s’il avait dû se faire connaître par les salles de cinéma, lieux avant tout, et cela vaut pour toutes les salles, de consommation culturelle ? C’est que la culture se mange, à la différence de la peinture par exemple, ou du bon cinéma, qui laisse un goût amer dans les bouches non averties des fanatiques de fast-food.
Albert Serra, à la question « Vers où va le cinéma ? », répond : le cinéma, en tant qu’il est un art, se dirige vers les musées, ou encore, peut-être, vers les festivals. Mais restons proche du film, Le chant des oiseaux, et gardons-nous ces incertaines considérations pour plus tard.
Que sait-on des Rois Mages ? Très peu. Il y a toute l’iconographie chrétienne, un tableau de Vélasquez par exemple que Serra aime beaucoup. Et au cinéma ? rien, il me semble. Alors voilà un beau sujet. La quête des Rois Mages. Dans le film, ils sont trois. On les voit dans des déserts de neige, de sable et de pierres. Dans une grotte où il y a des pierres précieuses, ou encore, se réveillant sous le soleil, gênés par des arbustes qui leur font mal au dos. On les voit cherchant, se perdant. Ils errent, à la recherche du Sauveur. Alors, ils se parlent : on entend l’accent catalan qui est une vraie musique. Ils se demandent si en marchant sur un nuage qui leur fait face ils ne rencontreront pas de la glace, ce qui leur permettrait de marcher, de continuer la route. Voilà, c’est tout. Comme on dit, « il ne se passe rien ». Et à la sortie des séances, on peut entendre : « C’est difficile, c’est un peu aride, mais c’est vraiment beau, esthétiquement ! » Certes, les paysages repérés deux semaines avant le début du tournage sur Google Earth, en Islande et aux îles Canaries, sont très beaux, magnifiques, tellement hors du temps, etc. On pense du reste aux plans séquences de Philippe Garrel qui pour La cicatrice intérieure, s’était lui aussi rendu en Islande. Mais, est-ce bien suffisant ? « Les paysages sont magnifiques », c’est un peu vain, ça ne fait pas un film, ça ne fait pas, encore moins, un objet d’art. Et comme le fait remarquer non sans malice Albert Serra, cela voudrait dire que Yann Arthus-Bertrand pourrait devenir un grand cinéaste ! Non, la séparation n’est pas à faire entre fiction et esthétisme.
Il y a dans ce film quelque chose d’autre qu’une image fixe. Les trois personnages arpentent avec peine des terres inconnues et, il faut le dire, un peu désolées. À leur image : tous les trois vieux ou trop gros, ils évoluent au hasard des chemins, sans but précis, revenant parfois sur leur pas, égarés dans le vide d’un environnement qui les domine. Et le spectateur est avec eux, il connaît dans la salle presque les mêmes difficultés, troublé, se demandant quand le miracle pourra bien arriver, et comment. Tout le monde l’attend, ce miracle, et dans cette attente, c’est une véritable expérience poétique que Serra propose au spectateur : la beauté, qui n’a rien à voir avec l’esthétisme, est en train de naître. Mais, il faut le dire : l’accouchement est douloureux. Arrivés au sommet d’une colline, essoufflés, ils s’arrêtent pour faire un pause. Nous sommes là, nous demandant avec eux quand est-ce qu’ils atteindront le chemin que l’astre leur propose, et quand est-ce que nous, spectateurs, pourront enfin jouir du plaisir qui vient après la peine. Du coup, toujours de concert avec ces personnages de fiction qui semblent se débattre dans de véritables tableaux, on reprend notre souffle, comme eux. Et on replonge. C’est reparti : on se laisse griser par la parcimonie des paroles absurdes et comiques qu’ils échangent, on continue de rêver, parfois, on pense à autre chose. Mais on les suit, on les voit. Par exemple, leurs corps. Sous une mer agitée par le choc des vagues contre les rochers immuables, le ventre énorme d’un des trois qui se rafraîchit près d’une barque, et qui n’arrive pas à nager sous l’eau tellement il est gros, obligé de patauger à la surface. On sourit, on continue. Et puis, tout d’un coup, ça y est, ils ont repéré l’astre, ils ont trouvé un guide. Le chemin est tracé, et du coup, on les laisse aller seuls, ils n’ont plus besoin de nous. Du reste, ils ne nous intéressent plus. Alors, soudainement, on se retrouve chez Marie, Joseph, et Jésus. Ici aussi, le vide, le silence ; quelques dialogues insignifiants et sans rapport avec le sujet. Il n’y a plus qu’à attendre : que Serra se décide enfin à joindre les deux bouts. Et en attendant… on se laisse environner par une atmosphère, celle très aride de la nouvelle famille. On sourit, quand la chèvre urine sur la jambe de Marie qui la berçait. (Chèvre qui d’ailleurs semble avoir pris la place de l’enfant, pour l’instant.) Mais déjà, on en sait plus sur le trio qu’après une année de catéchisme. Parce qu’on les voit vraiment. Toute cette épure, ce vide dans le cadre, porteur d’aucun symbole, d’aucun intellectualisme, nous fait voir enfin quelque chose : un homme et une femme, qui n’ont rien à faire ou presque, qui sont seuls, et qui attendent ; la lumière autour deux et l’ombre ; les dialogues très prosaïques. C’est bien cela la vie, le rythme de la vie. Et on sent l’odeur de la poussière, des plantes assoiffées et des pierres blanchies par le soleil. Et on est là, les yeux démesurément ouverts, dans la salle et avec eux.
Enfin, la scène tant attendue, l’événement de l’histoire, arrive. Les trois mages ont trouvé le foyer du Seigneur. On les voit arriver par la gauche, surgissant lentement dans le cadre qui était planté là depuis déjà quelques minutes. Ils marchent toujours aussi difficilement, mais cette fois ils sont au bout de leur effort. Sans un mot, devant Marie assise sur une pierre et berçant l’enfant, ils se prosternent, s’allongeant littéralement sur le sol. C’est très impressionnant : le premier est allongé sur le ventre, comme avant de s’endormir, la tête quasiment sur les pieds de Marie. Les deux autres, se suivant à la queue leu leu, sont également courbés, une main au sol. Voici le temps enfin que la beauté peut accoucher. Et ce dans une véritable explosion lyrique. Du film jusque là sans accompagnement musical que le vent et les rares paroles, jaillit une vibration poétique insoutenable tant elle était attendue désespérément, et tant elle est bouleversante. Ce plan de l’adoration des mages est absolument fixe. On atteint ici le sommet du néant dramatique. Mais voilà la musique, le morceau de Pau Casals qui donne son titre au film : El cant del ocells. On n’a rien sans peine, et ici, cette satisfaction du travail accompli devient véritable jouissance.
La troisième partie du film, redevenu quasiment silencieux, ne se peut, encore moins que le reste du film, raconter. C’est en quelque sorte un doux retour à la réalité, à la quotidienneté. Les trois mages errent toujours dans la nature, etc. Il y a une scène extraordinaire, vers la fin, dans une forêt : l’ange Gabriel est assis sur une branche d’un arbre au pied duquel se reposent les trois mages. Deux d’entre eux alors, le troisième restant silencieux, se racontent des rêves qu’ils ont faits, traversés par des anges et des serpents, traversés par la mort. C’est aussi une occasion pour eux de disserter dans la plus grande innocence sur l’éternelle frontière réel-irréel, frontière qui est au cœur même du film.
Ainsi, en nous offrant ce très beau film qui vient interroger un cinéma en manque de repères (à noter que le film a été réalisé à l’aide de « deux petites caméras numériques »), Albert Serra réaffirme la légitimité artistique d’un cinéma qui semblerait-il – et c’est assez dommage – s’est définitivement éloigné du cinéma populaire de qualité (mort ?), accrocheur et consommé par un plus grand nombre.
Re: Le Chant des Oiseaux (A. Serra)
J'avais une objection sur le terme "objet d'art" qui renvoie à la culture consumériste dénoncée par Godard dans la citation. Peut-être le remplacé par "oeuvre d'art"...
Re: Le Chant des Oiseaux (A. Serra)
Salut Raphaël,
c'est bien écrit, mais il y a des phrases comme celles-ci :
Pourquoi toute la peinture n'est pas de la culture, alors que pour le cinéma, il faut distinguer le bon et le mauvais ?
Mais c'est surtout l'idée de film d'art dégoûtant les fans de fast-food qui me gêne.
Il affirme à la fin que Serra assume cette rupture cinéma d'art/divertissement : sans avoir vu le film, ce n'est pas ce que je dirais d'un cinéaste qui choisit ses acteurs parmi les habitants de son pays natal (un ouvrier, un retraité, une amie d'enfance...)
c'est bien écrit, mais il y a des phrases comme celles-ci :
C’est que la culture se mange, à la différence de la peinture par exemple, ou du bon cinéma, qui laisse un goût amer dans les bouches non averties des fanatiques de fast-food.
Pourquoi toute la peinture n'est pas de la culture, alors que pour le cinéma, il faut distinguer le bon et le mauvais ?
Mais c'est surtout l'idée de film d'art dégoûtant les fans de fast-food qui me gêne.
Il affirme à la fin que Serra assume cette rupture cinéma d'art/divertissement : sans avoir vu le film, ce n'est pas ce que je dirais d'un cinéaste qui choisit ses acteurs parmi les habitants de son pays natal (un ouvrier, un retraité, une amie d'enfance...)
Dernière édition par Eyquem le Jeu 19 Fév 2009 - 23:34, édité 1 fois
Eyquem- Messages : 3126
Re: Le Chant des Oiseaux (A. Serra)
J'avais aussi un peu tiqué sur le passage que tu cites. Il y a toujours des choses à dire, c'est certain.
Cette rupture art/divertissement revient souvent à propos de Serra. On dirait qu'il représente la quintessence du cinéma d'auteur-radical-sans-concessions-sans-dialogues-etc.
Cette rupture art/divertissement revient souvent à propos de Serra. On dirait qu'il représente la quintessence du cinéma d'auteur-radical-sans-concessions-sans-dialogues-etc.
Re: Le Chant des Oiseaux (A. Serra)
La phrase à laquelle tu fais référence Eyquem est effectivement assez faible puisque justement c'est une "phrase" et que je n'approfondis pas forcément ce qu'elle dit.
J'évoque la peinture en général pour prolonger l'exemple d'un Mondrian (choix assez arbitraire d'ailleurs) qui n'est généralement pas très sympathique au "consommateur de culture".
Le "bon cinéma" aussi, ça ne veut pas dire grand chose évidemment... "bon cinéma" parce que je trouve que le Serra est un bon film... voilà et quant au fast-food, c'était pour continuer l'idée de Godard pour qui la culture aujourd'hui c'est ce qui est mauvais mais se mange quand même très facilement : ce vers quoi on est attiré "naturellement", dans un sens où ça ne demande aucun effort (effort intellectuel, mais aussi effort d'être silencieux, de s'ouvrir à la réception d'une oeuvre, comme on fait une prière).
Il me semble que Serra - qui a l'air très passéiste, - regrette une époque, de Shakespeare à Hitchcock, qui connaissait des oeuvres de qualité et en même temps très populaires. Mais ce que je dis là reste assez vague.
Merci d'avance pour vos réactions.
J'évoque la peinture en général pour prolonger l'exemple d'un Mondrian (choix assez arbitraire d'ailleurs) qui n'est généralement pas très sympathique au "consommateur de culture".
Le "bon cinéma" aussi, ça ne veut pas dire grand chose évidemment... "bon cinéma" parce que je trouve que le Serra est un bon film... voilà et quant au fast-food, c'était pour continuer l'idée de Godard pour qui la culture aujourd'hui c'est ce qui est mauvais mais se mange quand même très facilement : ce vers quoi on est attiré "naturellement", dans un sens où ça ne demande aucun effort (effort intellectuel, mais aussi effort d'être silencieux, de s'ouvrir à la réception d'une oeuvre, comme on fait une prière).
Il me semble que Serra - qui a l'air très passéiste, - regrette une époque, de Shakespeare à Hitchcock, qui connaissait des oeuvres de qualité et en même temps très populaires. Mais ce que je dis là reste assez vague.
Merci d'avance pour vos réactions.
Leurtillois- Messages : 131
Re: Le Chant des Oiseaux (A. Serra)
Salut AL,
sois le bienvenu d'abord.
Pourquoi passer de Don Quichotte aux rois mages ?
Pourquoi ça s'appelle "Le Chant des oiseaux" et pas "L'Adoration" ou quelque chose comme ça ?
sois le bienvenu d'abord.
Pourquoi passer de Don Quichotte aux rois mages ?
Pourquoi ça s'appelle "Le Chant des oiseaux" et pas "L'Adoration" ou quelque chose comme ça ?
Eyquem- Messages : 3126
Re: Le Chant des Oiseaux (A. Serra)
Salut à tous
bienvenue Leurtillois
bienvenue Leurtillois
Il ne faut pas seulement tenter de penser les films, mais aussi ses propres textes; la distinction de Godard culture/art n'est pas des plus heureuses; c'est très proche de Arendt, et même de Finkielkraut; c'est là qu'on se dit qu'un peu de Rancière ne fait de mal à personne. Le seul truc qui sauve Godard de la haine élitiste de la démocratie c'est l'idée que les gens bossent déjà trop pour bosser leur relation aux oeuvres; mais même là, c'est pas très fin; car les prolétaires savent aussi se construire des nuits d'émancipation; ce qui distingue l'art de la culture, c'est pas la qualité, c'est un mode de relation; Beethoven, c'est de l'art, mais Karajan enregistrant Beethoven, c'est de la culture; la culture, c'est l'art à l'époque de sa reproductibilité technique, c'est l'art démocratisé, comme on dit; la culture, c'est la super exposition où des milliers de personnes vont voir les tableaux de je sais pas qui... le livre de poche... la culture, c'est l'art à la portée des masses, et donc nécessairement dévalorisé, parce que son temps, n'est pas celui de la vie ordinaire, de la consommation; on retrouve là le partage du corps et de l'esprit, du sacré et du profane, de la parole et du silence...de la culture et de la nature... de la grande cuisine, et des fast food; tout ça doit être déconstruit; Serra, c'est de la religion, comme art, et comme religion. Je sais pas, mais sans rien connaître du mec, je n'éprouve aucune sympathie pour lui, ses idées.
Borges- Messages : 6044
Re: Le Chant des Oiseaux (A. Serra)
Salut à tout le monde,
Peut-on dire que chez Godard, ce qui menace l'art, c'est la culture, et ce qui menace la culture, c'est le révolver et le carnet de chèque ?
Peut-on dire que chez Godard, ce qui menace l'art, c'est la culture, et ce qui menace la culture, c'est le révolver et le carnet de chèque ?
Invité- Invité
Re: Le Chant des Oiseaux (A. Serra)
Shakespeare faisait des oeuvres de qualité, et très populaires; comme Hitch; peut-être, mais je parie que Serra aurait rejeté le cinéma du maitre de l’univers au nom de Rossellini et de saint Françoiseaux, même si Hitch allait plus souvent à l'église que le néoréaliste.
Borges- Messages : 6044
Re: Le Chant des Oiseaux (A. Serra)
JM a écrit:Salut à tout le monde,
Peut-on dire que chez Godard, ce qui menace l'art, c'est la culture, et ce qui menace la culture, c'est le révolver et le carnet de chèque ?
Et les bouquins, ou le mépris, ne peuvent rien contre l'entrée de l'extrême droite dans le nouveau gouvernement israélien; c'est comme un négatif qui viendrait de loin, pour faire entendre une autre musique.
Et soudain, il me vient l'idée d'une rubrique musicale : "notre musique"; ce serait chouette.
Borges- Messages : 6044
Re: Le Chant des Oiseaux (A. Serra)
J'aime bien ce texte (même si je tique sur deux ou trois phrases/idées).
La phrase relevée par Eyquem est sans doute plus "choquante" prise isolément que dans son contexte - un film visiblement hermétique, un réalisateur à la conception extrémiste du cinéma plus proche du musée que du vidéo-club, la citation de Godard, réseau de distribution qui demande à l'oeuvre d'être attirante,... -, surtout si on considère que l'auteur succombe à la tentation de la punch-line, perdant alors en nuance (cf la réponse de Leurtillois). Il y a en effet des films qui, parce qu'ils sont non conventionnels, demandent au spectateur un travail qui va à l'encontre de la consommation passive (et voire même automatique).
D'ailleurs la métaphore gustative, même si c'est justement là qu'est la punch-line, est parfaitement cohérente avec tout ça : de la même manière qu'on se "fait" le palais, il n'y a rien de tel que de se cogner ces films non conventionnels pour ouvrir son esprit à ce qui sort des sentiers battus (cercle vertueux patati-patata !)(en gros, le cinoche c'est comme le whisky, la première fois qu'on en goûte un d'Ilsay on se dit "c'est quoi c't'horreur ?" puis on finit par admettre que waouh ça fait du bien par où ça passe et que des trucs comme ça on aimerait en boire plus souvent !).
Ce qu'il ne faudrait pas, c'est ranger les publics dans des catégories hermétiques : celui qui va voir des blockbusters à l'UGC, celui qui va voir des films d'auteur dans un cinoche A&E, celui qui va voir des films "d'art" dans les musées,... (car de la même manière que je bois du Lagavulin ET de la bière blonde, je vais voir Greenaway ET les frères Wachowski)
Ce qui me dérange dans ce texte, et avec quoi je ne suis pas du tout d'accord, ça serait plutôt cela :
Bon, si effectivement la reproduction technique de l'oeuvre "transforme" l'art en culture, le cinéma en tant qu'art se dirige vers les musées. OK. Mais c'est pas répondre à "où va le cinéma ?" (mais à "où va l'art ?", à la rigueur), sauf à destituer l'oeuvre de son statut "de cinéma" dès qu'elle n'est plus "de l'art" - ce qui me semble bien douteux.
Ça me semble aussi peu compatible avec être nostalgique d'un temps où des oeuvres exigeantes trouvaient un large public (cf fin du post de Leurtillois : d'où te vient cette impression ?).
[En passant, en bon jeune con, je doute que cet "âge d'or" que je n'ai pas connu soit si différent de notre bon vieux XXIe siècle]
(mais ceci est un troll !)
La phrase relevée par Eyquem est sans doute plus "choquante" prise isolément que dans son contexte - un film visiblement hermétique, un réalisateur à la conception extrémiste du cinéma plus proche du musée que du vidéo-club, la citation de Godard, réseau de distribution qui demande à l'oeuvre d'être attirante,... -, surtout si on considère que l'auteur succombe à la tentation de la punch-line, perdant alors en nuance (cf la réponse de Leurtillois). Il y a en effet des films qui, parce qu'ils sont non conventionnels, demandent au spectateur un travail qui va à l'encontre de la consommation passive (et voire même automatique).
D'ailleurs la métaphore gustative, même si c'est justement là qu'est la punch-line, est parfaitement cohérente avec tout ça : de la même manière qu'on se "fait" le palais, il n'y a rien de tel que de se cogner ces films non conventionnels pour ouvrir son esprit à ce qui sort des sentiers battus (cercle vertueux patati-patata !)(en gros, le cinoche c'est comme le whisky, la première fois qu'on en goûte un d'Ilsay on se dit "c'est quoi c't'horreur ?" puis on finit par admettre que waouh ça fait du bien par où ça passe et que des trucs comme ça on aimerait en boire plus souvent !).
Ce qu'il ne faudrait pas, c'est ranger les publics dans des catégories hermétiques : celui qui va voir des blockbusters à l'UGC, celui qui va voir des films d'auteur dans un cinoche A&E, celui qui va voir des films "d'art" dans les musées,... (car de la même manière que je bois du Lagavulin ET de la bière blonde, je vais voir Greenaway ET les frères Wachowski)
Ce qui me dérange dans ce texte, et avec quoi je ne suis pas du tout d'accord, ça serait plutôt cela :
C'est donc avec Serra que je suis pas d'accord (et un peu comme Borges, sans vraiment le connaitre je le sens mal !).Albert Serra, à la question « Vers où va le cinéma ? », répond : le cinéma, en tant qu’il est un art, se dirige vers les musées, ou encore, peut-être, vers les festivals.
Bon, si effectivement la reproduction technique de l'oeuvre "transforme" l'art en culture, le cinéma en tant qu'art se dirige vers les musées. OK. Mais c'est pas répondre à "où va le cinéma ?" (mais à "où va l'art ?", à la rigueur), sauf à destituer l'oeuvre de son statut "de cinéma" dès qu'elle n'est plus "de l'art" - ce qui me semble bien douteux.
Ça me semble aussi peu compatible avec être nostalgique d'un temps où des oeuvres exigeantes trouvaient un large public (cf fin du post de Leurtillois : d'où te vient cette impression ?).
[En passant, en bon jeune con, je doute que cet "âge d'or" que je n'ai pas connu soit si différent de notre bon vieux XXIe siècle]
(mais ceci est un troll !)
Re: Le Chant des Oiseaux (A. Serra)
Borges a écrit:
Et les bouquins, ou le mépris, ne peuvent rien contre l'entrée de l'extrême droite dans le nouveau gouvernement israélien; c'est comme un négatif qui viendrait de loin, pour faire entendre une autre musique.
On a du mal à l'admettre tant ces élections semblent s'être déroulées du façon tellement démocratique !
Invité- Invité
Re: Le Chant des Oiseaux (A. Serra)
Il y a un film récent qui évoque, il me semble, ces histoires de culture et d'art, c'est le passionnant "Children of men". A. Cuaron, dans son film, montre l'inanité de l'art sorti de son contexte social dans cette séquence où Theo va visiter le musée de son frère où l'on retrouve tout un tas de grandes oeuvres d'art qu'il a réussi à "sauver" dit-il, de la catastrophe. Il les stocke dans un univers froid, en "ne pensant pas à ce qu'il fait". Et puis il y a le vieux Jasper, qui vit reclus dans sa forêt avec ses CDs, ses bouquins, ses photos.. il consomme tout cela à satiété .. mais, là encore, on peut faire une lecture critique de ce personnage. Je renvoie ici aux commentaires de Zizek qui évoque le côté un peu "dégénéré", "ridicule" du vieux gauchiste ambigu. Il y a aussi ce long travelling sur la commode pleine de bibelots chez la dame russe qui accueille les fugitifs, travelling qui se clos devant un portrait de cette femme, jeune. il y a là un portrait de Lenine, une croix, des photos de famille, une bougie d'anniversaire, des choses hétéroclites empilées là semble-t-il autant pour décorer que comme témoignages d'une histoire passée, qui perdent leur sens propre mises ensembles mais qui traduisent aussi, dans un même mouvement (c'est pourquoi le travelling est très pertinent et beau), l'histoire de cette femme ainsi que l'Histoire qu'elle a traversé.
Dans "V for Vendetta", V possède son musée imaginaire, qu'il appelle le "musée des ombres". Des oeuvres d'art substituées à l'état et empilées dans ses sous-sols. Ce stockage en un lieu retiré où personne ne peut venir, d'un premier abord paraît positif dans le sens où le personnage semble protéger les oeuvres, mais plus précisément, l'attitude de V est troublante, car celui-ci semble jouir seul de ces oeuvres en esthéte dans sa cave. De même le présentateur TV qui a, lui-aussi, chez lui, une cachette où il entrepose des oeuvres rares comme le Coran tout en faisant le bouffon devant les écrans de télévision. Cette attitude des deux personnage n'apparait finalement pas moins absurde que celle du conservateur du musée de "Children of men" (qui vit d'ailleurs au milieu de ses oeuvres, ils mangent devant "Guernica"). Le musée, d'état ou "privé", devient lieu réservé à une petite élite, pendant que le peuple s'aliène devant des écrans de TV qui annoncent en boucle les bonnes ou les mauvaises nouvelles.
Est-on loin de Ventura ?
Dans "V for Vendetta", V possède son musée imaginaire, qu'il appelle le "musée des ombres". Des oeuvres d'art substituées à l'état et empilées dans ses sous-sols. Ce stockage en un lieu retiré où personne ne peut venir, d'un premier abord paraît positif dans le sens où le personnage semble protéger les oeuvres, mais plus précisément, l'attitude de V est troublante, car celui-ci semble jouir seul de ces oeuvres en esthéte dans sa cave. De même le présentateur TV qui a, lui-aussi, chez lui, une cachette où il entrepose des oeuvres rares comme le Coran tout en faisant le bouffon devant les écrans de télévision. Cette attitude des deux personnage n'apparait finalement pas moins absurde que celle du conservateur du musée de "Children of men" (qui vit d'ailleurs au milieu de ses oeuvres, ils mangent devant "Guernica"). Le musée, d'état ou "privé", devient lieu réservé à une petite élite, pendant que le peuple s'aliène devant des écrans de TV qui annoncent en boucle les bonnes ou les mauvaises nouvelles.
Est-on loin de Ventura ?
Invité- Invité
Re: Le Chant des Oiseaux (A. Serra)
Bonjour à tous,
Heureux de savoir que JM, tu as aimé Children of Men. J'ai vu ce film il y a un mois et il m'a paru très riche (du point de vue politique mais surtout filmique). Un peu trop accès sur la Bible parfois, mais suffisamment bien pensé pour être réussi.
Pour en revenir à Serra, et au texte de Largo, j'y trouve quelque chose de très juste. L'insistance sur le caractère éprouvant et l'empathie/antipathie du film dont tu parles Largo me paraît a juste titre fondée.
En revanche, bien que tu mentionnes la tonalité absurde des dialogues, il me semble que tu n'évoques pas suffisamment la part sincèrement drôle du film. La première fois que je l'ai vu, j'ai totalement manquer le côté absurde de certaines situations. Pris par mes propres a priori, je pensais assister à une vraie expérience esthétique, une vraie pensée-regard éthique sur le monde. A trop en attendre, on est déçu.
La seconde fois que j'ai vu Le chant des oiseaux, j'ai enfin capté l'humour de beaucoup de scènes. En écrivant cela, je pense à cette séquence où, sous un arbuste, les trois rois mages -de vrais gamins, des paroles jusqu'aux comportements- s'entassent et cherchent de quoi se tailler une place. De même, ce long plan où les rois mages traversent toute une dune (qui peu évoquer le Gerry de Van Sant), nous les situe dans un immense décor. Ils sont perdus, contemplant le monde et cherchant leur chemin.
Pour dresser une relation avec un film de 1953, Le petit fugitif, ressorti en salle, les rois mages font penser au personnage de Joey, un petit point troublé par la vastité du monde. Serra accentue cette relativité de l'homme vis-à-vis de la dimension du monde.
Le premier plan évoque des élans métaphysiques qui composent le film. Un roi, qu'on ne sait pas encore mage, contemple l'étendue d'une montagne. Dans cette position, dont la figure panoptique rappelle celle de L'homme de Londres, le roi s'arrête sur le monde. Il m'a semblé qu'il surveillait la quiétude du monde.
Sachant Serra fervent catholique, il est possible qu'à travers ce film, et dans sa démarche ontologique, il ait voulu donner à voir le monde innocent, avant que ne survienne la résurgence du péché, le corps du Christ. Avant que les rois mages n'aient vu le Christ, leur discours ne parlent que du monde, que de ce qu'ils en voient. Après, ils parlent de leur rêve, d'eux même, de leurs images intérieures. Là-dessus, le texte de Largo me paraît très clair.
Ce basculement -mentionné en filigrane par Largo- dont le chant des oiseaux et le point de pivotement m'a frappé à la deuxième vision.
Heureux de savoir que JM, tu as aimé Children of Men. J'ai vu ce film il y a un mois et il m'a paru très riche (du point de vue politique mais surtout filmique). Un peu trop accès sur la Bible parfois, mais suffisamment bien pensé pour être réussi.
Pour en revenir à Serra, et au texte de Largo, j'y trouve quelque chose de très juste. L'insistance sur le caractère éprouvant et l'empathie/antipathie du film dont tu parles Largo me paraît a juste titre fondée.
En revanche, bien que tu mentionnes la tonalité absurde des dialogues, il me semble que tu n'évoques pas suffisamment la part sincèrement drôle du film. La première fois que je l'ai vu, j'ai totalement manquer le côté absurde de certaines situations. Pris par mes propres a priori, je pensais assister à une vraie expérience esthétique, une vraie pensée-regard éthique sur le monde. A trop en attendre, on est déçu.
La seconde fois que j'ai vu Le chant des oiseaux, j'ai enfin capté l'humour de beaucoup de scènes. En écrivant cela, je pense à cette séquence où, sous un arbuste, les trois rois mages -de vrais gamins, des paroles jusqu'aux comportements- s'entassent et cherchent de quoi se tailler une place. De même, ce long plan où les rois mages traversent toute une dune (qui peu évoquer le Gerry de Van Sant), nous les situe dans un immense décor. Ils sont perdus, contemplant le monde et cherchant leur chemin.
Pour dresser une relation avec un film de 1953, Le petit fugitif, ressorti en salle, les rois mages font penser au personnage de Joey, un petit point troublé par la vastité du monde. Serra accentue cette relativité de l'homme vis-à-vis de la dimension du monde.
Le premier plan évoque des élans métaphysiques qui composent le film. Un roi, qu'on ne sait pas encore mage, contemple l'étendue d'une montagne. Dans cette position, dont la figure panoptique rappelle celle de L'homme de Londres, le roi s'arrête sur le monde. Il m'a semblé qu'il surveillait la quiétude du monde.
Sachant Serra fervent catholique, il est possible qu'à travers ce film, et dans sa démarche ontologique, il ait voulu donner à voir le monde innocent, avant que ne survienne la résurgence du péché, le corps du Christ. Avant que les rois mages n'aient vu le Christ, leur discours ne parlent que du monde, que de ce qu'ils en voient. Après, ils parlent de leur rêve, d'eux même, de leurs images intérieures. Là-dessus, le texte de Largo me paraît très clair.
Ce basculement -mentionné en filigrane par Largo- dont le chant des oiseaux et le point de pivotement m'a frappé à la deuxième vision.
Flavien- Messages : 70
Re: Le Chant des Oiseaux (A. Serra)
Bonjour à tous,
Voici quelques liens vers des interviews de Serra qui ont inspiré mon texte et qui justifient les affirmations que je lui prête :
https://www.dailymotion.com/search/albert%252Bserra/video/x7ehok_albert-serra_creation
https://www.dailymotion.com/search/albert%252Bserra/video/x5x513_rencontre-avec-albert-serra-13_shortfilms
https://www.dailymotion.com/search/albert%252Bserra/video/x5xjtn_rencontre-avec-albert-serra-23_shortfilms
https://www.dailymotion.com/search/albert%252Bserra/video/x5z4su_rencontre-avec-albert-serra-33_shortfilms
Je ne sais pas pourquoi il est passé de Don Quichotte aux Rois mages (d'ailleurs je n'ai pas vu son premier film; il passe cependant je crois par intermittence à Paris, au MK2 Beaubourg). Effectivement fervent catholique, ce devait être un sujet qui le tenait à coeur. C'est assez amusant d'ailleurs de constater qu'il choisit des sujets assez riches qui n'ont entre eux apparemment aucun lien : il dit qu'il veut faire son prochain film sur la vie de Fassbinder. Le choix du titre fait référence au morceau de Pau Casals qui est la seule musique du film; c'est un choix poétique (peut-être complètement arbitraire) que je ne me sens pas capable de commenter. Mais peut-être en parle-t-il dans une des vidéos de Dailymotion, je ne sais plus trop.
Plutôt que le prolétariat - et même s'il y a ce membre de phrase : "dans des conditions invraisemblables" - je pensais que l'idée de Godard concernait également et surtout (haine élitiste ?) un personnage comme celui de Mireille Darc dans Week-end, aristocratie de l'argent qui regarde la télé plutôt que d'aller au cinéma, qui lit la presse féminine plutôt qu'un livre. Ca reste très schématique... mais je trouve cette distinction intéressante dans la mesure où elle interroge la nature même de l'art. Avec la tienne, celle de Rancière (que je n'ai pas lu), cela voudrait dire que, puisque le cinéma est relativement démocratisé, ce n'est pas de l'art ? Pardon si je m'égare, ou si je suis à côté, mais c'est encore un peu obscur pour moi.
Mais, "qu'est-ce que l'art, Jean-Luc Godard ?" !!!
D'autre part, concernant le cinéma dit élitiste: qu'est-ce que c'est exactement ? Est-ce qu'il en existait un avant, disons, Rossellini ?
Voici quelques liens vers des interviews de Serra qui ont inspiré mon texte et qui justifient les affirmations que je lui prête :
https://www.dailymotion.com/search/albert%252Bserra/video/x7ehok_albert-serra_creation
https://www.dailymotion.com/search/albert%252Bserra/video/x5x513_rencontre-avec-albert-serra-13_shortfilms
https://www.dailymotion.com/search/albert%252Bserra/video/x5xjtn_rencontre-avec-albert-serra-23_shortfilms
https://www.dailymotion.com/search/albert%252Bserra/video/x5z4su_rencontre-avec-albert-serra-33_shortfilms
Eyquem a écrit: Pourquoi passer de Don Quichotte aux rois mages ?
Pourquoi ça s'appelle "Le Chant des oiseaux" et pas "L'Adoration" ou quelque chose comme ça ?
Je ne sais pas pourquoi il est passé de Don Quichotte aux Rois mages (d'ailleurs je n'ai pas vu son premier film; il passe cependant je crois par intermittence à Paris, au MK2 Beaubourg). Effectivement fervent catholique, ce devait être un sujet qui le tenait à coeur. C'est assez amusant d'ailleurs de constater qu'il choisit des sujets assez riches qui n'ont entre eux apparemment aucun lien : il dit qu'il veut faire son prochain film sur la vie de Fassbinder. Le choix du titre fait référence au morceau de Pau Casals qui est la seule musique du film; c'est un choix poétique (peut-être complètement arbitraire) que je ne me sens pas capable de commenter. Mais peut-être en parle-t-il dans une des vidéos de Dailymotion, je ne sais plus trop.
Borges a écrit: la distinction de Godard culture/art n'est pas des plus heureuses; c'est très proche de Arendt, et même de Finkielkraut; c'est là qu'on se dit qu'un peu de Rancière ne fait de mal à personne. Le seul truc qui sauve Godard de la haine élitiste de la démocratie c'est l'idée que les gens bossent déjà trop pour bosser leur relation aux oeuvres; mais même là, c'est pas très fin; car les prolétaires savent aussi se construire des nuits d'émancipation; ce qui distingue l'art de la culture, c'est pas la qualité, c'est un mode de relation
Plutôt que le prolétariat - et même s'il y a ce membre de phrase : "dans des conditions invraisemblables" - je pensais que l'idée de Godard concernait également et surtout (haine élitiste ?) un personnage comme celui de Mireille Darc dans Week-end, aristocratie de l'argent qui regarde la télé plutôt que d'aller au cinéma, qui lit la presse féminine plutôt qu'un livre. Ca reste très schématique... mais je trouve cette distinction intéressante dans la mesure où elle interroge la nature même de l'art. Avec la tienne, celle de Rancière (que je n'ai pas lu), cela voudrait dire que, puisque le cinéma est relativement démocratisé, ce n'est pas de l'art ? Pardon si je m'égare, ou si je suis à côté, mais c'est encore un peu obscur pour moi.
Mais, "qu'est-ce que l'art, Jean-Luc Godard ?" !!!
D'autre part, concernant le cinéma dit élitiste: qu'est-ce que c'est exactement ? Est-ce qu'il en existait un avant, disons, Rossellini ?
Il le dit dans une des interviews il me semble. À peu près : qu'il regrette que "le cinéma populaire soit mort, à cause de la télévision".Epikt a écrit: Ça me semble aussi peu compatible avec être nostalgique d'un temps où des oeuvres exigeantes trouvaient un large public (cf fin du post de Leurtillois : d'où te vient cette impression ?).
Leurtillois- Messages : 131
Re: Le Chant des Oiseaux (A. Serra)
Flavien a écrit:
Pour en revenir à Serra, et au texte de Largo, j'y trouve quelque chose de très juste. L'insistance sur le caractère éprouvant et l'empathie/antipathie du film dont tu parles Largo me paraît a juste titre fondée.
Juste une précision, le texte est de Leurtillois ! Désolé pour le bidouillage qui fait apparaître le topic sous mon nom..
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