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Message par Invité Jeu 5 Sep 2013 - 11:57

Baldanders a écrit:Carax est étonnant : il est le seul cinéaste à ma connaissance dont on peut suivre à la trace le passage de l'immaturité complète (période Boy Meets Girl - Mauvais sang - Les Amants du Pont-Neuf) à une critique radicale de cette immaturité (Pola X qui n'est que l'histoire tragicomique d'un puceau incapable de se relever de son premier traumatisme), puis à une sombre maturité, sombre au sens de mélancolique, celle d'un "vieux con" si on veut. Je crois qu'il serait d'accord (il a de l'humour). .

Bah non, c'est pas le seul inéaste à vieillir, le lien parcours filmographique et ce que tu appelles "sombre maturité" tu le retrouve complètement dans l'ensemble du cinéma italien des années 50-70 (c'est même le sujet de films aussi différents qu' "Avant la Révolution" et "Nous nous sommes tant aimé", "Il était une fois en Amérique"). Tu sembles méconnaître le fait que la vieillesse n'est pas une invention récente. Si j'étais méchant je dirais que Carax recycle même et surtout la maturité (même si je comprends que tu défends la fin du film).

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Message par Baldanders Jeu 5 Sep 2013 - 12:56

Eluent a écrit:
Tu as l'ignorance de ta jeunesse ! Laughing Je t'assure on peut très bien se rendre compte qu'on est dépassé par les temps qui rampent, ça ne demande pas de compétence incroyable, et ça ne me paraît pas être d'une exigence démesuré dans ce cas d'escompter qu'un auteur se disqualifie alors (dans la mesure de son affliction hein, on ne parle pas de troglodytes des cons gelés, hum).

Donc oui on peu se disqualifier soi-même ça se fait, ça ne compte pour rien que j'insinue que son jugement ne vaut pas tripette parfois, ce qui compte c'est que lui n'a pas fait l'effort. Et bon j'ai juste cité Carné comme exemple qui me semblait particulièrement lisible du vieux con qui assume et gère ça dans son cinéma. Il y a sans doute exemple plus impressionnant, la liste serait trop longue, et puisque tu traîne par ici difficile d'imaginer que tu n'aies pas vu de nombreux bons films habité par un esprit vieux cons. Tout ça pour dire que si, ça se fait, ça n'est pas même particulièrement rare.

Par ailleurs les arguments du genre personne n'est mieux placé pour juger de X, ben autant dire que X est un objet sur lequel il ne faut pas réfléchir (quand X c'est l'époque ça en libère du temps de cerveau lent), ou encore c'est le retour au relativisme des sophistes, on va s'épargner de refaire le démontage d'accord ?
On est sans cesse dépassé par les temps qui courent, puisqu'ils n'arrêtent pas de courir. Dire que ça va trop vite n'est pas parler comme un vieux con, à mon avis. Et courir après le temps qui court revient souvent à se comporter comme un jeune décervelé. Mais sans doute suis-je moi aussi un vieux con.

Je ne comprends pas bien quel effort Carax aurait dû faire : il parle franchement, dans son film, de ce qui lui déplaît dans son époque, mais par la voix d'un personnage pas spécialement sympathique et à l'identité plus que trouble. Je ne dirai pas qu'il lui donne raison : il a fait un portrait où sans doute il y a de lui, mais pas seulement.

Quant à X (l'époque), je crois vraiment qu'il ne suffit pas de parler de "l'époque" pour prétendre y avoir réfléchi, ni de traiter Carax de "vieux con" pour qu'il en soit un, ni de faire tomber trois tonnes d'ironie sur son blog pour avoir raison d'un film aussi protéiforme que Holy Motors. Je ne censure personne, je dis juste que "l'époque" selon toi ou moi ou l'autre naze, ça ne revient pas au même, et que je ne jurerais pas avoir une idée plus juste de "l'époque" que toi parce que "l'époque" c'est quand même drôlement fourre-tout comme terme.

Tony le Mort a écrit:Bah non, c'est pas le seul cinéaste à vieillir, le lien parcours filmographique et ce que tu appelles "sombre maturité" tu le retrouve complètement dans l'ensemble du cinéma italien des années 50-70 (c'est même le sujet de films aussi différents qu' "Avant la Révolution" et "Nous nous sommes tant aimé", "Il était une fois en Amérique"). Tu sembles méconnaître le fait que la vieillesse n'est pas une invention récente. Si j'étais méchant je dirais que Carax recycle même et surtout la maturité (même si je comprends que tu défends la fin du film).
Sauf que les films de Carax ne parlent que de lui, de lui se rêvant artiste, puis se rendant compte qu'un rêve ce n'est pas comme de vivre (c'est Pola X), et faisant maintenant une sorte de bilan amer sur tout ce qu'il aurait pu réaliser s'il n'avait pas été si con.
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Message par Invité Jeu 5 Sep 2013 - 13:16

Le film me plaît quand on sent qu'il parle de sa relation avec Binoche, lui trouve des substituts et des analogons, il ya une sorte de biffurcation entre Kylie Minogue, l'histoire avec sa fille, avec la jeune nourrice, c'est 3 fois la même relation fantasmée de manière différente. Moins quand il fait une sorte de méta-théorie anthopologique et culturelle godardienne de la mort du cinéma (même si l'idée que la CCTV absorbe le cinéma est intéressante, mais le film est trop ancré sur une imagerie touristique  et nostalgique de Paris pour aller loin dedans et en  tirer des conclusions en dehors de maintenir une ancienne esthétique)


Dernière édition par Tony le Mort le Jeu 5 Sep 2013 - 13:20, édité 3 fois

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Message par Baldanders Jeu 5 Sep 2013 - 13:19

Ah oui ? Moi, ne m'ont intéressé ni l'une (la biographie) ni l'autre (la théorie). J'ai vu le film deux fois, on en a beaucoup parlé avec des amis, et on n'a jamais évoqué ces deux dimensions.
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Message par Invité Jeu 5 Sep 2013 - 13:23

Le problmème c'est que cette mort est plus traitée comme une idéologie (qui ne réclame que de se positionner par rapport à elle) qu'une théorie

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Message par Eluent Jeu 5 Sep 2013 - 21:09

Baldanders a écrit:Dire que ça va trop vite n'est pas parler comme un vieux con, à mon avis.
Tu ne crois pas à ce que tu écris-là. C'est précisément ce qu'on désigne par vieux con. En fait tu viens de trouver la définition. C'est une question de vitesse. Et il court le film de Carax, ça saute, ça s'agite, c'est un peu comme une vision de vieux con qui s'imagine que l'époque ne fait que sauter de clips choquants en clips choquants sur Youtube & Cie sans ligne ni assomption possible, et qu'en s'agitant à son tour il pourra se convaincre de ne pas être dépassé. Ouais à bien y réfléchir c'est en fait pire que ce que je pensais, c'est un mode assez triste du vieux con. C'est une course perdue, il a juste décidé dans son film qu'il n'y avait pas de sens. En fait ça transpire de fatigue. Fatigué de devoir faire du nouveau pour exister, fatigué des nouveautés.
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Message par Baldanders Ven 6 Sep 2013 - 8:03

Tu trouves que le film de Carax s'agite tant que ça ? Je ne trouve pas : il est très posé, maîtrisé. Par contre, oui, il y a de la fatigue, c'est même le sujet, mais il s'agit de la fatigue physique et morale du personnage, à ne pas confondre avec le film.
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Message par balthazar claes Sam 7 Sep 2013 - 10:42

Je profite de ce plaisant débat pour livrer une mouture intermédiaire de l'article qui est publié dans la revue. Dans la première version, celle qui est en tête de ce topic, j'étais plutôt pro-Carax. Puis en essayant de développer, j'en suis arrivé à une sorte d'illumination, notamment suite à une remarque que m'avait fait SP : Carax m'est alors apparu comme une espèce de "pervers narcissique", comme on peut le voir dans le texte ci-dessous. Dans un troisième temps, mon opinion s'est arrêtée sur l'idée que Carax était avant tout un poseur germanopratin. Au terme de ce processus ridicule, je peux dire que je n'ai plus tellement d'opinion sur ce film, mais que j'ai effectivement  produit un texte qui dit qu'il est tout pourri, et dont je me sens plus ou moins tenu de rester solidaire.


*


Les animaux domestiques




Holy Motors est une litanie d'altruicides sans nuance ni questionnements. Chaque séquence consiste en un assassinat ou une mort, ou revient à traiter un Autrui par-dessus la jambe. Mais ce n'est encore rien dire, ça pourrait être un film d'horreur, il y en a des très bien qui ne cessent d'assassiner leurs personnages, sans doute. Mais, dans leur cas, le jeu de massacre sert à faire peur ; ici il ne sert qu'à gonfler l'ego de l'auteur, du génie de service.

Le prologue installe Leos Carax, en toute modestie, dans la posture d'un être différent du commun des mortels, au destin tragique et solitaire, et assoit l'idée que le cinéma et lui, c'est tout comme.

Séquence 1 : Monsieur Oscar est un homme d'affaires. Dans sa limousine, il parle au téléphone avec un associé. La scène est en soi insignifiante (elle évoque vaguement l'idée que les riches sont de plus en plus riches et impitoyables de nos jours : pas faux), mais est reliée à deux autres, la 2 et la 8. Dans la 8, il s'agira pour MO d'assassiner pour son compte personnel, "hors-rôle", l'homme d'affaires à qui il était en train de parler dans cette première séquence, trahissant ainsi à la fois le contrat de l'acteur et l'idée de l'amitié.

Séquence 2 : Monsieur Oscar est à présent une vieille mendiante étrangère. A ce stade du film, ce qui est mis en relief est l'enchaînement des deux premières séquences, l'enjambement du grand écart entre le monde du riche homme d'affaires et celui de la pauvre mendiante. Que dire de cet enchaînement, si ce n'est qu'il provoque un choc facile. Le film se propose en quelque sorte d'embrasser du regard tous les aspects de la réalité sociale, de résoudre toutes les différences. "Monsieur Oscar" serait ainsi le nom de celui qui peut porter toutes les identités, aborder tous les sujets et comprendre toutes les différences, à la manière du journal télévisé. Cette revendication de légitimité ne se solde pourtant par aucun acquis. La mise en parallèle des situations de la mendiante et du miliardaire ne permet de produire nulle pensée, si ce n'est un vague "y a de l'injustice, c'est bien triste". L'effet se veut à la fois pathétique et ironique. Le film prétend faire coexister ces deux réalités antithétiques sur un même plan ; mais il ne les dialectise pas, se contente de les juxtaposer et d'affirmer qu'une imitation de ces deux situations par le même acteur suffit à en rendre compte. En somme la réalité de l'une comme de l'autre est expédiée, au profit d'un zapping à la fois moralisateur, pompeux ("ici on aborde courageusement les grandes questions"), et ironique ("ici c'est l'enfance de l'Art, et l'art de l'enfance, on peut jouer avec tout ce qu'on veut").

Séquence 3 : c'est celle consacrée à la motion capture. Après avoir pu admirer les prouesses indéniables de l'acrobate Denis Lavant, on voit celui-ci tirer avec une mitraillette tout en courant sur un tapis roulant. La course de Denis Lavant, trademark caraxien (emprunté à Buster Keaton), est ici réduite à sa version grinçante : il s'agit de courir dans le vide, dans un non-décor, en tirant des coups de feu. C'est en somme la parodie du cinéma de Carax par lui-même ; mais on en vient à se demander si son cinéma n'a finalement pas toujours été coincé au stade de la parodie.

Ensuite surgit une belle jeune femme, et sans un mot elle et MO entament des ébats sexuels dans leur costume de latex. L'ordinateur traduit la scène en transformant le couple en aliens hideux. On entend ici, a priori, une critique du cyber-sexe et de la pornographie contemporains. En 91, Carax déclarait : "Aujourd’hui, il faut faire l’amour dans le caoutchouc pour pas crever, ce que je comprends, je suis pour la santé, mais les préservatifs sont partout, pas que dans les chambres à coucher, on vit dedans. Toute cette hygiène du corps et de l’âme, ça me répugne totalement." On peut entendre cette complainte banale sur une époque où les impératifs d'une idéologie sécuritaire rendent les relations plus ternes et plus factices. Le latex est ici est ce qui rend monstrueux les ébats des amants. Il est donc condamné, alors qu'il est sensé par ailleurs être ce qui permet le jeu de rôles de l'acteur, cette "féérie". Mais personne n'a demandé à Carax cette scène pornographique. Il se livre ici gratuitement à ce qu'il dénonce en montrant des ébats entre deux parfaits étrangers. Ce qui ressort c'est que MO entame tout naturellement une relation sexuelle avec une femme parce que celle-ci est calibrée sur le modèle d'une mannequin. Le message est alors le suivant : moi, Carax, je souffre beaucoup de la pornographie de mon époque, c'est pourquoi je vous en sers une tranche. Le jeu est double, car le film, d'un côté, célèbre le virtuel, les masques et les jeux de rôle de son personnage principal, et de l'autre condamne ce virtuel comme étant ce qui nous prive de toute authenticité et nous sépare d'autrui. Cette contradiction ne sert qu'à faire enfler la posture romantique de l'auteur, qui prétend en somme que ses contradictions non résolues sont identiques à celles de son époque, pour s'en affirmer finalement le peintre officiel.

La quatrième séquence est une variation sur le même thème. Le personnage de "Monsieur Merde", que Leos Carax qualifie en entretien de figure de "l'immigré raciste", en charge d'incarner le côté "immonde" de sa personnalité, kidnappe une autre mannequin, et l'entraîne dans les catacombes. Cette créature monstrueuse, qui vient d'arracher avec les dents plusieurs doigts à une autre femme, se montre atteinte par la beauté du mannequin, qui, quant à elle, reste silencieuse et inerte, voire inepte. (C'est ce qu'on voit tout au long du film : si Monsieur Oscar a trop de rôles à jouer, les personnages qu'il rencontre n'en ont pas assez, nul intérêt ne leur est porté.) Le personnage de l'autre est à nouveau réduit à un mannequin sans vie, sans épaisseur, et il nous faut nous intéresser uniquement aux désarrois du double de l'auteur. Lequel se déclare donc blessé par la beauté ; celle-ci le fait souffrir. Apercevant un sein, il se tourne en gémissant vers le ciel, et marmonne quelque chose à l'adresse d'un dieu sévère, lequel semble au fait de ses "mauvais penchants". Il faudrait alors féliciter le monstre, qui, au lieu de violer la jeune fille puis de la découper en rondelles, se contente de la voiler, puis d'exhiber son pénis en érection. L'allusion à la question du voile islamique, qui résonne dans les débats depuis des années, est ici pesante. Or il faut bel et bien conclure que ce que nous en dit Carax, c'est que, pour des gens arriérés, le voile peut se comprendre. C'est ici une superbe performance, dans le genre du racisme culturel.

La séquence propose donc une parodie de burqa, pour s'achever sur une dérision de pièta. Et il n'y a rien d'autre à voir, nulle relève, dialectique ou autre, de tout ce cynisme. L'auteur semble bloqué au stade de son personnage, et ne sait que blasphémer vainement. Au nom de ce qui est supposé être une admirable vigueur transgressive, on a un "Grand-Auteur" qui se paie donc une belle et célèbre actrice, pour l'utiliser dans le rôle d'un pot de fleurs.

Séquence 5 : un père, apprenant que sa fille n'a pas su se montrer populaire à sa première soirée, s'en prend durement à elle et lui prédit qu'elle est, pour son malheur, condamnée à "vivre avec elle-même". Cette évocation d'une vie uniquement faite d'un face à face avec soi-même nous ramène au thème d'un monde sans autrui. Ce qui est gênant c'est que l'adolescente qui joue le rôle de la fille est la propre fille de Carax, sur laquelle il projette semble-t-il sa propre situation, en la condamnant à vivre le même sort : ce qui constitue un procédé pervers, toute "liberté de l'artiste" mise à part. On pourrait sans doute dire que la séquence vaut pour aveu... aborde au moins le problème. Qu'elle dénonce, au moins sur le mode de la dénégation ou de la projection, le procédé pervers qu'elle met en jeu. Mais faut-il en remercier Carax ? Il se livre en définitive, toujours au nom de son statut proclamé de Génie, à une scène de traque et d'acharnement sur sa propre fille. Il y a monstration, exposition publique d'un procédé pervers : mais à quel moment y a-t-il une distanciation minimale, un indice que tout cela vaut pour une réflexion, une prise de recul - à défaut d'une condamnation ?

Cette séquence, comme l'avant-dernière qui la rendra plus explicite, montre des gens "ordinaires", un Monsieur-tout-le-monde et sa fille. Le comportement de la fille est ordinaire : elle ne s'est pas amusée à sa première soirée, c'est quelque chose qui arrive tous les jours. Elle est une adolescente mal dans sa peau, rien de plus banal. Là où l'extraordinaire surgit, c'est dans le comportement de Monsieur Oscar. C'est sa véhémence qui produit un décalage. Or cette véhémence renvoie à ses autres rôles, lesquels sont à peu près tous tournés autour de la figure de l'héroïque assassin. MO tue, se tue, est tué mais il est toujours le héros, et le seul héros puisque les autres personnages ne sont que des figurines sans relief. Son comportement est toujours placé au-delà de la critique : n'est-il pas l'émissaire du Génie qui, dans son immense bonté, nous offre ce film ? Dans cette mesure, il est clair que la cruauté du père dans cette séquence n'est pas du tout remise en question. Ce qui est mis en cause, c'est la médiocrité des gens ordinaires, leur manque de supériorité. Carax adresse en quelque sorte un clin d'oeil pervers à sa propre fille, lui intimant l'ordre d'être comme lui, "au dessus" de tous les autres, dans un face-à-face morbide avec elle-même, et en fin de compte, avec lui-même. C'est avec une absence totale de distanciation que cette séquence met finalement en jeu un mécanisme que l'on peut qualifier d'incestueux.

Séquence 6 : un interlude décontracté, avec Bertrand Cantat qui tape le boeuf dans une église. Comment ne pas lire la scène dans le sens d'une sympathique réunion d'altruicides ? Carax vient nous dire qu'il défend Cantat : de quoi, pourquoi, on ne sait pas. On nous intime l'ordre de comprendre que Cantat est un grand artiste, et qu'il ne faut jamais censurer les artistes : posture qui semble admirable de générosité. Mais tout cela est dit par allusion, en douce, à l'image de Bertrand Cantat qui se trouve placé derrière un groupe de musiciens, et qu'on aperçoit à peine : si on n'a pas été prévenu qu'il est là, il est difficile de le reconnaître. L'affirmation est donc louvoyante et ambiguë : on peut tout aussi bien conclure qu'une petite place est concédée discrètement à Cantat, par altruisme, à nouveau dans ce souci œcuménique de tout embrasser, tout réunir sous son aile. Mais, dans la mesure où le film ne cesse de mettre en scène le meurtre virtuel, la caution d'un meurtrier réel crée un malaise. On en vient en définitive à mettre en doute la distinction entre meurtre réel et meurtre virtuel, puisqu'ils sont réunis dans le même film. On peut encore parler de procédé pervers.

Séquence 7 : Monsieur Oscar tue son double et prend son apparence pour dissimuler le crime, mais son double, dans un dernier sursaut de vie, le tue à son tour. Les deux cadavres gisent côte à côte. Puis Monsieur Oscar, on ne sait plus trop lequel des deux du coup, se relève et part en titubant pathétiquement. On peut renvoyer cela à la phrase dite un peu avant au sujet de la condamnation à "vivre avec soi-même". Dans un monde sans autrui, il ne reste plus guère qu'à se tuer soi-même, pour rire. On pourrait dire qu'à la fois, il y a eu représentation d'un double meurtre, et qu'en même temps il ne s'est rien passé. Encore un dispositif contenant des messages contradictoires et s'annulant l'un l'autre, dont il ne reste à l'arrivée qu'une représentation complaisante d'un meurtre de plus, et l'idée que l'auteur est une conscience souffrante. Et c'est finalement le meurtre lui-même qui est parodié.

Les détails en eux-mêmes de la séquence sont insignifiants. Cela se passe dans des halles où des travailleurs d'origine asiatique sont occupés à leurs affaires réelles. Carax utilise, comme dans Pola X, le thème des clandestins comme décor, pour se donner l'air d'avoir un avis sérieux sur la question. Il est "pour" les clandestins, contre la misère et l'injustice : on ne peut que l'en féliciter. Monsieur Oscar pousse le mimétisme jusqu'à prononcer quelques mots en chinois (ou dans une autre langue asiatique). Son personnage est déguisé dans le style d'un petit malfrat, d'un "dur" des milieux interlopes. Tout cela n'est bien sûr que du vernis et de la parodie, et n'a pour fonction que de servir de toile de fond exotique à la scène "mentale" d'entre-assassinat des doubles. Ça pourrait aussi bien se passer aux sports d'hiver, mais on peut encore entendre dans le cliché un jugement de valeur. Carax n'a pas le temps de s'intéresser aux travailleurs ; il préfère se regarder dans un miroir, et prendre le ciel et le public à témoin que tout en se haïssant, il s'aime infiniment, et que c'est bien difficile pour lui.

Scène 9 : MO est un vieil homme qui agonise dans un hôtel luxueux. Une jeune fille éplorée lui dit qu'elle l'aime infiniment, qu'il a tant fait pour elle autrefois, qu'elle a le coeur brisé suite à un mauvais mariage, et que tout ce qu'elle veut c'est rester auprès de lui jusqu'à sa fin imminente, pendant que des violons déchirants se font entendre. La dimension parodique du jeu de Lavant se cache moins que jamais, il adopte une voix de tête suraigüe et ridicule pour prononcer de graves sentences finales sur le fait que, ce qu'il y a de beau dans la vie c'est l'amour, "la mort c'est bien, mais l'amour n'y est pas". C'est néanmoins peut-être l'une des scènes les moins détestables du film ; ça a beau être des clichés, c'est pas faux. Mais il s'agit toujours du même type de manipulation : tout un arsenal est convoqué pour susciter une émotion, mais dans le même temps on nous indique que cette émotion n'est pas vraie, que tout cela c'est de la blague. Il y a un détail volontairement "grinçant" : la jeune fille a un pied bot. Le film est rempli de tels effets grinçants, de la défiguration de Michel Piccoli (dont la brève apparition en guest star ne sert qu'à énoncer quelques phrases poético-lyriques supplémentaires) à toutes celles de Denis Lavant. Dans l'économie de la scène, quelle est l'utilité de ce pied bot, en quoi n'est-il pas gratuit ? Il a bien la même fonction que le voile jeté sur Eva Mendes : il dit que la beauté est une offense, un affront, et qu'il importe de blasphémer la beauté, de la railler, de la parodier. Sous couvert d'audace et de liberté souveraine de l'artiste, Carax ne cesse d'imposer ses petites horreurs, ses petits crimes, ses petites obsessions. Alors qu'il nous propose un plan de cette jeune fille enlevant sa robe, dans un hommage qui se veut d'une pureté cristalline à la beauté de son actrice, il vient lui greffer une prothèse gratuite ; tout comme il avait rendu Juliette Binoche aveugle dans les Amants du Pont-Neuf.

Dans la séquence 10, Kylie Minogue chante une chanson qui est une parodie d'une chanson émouvante. Le refrain bégayant, "Who were we when we were who we were ?" est en soi un sarcasme. Dans les locaux en ruines de la Samaritaine, elle et MO se rappellent leur amour perdu. Elle finit écrasée sur le sol, suicidée. Le dispositif nous précise qu'elle est, comme MO, une "joueuse de rôles", et que tout ça est encore une comédie sans importance. Le grand amour renvoie donc, encore et toujours au double : c'est une autre lui-même (et une star internationale : c'est important pour son ego) qui est son âme-sœur. Encore une fois il y a une projection du tourment intime de Carax sur autrui, et représentation d'un altruicide.

Séquence 11, dite des grands singes. Un homme rentre un soir dans son pavillon de banlieue. Il semble désespéré, et on voit bien pourquoi : cette rue composée de maisons toutes identiques installe d'emblée l'idée d'une aliénation cauchemardesque. Pire encore pour ce pauvre banlieusard : sa femme et son enfant sont des singes. Il leur parle avec affection, et ils regardent ensemble par la fenêtre, tels des animaux en cage, pendant qu'une chanson pathétique de Gérard Manset se fait entendre. On peut dire que cette séquence évoque, du point de vue de cet homme, l'enfer de vivre une vie indifférente, le désespoir d'un monde privé d'âme. La chanson dit : "on voudrait revivre, mais ça ne se peut pas." Or, qui voudrait revivre un tel enfer ?

Cet homme se sent tragiquement seul, d'accord : mais pourquoi recourir à des singes pour représenter cette solitude ? Ils figurent ici au titre de dérision de l'humanité, comme dans une publicité célèbre pour la lessive Omo. Il y aurait des tas de choses passionnantes à montrer au sujet des singes ; ici on a choisi de les cantonner à la parodie de l'humanité. L’humanité se trouve abaissée au niveau de la parodie, mais les singes ne se voient en revanche aucunement relevés, au contraire plutôt humiliés par le dispositif. Eux aussi sont parodiés en tant que singes, en fin de compte.

On a donc un homme, lui-même déguisé, singeant l'amour familial, entouré de singes, auxquels il adresse des paroles de tendresse factice. L'idée de solitude est ainsi mise au carré, et encore aggravée par la confrontation ironique avec le lyrisme de la chanson de Manset. On voudrait revivre... quand exactement ? Après que ce temps-ci soit passé, après la mort de cet entourage débile et disgracieux... après la disparition de ce qui nous est contemporain. Par dégoût pour ce monde-ci, on souhaite une extra ball : repartir à zéro, au lieu de se pencher sur ce monde-ci pour essayer d'y vivre. C'est ce que dit le film, et il ne dit rien d'autre que ce désir altruicide. Il ne s'en distancie aucunement, et ne cesse au contraire d'enfoncer le même clou.


Séquence 12 : des limousines qui parlent, c'est rigolo. Bon, ce qu'elles disent n'est ni drôle ni intéressant (elles évoquent, à leur tour, leur disparition imminente), et c'est un grincement parodique de plus, mais il faut savoir se montrer bon public.

12 séquences donc, pour un antéchrist de pacotille.

balthazar claes

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Message par Invité Sam 7 Sep 2013 - 11:07

SP, c'est Stéphane Pichelin ? Il est compté au nombre des altruicides.

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Message par Baldanders Dim 8 Sep 2013 - 0:28

Ton texte, Balthazar, démarre à partir de postulats contestables. Il y a d’autant moins d’ « altruicide » dans Holy Motors que justement son personnage principal joue différentes figures de l’Autre que lui-même, comme tu le remarques d’ailleurs dès ton commentaire de la scène 2. Un acteur – quelqu’un d’hors-jeu social, de marginal, peut-on dire – va se mettre littéralement dans la peau d’un riche, puis d’une mendiante, etc. On peut discuter de la façon dont il va se mettre dans ces peaux, mais au moins on peut reconnaître qu’il le fait, et que si être attentif à autrui consiste à essayer de se mettre à sa place, alors il n’y a pas d’ « altruicide » dans Holy Motors, bien au contraire. Il y a tant de films qui font semblant de confronter des étrangers qui sont les mêmes (cf. séquence 8 ), qui sont tous les mêmes produits d’un scénario surdéterminant. Ici, le faux DSK de la séquence 1, la mendiante de la 2 et l’acteur n’ont rien en commun.

Autre chose : je ne vois pas en quoi le prologue pose que Carax est un génie. Il montre, littéralement, quelqu’un de mal voyant qui tâtonne et trouve une porte, qui donne sur une salle de cinéma. Mon interprétation est que Carax veut nous signifier qu’il a trouvé une clef pour faire un film, rien de moins mais rien de plus.

Séquence 1 : elle n’est pas insignifiante du tout, elle est très ironique et très drôle à mon goût : le même qui peut être « impitoyable » est salué affectueusement par sa petite famille bien lotie. Par ailleurs, la scène suppose qu’il y a eu tout un « avant », pendant lequel Lavant a joué un certain temps (on ne sait pas combien, et y songer donne le vertige) au riche, ce qui est rendu comique par le fait qu’on découvre très vite que c’était en fait un acteur. Il y a en filigrane l’idée que ces gens de pouvoir sont des acteurs, des faussaires.

Séquence 2 : je la trouve très belle, on a vraiment le sentiment de ce que c’est qu’une présence immobile au milieu de passants. Cette mendiante est montrée comme digne et tenace dans l’indifférence générale.

Séquence 3 : elle n’a rien de gratuit, puisque la copulation devient monstrueuse. Il n’y pas de « célébration du virtuel » mais une tentative de montrer la transformation d’un corps en quelque chose d’étranger à lui-même. Ce n’est pas la scène que je préfère, mais elle n’a rien de pervers.

Séquence 4 : les premiers à utiliser l’actrice comme un pot de fleurs, ce sont les « artistes-photographes » qui font les magazines, c’est un fait réel à partir duquel Carax a imaginé la rencontre de deux extrêmes, la Belle et la Bête. Etant donné que dans ce film comme dans son court « Merde », la Bête est une Bête (et non un Afghan), il faut voir la réaction de cette Bête à la beauté de la Belle comme la réaction logique d’une Bête qui refuse d’être dominée mais ne peut pas s’empêcher de l’être par ses pulsions. C’est ce qui la pousse à cacher cette Beauté qui l’esclavagise. (L’ironie est qu’il fait marcher sa Belle voilée comme dans un défilé, petite pique à l’encontre de la mode qui pare les femmes et ne les découvre jamais.) On peut considérer ça comme une explication de l’invention de la burqa, et personnellement je ne trouve pas cette explication stupide. C’est une parabole, pas une dénonciation (par ailleurs, Carax est un des rares cinéastes à s’être publiquement déclaré opposé aux guerres menées par l’OTAN contre l’Afghanistan, etc.)

Séquence 5 : si le père fait preuve de violence envers sa fille, alors il y a bien distanciation. On ne comprend pas bien pourquoi le père s’énerve ainsi, et d’ailleurs il se retrouve seul et malheureux une fois qu’il a déposé sa fille. Que celle-ci n’ait pas eu le temps d’exister est une chose, mais qu’elle soit niée par la mise en scène en est une autre. Au contraire, elle existe d’autant plus que son père n’a pas cherché à la comprendre. S’il y a un aveu dans cette scène, c’est celui d’une culpabilité. Qui a un enfant sait tout ce qu’on peut projeter sur lui.

Interlude : qui peut dire qu’il y a Bertrand Cantat parmi les musiciens ? Seulement ceux qui ont lu les critiques qui ont tenu à le souligner. Et dans 20 ans, tout le monde s’en foutera. Donc il n’y a aucune volonté de Carax de donner un sens à cette présence, justement cachée.

Séquence 8 : pastiche de film de genre à la Tarantino, où Carax signifie qu’un assassin, dans ce genre de films, ne tue que ses semblables, bref que ça n’a pas de sens. Ce qui est parfaitement juste. C’est la scène la plus explicitement « cinématographique » : son découpage très visible, le look des personnages, le « scénario » du sketch, tout est exactement de l’ordre du pastiche. Y voir un discours de Carax sur le rapport de soi à soi est hors-sujet : il parle d’un certain cinéma.

Séquence 9 : j’avoue franchement ne pas avoir compris le sens et l’utilité de cette scène, mais je trouve certains détails très beaux : la façon dont la fille se regarde dans la glace au début, ou dont les acteurs se quittent la scène terminée.

Séquence 10 : Carax a choisi de mettre en scène la rencontre avec l’être jadis aimé suivant les canons de la comédie musicale. Je ne vois pas où est-ce que ça pourrait faire penser qu’il s’agit là d’une « comédie sans importance », au contraire. L’idée de la scène est celle du vertige : sur le toit comme sur le balcon à l’intérieur de la Samaritaine, le vide tout proche est sensible, la catastrophe est sûre, la catastrophe arrive. L’âme-sœur est un rêve perdu, un absolu reconnu comme inatteignable et donc tragique.

Séquence 11 : c’est un cauchemar, que tu décris bien, mais il faut le prendre comme un cauchemar, pas comme la réalité vue par Carax, sous peine de le traiter d’irresponsable. Oui, l’idée d’un monde anesthésié et animalisé hante l’imaginaire de Carax, le mien aussi, et celui de beaucoup d’autres qui ont la trouille de voir le monde se débarrasser de toute altérité. Ce cauchemar, montré comme tel (et dont la chanson de Manset souligne l’horreur), contredit ton idée que Carax ne fait que tuer « l’autre » : il exprime seulement le regret de ne pas assez le rencontrer.

Séquence 12 : je n’ai pas trouvé ça très drôle, ces limousines qui parlent, mais instructif : elles discutent du monde d’après elles, quand il n’y a aura plus de moteurs. C’est quoi ton moteur, exactement ?
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Message par Invité Dim 8 Sep 2013 - 3:52

Beau jeu purement sémantique, de qui explique à ses non-autres qu'ils sont incapables de regarder sans altérer la "spécificité" d'un cinéma qui re-présente bien des choses au delà des mots trop pauvres pour les dire.

En 13 points-réponses circonstanciés, bienvenus, car permettant de mesurer sérialement comment le scripteur s'applique laborieusement à sauver à tout prix, par dévotion, avec la mauvaise foi du charbonnier, les pires clichés de ce film de la nasse où ils macèrent.

(Sans ici prendre parti pour la lecture proposée par Balthazar, à laquelle je n'adhère pas, qui pêche selon moi par un certain psychopathologisme un peu... lourd. N'adhérant pas non plus au concept un peu dent creuse "d'altrui-cide", reposant ici sur une notion massive et "métaphysique" d'Altérité qu'il conviendrait de déconstruire à minima: qui serait ici l'autre, où serait l'autre, de quel "autre" cet "altruicide" serait le nom, etc).




- Un « acteur » : premier saut de foi dans les vertiges de l’analogie qui vont substituer à notre vision si pauvre les si riches signifiants du scripteur, est censé représenter qqqun du « hors-jeu social, de marginal peut-on dire ».
C’est séduisant et bien joli, comme récupération de stéréotype. Jeu de glissement sur les signifiants, d'emblée. Ici sur la notion de "jeu" et de "hors-jeu". Par pudeur, on ne va donc pas se risquer à souligner qu’il y a plusieurs façons d’être « hors-jeu » ou « marginal » socialement, économiquement : celui qui est véritablement « hors-jeu »,  dans la marge au sens de l’exclusion du champ social et économique, ne serait-ce pas le "non-acteur": celui qui n'y joue littéralement aucun rôle? Qui n’a pas, ou plus, la possibilité de « jouer un rôle », de « se mettre dans la peau d’un autre », littéralement ou pas littéralement? Question abyssale, donc glissons.

- Examinons, par le détail, le bidouillage purement sémantique donnant tout son prix à cette phrase si riche :

« Un acteur – quelqu’un d’hors-jeu social, de marginal, peut-on dire – va se mettre littéralement dans la peau d’un riche, puis d’une mendiante, etc. »

Va se mettre littéralement, rien que ça, dans la peau d’un riche, puis d’une mendiante. Prière de se retenir de pouffer, déjà, ici : le scripteur appelle « se mettre littéralement dans la peau d’un riche puis d’une mendiante » juste une pantomime réduite aux caractéristiques signifiantes d’un pantin mécanique, qu’on nommera, plus simplement : de la Caricature à gros traits.
Se mettre littéralement dans la peau d’une mendiante : voilà comment le scripteur nous qualifie la prestation, fruit d’un travail d’observation qui laisse pantois, et consistant à mimer avec un réalisme saisissant une mendiante roumaine : un fichu, des chicots, et une lombalgie de bossue, à force de regarder le trottoir et d’y agiter son écuelle. Dans un pitoyable concert de borborygmes ou d’onomatopées, d’un tel réalisme linguistique littéral qu’on serait tenté d’en réclamer un sous-titrage.

Plus fort encore : la scène concernée, le scripteur n’hésite pas à nous expliquer plus loin son ressenti bouleversant à son sujet: « je la trouve très belle, on a vraiment le sentiment de ce que c’est qu’une présence immobile au milieu de passants. Cette mendiante est montrée comme digne et tenace dans l’indifférence générale. »
Le scripteur a vraiment le sentiment (qu’il estime suffisamment partagé, en droit, par ses contemporains, pour passer du « je » au « on »), de ressentir ce qu’est une présence immobile au milieu des passants. Ce moment de vérité, où l’acteur se met littéralement dans la peau de la mendiante, non seulement traduit l’essence même de ce qu’est être une mendiante immobile au milieu de passants, mais encore, cette imagerie émouvante est l’incarnation même de la Dignité et de la Ténacité dans l’indifférence générale.
Voilà comment, avec une virtuosité brillante, le scripteur sauve de la stéréotypie la plus infâme, la plus platement méprisante et méprisable, le premier poncif qui tombe sous sa plume inspirée.
Et c'est tellement raccord avec sa façon si humaniste, charnelle, vécue du dedans, avant la rupture de l'union de la Gauche, de nous parler, une fois encore, des gens pauvres, humbles et fiers, dignes et tenaces. Du Trouilloudiguian pur sucre, une fois de plus. Mais sans la gayole et le canari puisqu'ici, bien sûr, le scripteur nous évoque avec émotion et pudeur le sous-prolétariat (pour reprendre une expression qu'il chérit) dans la peau duquel Lavant a su si bien se mettre, littéralement.

Goûtons en passant l’espèce de tautologie sophistique qui nous est offerte à cette occasion :

« On peut discuter de la façon dont [l’acteur] va se mettre dans ces peaux » ---> si on peut la discuter, la contester plus précisément, cad contester platement la première fausse évidence qui nous est assénée ici, à savoir que « l’acteur se met littéralement dans la peau d’une mendiante », le scripteur fixe aussitôt les limites du « pouvoir discuter » en question : « mais au moins on peut reconnaître qu’il le fait ».
C’est extraordinaire, ce genre de formule de rhétorique télé-journalistique creuse et toute faite : on pourra discuter, éventuellement, de la façon dont l’acteur va « se mettre littéralement dans la peau d’une mendiante » ; on pourrait estimer, par exemple, que la « façon » dont il s’y met est simplement une grossière caricature (comme on en voit 50.000 dans n’importe quel stand up de théâtre parisien, destiner à fait marrer l’assistance), « mais au moins on peut reconnaître qu’il le fait » (se met dans la peau, littéralement, d’un « Autre », en l’occurrence une mendiante roumaine).

C’est très instructif, ce genre de rhétorique qui passe pour un raisonnement, et un raisonnement destiné à nous instruire sur une approche honnête de « l’Altérité ».

On peut contester la façon dont l’acteur se met dans la peau d’un Autre (l’autre avec le grand A, de cette altérité qui tient à distance, qui fait de tout prochain un lointain réduit à une imagerie archétypée), mais au moins on peut reconnaître qu’il le fait (se mettre dans la peau...).
Qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire, ce genre de phrase parfaitement idiote et circulaire ? ça ne veut absolument rien dire, voyons. Sur le plan de la signification, ça consiste à proférer une absurdité ou contradiction logique de la forme : « on peut contester sa façon de le faire, mais au moins il faut reconnaître qu’il le fait ».
Le scripteur, par cette entourloupe logique, s’auto-confirme ou auto-valide d’avance, renvoyant toute contradiction possible au statut d’un point de détail purement périphérique, qui conduirait à une discussion stérile : l’essentiel, c’est que quelle que soit la façon dont l’acteur se met dans la peau de..., il faut minimalement accorder au scripteur cette vérité : qu’il se met dans la peau de... Et littéralement. Si « on » ne s’accorde pas avec cette vérité, de l’ordre d’une évidence indiscutable, on se perdra en vaines palabres de l’ordre du sophisme et de la mauvaise foi.
« On pourra discuter la manière dont vous argumentez, cher ami, mais au moins il faut reconnaître que vous argumentez ». On se croirait sur le plateau de Yves Calvi, mais passons.

Passons, car cette pure entourloupe sémantique ne sert qu’à valider l’assertion qui la suit, laquelle nous place au cœur d’une réflexion puissante sur le statut de ce qu’on nomme l’Altérité, que le scripteur va progressivement dérouler avec une lucidité qui tient de la voyance :
« si être attentif à autrui consiste à essayer de se mettre à sa place, alors il n’y a pas d’ « altruicide » dans Holy Motors, bien au contraire. »

Si ceci, Alors cela, CQFD. SI être attentif à autrui consiste à essayer de se mettre à sa place (étant entendu par le scripteur, au terme d’un bref débat autologique avec lui-même, que si on peut discuter la façon dont l’acteur se met à la place d’autrui, il faut reconnaître avec lui qu’il se met bel et bien à sa place), « ALORS il n’y a pas « d’altruicide » dans HM, bien au contraire ».

Pourtant, ne perdons-pas le fil du « raisonnement », car nous allons rapidement constater plus loin qu’après nous avoir dûment instruit sur la délicate question du statut de l’Acteur redéfini par ses soins (quelqu’un, donc, d’hors-jeu social, de marginal peut-on dire, et qui va se mettre littéralement dans la peau d’un Autre), le scripteur nous instruit ensuite à peu près du contraire :  « il y a en filigrane l’idée que ces gens de pouvoir sont des acteurs, des faussaires. »
Un nouvel arrêt sur image, ou cliché, s’impose aussitôt : méditons sur la différence, qui saute littéralement à nos yeux, comme tout ce qui est littéral et ne suppose donc aucune « interprétation » excessive, entre l’acteur qui est quelqu’un d’hors-jeu social, de marginal peut-on dire, se mettant littéralement dans la peau d’Autres, pauvres ou riches, et ces gens de pouvoir qui sont des acteurs, des faussaires.
L’acteur, tel que le film le définirait au gré du scripteur, est donc quelqu’un d’hors-jeu, de marginal peut-on dire, qui se met littéralement dans la peau d’Autres, riche ou mendiant. Et comme on découvre très vite que le riche du début est en fait un acteur (ce qui est comique et nous donne le vertige car on pressent tout un « avant » qu’on n’ose à peine imaginer tant le stratagème est surprenant et bien amené), cela nous donne donc à méditer sur l’idée, en filigrane, que ce gens de pouvoir, ou riches, sont des acteurs, des faussaires, cad donc quelqu’un d’hors jeu, de marginal peut-on dire, si nous avons suivi la rigueur de l’éclairage qui nous proposé ici.



La cause étant entendue pour et par le Scripteur après concertation avec lui-même, passons incidemment à autre chose :

« Autre chose : je ne vois pas en quoi le prologue pose que Carax est un génie. Il montre, littéralement, quelqu’un de mal voyant qui tâtonne et trouve une porte, qui donne sur une salle de cinéma. Mon interprétation est que Carax veut nous signifier qu’il a trouvé une clef pour faire un film, rien de moins mais rien de plus. »

Littéralement, là encore. Rien de moins et rien de plus que cette fameuse littéralité, à nouveau, observée en toute magnanimité par le scripteur, qui se demande à juste titre pourquoi dès lors il faudrait interpréter que le prologue pose que Carax est ceci ou cela.

A quoi bon interpréter ce que l’auteur montre littéralement ? Ce qui est montré littéralement n’a pas à être interprété, voyons. C’est pour cela que l’auteur nous donne SON interprétation de ce que l’auteur VEUT nous SIGNIFIER.
Ce qu’il veut nous signifier, selon l’interprétation du scripteur, c’est tout simplement qu’il a trouvé une clef pour faire un film, rien de moins mais rien de plus.
Rien de moins, c’est déjà beaucoup, et nous éviterons soigneusement d’appeler un poncif ridicule, un cliché rebattu, une clef qu’on trouve et qui montre littéralement qu’on a trouvé une clef pour faire un film. La métaphore est tellement littérale que ce n’est plus une métaphore : voilà pourquoi il est intéressant, ici, que le scripteur nous donne SON interprétation de ce que l’auteur VEUT signifier. Autrement, nous errerions, hagards, dans une forêt de symboles indéchiffrables et obscurs, que nous serions tout simplement tenté d’interpréter comme la métaphore de quelque chose...

Nous ne nous risquerons pas davantage à supputer qu’une telle interprétation de ce que l’auteur veut littéralement signifier ne contrevient nullement avec le fait qu’il se prend peut-être pour un génie de la métaphore non métaphorique, exigeant un herméneute de la trempe du scripteur pour être bien interprétée : trouvant la clef de son film, déjà, ce qui n’est pas du tout une manière rebattue, pur cliché, de commencer un film. Ni avec le fait que le film que cette clef ouvre soit signifié, tout du long (à grands renforts de "métaphores littérales" plus voyantes qu'un étalage de soldes à la samaritaine) comme voulant dire que, ressuscitant la magie d’un cinéma français d’antan (saisi comme pure somme additionnée de clichés), l'auteur ambitionne de réveiller les spectateurs morts-anesthésiés d’une salle de cinéma signifiant ou symbolisant (littéralement) l’état du cinéma d’aujourd’hui lui-même, à l’ère du numérique tout puissant où il n’y a plus rien à voir parce que tout est virtuellement mort.

Le prophète mal-voyant trouve la clef de la voyance, clef d’un film-somme tourné ver le Passé (du cinéma) apte à réveiller éventuellement le cinéma de son Temps, spectacle et spectateurs compris, plongés dans une léthargie-anesthésie qui est ici la Mort elle-même (du cinéma). Anesthésie, perte, annulation, mort, qui sont interprétées pas le scripteur comme une privation d’Altérité, la mise à mort de l’Altérité elle-même.
Chose qui hante fondamentalement le scripteur, et à l’en croire l’auteur. Le scripteur se faisant l’interprète de l’auteur devenu voyant, partage ce terrible et angoissant constat d’une perte de l’altérité dans son envers, à savoir : l’Animalité, tout simplement!

L’Animalité, voilà encore une évidence littérale qui saute aux yeux de l’interprète Voyant de son époque par le prisme du Cinéma voyant de l’auteur, c’est tout simplement la mort de l’altérité (qui est l’humanité). L’autre de l’homme, au sens paradoxal du "contraire" de "l'altérité", de ce qui "tue" l'altérité, ce serait l’animal.
Un monde, déshumanisé, aliéné,  anesthésié nous dit le scripteur, c’est un monde animalisé. Étant attendu que le monde animal est un monde de non-sensation; où l'on ne sent littéralement rien (an-esthésié). Problème fort complexe, même à titre de métaphore, mais qu'importe: ce retour à l’animalité est la matière même d’un cauchemar qui fout littéralement la trouille au scripteur, ainsi qu’à beaucoup d’autres selon son témoignage vécu. Nous y reviendrons, bien entendu, car nous affrontons littéralement ici l’horreur, l’horreur gratinée, à son acmé, de la pure bêtise en action, bêtise devenue pur et simple arrêt de la pensée, qui dit moteur, dans l’esprit éteint du scripteur.

Le retour des évadés de la planète des singes? L'homme, l'humain tel qu'en lui-même, menacé et traumatisé, se mettant à vouloir retenir le temps avec la voix étranglée de Gérard Manset, serait-ce ici Charlton Heston tombant à genoux, crucifié, devant la statue de la liberté brisée, et s'exprimant d'un cri rageur, douloureux et desespéré: "ainsi dooonc, vous l'avez fait shôôteer, la planète, bande de chaaalauds! Je vous haais, choyez maaudits, juchqu'à la fin des teeemps! (j'imite très mal le doubleur de Charlon Heston).


Où sont, dans ce si film si beau et si mature, les hommes? Où sont les animaux? Pourquoi "des singes"? Que re-présente un singe (à celui qui sait voir, bien sûr, la beauté étant dans l’œil de celui qui regarde selon la formule inouïe)? Une "involution" de l'homme? Le singe comme imitation de l'homme, dégradation de l'homme, séparation de l'homme avec lui-même?
Le singe comme perte de toute altérité, ou au contraire comme le surgissement d'une altérité non réductible à ce "même" qu'est l'homme définissant l'humanité et son envers?
Un animal, c'est l'Autre? L'Autre de l'Homme, l'Autre de l'Autre, en tant que le Même, si on pose une définition de l'homme comme incarnant l'altérité? On ne sait trop, car si perdant l'humain, l'altérité, on trouve comme il est suggéré ici le singe, censé "représenter" la mort de l'homme ou de son altérité, il faudrait comprendre que l'animal, un singe en l'occurrence, c'est l'incarnation de ce qui, n'ayant aucune altérité, menace l'identité de l'homme posée comme lieu de l'altérité. Or l'altérité est-elle le lieu d'une essence, fût-elle l'essence de l'homme? Confondrait-on ici "altérité" et "identité", au nom de la différence entre "humanité" et "animalité"?
L'Autre, le déshumanisé ou le préhominien (à ce point de "pure Altérité" non assimilable à l'humain qu'il ne peut accéder au statut "d'alter-ego), dans un humanisme classique non-critique, on le sait, c'est tout aussi bien un Animal, notamment un singe, dans une tradition anthropologique évolutionniste, "darwinienne", de la représentation de l'homme qui va de sa version la plus pauvre, la moins civilisée, simiesque, nature sans culture, pure identité, à sa représentation la plus sophistiquée, achevée, proprement humaine, altérité digne de ce nom: un autre reconnu en tant qu'autre, cad en tant qu'homme, dans la dialectique hégélienne.
Nous n'évoquerons donc pas ici tous ces hommes qu'on a longtemps pris pour des grands singes, une Altérité qui n'est pas un alter-ego, cad des sous-hommes bloqués à un stade de l'évolution, et nécessitant un sérieux coup de pouce civilisationnel. Toujours est-il que si nous avons bien saisi la puissante métaphore qui prend à la gorge ici, l'angoisse de déshumanisation associée ici à une angoisse de perte d'altérité, est traduite par un devenir-singe de l'homme, une "involution" de l'homme vers un état de "nature", qu'on trouvera préférentiellement dans les banlieues pavillonnaires. Lieu, dans tous les clichés sociologiques, de l'inculture, de l'aliénation, de la pauvreté, de la "misère symbolique", une "zone de non droit", d'atomisation, de désintégration, qui menace le projet laïque universaliste, etc.

Un singe peut-il "représenter" le symbole, ou la métaphore (on ne sait si c'est l'un ou l'autre, mais en tout cas, c'est "quelque chose qui représente quelque chose " - à qui sait voir, sentir), de la perte d'une "humanité"? Etc etc, etc. Bisbilles, sophismes, masturbation conceptuelle, nous dira-t-on sans doute. Il faut ici sentir, éprouver, au delà des pauvres mots et des pauvres concepts, toute la richesse de ce qui travaille ici l'affect pur d'angoisse de perte de l'humain dans son essence...

Se nicherait donc là donc une des richesses proprement anxiogènes, proprement poignantes, du message contenu dans le fait de filmer des chimpanzés habitant, en lieu et place d'humains, une banlieue pavillonnaire? Ce film est-il donc riche à ce point-là, montrant là quelque chose d'une telle puissance et audace cinématographiques, balayant littéralement en une tornade émotionnelle qui nous submerge, les clichés les plus éculés d'une rédaction de lycéen en proie à un cauchemar visionnaire climatisé?
Qui sont ici les hommes menacés de ne plus en être, et qui sont ceux qui sont susceptibles de réenchanter cette humanité, dans ce film si juste, en sa pureté classique (qui ouvre tant de riches significations littérales que seuls les idiots, abrutis, aliénés, tombant hors des limites de l'Humain, ne savent pas les ressentir). Une œuvre forte, vibrante et sincère, qui nous parle, au fond, avec des images si justes, au delà des mots si pauvres, tout simplement de la magie du cinéma, de la vie elle-même, de l'humanité elle-même? Quoi que ce soit, quoi que ça puisse être, c'est bouleversant, et les mots sont ici impuissants pour exprimer ce que... ce qui...

Nous ne sommes encore qu'au début, et déjà nous sommes saisis de vertige.

Mais ce n'est encore rien à côté de ce que le scripteur va nous improviser brillamment, en funambule de la vaticination sémantique, pour sauver son nanar merveilleux des grasses poubelles de poncifs éthico-socio-politiques où il se vautre complaisamment - et littéralement, par son personnage de "monsieur Merde" - une autre métaphore aussi puissante que visionnaire...

A suivre, donc.

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Message par Baldanders Dim 8 Sep 2013 - 10:31

Tiens, qu'est-ce que je disais ?

Baldanders a écrit:reprends le fil "Lost" depuis le début, reprends le fil "performances d'acteurs", reprends tes archives "enculture", et si tu oses affronter un miroir, tu te rendras compte que si l'un de nous deux ne lâche jamais l'autre, c'est bien toi. Ton aliment, c'est le harcèlement.
Ici comme là-bas comme ailleurs et comme toujours, tu restes le même vilain petit roquet inoffensif qui mordille méchamment mes mollets. Tu n'as évidemment pas plus à dire sur le film de Carax que sur mes commentaires, mais tu nous le dis quand même, pour le plaisir narcissique de te relire et t'applaudir d'être si méchant. Pathétique ado qui cherche la consolation de ses misères d'égo dans le harcèlement continu et gratuit.

Je pourrais faire la liste des sophismes et des interprétations délirantes que tu alignes une fois de plus, et ce après avoir juré sur ton blog que tu quittais illico le forum (c'est bien la seule chose que tu saches faire correctement : annoncer de fausses bonnes nouvelles). Mais tu es trop ridicule et à côté de la plaque pour que je me fatigue plus que ça à éclairer une lanterne que tu tiens farouchement à garder éteinte - c'est ton droit, après tout.

Disons seulement et rapidement, car la vie tout comme l'intérêt que présente ton "examen" sont très courts, que j'admire moins ce film que tu ne t'admires toi-même, que je le trouve moins génial que je ne trouve que Balthazar et surtout toi en dites n'importe quoi, et que par conséquent je ne viens pas "sauver" mon film fétiche mais simplement rétablir quelques vérités sur ce qu'on a pu voir à l'écran quand passait ce film, Holy Motors.

Disons quand même aussi que parler d'un personnage digne et tenace ce n'est pas, majuscule ignare, parler de "Dignité" et de "Ténacité" mais tenter de décrire quelque chose qui n'est un "poncif" que dans tes yeux d'arrogant cynique ;

que la phrase "on peut contester sa façon de le faire, mais au moins il faut reconnaître qu’il le fait" n'a rien d'illogique ni d'absurde à partir du moment où il s'agit de contredire l'idée de Balthazar selon laquelle Holy Motors mettrait en scène une série d' "altruicides", alors qu'au premier niveau du film il y a tous ces changements d'identités, cette transformation en des Autres précisément, et que c'est la première chose à reconnaître avant de juger de la manière : l'acteur joue plein d'Autres, jouer consistant à se "mettre dans la peau" d'un personnage qui n'est pas soi - banalités de base qu'il faut être taré comme toi pour ne pas admettre sans râler ;

que ton antienne selon laquelle je viserais un "au delà des mots si pauvres" est exactement une contre-vérité : ce qui me frappe est au contraire la trop grande richesse des mots qui fait qu'on ne sait pas de quoi on parle quand on jette comme des évidences par exemple que Carax se prend pour un "génie" ou qu'il est un "vieux con" qui n'a rien compris à son "époque", et ça vaut bien sûr pour ta lourde, très lourde ironie qui ne nous apprend absolument rien sur le film mais en dit par contre terriblement long sur ton goût pour la facilité intellectuelle ;

quant au reste, bah comme d'hab des louches de sarcasmes avec au final, et contrairement à ce que tes formules de bateleur pourraient laisser croire, rien dans le pantalon.

Suffit pas de dire que la métaphore de Carax est bidon pour qu'elle le soit, pas plus qu'il ne suffit de parler d' "essence de l'humanité" pour croire m'avoir cité : nulle part je n'ai parlé d'essence de l'humanité, j'ai simplement décrit ce qu'on pouvait voir si l'on n'a pas trop de caca dans les yeux.

Il s'agit de (sa)voir qu'il y a désintégration possible dans la répétition. Le singe ne représente pas "l'état de nature" (aucun besoin de ces grands mots) mais tout bêtement la perspective d'un mimétisme généralisé, d'une reproduction commune des mêmes gestes et des mêmes rêveries dans une circularité sans fin. Le devenir-marionnette de l'homme est le seul vrai cauchemar, et - parce qu'il n'y a pas de mystère - c'est exactement la raison pour laquelle tu le rejettes si bruyamment : tu es en plein dedans.

Regarde-toi retomber jour après jour dans ton ornière, incapable de rompre ton monologue puant par l'écoute d'une parole dont tu accepterais qu'elle te surprenne et te sorte un peu de tes obsessions revanchardes.

Allez, shoot again.
Baldanders
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Message par balthazar claes Dim 8 Sep 2013 - 23:28

Baldanders a écrit:Séquence 4 : les premiers à utiliser l’actrice comme un pot de fleurs, ce sont les « artistes-photographes » qui font les magazines, c’est un fait réel à partir duquel Carax a imaginé la rencontre de deux extrêmes, la Belle et la Bête. Etant donné que dans ce film comme dans son court « Merde », la Bête est une Bête (et non un Afghan), il faut voir la réaction de cette Bête à la beauté de la Belle comme la réaction logique d’une Bête qui refuse d’être dominée mais ne peut pas s’empêcher de l’être par ses pulsions. C’est ce qui la pousse à cacher cette Beauté qui l’esclavagise. (L’ironie est qu’il fait marcher sa Belle voilée comme dans un défilé, petite pique à l’encontre de la mode qui pare les femmes et ne les découvre jamais.) On peut considérer ça comme une explication de l’invention de la burqa, et personnellement je ne trouve pas cette explication stupide. C’est une parabole, pas une dénonciation (par ailleurs, Carax est un des rares cinéastes à s’être publiquement déclaré opposé aux guerres menées par l’OTAN contre l’Afghanistan, etc.)

Le "fait réel" massif, à ma connaissance, c'est que dans notre pays il y a eu loi sur loi depuis 20 ans pour sanctionner le voile ; que c'est un sujet qui exacerbe une énorme tension. De ce que j'en sais, c'est plutôt la France raciste, fidèlement crispée sur les restes de son idéologie colonialiste, qui s'exprime dans cette haine et cette phobie du voile.

Carax arrive, et lui il trouve que c'est bien le moment de faire une scène où un être débile et monstrueux voile une femme.

Ça donne au mieux l'idée d'un artiste irresponsable, d'un bouffon qui met les pieds dans le plat pour déclencher une catharsis un peu crade. Mais ça peut aussi se lire comme une inspiration d'un rance décomplexé. J'ai l'impression que le rance décomplexé a plutôt le vent en poupe, ce qui expliquerait les éloges unanimes que ce genre de "fulgurance poétique" a récoltés.

Je reviens sur ces mots de Carax, qui qualifie son personnage de figure de "l'immigré raciste". C'est une expression affreuse : le raciste c'est toujours l'exploiteur, le colonisateur. Le colonisé, lui, a le choix entre intégrer la haine de soi que lui propose le discours du colon, et passer à une colère légitime, et qui n'a rien de raciste, envers son oppresseur.  


Du reste Borges me faisait remarquer que ce n'est pas tant la Belle et la Bête, mais Quasimodo et Esméralda, ce couple.

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Message par Baldanders Lun 9 Sep 2013 - 0:11

C'est plus compliqué que ça. La citation entière donne ça :

Carax a écrit:Monsieur Merde, c'est mon immonde. C'est la grande régression post 11 septembre (des terroristes qui croient à des histoires de vierges au paradis, des gouvernants qui jubilent de pouvoir enfin profiter de leurs pleins pouvoirs, tels des enfants tout-puissants. Et des peuples sidérés, comme des orphelins seuls dans le noir). Monsieur Merde, c'est la peur, la phobie. L'enfance aussi. Monsieur Merde, c'est le comble de l'étranger : l'immigré raciste.
Maintenant, voyons la scène en question : Merde y kidnappe une femme-objet dont il fait son objet. On ne peut pas dire qu'il esclavagise une femme libre. Le parallèle est d'autant plus insistant que Merde la fait défiler devant lui, comme le fait la mode, c'est-à-dire le monde culturel de l'élite occidentale. Carax, dans cette séquence, fait exactement ce qu'il fait dans la citation : il renvoie dos à dos les terroristes et les pouvoirs.

Dans une autre scène sinon, on tue un banquier devant le Fouquet's : l'UMP doit trouver ça rance, non ?

Quant à Merde, il est paniqué par son désir irrépressible. Et on peut légitimement penser que le désir de voiler entièrement les femmes a quelque chose à voir avec la peur, non ? Il faut savoir décrocher de l'actualité. On peut tout à fait combattre le harcèlement des femmes voilées stigmatisées par les gouvernements, et considérer dans le même temps que l'homme qui impose le voile à sa femme a tout bêtement peur de ce qui échappe à son contrôle.

Ce qui est curieux, c'est que le côté "xénophobe" de cette séquence n'ait frappé personne d'autre que toi. Parce que la critique de cinéma - la seule à avoir fait cet éloge unanime du film dont tu parles - fait partie du camp du "rance décomplexé", vraiment ? Je crois plutôt que personne n'y a vu une volonté de salir l'image des musulmans parce que là n'est pas la question.

Quant à "l'immigré raciste", c'est en effet une représentation cauchemardesque plus qu'une réalité, mais Merde n'a rien d'un personnage réaliste que je sache.
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Message par balthazar claes Lun 9 Sep 2013 - 1:00

Bah, "il faut savoir décrocher de l'actualité", lol, c'est toi qui ramenais les problèmes des banlieues à propos de Lost, où elles n'avaient pourtant pas grand chose à faire. Là il y a une scène avec un contenu massif, littéral pour le coup, qui tombe dans un contexte qui ne relève pas de l'actualité à la petite semaine, mais des tendances cruciales d'une époque dont le gus se pose en observateur génial...

Et renvoyer dos à dos la question du voile et la mode, c'est tout mélanger. Et c'est pire, d'ailleurs, que la femme soit un top-model ; ça met au carré la distinction entre les arriérés et les élevés. Mais il aurait préféré avoir Kate Moss ; paraît qu'il était bien déçu. Quant à l'ensemble de la citation, je trouve qu'elle aggrave le cas de Carax... Quel besoin a-t-il de nous offrir son "immonde", et à plusieurs reprises encore ? Et le radotage sur la "grande régression post 11 septembre", c'est bien ça qu'on lui reproche, d'être un réac complet. Au moins, cette fois il ne parle pas de Céline...

Évidemment que seule la critique de cinéma a parlé de ce film. Holy-Motors-de-Leos-Carax, le film ne peut pas se voir ou se penser autrement. Holy-Motors tout court, c'est des chutes de castings de Denis Lavant, à peu près. Sinon c'est des affaires d'Auteur, et on sait bien que le grand public ne s'intéresse pas plus que ça à ce genre de film. Il suffit d'imaginer un spectateur voyant le film et ignorant tout de son auteur : quel intérêt va-t-il pouvoir trouver à cette fameuse première scène du Bouleversant Retour au Cinéma de Leos Carax ? S'il comprend que c'est l'auteur qui se met en scène, il va le trouver prétentieux et antipathique. Mais il peut aussi bien, s'il n'est pas trop au fait des habitus du cinéma d'auteur, ne pas même deviner qu'il s'agit du réalisateur. Auquel cas, la scène n'a à peu près aucun sens, un prélude décousu, et le film entier s'en remet difficilement.


Quand on y songe, c'est très simple. L'acteur est le double fétiche de l'auteur, okay. Mais : l'acteur qui est le double fétiche de l'auteur joue tous les rôles du film. Là ça fait beaucoup. Ça fait quand même, je m'intéresse pas tellement aux gens. Ça fait beaucoup de doubles tout ça, beaucoup de fétichisme. Et les doubles, le fétichisme, on trouve ça dans la structure du pervers.

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Message par Baldanders Lun 9 Sep 2013 - 7:01

balthazar claes a écrit:Bah, "il faut savoir décrocher de l'actualité", lol, c'est toi qui ramenais les problèmes des banlieues à propos de Lost, où elles n'avaient pourtant pas grand chose à faire. Là il y a une scène avec un contenu massif, littéral pour le coup, qui tombe dans un contexte qui ne relève pas de l'actualité à la petite semaine, mais des tendances cruciales d'une époque dont le gus se pose en observateur génial...
La "tendance cruciale" à écarter le corps des femmes du champ de vision des hommes ne date pas d'hier. Je ne vois pas le rapport, sinon, entre "l'actualité" médiatico-politique et un petit commentaire sociologique fait en passant sur la consommation de séries - et je n'ai pas parlé des "problèmes des banlieues" mais de rapports de classes.

balthazar claes a écrit:Et renvoyer dos à dos la question du voile et la mode, c'est tout mélanger. Et c'est pire, d'ailleurs, que la femme soit un top-model ; ça met au carré la distinction entre les arriérés et les élevés. Mais il aurait préféré avoir Kate Moss ; paraît qu'il était bien déçu. Quant à l'ensemble de la citation, je trouve qu'elle aggrave le cas de Carax... Quel besoin a-t-il de nous offrir son "immonde", et à plusieurs reprises encore ? Et le radotage sur la "grande régression post 11 septembre", c'est bien ça qu'on lui reproche, d'être un réac complet. Au moins, cette fois il ne parle pas de Céline...
Sors un peu la tête des concepts intimidants et des hiérarchies promues (le haut, le bas, bla-bla) et vois ce que Carax te montre : que le milieu de la mode est caricatural, bruyant, hystérique, inconséquent, creux, factice, vulgaire, tout sauf "élevé". Et "renvoyer dos à dos la question du voile et la mode" n'est pas "tout mélanger", c'est comparer et lier deux manières de faire un sort public au corps féminin.

balthazar claes a écrit:Évidemment que seule la critique de cinéma a parlé de ce film. Holy-Motors-de-Leos-Carax, le film ne peut pas se voir ou se penser autrement. Holy-Motors tout court, c'est des chutes de castings de Denis Lavant, à peu près. Sinon c'est des affaires d'Auteur, et on sait bien que le grand public ne s'intéresse pas plus que ça à ce genre de film. Il suffit d'imaginer un spectateur voyant le film et ignorant tout de son auteur : quel intérêt va-t-il pouvoir trouver à cette fameuse première scène du Bouleversant Retour au Cinéma de Leos Carax ? S'il comprend que c'est l'auteur qui se met en scène, il va le trouver prétentieux et antipathique. Mais il peut aussi bien, s'il n'est pas trop au fait des habitus du cinéma d'auteur, ne pas même deviner qu'il s'agit du réalisateur. Auquel cas, la scène n'a à peu près aucun sens, un prélude décousu, et le film entier s'en remet difficilement.
J'ai aimé le film mais pas du tout pour ce que tu appelles le "Bouleversant Retour au Cinéma de Leos Carax". Là encore, oublier un peu les clichés que les journaux ressassent te ferait du bien. Quant à présumer de ce que le "grand public" ou "un spectateur" penserait devant ce film, laisse donc ce genre de réflexion aux faux artistes et aux politiciens avec leurs sondages à la con.
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Message par balthazar claes Lun 9 Sep 2013 - 16:31

La tendance cruciale dont je te parle, c'est pas du tout la tendance qu'auraient certains hommes à écarter les femmes de leur champ de vision : ça c'est toi et Carax qui en parlez, moi ce n'est pas mon souci. Les polémiques autour du voile sont d'abord une affaire de racisme avant d'être une affaire de costume. Il y a un contexte raciste anti-Arabes qui se traduit par une chasse au voile, une invention du problème du voile.

ça me rappelle cet article de Delphy  http://delphysyllepse.wordpress.com/2013/05/20/race-caste-et-genre-en-france1/

Carax montre un être monstrueux et débile, "immonde", qui voile une femme, point. Qu'il dise en parallèle que la mode c'est superficiel et vulgaire ou creux ou quoi ou qu'est-ce, ça n'a pas la même portée, ce n'est pas au même niveau - ou bien, alors, au niveau d'une comparaison des civilisations complètement débile, où on suppose plus que jamais délimitée une frontière entre l'occident et ses autres. Comme quand il juxtapose dans son interview, encore une expression bien révélatrice de sa vision du monde, "des terroristes qui croient à des histoires de vierges au paradis, des gouvernants qui jubilent de pouvoir enfin profiter de leurs pleins pouvoirs".


Dernière édition par balthazar claes le Lun 9 Sep 2013 - 16:44, édité 1 fois

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Message par Invité Lun 9 Sep 2013 - 16:44

Je pense que la scène du voile est plus creuse que politiquement pensée contre quoi que ce soit. Dans cette scène Carax cherche juste des signes pour dater l'époque où il se tient comme si lui et son public étaient sans rapport direct avec elle, et le voile tout comme la sorte d'esthétique laïque qu'il lui oppose implicitement ne valent que comme signes (mais il est vrai qu'il évacue intentionnellement la tension politique pour en faire le signe qu'il met justement au centre de son récit). Le personnage de Mr Merde est aussi un signifiant culturel très franco-français (la possibilité d'un snobisme qui s'assume comme anti-puritain et  se substitue à un réel positionnement social devient un trait culturel).
C'est l'équivalent de l'esthétique des photos des pubs Benetton.
Pas d'accord avec tout ce que tu dis, même si c'est vrai que le film se positionne lui-même théoriquement par rapport à la possibilité de transformer la crise en spectacle

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Message par balthazar claes Lun 9 Sep 2013 - 16:48

Tony le Mort a écrit:  (la possibilité d'un snobisme qui s'assume comme anti-puritain et  se substitue à un réel positionnement social devient un trait culturel).
C'est l'équivalent de l'esthétique des photos des pubs Benetton.
et moi je suis bien d'accord avec ce passage.

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Message par Baldanders Lun 9 Sep 2013 - 18:26

C'est vrai que l'allégorie est simpliste, mais je ne la trouve ni fausse ni rance. Carax n'oppose pas deux "civilisations" mais deux mondes singuliers, à la fois incompatibles et comparables.

Le parallèle avec Benetton est à moitié injuste : si l'idée de cette séquence ne vole pas plus haut que la confrontation/union des contraires de la pub, la figure de Merde, sa marche de boulet de canon, sa rêverie curieuse devant la mannequin, la violence avec laquelle il bazarde l'attroupement, puis ses gémissements, son érection sensiblement douloureuse etc. existent drôlement plus que tout ce qu'on peut voir dans la publicité.

Concernant cette histoire de voile, y voir une pierre de plus apportée au "racisme anti-Arabes" ambiant, c'est réduire cette séquence à une annonce publicitaire. Or, elle agite autre chose qu'un slogan. C'est à la fois plus mystérieux car moins univoque, et moins manipulateur. Mais évidemment ça reste une allégorie miniature : peut-on imaginer forme plus étroite ?
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