Holy Motors
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Holy Motors
Petit soliloque impressionniste à propos d'Holy Motors
"Le livre de la vie limpide et grimaçant"
Profession : génie. Carax fait dans le genre "vous n'avez jamais vu ça". Personne n'est aussi libre que moi. Allez vous faire foutre, c'est moi Abel Gance et Napoléon aussi. Je suis fou, oui, je suis l'artiste, c'est moi le roi. La plupart des critiques professionnels ont été littéralement aplatis par le film. Ils ne peuvent pas en parler ; acculés à s'extasier pour ne pas perdre la face. Le film ne ressemble à rien, ne cesse d'insulter les conventions esthétiques et narratives les mieux admises, délire sans se gêner sur tout et n'importe quoi, et pourtant fait film. Il fait un tout. Sa forme outrée, hérissée d'outrances le rend inattaquable. C'est tout le temps qu'il va trop loin, il aligne faute de goût sur faute de goût, il le sait très bien, tout le monde le voit et le bon goût devient dans son ombre une chose mesquine et méprisable. C'est libérateur, de la vraie bonne catharsis. Obsessions : le sexe, le meurtre, les monstres, la misère, la mort. Ça agresse et ça dézingue, ça fait un grand courant d'air. Le Saint Vomi de Carax purifie l'atmosphère.
Le film n'aurait pas pu se faire sans l'ex-première Dame apprend-on. On aura donc là le film signant l'époque du grand cinéphile NS. Un looseur, à la française. Moi l'auteur, je suis plus que politique. Cantat est là aussi dans un coin. Parlez-moi de multiplicités, d'interrègnes, de noces aparallèles. I was here before. L'identité nationale c'est moi et mes métamorphoses. Les roumaines qui font la manche ça me fait pas peur, ça me fait marrer, je les imite si je veux. Les ploucs de banlieue pavillonnaire, moi je les compare à des singes - et vous voudriez m'empêcher de tourner ? La burqua parlons-en, moi je dis Merde à la burqua - mais en même temps j'embrasse tout ça, je prends tout ça sous mon aile. Je suis la grande machine à laver de mon époque pourrie, je fais du beau avec du laid, puis du laid avec ce beau, rien ne m'arrête. Je suis Godard pas encore au musée, je travaille la pâte du réel à mains nues et les yeux grands ouverts.
Car moi je travaille le lieu commun. "Il suffit de concevoir que les vrais lieux communs sont des paroles déchirées par l'éclair et que les rigueurs des lois fondent le monde absolu de l'expression hors duquel le hasard n'est que sommeil". Ouais. Mauvais goût et lieu commun deviennent les piliers d'une esthétique. Le mauvais goût permet de dégager les contours de l'authentique lieu commun, il fonctionne comme une boussole à l'envers. Défiguration systématique, poétique de la défiguration. Carax sature le maniérisme au point de l'excéder.
Chaque scène se veut morceau de bravoure et blasphème, aucune qui ne vise le record d'audace et de convulsion. Carax se jette sur tous les sujets brûlants. Pas qu'il ait grand chose à nous en dire, de ces sujet brûlants. Il vient plutôt se placer là où ça se passe. L'impudeur guide le travail de Carax. La fameuse scène avec Eva Mendes ne frôle pas le ridicule mais le percute de plein fouet. Bravade, effondrement. Deleuze parle du mur du signifiant, qu'il ne sert à rien d'essayer de briser, on s'y casserait les dents, il est notre irrémédiable limite. Ce qu'on peut seulement tenter, c'est limer ce mur patiemment. Carax dédaigne cette prudence, il emploie une autre méthode : celle de l'acrobate. Denis Lavant se précipite sur le mur, prend appui sur lui et fait une pirouette dans les airs à la matrix avant de retomber indemne. Les acrobates savent rebondir sans se blesser. La course de Lavant, trademark caraxien, se conclut en séries de défaites et d'interruptions. Galoper pour arpenter à toutes vitesse une multitude de voies de garage. Si on laisse un flipper entre les mains d'un joueur un peu sérieux, la bille finira par explorer de manière exhaustive son territoire potentiel. Carax joue au flipper et Lavant va se cogner de partout.
Du grand n'importe quoi. Mais toujours le trait est si net, si limpide. Et ce n'importe quoi n'est pas recherché en lui-même, car c'est la fuite qui importe. Il s'agit tout d'abord de surprendre le public, de hérisser son attente blasée. C'est une éthique du spectacle qui s'oppose à la consommation des images, au rassurant prémâché des rengaines scénaristiques. Ces procédés qui prennent la main du spectateur et, le contraignant à penser à la place du film, lui proposent une petite visite guidée d'une thématique quelconque. Ce sont des films qui évoquent des problèmes, là où Holy Motors est le problème.
Parce qu'il ne va nulle part, le film se tient près de nous. Tous les autres films s'occupent d'eux-mêmes et de leurs petits effets, sont tournés sur eux-mêmes. Celui-là non. Au travers des postiches et des fausses cicatrices, on est de plain-pied avec le film. Le film est de plain-pied avec nos vies. Très au présent, ici. Aucune distance entre lui et nous, hormis celle, cent fois changée du masque de latex de l'acteur - : du medium. Il n'y a plus de pellicule entre nous et les films, s'afflige Carax, mais il faut faire avec cette absence. Ronde des masques. Des éclats de fiction, des ruines de récits flottent épars. Syndrome de Shéhérazade. A chaque fois in extremis éviter la désintégration. On n'y croit pas et pourtant si : en une demi-seconde, en une seule image, disons deux, on peut se trouver plongés dans une nouvelle fiction quelconque, et même au point d'incandescence de cette fiction. Ça fait partie des propriétés de l'espèce, on a tous une Margot éplorée embarquée à bord. Elle peut très bien s'accommoder de l'épopée du discontinu.
"C'était toujours des changements brusques, tout était à refaire, et ça n'en valait pas la peine, ça n'allait durer que quelques instants et pourtant il fallait bien s'adapter, et toujours ces changements brusques. Ce n'est pas un si grand mal de passer de rhomboèdre à pyramide tronquée, mais c'est un grand mal de passer de pyramide tronquée à baleine; il faut tout de suite savoir plonger, respirer et puis l'eau est froide et puis se retrouver face à face avec les harponneurs, mais moi, dès que je voyais l'homme, je m'enfuyais. Mais il arrivait que subitement je fusse changé en harponneur, alors j'avais un chemin d'autant plus grand à parcourir. J'arrivais enfin à rattraper la baleine, je lançais vivement un harpon par l'avant, bien aiguisé et solide (après avoir bien fait amarrer et vérifier le câble), le harpon partait, entrait profondément dans la chair, faisant une blessure énorme. Je m'apercevais alors que j'étais la baleine, je l'étais redevenue, c'était une nouvelle occasion de souffrir, et moi je ne peux me faire à la souffrance."
Le film n'essaie jamais de faire croire, il découd ses propres effets, c'est l'émotion sans la croyance. On est de plain-pied avec un film au présent car hors-fiction, hors-croyance, un film qui dé-représente. Ce que perd la représentation est récupéré du côté de la présence. Faut-il disparaître dix ans pour que la simple non-absence devienne une sorte de prodige ? Retour du fils prodigue. Show business christique.
"Le livre de la vie limpide et grimaçant"
Profession : génie. Carax fait dans le genre "vous n'avez jamais vu ça". Personne n'est aussi libre que moi. Allez vous faire foutre, c'est moi Abel Gance et Napoléon aussi. Je suis fou, oui, je suis l'artiste, c'est moi le roi. La plupart des critiques professionnels ont été littéralement aplatis par le film. Ils ne peuvent pas en parler ; acculés à s'extasier pour ne pas perdre la face. Le film ne ressemble à rien, ne cesse d'insulter les conventions esthétiques et narratives les mieux admises, délire sans se gêner sur tout et n'importe quoi, et pourtant fait film. Il fait un tout. Sa forme outrée, hérissée d'outrances le rend inattaquable. C'est tout le temps qu'il va trop loin, il aligne faute de goût sur faute de goût, il le sait très bien, tout le monde le voit et le bon goût devient dans son ombre une chose mesquine et méprisable. C'est libérateur, de la vraie bonne catharsis. Obsessions : le sexe, le meurtre, les monstres, la misère, la mort. Ça agresse et ça dézingue, ça fait un grand courant d'air. Le Saint Vomi de Carax purifie l'atmosphère.
Le film n'aurait pas pu se faire sans l'ex-première Dame apprend-on. On aura donc là le film signant l'époque du grand cinéphile NS. Un looseur, à la française. Moi l'auteur, je suis plus que politique. Cantat est là aussi dans un coin. Parlez-moi de multiplicités, d'interrègnes, de noces aparallèles. I was here before. L'identité nationale c'est moi et mes métamorphoses. Les roumaines qui font la manche ça me fait pas peur, ça me fait marrer, je les imite si je veux. Les ploucs de banlieue pavillonnaire, moi je les compare à des singes - et vous voudriez m'empêcher de tourner ? La burqua parlons-en, moi je dis Merde à la burqua - mais en même temps j'embrasse tout ça, je prends tout ça sous mon aile. Je suis la grande machine à laver de mon époque pourrie, je fais du beau avec du laid, puis du laid avec ce beau, rien ne m'arrête. Je suis Godard pas encore au musée, je travaille la pâte du réel à mains nues et les yeux grands ouverts.
Car moi je travaille le lieu commun. "Il suffit de concevoir que les vrais lieux communs sont des paroles déchirées par l'éclair et que les rigueurs des lois fondent le monde absolu de l'expression hors duquel le hasard n'est que sommeil". Ouais. Mauvais goût et lieu commun deviennent les piliers d'une esthétique. Le mauvais goût permet de dégager les contours de l'authentique lieu commun, il fonctionne comme une boussole à l'envers. Défiguration systématique, poétique de la défiguration. Carax sature le maniérisme au point de l'excéder.
Chaque scène se veut morceau de bravoure et blasphème, aucune qui ne vise le record d'audace et de convulsion. Carax se jette sur tous les sujets brûlants. Pas qu'il ait grand chose à nous en dire, de ces sujet brûlants. Il vient plutôt se placer là où ça se passe. L'impudeur guide le travail de Carax. La fameuse scène avec Eva Mendes ne frôle pas le ridicule mais le percute de plein fouet. Bravade, effondrement. Deleuze parle du mur du signifiant, qu'il ne sert à rien d'essayer de briser, on s'y casserait les dents, il est notre irrémédiable limite. Ce qu'on peut seulement tenter, c'est limer ce mur patiemment. Carax dédaigne cette prudence, il emploie une autre méthode : celle de l'acrobate. Denis Lavant se précipite sur le mur, prend appui sur lui et fait une pirouette dans les airs à la matrix avant de retomber indemne. Les acrobates savent rebondir sans se blesser. La course de Lavant, trademark caraxien, se conclut en séries de défaites et d'interruptions. Galoper pour arpenter à toutes vitesse une multitude de voies de garage. Si on laisse un flipper entre les mains d'un joueur un peu sérieux, la bille finira par explorer de manière exhaustive son territoire potentiel. Carax joue au flipper et Lavant va se cogner de partout.
Du grand n'importe quoi. Mais toujours le trait est si net, si limpide. Et ce n'importe quoi n'est pas recherché en lui-même, car c'est la fuite qui importe. Il s'agit tout d'abord de surprendre le public, de hérisser son attente blasée. C'est une éthique du spectacle qui s'oppose à la consommation des images, au rassurant prémâché des rengaines scénaristiques. Ces procédés qui prennent la main du spectateur et, le contraignant à penser à la place du film, lui proposent une petite visite guidée d'une thématique quelconque. Ce sont des films qui évoquent des problèmes, là où Holy Motors est le problème.
Parce qu'il ne va nulle part, le film se tient près de nous. Tous les autres films s'occupent d'eux-mêmes et de leurs petits effets, sont tournés sur eux-mêmes. Celui-là non. Au travers des postiches et des fausses cicatrices, on est de plain-pied avec le film. Le film est de plain-pied avec nos vies. Très au présent, ici. Aucune distance entre lui et nous, hormis celle, cent fois changée du masque de latex de l'acteur - : du medium. Il n'y a plus de pellicule entre nous et les films, s'afflige Carax, mais il faut faire avec cette absence. Ronde des masques. Des éclats de fiction, des ruines de récits flottent épars. Syndrome de Shéhérazade. A chaque fois in extremis éviter la désintégration. On n'y croit pas et pourtant si : en une demi-seconde, en une seule image, disons deux, on peut se trouver plongés dans une nouvelle fiction quelconque, et même au point d'incandescence de cette fiction. Ça fait partie des propriétés de l'espèce, on a tous une Margot éplorée embarquée à bord. Elle peut très bien s'accommoder de l'épopée du discontinu.
"C'était toujours des changements brusques, tout était à refaire, et ça n'en valait pas la peine, ça n'allait durer que quelques instants et pourtant il fallait bien s'adapter, et toujours ces changements brusques. Ce n'est pas un si grand mal de passer de rhomboèdre à pyramide tronquée, mais c'est un grand mal de passer de pyramide tronquée à baleine; il faut tout de suite savoir plonger, respirer et puis l'eau est froide et puis se retrouver face à face avec les harponneurs, mais moi, dès que je voyais l'homme, je m'enfuyais. Mais il arrivait que subitement je fusse changé en harponneur, alors j'avais un chemin d'autant plus grand à parcourir. J'arrivais enfin à rattraper la baleine, je lançais vivement un harpon par l'avant, bien aiguisé et solide (après avoir bien fait amarrer et vérifier le câble), le harpon partait, entrait profondément dans la chair, faisant une blessure énorme. Je m'apercevais alors que j'étais la baleine, je l'étais redevenue, c'était une nouvelle occasion de souffrir, et moi je ne peux me faire à la souffrance."
Le film n'essaie jamais de faire croire, il découd ses propres effets, c'est l'émotion sans la croyance. On est de plain-pied avec un film au présent car hors-fiction, hors-croyance, un film qui dé-représente. Ce que perd la représentation est récupéré du côté de la présence. Faut-il disparaître dix ans pour que la simple non-absence devienne une sorte de prodige ? Retour du fils prodigue. Show business christique.
balthazar claes- Messages : 1009
Re: Holy Motors
salut bc.
merci.
ai vu le film. hésite toujours à savoir si j'en suis tout à fait indifférent, si je déteste, ou si encore autre chose. peut-être les trois.
ça me parait quand même être un film sur le cinéma, la croyance au cinéma, la représentation du cinéma, la fiction du cinéma. le cinéma comme signifiant, en définitive.
merci.
ai vu le film. hésite toujours à savoir si j'en suis tout à fait indifférent, si je déteste, ou si encore autre chose. peut-être les trois.
ça me parait quand même être un film sur le cinéma, la croyance au cinéma, la représentation du cinéma, la fiction du cinéma. le cinéma comme signifiant, en définitive.
Invité- Invité
Re: Holy Motors
Borges a écrit: super texte.
Merci Borges, ne reste plus qu'à l'écrire alors
C'est bizarre ; beaucoup de choses morbides dans ce film. Tout de même, cette idée de plain-pied et de présence que j'essayais d'évoquer : j'ai eu l'impression que les spectateurs en sortant de la salle n'avaient pas cet air un peu hagard de sortir d'un rêve, comme c'est le cas généralement. Ils étaient frais et alertes, tout animés d'avoir vu le film.
Holy Motors aurait ce statut particulier d'être un film diurne, un film où n'aurait pas vraiment lieu la trouble passe habituelle, tout le trafic inconscient de l'identification et du songe. Un film qui ne demanderait pas qu'on le rêve ou qu'on le mange ; un objet incongru, un aérolithe, non pas révélant ou dévoilant la présence, mais se déroulant au présent. Qui ne serait pas soumis à son récit, mais dont le déroulement dans le temps produirait un récit d'une autre manière. Au lieu du « il était une fois » des autres films, un « il est une fois ».
Le mauvais goût délibéré, la grossièreté, serait ce qui contribue à ruiner la passe, à repousser l'identification. Ce serait par exemple la raison d'exister de monsieur Merde, inassimilable rebut. Le refus de l'accumulation narrative, le changement à vue, l'instabilité du registre, la défiguration, la pornographie : moyens de produire une distanciation qui fait que le film se regarde les yeux grand ouverts.
balthazar claes- Messages : 1009
Re: Holy Motors
salut BC, vu le film aussi et ton texte résonne assez bien à ce que j'ai ressenti devant.
l'image du flipper me plait beaucoup, je crois que tu touches quelque chose de bien précis. Sauf que là où un flipper c'est du hasard, à chaque lancer une trajectoire hasardeuse, chaque rendez-vous dans holy motors arrive, est annoncé, se profile. Ce qui m'a le plus fatigué dnas le film en fait c'est que je l'ai trouvé très mécanique. Il y a une sorte d'aspect grands pas *poum* un pas *poum* le deuxième, sans que cette énumération ne soit jamais remise en cause.
Une autre chose aussi que l'on retrouve, paradoxe ? - chez Spielberg le gout de l'autoreference, à relier à ce que tu dis peut être sur le génie ?
l'image du flipper me plait beaucoup, je crois que tu touches quelque chose de bien précis. Sauf que là où un flipper c'est du hasard, à chaque lancer une trajectoire hasardeuse, chaque rendez-vous dans holy motors arrive, est annoncé, se profile. Ce qui m'a le plus fatigué dnas le film en fait c'est que je l'ai trouvé très mécanique. Il y a une sorte d'aspect grands pas *poum* un pas *poum* le deuxième, sans que cette énumération ne soit jamais remise en cause.
Une autre chose aussi que l'on retrouve, paradoxe ? - chez Spielberg le gout de l'autoreference, à relier à ce que tu dis peut être sur le génie ?
DB- Messages : 1528
Re: Holy Motors
Si on accepte que la limousine de Carax = la croisière de Godard :
"The searchers est aussi mauvais que Clementine est excellent"
Monte Hellman, 1990
"Holy Motors est aussi mauvais que Socialisme est excellent"
moi, 2012
"The searchers est aussi mauvais que Clementine est excellent"
Monte Hellman, 1990
"Holy Motors est aussi mauvais que Socialisme est excellent"
moi, 2012
sokol- Messages : 12
Re: Holy Motors
DB a écrit:l'image du flipper me plait beaucoup, je crois que tu touches quelque chose de bien précis. Sauf que là où un flipper c'est du hasard, à chaque lancer une trajectoire hasardeuse, chaque rendez-vous dans holy motors arrive, est annoncé, se profile.
salut DB,
tu ne crois pas si bien dire. Je ne me rappelais pas du tout l'avoir lu au moment de l'écrire, mais Carax a déclaré avoir été un autre Tommy dans sa jeunesse (et j'avais bel et bien lu ça, il y a un an ou deux) :
Pour des adolescents comme nous, le rock était une espèce de mode d’emploi de la vie. En était-il ainsi pour vous avec le cinéma ?
Ça remplaçait pour moi le flipper. J’avais un rapport dingue avec le flipper, un rapport de malade, de drogue, je passais mes journées seul devant. C’était un certain flipper, dans un certain café. Le flipper était disposé de façon à ce que je puisse voir une fille qui s’appelait Florence, que je ne connaissais pas mais qui était au lycée avec moi. Je me suis dit que la caméra serait comme un flipper extrêmement plus puissant, puisque je pouvais convoquer la jeune fille, toujours avec une machine entre nous, et partager une liberté avec elle. Mais non, le cinéma n’a jamais été une chose sociale.
Sinon c'est tout de même curieux, moi je voulais écrire que j'étais pour le film, et finalement mon texte a l'air de dire le contraire. Du coup je suis plutôt convaincu par lui mais je me demande qui a écrit ça. lol
balthazar claes- Messages : 1009
Re: Holy Motors
ta conviction est évidente.bc a écrit:Sinon c'est tout de même curieux, moi je voulais écrire que j'étais pour le film, et finalement mon texte a l'air de dire le contraire.
c'est sûr que la construction du film est très délibérée et mécanique, avec les séquences qui se répondent l'une l'autre en "rimes" croisées ou embrassées : un entrepreneur pour une mendiante, un hightech lover pour un érotomane dégénéré, une longue agonie pour un suicide en ellipse...DB a écrit:Ce qui m'a le plus fatigué dnas le film en fait c'est que je l'ai trouvé très mécanique. Il y a une sorte d'aspect grands pas *poum* un pas *poum* le deuxième, sans que cette énumération ne soit jamais remise en cause.
Invité- Invité
Re: Holy Motors
et :
si on trouve que "merde" est un film magnifique, on ne peut que dire que "holy motors" n'est pas un bon film, n'est ce pas ??
si on trouve que "merde" est un film magnifique, on ne peut que dire que "holy motors" n'est pas un bon film, n'est ce pas ??
sokol- Messages : 12
Re: Holy Motors
Dans Boy meets girl, dans un café, le flipper est cassé, on l'ouvre comme un capot de voiture et la caméra vient zoomer lentement dans les entrailles clignotantes du flipper. La scène est très belle, le genre hypnotisante, mais je ne la trouve pas sur internet...
Re: Holy Motors
Oui, oui, BC je ne faisais que rebondir sur quelque chose qui, visiblement, travaille Carax. Je ne sais pas trop quoi faire du film, je sais ce que j'en pense, ce que tu en penses mais je ne sais pas quoi en faire.
Je suis resté étranger à de longs passages du film (l'agonie par exemple) mais passionné par d'autres, le tout début, le motion capture, le débridage...
SP, ce compte-à-rebours voulu m'a paru pesant, je trouve que le film devient intéressant quand il brise cette mécanique : au fouquet's ou bien la dernière scène avec les voitures, l'espèce de publicité pour grosses cylindrées. Mais ce ne sont que deux brèves escapades.
Je suis resté étranger à de longs passages du film (l'agonie par exemple) mais passionné par d'autres, le tout début, le motion capture, le débridage...
SP, ce compte-à-rebours voulu m'a paru pesant, je trouve que le film devient intéressant quand il brise cette mécanique : au fouquet's ou bien la dernière scène avec les voitures, l'espèce de publicité pour grosses cylindrées. Mais ce ne sont que deux brèves escapades.
DB- Messages : 1528
Re: Holy Motors
Lorsqu’il y succombe, l’individu fait de l’attitude kitsch un usage réflexif ; un reflet dans lequel il façonne la vision et le sentiment de son être. Il travaille à son autoportrait, autant dire à la représentation – aux deux sens de ce terme – en laquelle s’épuisera sa propre (mé)connaissance de soi. « Aux deux sens du terme » représentation : cela signifie que l’homme-kitsch trouve dans ce miroir l’image qui lui permet d’être présent à ses propres yeux ; il se regarde, se contemple et, se contemplant, il se joue à lui-même la pièce de sa vie, dans laquelle il s’assigne le plus gratifiant des rôles possibles. L’attitude kitsch est une représentation théâtrale que l’individu interprète pour lui-même, un mensonge à soi – « mensonge embellissant », précise Kundera.
L’homme-kitsch est-il sincère dans son mensonge ? Tout porte à croire que pour fonctionner, cette auto-illusion doit, à ses yeux, passer inaperçue et être tenue pour le réel. Jamais un indice dans la narration kundérienne ne vient suggérer que ses protagonistes seraient en proie à quelque mauvaise foi sartrienne. Les personnages de Kundera « collent » sans reste à l’apparence dont les revêt leur égocentrisme exacerbé. Comme Narcisse fut subjugué par sa beauté, l’homme-kitsch l’est par l’idéal qu’il est persuadé d’incarner. Cet idéal a partie liée avec le sentimentalisme : face à sa propre bonté, à sa noblesse d’âme, l’homme-kitsch est saisi d’émotion, parfois jusqu’aux larmes – des larmes qui se nourrissent en retour, car de s’observer à tel point ému, il achève de s’étonner lui-même et s’extasie tout circulairement de cette capacité à s’émouvoir. Nul n’illustre mieux que les Romantiques du XIXe siècle – ces « pleurards à nacelles », selon l’expression de Musset – l’exaltation que procure les outrances du sentiment. Victor Hugo ne l’entendait sans doute pas de cette oreille, mais sa définition de la mélancolie : « le bonheur d’être triste », s’accorde parfaitement à ces symptômes de l’homme-kitsch. Ce n’est pas de sa tristesse en elle-même que le romantique tire satisfaction, ce qui ferait de cet énoncé un paradoxe séduisant du point de vue poétique mais dénué de signification, ou bien un aveu masochiste qui ne coïnciderait nullement avec l’optimisme indéracinable du « grand homme ». Non, c’est de son aptitude à la tristesse que s’émerveille le poète. La vie de l’homme-kitsch oscille, comme un pendule, de la tristesse au bonheur et du bonheur à la tristesse – pour paraphraser Schopenhauer, l’un des premiers contempteurs du romantisme –, ou plutôt les fait cohabiter, tous deux s’alimentant l’un l’autre.
L’invention du terme « kitsch », Kundera le rappelle, date bien de ce XIXe siècle romantique qui a brillé dans toute l’Europe d’alors. Mais ne cédons pas à notre tour à quelque illusion : le vieux romantisme n’est pas mort. Les personnages de Kundera, dans lesquels nous ne pouvons que reconnaître des types d’humanité éminemment contemporains, amplement répandus, obligent à admettre qu’en bien des circonstances nous conservons certains travers réservés jadis aux romantiques. L’observation satisfaite de nos délicatesses et de nos grandeurs d’âme – les Chrétiens l’avaient baptisé du nom d’ « orgueil » – demeure un plaisir peu coûteux. Un second point rompt avec la signification consacrée du kitsch telle qu’elle circule en dehors de l’oeuvre kundérienne. Dans cette dernière il n’est jamais question du trait populaire assigné couramment à l’objet kitsch pour le condamner ou s’en rire. Dans le glossaire de L’art du roman, Kundera précise de la façon la plus claire que la provenance populaire d’une oeuvre ne détermine nullement son appartenance à la catégorie du kitsch. Ainsi relève-t-il une particularité d’usage, en France, où à l’art authentique s’opposent forcément les produits de divertissement, particularité à laquelle l’écrivain refuse de souscrire : qu’il s’agisse de « grand Art » ou d’oeuvres destinées au grand public, la frontière du kitsch se situe là où s’amorce l’étalement d’une sentimentalité grandiloquente et mièvre : « Tchaïkovski, Rachmaninov, Horowitz au piano, les grands films hollywoodiens, […] c’est ce que je déteste, profondément, sincèrement ». De telles considérations restituent la notion de kitsch à son domaine d’origine, à savoir le jugement esthétique. Dans sa redéfinition du kitsch, Kundera ne procède pas, par conséquent, à une subversion intégrale de sa signification initiale. Il opère un élargissement du sens de la notion qui, tout en demeurant un critère d’évaluation de l’oeuvre d’art, acquiert le statut de catégorie anthropologique.
Une éthique du lieu commun
Quel que soit le biais, celui de l’objet-oeuvre ou celui de l’attitude éthique, par lequel sera approché le kitsch – au sein de cette structure englobante que constitue l’esthétique existentielle – le premier plan est donc toujours occupé par cette tyrannie du sentiment qui en est l’un des éléments définitoires, et dont les musiciens, évidemment, ne détiennent pas le monopole. Dans le glossaire de L’art du roman, à la lettre V, intervient une autre occurrence du terme « kitsch ». Il y est question du pamphlet contre Anatole France que le groupe surréaliste commit au lendemain de sa mort. Dans sa contribution, Paul Eluard fustige le scepticisme et l’ironie, apanage, selon lui, du cadavre incriminé, contre lesquels il célèbre d’autres « valeurs » que Kundera s’amuse à énumérer : « les petites choses dérisoires, les larmes aux yeux, la tendresse, l’honneur de la Vie, oui, de la Vie avec le V majuscule ! Derrière le geste spectaculairement non-conformiste, l’esprit du kitsch le plus plat ». Ce qui permet de mettre au jour un autre élément définitoire du kitsch : le sentimentalisme s’exprime le plus souvent sous la forme du poncif. Précurseurs de la rebellocratie qui sévit de nos jours, les surréalistes, qui furent heureusement bien mieux inspirés en d’autres occasions, par la vertu subversive du geste auquel ils se livraient – cracher sur un cadavre – immunisaient contre toute critique la banalité vide et doucereuse de leur propos.
Les poncifs sentimentalistes du kitsch sont le voile flatteur déposé sur des régions du réel dont s’offensent la puérilité et l’orgueil humains – et qu’ils préfèrent oublier. Ce que Kundera nomme « la prose » est l’un de ces aspects de l’existence que l’on ne veut pas voir. Usant de ce terme, Kundera inscrit la vie humaine dans l’opposition classique de la prose et du vers, du roman et de la poésie, en conférant à cette opposition une extension bien plus ample que celle qui a cours dans le seul domaine littéraire. La prose est un monde, « une face de la réalité, sa face quotidienne, concrète, momentanée, et qui se trouve à l’opposé du mythe ». C’est pourquoi l’homme-kitsch fait tout pour éluder la « face » prosaïque du monde, celle qui obstrue la voie du mythe auquel il souhaite tant que sa vie ressemble. L’homme-kitsch que décrit kundera dans ses romans ne saurait se satisfaire d’un quotidien d’où les idées nobles et les actions grandioses de l’héroïsme ont été bannies. Il voudrait faire de sa vie un poème, une épopée. Mais il est bien loin d’être à la hauteur de ses ambitions. Le voile poétique avec lequel il tente de dissimuler la prose de son existence est tissé de vers maladroits qui, du coup, mettent en exergue ses mesquineries et sa médiocrité. Le rôle du romancier, selon Kundera, consiste à lever ce voile fallacieux dont est recouverte la prose du quotidien. Ce travail de démystification propre au roman, cette « découverte de la prose est sa mission ontologique qu’aucun autre art que lui ne peut assumer entièrement ». Découverte qui s’opère : soit en insistant sur les maladresses, les ratés que commet l’homme-kitsch dans sa tentative de poétisation du monde et de lui-même – et c’est alors que surgit le rire – ; soit en révélant la beauté potentielle contenue dans le quotidien, « car, étant art, le roman découvre la prose en tant que beauté ».
La conception de l’existence entretenue par l’homme-kitsch est tout entière traversée par une hiérarchisation précise du monde où fonctionne un ensemble d’objets-valeurs, autant de symboles de la césure poésie/prose à partir de laquelle est conditionné leur traitement dans le récit de soi et la présentation des événements : mise en exergue des éléments gratifiants ; élision de ce qui est susceptible de porter atteinte à cette gratification. La tâche du romancier sera donc d’inverser cette polarité en faisant la lumière sur ce que l’homme-kitsch entend dissimuler. C’est pourquoi la conception kundérienne du kitsch a très explicitement partie liée avec la merde. A plusieurs reprises, dans ses romans et dans un passage au moins de son œuvre essayistique – Une rencontre –, Kundera fait assister son lecteur à une vidange d’entrailles de la part d’un personnage, féminin le plus souvent. Chacune de ces occurrences est révélatrice d’une certaine fonction narrative assignée à ce qu’il conviendrait de nommer le corps prosaïque. La plupart du temps, le corps apparaît dans l’oeuvre de Kundera comme cet élément de l’identité par quoi se révèle la misère de l’humain ; misère en ce sens que le corps est le lieu où se trouve contrecarré le désir de l’individu de « poétiser » son être. Le corps et ses fonctions digestives sont le démenti cinglant asséné à l’image fantasmatique de soi que l’homme-kitsch tente continûment d’incarner. Mais c’est précisément dans cette nécessaire incarnation que réside le paradoxe auquel doit s’affronter la belle âme sentimentale et lyrique ; paradoxe qui devrait être tragique – qui l’est en un certain sens – mais dont kundera fait le ressort de son rire ironique : l’homme-kitsch voudrait n’être qu’âme, tout au plus ne revendique-t-il son corps qu’en tant qu’objet érotique, mais il ne peut assumer les appels qui le ramènent à sa condition de chose organique, physiologique, jamais si impérieux que lorsqu’il se trouve dans l’obligation de déféquer. D’où l’une des caractérisations du kitsch, longuement développée dans L’insoutenable légèreté de l’être : le kitsch, c’est la négation de la merde.
Qui pleure ne saurait mentir, et la manifestation physiologique de ses écoulements de toutes sortes est là pour en attester. Les larmes, la morve et les lamentations savent, sans délai ni détour, toucher leur public. Chacun, par analogie, se retrouve et se reconnaît dans ces épanchements émotifs, qui sont pour cette raison immédiatement, empathiquement compréhensibles. Ainsi toute distance se voit abolie entre le créateur et son public, et au plaisir de l’émotion directement vécue se mêle la sensation jubilatoire à la fois de l’agglutinement d’une communauté sentimentale autour de ces déjections de l’âme, et la jouissance narcissique que procure une aptitude ostensible à l’émoi, aux transports, à l’emphase des hautes et nobles vues, qui « nous arrache des larmes d’attendrissement sur nous-mêmes, sur les banalités que nous pensons et sentons ».
http://lesilencequiparle.unblog.fr/files/2012/11/anti-kitsch-kundera.pdf
balthazar claes- Messages : 1009
Re: Holy Motors
Ici, la revue LOLA (anglophone) fait écrire sur le Carax :
http://www.lolajournal.com/3/hail_holy_motors_1.html
http://www.lolajournal.com/3/hail_holy_motors_2.html
http://www.lolajournal.com/3/hail_holy_motors_1.html
http://www.lolajournal.com/3/hail_holy_motors_2.html
adeline- Messages : 3000
Re: Holy Motors
Interview d'une rare bêtise satisfaite de Carax le Voyant. Ce mec, on sent, est toujours au bord de défaillir sous le coup d'une idée de génie. Ça doit être bien usant ma foi.
Donc en somme il a opéré à base de non pas une, mais deux citations. Il reprend littéralement le motif trouvé dans quelque chef d'oeuvre, en profite pour lancer une accolade fraternelle à ses confrères Génies de tous les âges. Il commence donc son film par cette citation : autant dire qu'il ne savait pas par quoi commencer, qu'il n'avait pas d'idée. Pourquoi ne pas débuter sa copie sur une chouette citation à propos de l'acte créateur. Si : il avait eu l'idée de cette salle de cinéma où tous les spectateurs ont l'air morts ou endormis. Pas bon de commencer un film comme ça, Leos : le spectateur va se dire qu'il est mal barré. Bon, admettons. Ce qui donne plus envie de ricaner, c'est ce "Instinctivement, j'ai appelé l'homme, le rêveur du film, Leos Carax. Alors je l'ai joué." Que signifie ce "instinctivement" ? On croit comprendre que rendu là, il n'avait toujours pas d'idée, puisqu'il a dû recourir à ce qui ressemble fort à son premier réflexe. Aurait-il dit le mot "intuition", ça gardait encore un peu de sens : sans pouvoir dire pourquoi, il aurait "senti" que ça sonnait juste, quitte à le vérifier plus tard. Mais cet instinct suggère une espèce de rapport organique, animal à son Oeuvre ; c'est tout à fait son genre de cliché sur l'Artiste, créature d'une tout autre espèce que le commun des mortels. Son instinct, issu du fond des âges, lui a dit, quoi ? non pas de jouer le rôle, mais seulement d'appeler le personnage Carax. C'est un instinct qui s'occupe exclusivement de procédés de langage et d'écriture, il ne s'intéresse qu'à la partie scénario ; un instinct purement intellectuel en somme. Bien, admettons. Ensuite ? "Alors je l'ai joué". Et là on sent le mec qui n'a pas froid aux yeux, qui va jusqu'au bout des conséquences les plus extrêmes de ses actes. Son instinct le lance sur un truc : il ne se dégonfle pas, il y va, sans faire de chichis. Ce qui paraîtrait compliqué à un autre est pour lui très simple ; un autre se serait dit : bon, mon instinct m'a dit d'appeler le personnage Jean-Claude, et c'est un fait que je m'appelle Jean-Claude, mais est-ce que ça veut vraiment dire que je suis fait pour le rôle ? Leos n'a pas eu, lui, besoin de tergiverser, de commenter, de suranalyser : just do it, devise des grands Maîtres.
Alors ça c'est du grand Carax. Je remercie les caméras numériques, que je couvre de mépris au passage. Je méprise plein de trucs, et notamment tout ce qui m'oblige à faire des trucs. Je suis un fieffé cossard, je ne vous le cache pas. Et alors, si je suis obligé, ça me met dans de ces états de méprîîs, vous n'avez pas idée. D'autres pourraient craindre, ou détester, redouter, les choses qui les obligent à faire des choses, comme le service militaire ou les impôts ; mais Leos méprise, direct. Même si c'est un objet inanimé, et là il va loin. Essayez pour voir : "je méprise les pizzas", "je méprise les pneus". A part ça, les caméras numériques permettent de faire des films moins chers, ce qui est une avancée indiscutable pour l'art cinématographique en général et en l'occurence, pour Carax en particulier, mais quand même il n'est pas du-tout satisfait du procédé.
Quelle nouille ce journaliste : oser demander à l'auteur de Holy Motors comment il en est venu à cette idée de moteurs. Comme si Leos travaillait, comme s'il était du genre à bâtir des trucs petit à petit ; alors que tout le monde sait bien que les Génies ça fonctionne pas pareil et que ça a des fulgurances fulgurantes et décoiffantes. Sanction immédiate dans la réponse de Carax : "Jamais aucune idée au départ de mes projet, aucune intention", hé ho, quelle idée saugrenue. Le mec, bien sûr, pense directement en images pures, et en montages d'images. Malgré la semi-retraite, il n'a pas perdu la main, c'est Le Cinéaste en soi. Quand même, il nous a dit avant qu'il avait déjà eu l'idée de se passer "une commande à lui-même, avec un acteur précis" et pour faire un remake de Merde à Paris, mais ça compte pas exactement comme une idée : on va dire que c'était plutôt un projet et que c'est tout différent.
Après le mépris pour les caméras, voilà l'empathie pour les voitures de location. Leur côté sale, pouilleux, impersonnel "comme le salon d'un boîte échangiste au matin", fulguration poétique. Lui n'y va pas, attention, mais ça le touche, "une sorte de tristesse" l'envahit à l'évocation conjointe des boîtes échangistes le matin (c'est dégueu partout, tout le monde est parti : y'en a que ça réjouit, hé bien il le leur laisse) et des limos de location. Et c'est son droit le plus absolu. Tout de même il dit que son point de départ était donc "juste une image", comme papa Godard off course, mais que cette image se décrit par la différence entre l'intérieur et l'extérieur d'une limousine. Ça fait deux images, bon. D'autre part le bling bling c'est toujours assez toc.
"son moteur si je peux dire" vas-y Leos, permets-toi. Du coup on comprend le titre, han c'est splendide de cohérence, voitures, moteurs okay. On aime aussi le "très vite" : Leos ne perd pas de temps et puisque c'était sa première et seule idée, ça n'a pas traîné, elles se sont retrouvées au coeur du film, repoussant le vide qu'il y avait autour à l'époque.
Voilà toute la philosophie de Carax, profondément réactionnaire. C'était ben mieux avant, c'était autrement plus authentique. Tout est foutu, j'vous dis (Hourras de la Critique). Moi je vais vous dire, je suis de l'époque de Chaplin (et ce genre de Génie, aussi, évidemment). On est entré dans le monde du virtuel, avec tous ces ordinateurs et tous ces ouèbes et tous ces machins pas naturels, et moi je vous dis, c'est la fin des haricots, pour sûr. Du temps de nos aïeux y avait pas toutes ces bêtises de virtuel et des trucs tordus comme ça, et ben on était tout aussi heureux. Carax : grand penseur de la Modernité.
Ouais, bien sûr Leos, une certaine dimension du risque de rater complètement sa prise disparaît un peu, mais déjà si tu faisais un peu plus de films tu t'apercevrais que ça reste toujours aussi risqué et expérimental de tenter des nouvelles choses, en général. Bref.
Vous apparaissez au début du film, dans une sorte de prologue, qui est plus précisément et littéralement une ouverture. D'où vient l'idée d'être physiquement présent à l'image ?
D'abord cette image : une salle de cinéma, grande et pleine, dans le noir de la projection. Mais les spectateurs sont tout à fait figés, et leurs yeux semblent fermés. Sont-ils endormis ? Morts ?
Le public de cinéma vu de face —ce que personne ne voit jamais (sauf dans l'extraordinaire plan final de The Crowd de Vidor).
Puis mon amie Katia m'a fait lire un conte d'Hoffmann où le héros découvre que sa chambre d'hôtel donne, via une porte dérobée, sur une salle d'opéra. Comme dans la phrase de Kafka, qui pourrait servir de prologue à toute création :
« Il y a dans mon appartement une porte que je n'avais jamais remarquée jusqu'ici. »
J'ai donc imaginé débuter le film avec ce dormeur réveillé en pleine nuit, qui se retrouve en pyjama dans une grande salle de cinéma pleine de fantômes. Instinctivement, j'ai appelé l'homme, le rêveur du film, Leos Carax. Alors je l'ai joué.
Donc en somme il a opéré à base de non pas une, mais deux citations. Il reprend littéralement le motif trouvé dans quelque chef d'oeuvre, en profite pour lancer une accolade fraternelle à ses confrères Génies de tous les âges. Il commence donc son film par cette citation : autant dire qu'il ne savait pas par quoi commencer, qu'il n'avait pas d'idée. Pourquoi ne pas débuter sa copie sur une chouette citation à propos de l'acte créateur. Si : il avait eu l'idée de cette salle de cinéma où tous les spectateurs ont l'air morts ou endormis. Pas bon de commencer un film comme ça, Leos : le spectateur va se dire qu'il est mal barré. Bon, admettons. Ce qui donne plus envie de ricaner, c'est ce "Instinctivement, j'ai appelé l'homme, le rêveur du film, Leos Carax. Alors je l'ai joué." Que signifie ce "instinctivement" ? On croit comprendre que rendu là, il n'avait toujours pas d'idée, puisqu'il a dû recourir à ce qui ressemble fort à son premier réflexe. Aurait-il dit le mot "intuition", ça gardait encore un peu de sens : sans pouvoir dire pourquoi, il aurait "senti" que ça sonnait juste, quitte à le vérifier plus tard. Mais cet instinct suggère une espèce de rapport organique, animal à son Oeuvre ; c'est tout à fait son genre de cliché sur l'Artiste, créature d'une tout autre espèce que le commun des mortels. Son instinct, issu du fond des âges, lui a dit, quoi ? non pas de jouer le rôle, mais seulement d'appeler le personnage Carax. C'est un instinct qui s'occupe exclusivement de procédés de langage et d'écriture, il ne s'intéresse qu'à la partie scénario ; un instinct purement intellectuel en somme. Bien, admettons. Ensuite ? "Alors je l'ai joué". Et là on sent le mec qui n'a pas froid aux yeux, qui va jusqu'au bout des conséquences les plus extrêmes de ses actes. Son instinct le lance sur un truc : il ne se dégonfle pas, il y va, sans faire de chichis. Ce qui paraîtrait compliqué à un autre est pour lui très simple ; un autre se serait dit : bon, mon instinct m'a dit d'appeler le personnage Jean-Claude, et c'est un fait que je m'appelle Jean-Claude, mais est-ce que ça veut vraiment dire que je suis fait pour le rôle ? Leos n'a pas eu, lui, besoin de tergiverser, de commenter, de suranalyser : just do it, devise des grands Maîtres.
Alors là Leos nous explique à nouveau qu'il n'a pas eu d'idée. Il avait déjà fait Merde une fois : on lui avait filé le sujet : Tokyo, il avait pensé à un acteur : Denis Lavant, il s'était rappelé qu'il était bien déprimé et morose ; et puis Merde : concept, le tour était joué. Il avait ressorti un travelling interminable, celui qu'il case dans chaque film. Bref, à cause de douloureux problèmes de fric (assez rares au demeurant dans le domaine du cinéma Génial, c'est vraiment trop injuste pour Leos) il a eu l'idée de refaire le même film à Paris. On sent le type qui a trois idées à la minute, un feu d'artifices permanent. Donc il décide astucieusement de contourner le problème du fric en faisant un film "pas trop cher". Eurêka ! Que n'y avait-il pensé plus tôt ! C'est tout de même dommage d'avoir mis dix ans pour trouver qu'il fallait, quand on a moins de fric, faire des films moins onéreux. Bref, il se lance donc dans l'idée de son film pas cher (le sujet : les limousines. Le vélo, c'était vraiment pas assez cher).Dans quelle mesure Merde, votre contribution au film Tokyo !, a joué un rôle dans la conception de Holy Motors, où le personnage de Merde est un des avatars (est-ce le bon terme?) de Denis Lavant ?
Merde était un film de commande. Holy Motors est né de mon impuissance à monter plusieurs projets, tous en langue étrangère et à l'étranger. Avec toujours les deux mêmes obstacles : casting & fric. N'en pouvant plus de ne pas tourner, je me suis inspiré de l'expérience de Merde. Je me suis passé à moi-même la commande d'un projet fait dans les mêmes conditions, mais en France : écrire vite, pour un acteur précis, un film pas trop cher.
Tout ça rendu possible aussi par l'usage des caméras numériques, que je méprise (je déteste qu'on m'impose quelque chose —et elles s'imposent ou on nous les impose), mais qui rassurent tout le monde.
Alors ça c'est du grand Carax. Je remercie les caméras numériques, que je couvre de mépris au passage. Je méprise plein de trucs, et notamment tout ce qui m'oblige à faire des trucs. Je suis un fieffé cossard, je ne vous le cache pas. Et alors, si je suis obligé, ça me met dans de ces états de méprîîs, vous n'avez pas idée. D'autres pourraient craindre, ou détester, redouter, les choses qui les obligent à faire des choses, comme le service militaire ou les impôts ; mais Leos méprise, direct. Même si c'est un objet inanimé, et là il va loin. Essayez pour voir : "je méprise les pizzas", "je méprise les pneus". A part ça, les caméras numériques permettent de faire des films moins chers, ce qui est une avancée indiscutable pour l'art cinématographique en général et en l'occurence, pour Carax en particulier, mais quand même il n'est pas du-tout satisfait du procédé.
L'idée des moteurs, de la motorisation, de l'importance des machines est à la fois clairement revendiquée par le titre et présente de manière sous-jacente, presque subliminale dans le film, du moins avant la séquence finale. Cette idée est-elle à l'origine du projet ou a-t-elle pris forme petit à petit ?
Jamais aucune idée au départ de mes projets, aucune intention. Mais deux trois images, plus deux trois sentiments. Si je découvre des correspondances entre ces images et ces sentiments, je les monte ensemble.
Quelle nouille ce journaliste : oser demander à l'auteur de Holy Motors comment il en est venu à cette idée de moteurs. Comme si Leos travaillait, comme s'il était du genre à bâtir des trucs petit à petit ; alors que tout le monde sait bien que les Génies ça fonctionne pas pareil et que ça a des fulgurances fulgurantes et décoiffantes. Sanction immédiate dans la réponse de Carax : "Jamais aucune idée au départ de mes projet, aucune intention", hé ho, quelle idée saugrenue. Le mec, bien sûr, pense directement en images pures, et en montages d'images. Malgré la semi-retraite, il n'a pas perdu la main, c'est Le Cinéaste en soi. Quand même, il nous a dit avant qu'il avait déjà eu l'idée de se passer "une commande à lui-même, avec un acteur précis" et pour faire un remake de Merde à Paris, mais ça compte pas exactement comme une idée : on va dire que c'était plutôt un projet et que c'est tout différent.
Pour Holy Motors, il y avait l'image de ces extra-longues limousines qu'on voit depuis quelques années. Je les ai croisées pour la première fois en Amérique, et maintenant à Paris dans mon quartier chaque dimanche, lors des mariages chinois. Elles sont bien de leur époque. A la fois bling bling et tocs. Belles vues de l'extérieur, mais à l'intérieur on ressent une sorte de tristesse, comme, j'imagine, dans le salon d'une boîte échangiste au matin. Quand même elles me touchent. Elles sont désuètes, un peu comme de vieux jouets futuristes du passé. Elles marquent je crois la fin d'une époque, celle des grandes machines visibles.
Après le mépris pour les caméras, voilà l'empathie pour les voitures de location. Leur côté sale, pouilleux, impersonnel "comme le salon d'un boîte échangiste au matin", fulguration poétique. Lui n'y va pas, attention, mais ça le touche, "une sorte de tristesse" l'envahit à l'évocation conjointe des boîtes échangistes le matin (c'est dégueu partout, tout le monde est parti : y'en a que ça réjouit, hé bien il le leur laisse) et des limos de location. Et c'est son droit le plus absolu. Tout de même il dit que son point de départ était donc "juste une image", comme papa Godard off course, mais que cette image se décrit par la différence entre l'intérieur et l'extérieur d'une limousine. Ça fait deux images, bon. D'autre part le bling bling c'est toujours assez toc.
Très vite, ces voitures sont devenues le cœur du film, son moteur si je peux dire. Je les ai imaginées comme de longs vaisseaux qui transbahuteraient les hommes dans leurs derniers voyages, leurs derniers travaux.
"son moteur si je peux dire" vas-y Leos, permets-toi. Du coup on comprend le titre, han c'est splendide de cohérence, voitures, moteurs okay. On aime aussi le "très vite" : Leos ne perd pas de temps et puisque c'était sa première et seule idée, ça n'a pas traîné, elles se sont retrouvées au coeur du film, repoussant le vide qu'il y avait autour à l'époque.
Le film serait alors une sorte de science-fiction, où hommes, bêtes et machines se trouveraient en voie d'extinction. Liés par un sort commun, solidaires face à un monde de plus en plus virtuel. Un monde d'où disparaîtraient peu à peu les machines visibles, les expériences vécues, l'action. Dans la séquence où Denis Lavant a le corps recouvert de capteurs blancs, il est comme un O.S. de la motion capture. Frère du Chaplin des Temps modernes —sauf que l'ouvrier n'est plus coincé dans les rouages d'une machine, mais dans les fils d'une toile invisible.
Voilà toute la philosophie de Carax, profondément réactionnaire. C'était ben mieux avant, c'était autrement plus authentique. Tout est foutu, j'vous dis (Hourras de la Critique). Moi je vais vous dire, je suis de l'époque de Chaplin (et ce genre de Génie, aussi, évidemment). On est entré dans le monde du virtuel, avec tous ces ordinateurs et tous ces ouèbes et tous ces machins pas naturels, et moi je vous dis, c'est la fin des haricots, pour sûr. Du temps de nos aïeux y avait pas toutes ces bêtises de virtuel et des trucs tordus comme ça, et ben on était tout aussi heureux. Carax : grand penseur de la Modernité.
Il y a deux types de machines dans le film. Les unes visibles, ces extra-longues limousines, donc. Les autres invisibles, les caméras qui enregistrent nos vies. Elles sont notre avenir.
J'aime beaucoup les mots « moteur » et « action ». Mais on ne devrait plus dire « moteur ! » sur les tournages numériques d'aujourd'hui. Il faudrait plutôt dire « power ! »; ce n'est plus une machine qu'on met en branle lorsqu'on on fait un plan, c'est un ordinateur qu'on allume. Et ce power est un faux pouvoir. On ne «tourne» plus des films, on ne les «shoot» plus, on les programme. Les films sont des calculs (et on peut les recalculer presqu'entièrement après tournage, en post-production). La notion de risque, d'expérience, disparaît.
Ouais, bien sûr Leos, une certaine dimension du risque de rater complètement sa prise disparaît un peu, mais déjà si tu faisais un peu plus de films tu t'apercevrais que ça reste toujours aussi risqué et expérimental de tenter des nouvelles choses, en général. Bref.
balthazar claes- Messages : 1009
Re: Holy Motors
balthazar claes a écrit:. Tout de même il dit que son point de départ était donc "juste une image", comme papa Godard off course, mais que cette image se décrit par la différence entre l'intérieur et l'extérieur d'une limousine. Ça fait deux images, bon. D'autre part le bling bling c'est toujours assez toc.
Carax se prend justement pour Godard, c'est flagrant d'ailleurs dans ses interviews où il veut absolument placer calembours, idées fulgurantes, vision du cinéma et poésie dans chacune de ses réponses. Sauf qu'à la place de "une idée par plan", c'est plutôt "une idée par film".
Ca doit d'ailleurs être lui qui édite sa page Wikipedia, tellement on sent de la complaisance pour son statut de "poète maudit".
Boy Meets Girl et Mauvais Sang demeurent les plus probants manifestes esthétiques des années 80, Les Amants du Pont-Neuf un rêve de cinéma poétique à l'ambition inégalée, tandis que Pola X, d'une beauté, d'une sincérité et d'une ampleur bouleversantes, est sans doute le chef-d'œuvre de Leos Carax. Quant à Holy Motors, il s'agit d'un fulgurant voyage où se mêlent la vie et le cinéma, au gré d'émotions et de visions extraordinaires »8.
Evidemment et sans trop d'étonnement, c'est Pola X qui est présenté comme étant son "chef d'oeuvre". Un film qui a été démolit par tout le monde, parfait pour asseoir son statut de Génie incompris.
Dr. Apfelgluck- Messages : 469
Re: Holy Motors
Ceux qui célèbrent Carax aujourd'hui sont les mêmes qui l'ont empêché de tourner pendant vingt ans. Et oublions pas que comme Roger Corman distribuait Bergman et Fellini grâce à ses séries B, Christian Fechner a sauvé "Les Amants du Pont-Neuf" avec l'argent des "Charlots". Beau film sinon Holy Motors mais un peu triste.balthazar claes a écrit:. Evidemment et sans trop d'étonnement, c'est Pola X qui est présenté comme étant son "chef d'oeuvre". Un film qui a été démolit par tout le monde, parfait pour asseoir son statut de Génie incompris.
Invité- Invité
Re: Holy Motors
Mangeclous a écrit:Ceux qui célèbrent Carax aujourd'hui sont les mêmes qui l'ont empêché de tourner pendant vingt ans. Et oublions pas que comme Roger Corman distribuait Bergman et Fellini grâce à ses séries B, Christian Fechner a sauvé "Les Amants du Pont-Neuf" avec l'argent des "Charlots". Beau film sinon Holy Motors mais un peu triste.balthazar claes a écrit:. Evidemment et sans trop d'étonnement, c'est Pola X qui est présenté comme étant son "chef d'oeuvre". Un film qui a été démolit par tout le monde, parfait pour asseoir son statut de Génie incompris.
C'est pas moi qui ai écrit ça, c'est Doc Apfelgluck. D'ailleurs moi j'aime plutôt bien Pola X, surtout si tout le monde l'a démoli. Ça doit être le film le plus linéaire de Carax, celui qui ressemble le moins à une compilation de morceaux de bravoure et le plus à un récit, et le pauvre fils Depardieu y est attendrissant, quand il se balade dans les rues avec Golubeva, sous le soleil en tirant sur sa clope, là, vers la minute 57 : https://www.youtube.com/watch?v=0XumlH6hAK0 . Il y a aussi Sharunas Bartas qui s'y autoparodie, c'est plus rigolo que Kylie Minogue. Puis en fait je ne hais point Carax, et ça fait vingt ans que je lui fous une paix royale, en ce qui me concerne. Les spectres ont certes un dossier en réserve, parution courant 2014, qui prend le parti de réfuter Holy Motors, film morbide, pompeux, nombriliste et apolitique, contre le consensus critique qui l'a encensé. Tous à vos agendas, ça va dépoter grave.
balthazar claes- Messages : 1009
Re: Holy Motors
magnifique il faut que le revois sans tarder, la première fois me suis trop fait emporter par la vague.
Qu'est-ce qu'il a BC ? Et sinon c'est dans Spectres#2 ?
Qu'est-ce qu'il a BC ? Et sinon c'est dans Spectres#2 ?
Invité- Invité
Re: Holy Motors
Si même toi tu n'achètes pas la revue des spectres, qui nous lira ? y a deux longs articles violemment anti-Holy Motors dans le numéro 2 ; l'un de Pietro Torrigani titré "Cinéma déjà-mort" ; l'autre qui développe le texte au début de ce topic. Moi ce que je dis surtout, c'est que Carax se prend pour l'ennemi public numéro un, comme Houellebecq et BHL ; mais qu'en fait il est aidé pour faire son film par la femme du président, pour faire un film larmoyant et narcissique encensé par tous les critiques.
balthazar claes- Messages : 1009
Re: Holy Motors
j'ai déjà dit que 20 € c'est trop cher.
j'ai bien compris que le problème avec Carax c'était sa mécène. Personnellement je m'en moque. J'avais vraiment aimé Pola X, j"ai aimé celui-là, mais je n'irai pas contre le courant mean stream. Aucun intérêt, c'est publié. J'apprécie seulement la (large) filiation de ce film, qui pourrait aller de Cocteau à Wenders en passant par Nicholas Ray dont le dernier film, justement, s'intitule We can't go home again.
Je suis sensible à la noirceur subsumée de ce film, et je n'ai aucun à priori de quelque sorte que ce soit contre son auteur. Je n'en fait donc pas une affaire de personne qui me semble la meilleure voix de garage pour parler d'un film.
j'ai bien compris que le problème avec Carax c'était sa mécène. Personnellement je m'en moque. J'avais vraiment aimé Pola X, j"ai aimé celui-là, mais je n'irai pas contre le courant mean stream. Aucun intérêt, c'est publié. J'apprécie seulement la (large) filiation de ce film, qui pourrait aller de Cocteau à Wenders en passant par Nicholas Ray dont le dernier film, justement, s'intitule We can't go home again.
Je suis sensible à la noirceur subsumée de ce film, et je n'ai aucun à priori de quelque sorte que ce soit contre son auteur. Je n'en fait donc pas une affaire de personne qui me semble la meilleure voix de garage pour parler d'un film.
Invité- Invité
Re: Holy Motors
balthazar claes a écrit:Petit soliloque impressionniste à propos d'Holy Motors
"Le livre de la vie limpide et grimaçant"
Profession : génie. Carax fait dans le genre "vous n'avez jamais vu ça". Personne n'est aussi libre que moi. Allez vous faire foutre, c'est moi Abel Gance et Napoléon aussi. Je suis fou, oui, je suis l'artiste, c'est moi le roi. La plupart des critiques professionnels ont été littéralement aplatis par le film. Ils ne peuvent pas en parler ; acculés à s'extasier pour ne pas perdre la face. Le film ne ressemble à rien, ne cesse d'insulter les conventions esthétiques et narratives les mieux admises, délire sans se gêner sur tout et n'importe quoi, et pourtant fait film. Il fait un tout. Sa forme outrée, hérissée d'outrances le rend inattaquable. C'est tout le temps qu'il va trop loin, il aligne faute de goût sur faute de goût, il le sait très bien, tout le monde le voit et le bon goût devient dans son ombre une chose mesquine et méprisable. C'est libérateur, de la vraie bonne catharsis. Obsessions : le sexe, le meurtre, les monstres, la misère, la mort. Ça agresse et ça dézingue, ça fait un grand courant d'air. Le Saint Vomi de Carax purifie l'atmosphère.
Le film n'aurait pas pu se faire sans l'ex-première Dame apprend-on. On aura donc là le film signant l'époque du grand cinéphile NS. Un looseur, à la française. Moi l'auteur, je suis plus que politique. Cantat est là aussi dans un coin. Parlez-moi de multiplicités, d'interrègnes, de noces aparallèles. I was here before. L'identité nationale c'est moi et mes métamorphoses. Les roumaines qui font la manche ça me fait pas peur, ça me fait marrer, je les imite si je veux. Les ploucs de banlieue pavillonnaire, moi je les compare à des singes - et vous voudriez m'empêcher de tourner ? La burqua parlons-en, moi je dis Merde à la burqua - mais en même temps j'embrasse tout ça, je prends tout ça sous mon aile. Je suis la grande machine à laver de mon époque pourrie, je fais du beau avec du laid, puis du laid avec ce beau, rien ne m'arrête. Je suis Godard pas encore au musée, je travaille la pâte du réel à mains nues et les yeux grands ouverts.
Car moi je travaille le lieu commun. "Il suffit de concevoir que les vrais lieux communs sont des paroles déchirées par l'éclair et que les rigueurs des lois fondent le monde absolu de l'expression hors duquel le hasard n'est que sommeil". Ouais. Mauvais goût et lieu commun deviennent les piliers d'une esthétique. Le mauvais goût permet de dégager les contours de l'authentique lieu commun, il fonctionne comme une boussole à l'envers. Défiguration systématique, poétique de la défiguration. Carax sature le maniérisme au point de l'excéder.
Chaque scène se veut morceau de bravoure et blasphème, aucune qui ne vise le record d'audace et de convulsion. Carax se jette sur tous les sujets brûlants. Pas qu'il ait grand chose à nous en dire, de ces sujet brûlants. Il vient plutôt se placer là où ça se passe. L'impudeur guide le travail de Carax. La fameuse scène avec Eva Mendes ne frôle pas le ridicule mais le percute de plein fouet. Bravade, effondrement. Deleuze parle du mur du signifiant, qu'il ne sert à rien d'essayer de briser, on s'y casserait les dents, il est notre irrémédiable limite. Ce qu'on peut seulement tenter, c'est limer ce mur patiemment. Carax dédaigne cette prudence, il emploie une autre méthode : celle de l'acrobate. Denis Lavant se précipite sur le mur, prend appui sur lui et fait une pirouette dans les airs à la matrix avant de retomber indemne. Les acrobates savent rebondir sans se blesser. La course de Lavant, trademark caraxien, se conclut en séries de défaites et d'interruptions. Galoper pour arpenter à toutes vitesse une multitude de voies de garage. Si on laisse un flipper entre les mains d'un joueur un peu sérieux, la bille finira par explorer de manière exhaustive son territoire potentiel. Carax joue au flipper et Lavant va se cogner de partout.
Du grand n'importe quoi. Mais toujours le trait est si net, si limpide. Et ce n'importe quoi n'est pas recherché en lui-même, car c'est la fuite qui importe. Il s'agit tout d'abord de surprendre le public, de hérisser son attente blasée. C'est une éthique du spectacle qui s'oppose à la consommation des images, au rassurant prémâché des rengaines scénaristiques. Ces procédés qui prennent la main du spectateur et, le contraignant à penser à la place du film, lui proposent une petite visite guidée d'une thématique quelconque. Ce sont des films qui évoquent des problèmes, là où Holy Motors est le problème.
Parce qu'il ne va nulle part, le film se tient près de nous. Tous les autres films s'occupent d'eux-mêmes et de leurs petits effets, sont tournés sur eux-mêmes. Celui-là non. Au travers des postiches et des fausses cicatrices, on est de plain-pied avec le film. Le film est de plain-pied avec nos vies. Très au présent, ici. Aucune distance entre lui et nous, hormis celle, cent fois changée du masque de latex de l'acteur - : du medium. Il n'y a plus de pellicule entre nous et les films, s'afflige Carax, mais il faut faire avec cette absence. Ronde des masques. Des éclats de fiction, des ruines de récits flottent épars. Syndrome de Shéhérazade. A chaque fois in extremis éviter la désintégration. On n'y croit pas et pourtant si : en une demi-seconde, en une seule image, disons deux, on peut se trouver plongés dans une nouvelle fiction quelconque, et même au point d'incandescence de cette fiction. Ça fait partie des propriétés de l'espèce, on a tous une Margot éplorée embarquée à bord. Elle peut très bien s'accommoder de l'épopée du discontinu.
"C'était toujours des changements brusques, tout était à refaire, et ça n'en valait pas la peine, ça n'allait durer que quelques instants et pourtant il fallait bien s'adapter, et toujours ces changements brusques. Ce n'est pas un si grand mal de passer de rhomboèdre à pyramide tronquée, mais c'est un grand mal de passer de pyramide tronquée à baleine; il faut tout de suite savoir plonger, respirer et puis l'eau est froide et puis se retrouver face à face avec les harponneurs, mais moi, dès que je voyais l'homme, je m'enfuyais. Mais il arrivait que subitement je fusse changé en harponneur, alors j'avais un chemin d'autant plus grand à parcourir. J'arrivais enfin à rattraper la baleine, je lançais vivement un harpon par l'avant, bien aiguisé et solide (après avoir bien fait amarrer et vérifier le câble), le harpon partait, entrait profondément dans la chair, faisant une blessure énorme. Je m'apercevais alors que j'étais la baleine, je l'étais redevenue, c'était une nouvelle occasion de souffrir, et moi je ne peux me faire à la souffrance."
Le film n'essaie jamais de faire croire, il découd ses propres effets, c'est l'émotion sans la croyance. On est de plain-pied avec un film au présent car hors-fiction, hors-croyance, un film qui dé-représente. Ce que perd la représentation est récupéré du côté de la présence. Faut-il disparaître dix ans pour que la simple non-absence devienne une sorte de prodige ? Retour du fils prodigue. Show business christique.
ah parce que tu n'aimes pas ce qui est immédiat, poétique, populaire au sens ou les sensations, les sentiments, l'expérience du beau ou même de la vulgarité sont habituellement les choses du monde les mieux partagées - sauf pour quelque happy-few, bien planqué derrière son pseudo, clavier motor de gloire à la face de trois pelés et deux tondus, comme notre Oscar derrière les vitres de sa limousine - et ne goûte que ce qui est transcendance, traversée du miroir. Bouh le corps quelle horreur !!
Pas de chance ça existe.
Invité- Invité
Re: Holy Motors
Séance de rattrapage, comme toujours.
Doux Jésus, quel nanar atteint d’éléphantiasis, ce Holy motors.
Dès l'ouverture, je me suis senti cerné par une imagerie "surréalisante" tarteàlacrèmifiante, qui n'augurait pas que des bonnes choses. Le type en pyjama, avec les lunettes Armani à verres fumés (fabriqués à Lausanne) sorties de chez Ardisson, la choucroute à pointes qui retombent estampillée "pop star punk has been des eighties", mélange de Jackie Quartz, Louis Bertignac, Catherine Lara après une chimio, j'avais pas capté d'emblée que c'était Carax en la personne de lui-même.
Ainsi donc, c'était une audacieuse mise en abyme, comme on en fait à tire larigot dans des spectacles de théâtre subventionné d'avant-arrière garde: l'artiste-metteur en scène se met en scène, tâtonne d'un lent pas dans un novotel, en longeant un papier peint mysterioso qui, en trompe l’œil, suggère quelque forêt nocturne de bouleaux nordiques d'une phosphorescence blafarde du plus bel effet. On croirait vraiment pouvoir s'agripper aux branches. C'est alors que se révèle, on ne s'y attendait pas du tout, une entrée dérobée et secrète menant aux mystères envoûtants et profonds d'un moi-tout (détenant la clef, par la magie méliesque de l'enfance, de la boîte à malices de ses souvenirs nostalgineux). Une ingénieuse ingénierie sonore artisanale nous évoque un gros cargo melvilien en partance, plein de fret lourd de 13 années de miroirs brisés qui portent malheur.
Comme dans les meilleurs films ratés de Jaco Van Dormael allant chercher (avec son mister nobody) son magritte d'or avec les dents, on sent qu'on va faire une espèce de voyage pas commun. D'autant moins commun et planplan que l'artiste débouche, comme de juste, sur le balcon d'une scène de cinéma-théâtre, où une salle de spectateurs semi-zombiques nous alerte que le cinéma en tant qu'objet réflexif de réflexion réfléchissante, va donc être le cœur et le sujet d'un dispositif très osé, qui va questionner quelque part son devenir, l'avenir de son passé, surtout, et placer l'artiste exilé en blanc pijama au cœur de ce vertigineux voyage dans des doubles de sézigue. Pessoïens. Rien que ça. On a envie de pouffer, déjà. Pourtant, tout n'est pas que rire dans cette magnifique œuvre ludique autant que crépusculaire.
C'est certes assez cuculapraloche, comme incipit. Mais comparé à ce qui va suivre, attention, c'est quand-même un véritable pur moment magique de cinéma brut en liberté comme on en voit deux par siècle, et encore. Selon la presse spécialisée allocinesque.
Dans un vertigineux dispositif d'emboîtement de poupées russes gonflables pirandelliennes en quête non d'auteur mais de spectateurs absents, vitrifiés par le monde moderne à l'âge de la reproduction technique (cette accumulation de spectacles conchumérichtes, etchetera, où on ne sait plus hélas ni rêver ni s'enchanter ni s'ébaubir, ni croire encore à la magie révolutionnaire du cinéma des origines), vont ensuite se succéder, en rangs serrés, jusqu'à la fin salvatrice :
30 tonnes de métaphores insistantes, usées jusqu'à la corde, et de symbolisme à trois-cinq balles. Sur le virtuel qui a tué la vie et le réel, le cinéma, l'amour et tout ça. Les tombes au père Lachaise ont comme épitaphe "visitez mon site web". Mais waouw, quoi. Ironie légère, subtilité du trait, à la jadis-Sempé, pour évoquer les masses solitaires atomisées et aliénées par leur ordinateur (de pompes funèbres, puisqu'on en est à des formules percutantes que même Gérard-taxi-Pirès n'oserait pas placer s'il remakait son film du même nom). Tout comme cette pique acérée, sur les grises banlieues résidentielles (Philippe Val ou Alexandre Adler ont du adorer): le pauvre plouc qui retrouve sa petite famille - cad des chimpanzés. ça c'est une allégorie bien trouvée ("allez, gorilles", qu'est-ce qu'on se marre. On se croirait dans Hara-Kiri du temps de Siné et du professeur Choron, la grande époque "libertaire" - tu parles). Et Manset, s'auto-recyclant, couine lamentablement là-dessus, avec un texte qu'on croirait pondu pour Julien Clerc par un Dabadie sous laroxyl.
Puis quel mime génial, ce Lavant. Comme dirait Timsit parlant de Michel Leeb, il passe de mendiante roumaine-bossue-à-chicots à fantomas super-fucker en latex-à-capteurs, et d'anthropophage pierrafeu à Guy Hamilton vieux, avec une virtuosité vertigineuse, là encore.
Maintenant, faut le dire, aussi: s'il était pas là, s'il faisait pas le show à lui tout seul, s'il donnait pas généreusement de son corps et de sa gueule hallucinants de faune méphistophélique, ça serait ptêt un nanar. Mais ça serait un nanar sans vie, sans folie, pas sympa.
Poésie ringarde à deux sous, une sorte de sous-Prévert de carte postale de Paris sous cloche de verre. C'est que du clicheton creux à tous les étages. Jeunet-Caro enfoncés les coudes dans le nez. L'éternel jeune vieux con paradigmatique nous refourgue ad nauseam toute sa quincaillerie naphtalineuse pseudo poético-philosophique, digne d'un cahier clairefontaine d'ado qui se prend pour Rimbaud ou je sais pas quoi, alors qu'il en est l'exacte antithèse mortifiante. Rimbaud nous disait: "il faut être absolument moderne"; Carax nous dit: "il faut être absolument réactionnaire". Et de faire interminablement défiler ses vignettes fétichistes, citationnelles et auto-citationnelles (y doute vraiment de rien) d'un âge d'or à jamais révolu. C'est vraiment le triomphe du cinéma d'antiquaire, sentant à chaque plan le musée de cire astiqué et le cadavre embaumé.
Bref, un concentré de nostalgisme narcissique et morbide. Et ça pue le fric pour dire merde au Fouquet's. Toujours le même branle-trip depuis les amants du pont neuf. On sent trop que le gars se fantasme comme le dernier des mohicans ou des poètes dans un monde où il n'a plus sa place, snif.
Dialogues-monologues "funèbres" - quand il y en a (il aurait pu nous épargner ça aussi) - aussi emmerdifiants qu'un feuilleton de Nina Companeez. Entre autres, la scène de Guy Hamilton fatigué et de sa secrétaire estropiée à son chevet. Y va la cracher enfin, sa valda, oui ou merde? J'en pouvais plus... Mais non, y se relève, comme un Lazare chiant, et ça continuuue. Oh la purge. Le colloque à la Samaritaine en ruines, par les deux vieux amants, qui se clôt d'abord par une imbitable chansonnette en hommage à Christophe Honoré rendant hommage à Jacques Demy, puis un suicide tristoune en forme d'écrasage sur le trottoir. Bwoaf.
Ah bigre... "ça donne bien à méditer", tout ça. Sur toutes les belles choses du monde d'avant, envolées, ma bonne dame. Le cirque, les acrobates, les transformistes, le mime marceau, la petite loge de l'artiste, avec les lampions, les facteurs à vélocipède, remplacés par les machines déshumanisantes des américwouains.
Sur le fond et la forme, avec ou sans limousines, je sais pas même si Cédric Klapisch parvient à faire aussi nase et visqueusement luisant avec son Paris (entre autres), un pic qu'on croyait indépassable dans l'histoire des daubes prétentieuses du cinéma français. Avec Le jour et la nuit de bhl, et surtout le Cinéman de Moix - avec lequel ce HM entretient des correspondances plus que troublantes, qu'il conviendrait d'analyser par le demi menu car insuffisamment soulignées à ce jour.
Une jolie photo léchée et de beaux travellings chiadés n'y changeront rien. ça fait pub martini-dry tendance sociocu pour la mairie de Paris et le guide du routard des Champs-Élysées. ça m'a fait penser aussi, non pas aux Yeux sans visage de Franju (y pousse vraiment les bobonnes, puis Franju, Franju, scuzi, ça sent un peu l'amidon aussi), mais à Subway de Besson. La touche 80s en moins mais son esprit gélifié en bonus.
Qu'est-ce qu'on pourrait dire encore?
Je me demande quand-même si la bite dressée à Lavant, c'est pas une prothèse en caboutchouk trop bien imitée, parce qu'elle bouge de façon absolument pas naturelle (cad qu'elle bouge pas du tout, quoi). Pis les fesses. Trop musclées, trop massives, pour son gabarit je veux dire. J'y crois pas. Honnêtement, j'y crois pas. Même en faisant des séances de fentes-avant intensives, t'as pas des fesses comme ça.
Non, c'est honteux. Ou alors c'est génétique. Bon ok je suis jaloux, et mauvaise langue.
En tout cas c'est un film où y a des putains de sfx merveilleux, ça au moins on peut le dire.
(Bon, pour le côté rock-rebelle qui dépote les orteils, on aura quand-même droit en interlude à une church-jam d'accordéons furieusement pogo-kusturicesques, du genre à défriser les moumoutes, et qui aurait fait un chouette clip sur arte pour le cirque du soleil ou Zingaro, en 2003. Unique moment qui m'a enthousiasmé, je dois dire. Même clichetonnant, c'était bath-punchy. Là, y avait quelque chose. Une niaque, de la vie, de l'émotion. Un peu comme dans le quadrille du Van Gogh de Pialat:)
Doux Jésus, quel nanar atteint d’éléphantiasis, ce Holy motors.
Dès l'ouverture, je me suis senti cerné par une imagerie "surréalisante" tarteàlacrèmifiante, qui n'augurait pas que des bonnes choses. Le type en pyjama, avec les lunettes Armani à verres fumés (fabriqués à Lausanne) sorties de chez Ardisson, la choucroute à pointes qui retombent estampillée "pop star punk has been des eighties", mélange de Jackie Quartz, Louis Bertignac, Catherine Lara après une chimio, j'avais pas capté d'emblée que c'était Carax en la personne de lui-même.
Ainsi donc, c'était une audacieuse mise en abyme, comme on en fait à tire larigot dans des spectacles de théâtre subventionné d'avant-arrière garde: l'artiste-metteur en scène se met en scène, tâtonne d'un lent pas dans un novotel, en longeant un papier peint mysterioso qui, en trompe l’œil, suggère quelque forêt nocturne de bouleaux nordiques d'une phosphorescence blafarde du plus bel effet. On croirait vraiment pouvoir s'agripper aux branches. C'est alors que se révèle, on ne s'y attendait pas du tout, une entrée dérobée et secrète menant aux mystères envoûtants et profonds d'un moi-tout (détenant la clef, par la magie méliesque de l'enfance, de la boîte à malices de ses souvenirs nostalgineux). Une ingénieuse ingénierie sonore artisanale nous évoque un gros cargo melvilien en partance, plein de fret lourd de 13 années de miroirs brisés qui portent malheur.
Comme dans les meilleurs films ratés de Jaco Van Dormael allant chercher (avec son mister nobody) son magritte d'or avec les dents, on sent qu'on va faire une espèce de voyage pas commun. D'autant moins commun et planplan que l'artiste débouche, comme de juste, sur le balcon d'une scène de cinéma-théâtre, où une salle de spectateurs semi-zombiques nous alerte que le cinéma en tant qu'objet réflexif de réflexion réfléchissante, va donc être le cœur et le sujet d'un dispositif très osé, qui va questionner quelque part son devenir, l'avenir de son passé, surtout, et placer l'artiste exilé en blanc pijama au cœur de ce vertigineux voyage dans des doubles de sézigue. Pessoïens. Rien que ça. On a envie de pouffer, déjà. Pourtant, tout n'est pas que rire dans cette magnifique œuvre ludique autant que crépusculaire.
C'est certes assez cuculapraloche, comme incipit. Mais comparé à ce qui va suivre, attention, c'est quand-même un véritable pur moment magique de cinéma brut en liberté comme on en voit deux par siècle, et encore. Selon la presse spécialisée allocinesque.
Dans un vertigineux dispositif d'emboîtement de poupées russes gonflables pirandelliennes en quête non d'auteur mais de spectateurs absents, vitrifiés par le monde moderne à l'âge de la reproduction technique (cette accumulation de spectacles conchumérichtes, etchetera, où on ne sait plus hélas ni rêver ni s'enchanter ni s'ébaubir, ni croire encore à la magie révolutionnaire du cinéma des origines), vont ensuite se succéder, en rangs serrés, jusqu'à la fin salvatrice :
30 tonnes de métaphores insistantes, usées jusqu'à la corde, et de symbolisme à trois-cinq balles. Sur le virtuel qui a tué la vie et le réel, le cinéma, l'amour et tout ça. Les tombes au père Lachaise ont comme épitaphe "visitez mon site web". Mais waouw, quoi. Ironie légère, subtilité du trait, à la jadis-Sempé, pour évoquer les masses solitaires atomisées et aliénées par leur ordinateur (de pompes funèbres, puisqu'on en est à des formules percutantes que même Gérard-taxi-Pirès n'oserait pas placer s'il remakait son film du même nom). Tout comme cette pique acérée, sur les grises banlieues résidentielles (Philippe Val ou Alexandre Adler ont du adorer): le pauvre plouc qui retrouve sa petite famille - cad des chimpanzés. ça c'est une allégorie bien trouvée ("allez, gorilles", qu'est-ce qu'on se marre. On se croirait dans Hara-Kiri du temps de Siné et du professeur Choron, la grande époque "libertaire" - tu parles). Et Manset, s'auto-recyclant, couine lamentablement là-dessus, avec un texte qu'on croirait pondu pour Julien Clerc par un Dabadie sous laroxyl.
Puis quel mime génial, ce Lavant. Comme dirait Timsit parlant de Michel Leeb, il passe de mendiante roumaine-bossue-à-chicots à fantomas super-fucker en latex-à-capteurs, et d'anthropophage pierrafeu à Guy Hamilton vieux, avec une virtuosité vertigineuse, là encore.
Maintenant, faut le dire, aussi: s'il était pas là, s'il faisait pas le show à lui tout seul, s'il donnait pas généreusement de son corps et de sa gueule hallucinants de faune méphistophélique, ça serait ptêt un nanar. Mais ça serait un nanar sans vie, sans folie, pas sympa.
Poésie ringarde à deux sous, une sorte de sous-Prévert de carte postale de Paris sous cloche de verre. C'est que du clicheton creux à tous les étages. Jeunet-Caro enfoncés les coudes dans le nez. L'éternel jeune vieux con paradigmatique nous refourgue ad nauseam toute sa quincaillerie naphtalineuse pseudo poético-philosophique, digne d'un cahier clairefontaine d'ado qui se prend pour Rimbaud ou je sais pas quoi, alors qu'il en est l'exacte antithèse mortifiante. Rimbaud nous disait: "il faut être absolument moderne"; Carax nous dit: "il faut être absolument réactionnaire". Et de faire interminablement défiler ses vignettes fétichistes, citationnelles et auto-citationnelles (y doute vraiment de rien) d'un âge d'or à jamais révolu. C'est vraiment le triomphe du cinéma d'antiquaire, sentant à chaque plan le musée de cire astiqué et le cadavre embaumé.
Bref, un concentré de nostalgisme narcissique et morbide. Et ça pue le fric pour dire merde au Fouquet's. Toujours le même branle-trip depuis les amants du pont neuf. On sent trop que le gars se fantasme comme le dernier des mohicans ou des poètes dans un monde où il n'a plus sa place, snif.
Dialogues-monologues "funèbres" - quand il y en a (il aurait pu nous épargner ça aussi) - aussi emmerdifiants qu'un feuilleton de Nina Companeez. Entre autres, la scène de Guy Hamilton fatigué et de sa secrétaire estropiée à son chevet. Y va la cracher enfin, sa valda, oui ou merde? J'en pouvais plus... Mais non, y se relève, comme un Lazare chiant, et ça continuuue. Oh la purge. Le colloque à la Samaritaine en ruines, par les deux vieux amants, qui se clôt d'abord par une imbitable chansonnette en hommage à Christophe Honoré rendant hommage à Jacques Demy, puis un suicide tristoune en forme d'écrasage sur le trottoir. Bwoaf.
Ah bigre... "ça donne bien à méditer", tout ça. Sur toutes les belles choses du monde d'avant, envolées, ma bonne dame. Le cirque, les acrobates, les transformistes, le mime marceau, la petite loge de l'artiste, avec les lampions, les facteurs à vélocipède, remplacés par les machines déshumanisantes des américwouains.
Sur le fond et la forme, avec ou sans limousines, je sais pas même si Cédric Klapisch parvient à faire aussi nase et visqueusement luisant avec son Paris (entre autres), un pic qu'on croyait indépassable dans l'histoire des daubes prétentieuses du cinéma français. Avec Le jour et la nuit de bhl, et surtout le Cinéman de Moix - avec lequel ce HM entretient des correspondances plus que troublantes, qu'il conviendrait d'analyser par le demi menu car insuffisamment soulignées à ce jour.
Une jolie photo léchée et de beaux travellings chiadés n'y changeront rien. ça fait pub martini-dry tendance sociocu pour la mairie de Paris et le guide du routard des Champs-Élysées. ça m'a fait penser aussi, non pas aux Yeux sans visage de Franju (y pousse vraiment les bobonnes, puis Franju, Franju, scuzi, ça sent un peu l'amidon aussi), mais à Subway de Besson. La touche 80s en moins mais son esprit gélifié en bonus.
Qu'est-ce qu'on pourrait dire encore?
Je me demande quand-même si la bite dressée à Lavant, c'est pas une prothèse en caboutchouk trop bien imitée, parce qu'elle bouge de façon absolument pas naturelle (cad qu'elle bouge pas du tout, quoi). Pis les fesses. Trop musclées, trop massives, pour son gabarit je veux dire. J'y crois pas. Honnêtement, j'y crois pas. Même en faisant des séances de fentes-avant intensives, t'as pas des fesses comme ça.
Non, c'est honteux. Ou alors c'est génétique. Bon ok je suis jaloux, et mauvaise langue.
En tout cas c'est un film où y a des putains de sfx merveilleux, ça au moins on peut le dire.
(Bon, pour le côté rock-rebelle qui dépote les orteils, on aura quand-même droit en interlude à une church-jam d'accordéons furieusement pogo-kusturicesques, du genre à défriser les moumoutes, et qui aurait fait un chouette clip sur arte pour le cirque du soleil ou Zingaro, en 2003. Unique moment qui m'a enthousiasmé, je dois dire. Même clichetonnant, c'était bath-punchy. Là, y avait quelque chose. Une niaque, de la vie, de l'émotion. Un peu comme dans le quadrille du Van Gogh de Pialat:)
Invité- Invité
Re: Holy Motors
Eh bien en voilà une belle critique littéraire au sens "nulle" (ou Positif) du terme, càd une critique du sujet, pas une fois traversée par l'idée qu'un rythme, un geste, une expression, en gros l'espace et le temps et comment tout ça se structure et ce que tout ça bâtit, bref ce qui fait la "spécificité" du cinéma (pour parler comme grand-papa qui s'y connaissait un peu), ça existe indépendamment de "ce que ça veut dire".
Et suffit pas de citer Jeunet ou Besson pour croire avoir décrit de ce que le film nous montre. Par exemple l'abattement de Lavant, dans la scène finale, est bien plus fort que toute ton ironie et tes références banales à Philippe Val, et même plus fort que tous les discours que pourra tenir Carax sur le cauchemar pavillonnaire. Carax a vu quelque chose et a réussi à le représenter, et ça tu peux courir après, monsieur j'ai-mon-style-pas-touche-bande-de-jaloux.
En réalité, mon garçon, c'est bien ton gros texte plein à craquer d'autosatisfaction qui est atteint d'éléphantiasis. Carax est beaucoup moins hystérique et cabotin que toi, et d'ailleurs son film est classique au beau sens du terme : mesuré, posé, ferme. Il est précisément mature, et c'est toi le gamin incapable de s'en rendre compte, excité comme une puce que tu es à l'idée de "te faire" Carax. Ce qu'il pense par ailleurs de la modernité le regarde : un sujet ne fera jamais qu'un film est bon ou mauvais. J'en connais, des films "révolutionnaires", qui sont insipides et même nuls à chier. Et être "anti-réac" ne t'empêche pas d'être un sombre crétin, pas vrai ?
Et de trouver le moyen de s'exciter pile-poil quand c'est prévu, c'est-à-dire quand la musique s'excite, c'est-à-dire quand c'est le plus facile de s'exciter. C'est que ça ne s'arrange pas, hein mon petit ? Toujours aussi médiocre et malheureux, comme de juste. Et lâche comme pas deux.
Bisou.
Et suffit pas de citer Jeunet ou Besson pour croire avoir décrit de ce que le film nous montre. Par exemple l'abattement de Lavant, dans la scène finale, est bien plus fort que toute ton ironie et tes références banales à Philippe Val, et même plus fort que tous les discours que pourra tenir Carax sur le cauchemar pavillonnaire. Carax a vu quelque chose et a réussi à le représenter, et ça tu peux courir après, monsieur j'ai-mon-style-pas-touche-bande-de-jaloux.
En réalité, mon garçon, c'est bien ton gros texte plein à craquer d'autosatisfaction qui est atteint d'éléphantiasis. Carax est beaucoup moins hystérique et cabotin que toi, et d'ailleurs son film est classique au beau sens du terme : mesuré, posé, ferme. Il est précisément mature, et c'est toi le gamin incapable de s'en rendre compte, excité comme une puce que tu es à l'idée de "te faire" Carax. Ce qu'il pense par ailleurs de la modernité le regarde : un sujet ne fera jamais qu'un film est bon ou mauvais. J'en connais, des films "révolutionnaires", qui sont insipides et même nuls à chier. Et être "anti-réac" ne t'empêche pas d'être un sombre crétin, pas vrai ?
Et de trouver le moyen de s'exciter pile-poil quand c'est prévu, c'est-à-dire quand la musique s'excite, c'est-à-dire quand c'est le plus facile de s'exciter. C'est que ça ne s'arrange pas, hein mon petit ? Toujours aussi médiocre et malheureux, comme de juste. Et lâche comme pas deux.
Bisou.
Baldanders- Messages : 351
Re: Holy Motors
Merci Baldanders, pour cette belle critique de ma "critique", qui une fois encore m'a perçé à jour, a saisi mes limites, et démontré ma médiocrité et mon malheur.
Tu n'as strictement rien compris à mon propos, le fil d'ariane qui l'inscrit dans la suite des "critiques" précédentes. Et c'est bien normal, puisque tu m'expliques bravement, depuis des années, que c'est un "tissu de conneries". Rien de nouveau, donc.
Et ce qui réjouit, comme d'habitude, c'est que pour que t'aies enfin quelque chose à raconter, autre qu'un copicol et de plus de trois lignes, il faut que tu t'arcboutes à mon éléphantiasis (le scoop: je passe mon temps ici à dire que c'est la caractéristique de mon "style": je décris donc l'éléphantiasis avec éléphantiasis), il faut que je sois au centre de tes puissantes projections psychologiques. C'est le prétexte, une 5001è fois, de démontrer plein de choses sur ma nature. Démarche courageuse, et opiniâtre, et constructive, que je salue.
Je ne vais pas te demander de me lâcher la grappe, je sais que c'est ton aliment. Il est donc évident que tu me suivras à la trace et à l'odeur, pour révéler au monde toute une série de tares fondamentales dont je suis porteur, et qui sont bien connues.
Simplement, tu m'excuseras: par lâcheté, je ne chercherai pas à répondre. En pure perte, puisque ce même tissu de conneries, le mien, a été amplement débattu ailleurs, et par le menu. Je vais donc fuir, éviter, et refouler. Et ne me risquerai pas à réagir dans le détail à ta brillante analyse, son inconsolable bêtise prétentieuse et pontifiante, elle aussi, et à côté de la plaque. Ce serait plonger tête baissée dans ton petit jeu de pervers, pour la 5002è fois.
PS: ton opiniâtreté et ton courage t'incitent à poster ta critique aussi sur mon blog. Par lâcheté, là encore, tu m'excuseras de poster là-bas la réponse que je t'ai faite ici. Et, au cas où t'aviserais de continuer à m'y harceler de tes pets de grenouille constipés, je t'effacerais bien entendu.
Tu n'as strictement rien compris à mon propos, le fil d'ariane qui l'inscrit dans la suite des "critiques" précédentes. Et c'est bien normal, puisque tu m'expliques bravement, depuis des années, que c'est un "tissu de conneries". Rien de nouveau, donc.
Et ce qui réjouit, comme d'habitude, c'est que pour que t'aies enfin quelque chose à raconter, autre qu'un copicol et de plus de trois lignes, il faut que tu t'arcboutes à mon éléphantiasis (le scoop: je passe mon temps ici à dire que c'est la caractéristique de mon "style": je décris donc l'éléphantiasis avec éléphantiasis), il faut que je sois au centre de tes puissantes projections psychologiques. C'est le prétexte, une 5001è fois, de démontrer plein de choses sur ma nature. Démarche courageuse, et opiniâtre, et constructive, que je salue.
Je ne vais pas te demander de me lâcher la grappe, je sais que c'est ton aliment. Il est donc évident que tu me suivras à la trace et à l'odeur, pour révéler au monde toute une série de tares fondamentales dont je suis porteur, et qui sont bien connues.
Simplement, tu m'excuseras: par lâcheté, je ne chercherai pas à répondre. En pure perte, puisque ce même tissu de conneries, le mien, a été amplement débattu ailleurs, et par le menu. Je vais donc fuir, éviter, et refouler. Et ne me risquerai pas à réagir dans le détail à ta brillante analyse, son inconsolable bêtise prétentieuse et pontifiante, elle aussi, et à côté de la plaque. Ce serait plonger tête baissée dans ton petit jeu de pervers, pour la 5002è fois.
PS: ton opiniâtreté et ton courage t'incitent à poster ta critique aussi sur mon blog. Par lâcheté, là encore, tu m'excuseras de poster là-bas la réponse que je t'ai faite ici. Et, au cas où t'aviserais de continuer à m'y harceler de tes pets de grenouille constipés, je t'effacerais bien entendu.
Invité- Invité
Re: Holy Motors
Mais mon garçon, qui t'a fait croire que j'attendais une réponse de toi ? Autre chose : reprends le fil "Lost" depuis le début, reprends le fil "performances d'acteurs", reprends tes archives "enculture", et si tu oses affronter un miroir, tu te rendras compte que si l'un de nous deux ne lâche jamais l'autre, c'est bien toi. Ton aliment, c'est le harcèlement. Ici, je ne fais que te marcher dessus pour dire que Holy Motors est un bien meilleur film que ce que tes pauvres mains racontent, et si au passage je rappelle que tu es un médiocre, c'est d'une part pour venger quelques-unes de tes victimes, et d'autre part pour te le rappeler, au cas où tu le refoulerais. Tu commences à connaître la chanson, même si le sens des paroles t'échappe encore. Pas grave, on y reviendra tranquillou. Mais une autre fois hein, faut pas me prendre pour un puériculteur non plus.
Baldanders- Messages : 351
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