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les intouchables se touchent à l'infini : jamais

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Message par Borges Sam 7 Jan 2012 - 11:45

balthazar claes a écrit:Intouchables est un film qui pose la question de la différence, comme on dit. Banlieue Versus Handicap, rencontre au sommet des tabous de la société française, il fallait oser, ils l'ont fait, et ça parle aux gens.

Le Noir est joué par un vrai Noir, c'est dire s'il n'est pas joué du tout, au contraire tellement authentique, tellement naturel, naturellement pas-comme-nous. Sa différence ? Zéro culture, mais une vitalité énorme. C'est parce qu'il n'a pas de culture qu'il peut être si spontané, si simple et si funky. C'est vraiment l'africain de Sarko et Guaino, qui n'est pas encore entré dans l'histoire, etc. Chic, voilà l'histoire.

A l'inverse, le handicapé est joué par un non-handicapé. Ce n'est pas par phobie du handicap, mais plutôt par professionnalisme : car il est essentiel de montrer que le malade et le sain sont deux faces réversibles : le handicap c'est ce qui reste quand on nous a tout enlevé, notre vaporeuse "identité".

Dans ce film, le handicapé est le même, et le Noir est l'autre, et il s'agit de leur bonne vieille rencontre. Qu'apprennent-ils ? Que le maître-même peut allégrement bazarder son encombrante, fastidieuse culture, qu'il s'amusera bien davantage avec l'autre mais restera bien le même. Car en dernière analyse, ce qui caractérise ce même est d'être celui qui a plein de pognon. Ça suffit amplement, et ça ne se discute pas.

C'est un discours bulldozer.

C'est explicitement un film sur le dégoût, et l'habitude qui finit par lever le dégoût.

On voit les aides-soignants venus candidater chez Cluzet tous nuls, insipides, on se rit de leur "humanisme" gluant, de leurs mièvres bons sentiments genre souci du care. A l'inverse une franche relation commerciale, si possible détaxée, apporte le bonheur à l'employé aussi bien qu'à l'employeur. L'employé rigole, il semble épanoui, mais ce Vendredi n'entre toujours pas dans l'histoire, rien à faire, ça ne l'intéresse pas, et l'employeur s'apprête à le rejoindre pour entrer dans la légende. Images d'Epinal.

L'art contemporain est le motif du gag principal du film. Le serviteur se moque de voir son maître contempler un tableau non-figuratif, mais finalement se prend au jeu, peint sa propre toile, que le maître parvient à vendre onze mille euros - et les lui rend ! quelle élégance dans la remise de la prime à la motivation - en abusant toutefois du snobisme d'un acheteur.

Occident millénaire, pauvre Occident!... Ton art dégénéré témoigne de ton épuisement, toi qui as donné au monde la clepsydre, le cabestan. Deviens jachère, où viendront piller les peuples au sang plus neuf!... mais surtout reste bien le maître.
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Message par Borges Sam 7 Jan 2012 - 15:05

l'ami badlanders, dans ses essais de comparaison des cinémas us et français, qui l'occupent beaucoup, avait écrit ceci, il y a quelques jours déjà :

(21:25:13) Baldanders: on l'a dit, on le redira, le cinéma US mainstream est souvent infiniment plus respecteux de l'être humain que le cinéma français dit commercial
(21:26:50) Baldanders: j'ajoute que le cinéma américain, mainstream ou pas, est généralement plus lisible que le cinéma français, souvent ambigu, gêné aux entournures, contradictoire
(21:27:54) Baldanders: cette lisibilité, fondée sur une morale ou sur le refus de cette morale, est parfois lassante, parfois réconfortante
(21:29:19) Baldanders: elle repose sur l'idée d'un droit inaliénable de l'individu à un bonheur concret (pas à une satisfaction vague, cf. Intouchables)




Je ne vois pas très honnêtement en quoi il n’est pas question de bonheur dans le film « intouchables », mais d’une simple satisfaction vague...

On a quoi, des deux côtés? Un procès d’éducation, le Noir banlieusard éduque le Blanc, le Blanc millionnaire éduque le Noir... Le riche et le pauvre participent tous les deux au procès de leur perfectionnement mutuel.

Le Noir ne reste pas ce qu’il était au début, il a changé, il s’est civilisé, il a peint, il peut parler peinture pour draguer, il a écouté de la très grande musique, il a décidé de bosser (à la fin du film on apprend que le personnage réel est devenu entrepreneur ; pas mal) ;

de l’autre côté, le mec réduit par son impuissance physique à une espèce de sublimation absolue du corps, du désir… (le mec est un pur esprit, il vit dans la distance, par les oreilles (il ne touche rien, à rien) le sens idéaliste absolu ; il jouit par les oreilles, musicalement, et sexuellement) a dépassé ses limites, dans le mouvement, l'audace...et finalement l'amour... il a retrouvé, par l'autre, tout ce qu'il a été...

Le sauvage apprend les sentiments, découvre la haute couture, et la haute culture, les sentiments vrais, sans rien renier de son caractère, de son franc parler, de sa franchise, de son authenticité, de sa vitalité, le riche, qui n’avait rien à apprendre, mais juste à se griser dans des vitesses interdites depuis son accident finit par rencontre son amour ; la seule chose qui lui manquait réellement.


Notons que le Noir est essentiellement un déclencheur d’histoire amoureuse ; il résout trois cas ; et reste seul à la fin.

Le film est américain, à la fois réaliste et utopiste ; comique, donc.


C’est un film américain, un film cavéllien, qui nous dit une chose essentielle, le bonheur suppose le fric, la réussite individuelle, l’audace, la confiance en soi… La force du film, c’est de ne pas raconter d’histoire, de nous placer, au-delà de l’amitié d’un pauvre et d’un riche sur quoi tout le monde s’extasie, devant la réalité; le partage de valeur commune. Ce ne sont pas des "handicapés", mais de grandes individualités. Les vrais nuls ce n'est pas eux, mais les mecs qui ne sont pas engagés, le mec qu'on fout à la porte, parce que trop nuls...etc.

Ce qui fait se rencontrer la banlieue et la haute bourgeoisie aristocratique… au-delà de l’idéalisme, d’un idéalisme toujours atténué par le sens du réel, c’est le refus de la pitié…si les mecs ne sont pas engagés au début, c’est pas du tout à cause de leur humanisme, c’est à cause de leur hypocrisie.

Ils disent ce qui doit être dit. OS n’en à rien à foutre, il ne se vend pas, ne dit pas ce qu’il ne pense pas, bref, il a des couilles…

la sauvagerie de la banlieue, son manque de pitié, rencontre l’éthos libérale du refus de l’assistanat : pas de pitié pour les pauvres, pour les riches ; à chacun selon ses capacités, et l’amour en supplément…la seule chose qui ne dépende de rien, ni du look, ni de l’audace, ni du fric…

Film cavéllien, américain, sur le bonheur, donc, qui n’est pas un droit, mais l’objet d’une poursuite, dans des conditions de luxe suffisantes...

Dans « A la poursuite du bonheur », cavell note un truc essentiel, toutes les comédies analysées répondent à une condition essentielle, qui leur permet de parler du bonheur, de sa poursuite, car la morale perfectionniste du bonheur ne peut être accomplies, appliqués, mise en œuvre dans tous les contextes : un certain niveau de satisfaction, un luxe, le loisir, quelque chose qui est au-delà des besoins élémentaires. Tous ces comédies de remariage se déroulent dans un décor d’une richesse sans équivoque ; les gens ont le loisir d’y bavarder du bonheur des hommes, et donc le temps de s’en priver sans nécessité… c’est Emerson qui a exprimé de la meilleure manière le décor de ces comédies, dit cavell : « nous honorons les riches parce qu’extérieurement ils ont la liberté, le pouvoir et la grâce que nous sentons être le propre de l’homme, le propre de nous-mêmes. «


"intouchables " ne dit pas autre chose...c'est très concret, très réaliste et utopiste, on pourrait même comparer très favorablement le personnage du banlieusard Noir à celui interprété par James stewart dans "philadelphia story" : aucune envie chez lui...
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Message par Borges Sam 7 Jan 2012 - 15:23

L'art contemporain est le motif du gag principal du film. Le serviteur se moque de voir son maître contempler un tableau non-figuratif, mais finalement se prend au jeu, peint sa propre toile, que le maître parvient à vendre onze mille euros - et les lui rend ! quelle élégance dans la remise de la prime à la motivation - en abusant toutefois du snobisme d'un acheteur.

tout le monde s'inquiète devant cette remise en cause de la valeur de l'art contemporain (comme si c'était pas devenu un cliché savant et populaire)

tout ça est très convenu, mais contrairement au flic de beverly hills, OS ne contente pas de rire, de trouver nul qu'un truc pareille coute si cher, il peint, il fait pareil. Il démontre sa capacité, sans y croire... Puissance du faux qui dénonce le faux; il ne dit pas seulement tout le monde peut faire pareil, la même chose, il le fait...

Mais c'est pas le dernier mot, de la séquence, le dernier mot, c'est que la valeur des oeuvres n'est pas en elles, n'est pas intrinsèques; elle est performative, effet de champ, le mec qui achète le tableau ne se décide que lorsque le millionnaire sur sa chaise lui parle d'exposition, de salon...




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Message par Borges Sam 7 Jan 2012 - 15:34

Le Noir est joué par un vrai Noir, c'est dire s'il n'est pas joué du tout, au contraire tellement authentique, tellement naturel, naturellement pas-comme-nous. Sa différence ? Zéro culture, mais une vitalité énorme. C'est parce qu'il n'a pas de culture qu'il peut être si spontané, si simple et si funky. C'est vraiment l'africain de Sarko et Guaino, qui n'est pas encore entré dans l'histoire, etc. Chic, voilà l'histoire.
Le Noir n'est pas joué par un Noir, mais par OS; c'est très différent; et le mec ne joue pas naturel, il surjoue... joue donc avec l'imagerie... c'est là que s'inscrit la différence, dans l'écart entre l'imagerie et le Noir réel; différence bien entendu ambivalente... comme toute forme d'ironie...

La vitalité énorme ne se met en évidence, en oeuvre que dans l'espace riche; rien de vitaliste dans la banlieue; le mec n'y existe pas, il est complètement éteint; en changeant d'espace, il change de nature, se métamorphose; c'est dans l'espace bourgeois, riche que se révèlent ses capacités...

(ce qui manque à ce monde...rien là de très original, en fait... on peut remonter aux analyses de schiller... dans les lettres sur l'éducation esthétique de l'homme...où il dit, en gros, les classes populaires peuvent apporter aux riches ce qui leur manque)


cette vitalité dans l'espace étranger, c'est un peu le contraire des analyses que deleuze fait de charlus, qui perd tout éclat hors de son univers... c'est aussi le contraire de dersou ouzala, ou de tarzan... ce qui indique un discours sur la banlieue, qui sépare les êtres de ce qu'ils peuvent...

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Message par Borges Sam 7 Jan 2012 - 15:47

« nous honorons les riches parce qu’extérieurement ils ont la liberté, le pouvoir et la grâce que nous sentons être le propre de l’homme, le propre de nous-mêmes. «

on pourrait dire aussi que le film renverse cette idée : « nous n'honorons pas les riches parce qu’extérieurement ils n'ont pas la liberté, le pouvoir et la grâce que nous sentons être le propre de l’homme, le propre de nous-mêmes. «

idée à poursuivre...

on pourrait dire que le film s'intéresse de manière très nietzschéenne à la genèse de l'idéalisme : l'impuissance transformée en valeur... le je ne peux pas, en je ne veux pas... ruse des incapables...là c'est bien entendu le riche, les valeurs nobles, bourgeoises qui sont visées...en un sens, le film serait une réponse à la question : "pq écoutons-nous de la musique classique assis?" parce que nous ne pouvons pas danser... du point de vue amoureux-sexuel, le mec ne peut pas baiser, ne peut pas bouger, et vit tout dans une espèce de sublimation courtoise absolue...

OS, comme les valets de toutes les grandes comédies (molière, par exemple) refuse le jeu de l'idéalisme, il sait le réel...l'importance du fric, du look...

mais finalement, c'est l'idéalisme qui l'emporte...

(notons que la fiancée idéale est française, dans le film, dans le réel, elle est marocaine... je crois, le vrai aide n'a pas non plus le corps de OS, et n'était pas un Noir...)





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Message par Borges Sam 7 Jan 2012 - 15:52

badlanders : regarde le film, il est américain; il ne dit qu'une chose : à chacun selon ses capacités...le vrai racisme du film n'est pas à l'égard du Noir banlieusard mais des types qui échouent à se faire engager...
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Message par Borges Sam 7 Jan 2012 - 15:56

l'imagerie que tu dis raciste, c'est celle du cinéma us, celle des blackface... donc...soyons un peu sérieux... aux américains qui ont accusé le film de racisme, on a répondu "et le flic de beverly hills c'est pas raciste"; c'est le même type, le Noir vivant, malin, qui se laisse pas impressionner par la civilité, les règles...irrespectueux, disant ses quatre vérités...plein de désir...
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Message par Borges Sam 7 Jan 2012 - 16:02

badlanders, faut juste regarder le film : sa morale est très américaine :"faut te bouger et ne pas compter sur le autres, ne pas envier les riches, ne pas chercher à changer le monde, mais à changer ta propre vie"

La morale du film est dans sa fin, son happy end : le personnage de OS a crée sa propre entreprise; il a appris, il a transformé tout ce qui lui a valu d'être engagé, son énergie, son intelligence, son sens de l'improvisation... en valeur libérale... il est devenu son propre maître...


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Message par Borges Sam 7 Jan 2012 - 16:22

profondément libéral (au sens capitaliste du terme), le cinéma américain ne conçoit pas de réussite qui ne passe par une lutte (même bidon, comme chez Spielberg, où c'est une lutte gagnée d'avance).
C'est toute la différence avec un film comme Intouchables, dans lequel, si badlanders :

on y regarde d'un peu près, en passant outre son matérialisme pseudo-américain, on peut voir que personne n'y lutte.
Il n'y a pas de lutte dans Intouchables, rien à prouver, rien à se prouver.
Il n'y a que l'illustration du slogan tautologique qui fait l'essentiel des programmes télé, et qui veut que : quand on est gentil et tolérant, tout le monde est content.
Vieux Borges se trompe donc, une fois de plus, lourdement

-je ne vois pas très bien en quoi la lutte est capitaliste, libérale...au cinéma, à moins de faire de la lecture idéologique d'amateur, l'image-action, le duel ne se déduisent pas du libéralisme, du capitalisme...


-OS n'est pas gentil, ni tolérant, il est, comme il est, comme l'autre gars sur sa chaise; c'est un film qui ne s'intéresse pas du tout à la tolérance et à la gentillesse; c'est un film sur l'authenticité, l'audace, la confiance en soi...sur la valeur individuelle et la capacité de ceux qui sont à la hauteur de la situation...

-le film est entièrement animé, mis en mouvement, par des luttes... OS et la fille qu'il veut baiser, OS et la fille du milliardaire... etc...

-et puis la grande lutte, c'est la lutte des valeurs du bas, et celles du haut... avec résolution dialectique... OS n'est pas le mec qu'il était au début... ne l'est pas non plus le millionnaire...

ils ont appris une vérité très simple, rimbaldienne : une vérité dans une âme et un corps, la capacité de chacun à être à la hauteur de sa vie...













-

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Message par Borges Sam 7 Jan 2012 - 16:26

pour le racisme (il faut suivre les conseils de rancière) et se souvenir de ce textes que j'ai souvent cité, ici : Racisme de l’intelligence

« Classe contre classe ».

Il faut avoir à l’esprit qu’il n’y a pas un racisme, mais des racismes : il y a autant de racismes qu’il y a de groupes qui ont besoin de se justifier d’exister comme ils existent, ce qui constitue la fonction invariante des racismes. Il me semble très important de porter l’analyse sur les formes du racisme qui sont sans doute les plus subtiles, les plus méconnaissables, donc les plus rarement dénoncées, peut-être parce que les dénonciateurs ordinaires du racisme possèdent certaines des propriétés qui inclinent à cette forme de racisme. Je pense au racisme de l’intelligence.

Le racisme de l’intelligence est un racisme de classe dominante qui se distingue par une foule de propriétés de ce que l’on désigne habituellement comme racisme, c’est-à-dire le racisme petit-bourgeois qui est l’objectif central de la plupart des critiques classiques du racisme, à commencer par les plus vigoureuses, comme celle de Sartre.

Ce racisme est propre à une classe dominante dont la reproduction dépend, pour une part, de la transmission du capital culturel, capital hérité qui a pour propriété d’être un capital incorporé, donc apparemment naturel, inné. Le racisme de l’intelligence est ce par quoi les dominants visent à produire une « théodicée de leur propre privilège », comme dit Weber, c’est-à-dire une justification de l’ordre social qu’ils dominent. Il est ce qui fait que les dominants se sentent d’une essence supérieure.

Tout racisme est un essentialisme et le racisme de l’intelligence est la forme de sociodicée caractéristique d’une classe dominante dont le pouvoir repose en partie sur la possession de titres qui, comme les titres scolaires, sont censés être des garanties d’intelligence et qui ont pris la place, dans beaucoup de sociétés, et pour l’accès même aux positions de pouvoir économique, des titres anciens comme les titres de propriété et les titres de noblesse.
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Message par Borges Sam 7 Jan 2012 - 16:54

ils ont appris une vérité très simple, rimbaldienne : une vérité dans une âme et un corps, la capacité de chacun à être à la hauteur de sa vie...

à la fin du film, on voit le personnage de OS s'en aller seul, dans une image typiquement américaine, celle des westerns, où le héros après avoir résolu les problèmes de ceux que la vie a mis sur son chemin s'en va au loin vers sa solitude existentielle...essentielle; la vérité n'est pas l'être-ensemble, le social, mais le deux de l'amour, au-delà de la solitude, ce qui nous complète, ce qui complète nos manques à être, c'est l'autre (lacan, ici)

le mouvement final du film, le départ de OS, qui me fait penser à celui de BG dans "going my way", nous dit qui fut le héros : OS, le mec qui a traversé des mondes, qui est passé d'un univers vers l'autre, qui dans les deux univers fut à chaque fois à la hauteur de sa vie et de son destin; il a réuni des amoureux, qui n'osaient pas se déclarer, et s'en va (his way), vers sa destiné... dans la fiction ce mouvement n'a pas de fin... c'est celui du héros typiquement américain, qui gagne pour les autres ce qui lui est interdit...il opère des synthèses, mais jamais celle de sa propre vie et du monde...il est la trace du manque, du désir, la trace que laissent les intouchables quand ils disparaissent de notre vie... en cela, on rejoint une autre question, celle que pose cavell : pouvons-nous donner notre consentement à une société où l'injustice existe, pouvons-nous y poursuivre notre bonheur, croire que nous y avons droit?



au fond, si on y pense, vers où fait signe le titre, qui sont ces intouchables, qu'est-ce qui ne peut pas être touché, pas touchable dans le film; il ne faut pas répondre trop simplement, pas avant d'avoir lu le titre de ce topic...

pour penser pleinement le film :

- le brancher sur celui de AK, la vénus noire, où était abordée aussi la question du touché, du respect, de l'humanité, depuis le voir et le toucher...dans ce film, nous apprenons que la noblesse et la bourgeoisie n'ont pas trop besoin d'être déniaisées, libérées de leurs "sublimations"; pas plus que le marquis de sade... La vénus noire, contrairement à OS, voudrait juste un peu de sublimation, qu'on l'écoute chanter, qu'on la prenne au sérieux comme artiste...c'est le bas qui représente l'art... pas le haut...


-le confronter avec Avatar, c'est la même histoire; il s'agit de dépasser une impuissance sensori-motrice, de retrouver un autre corps à travers la rencontre de l'autre; chez les américains, bien entendu, cet autre est agencé à l'univers, au puissance du virtuel, à la fiction...

(les scènes de parapente sont évidemment une allusion au film de JC)


-et à l'enfant-cheval...le film iranien...



le film français se situerait alors entre le film iranien et le film us...



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Message par balthazar claes Dim 8 Jan 2012 - 15:02

hello Borges,

quelques trucs vagues

je suis d'accord avec ce que tu dis, en même temps c'est quoi exactement un film américain fait en France par des français ? Un film qui se prend pour, qui imite, ou alors qui l'est vraiment ? Et le sait-il ou l'ignore-t-il ? Ici, ce serait plutôt un film qui se prend pour, et veut-il vraiment le savoir? Ce serait un film américain comme on dit sarko l'américain : américain par soumission, américain par bazardage de sa culture ?


La question de la banlieue ne se pose pas de la même façon ici et là-bas, je suppose. La "poursuite du bonheur" est accordée à tout le monde théoriquement ; ici cette poursuite est une greffe qui s'accorde mal avec nos histoires de pères, d'occupation et de colonies. On est plus gênés aux entournures là-dessus que le pays du patchwork. Et la vitalité, qualité naturelle de l'entrepreneur américain, du fountainhead,vitalité proto-nietzschéenne, a-t-elle le même statut, le même prestige ici ?





Robinson Crusoé ou les fourberies de Scapin ? Robinson l'isolé, qui, pour ne pas devenir fou de solitude, entame une relation avec le sauvage, et se réjouit de son innocence, et finit par lui apprendre le christianisme. Ou alors celui de Tournier, où Vendredi a appris à Robinson à aimer la nature, à renoncer au culte stérile de sa civilisation perdue, et où c'est lui qui part, laissant Robinson à jamais exilé volontaire.



On ne peut pas toucher le riche normalement, il est trop haut, la richesse crée la distance, il est inatteignable. Personne en revanche ne veut toucher le paria, par peur superstitieuse d'être contaminé par son impureté. Quand on est à la fois riche et infirme, on est doublement intouchable.

Quant au banlieusard, je dirais que le film fait mine d'assumer la question de son statut de paria de la société française, mais se pose prétentieusement au-dessus de la question ; il vient nous parler de la question, pour affirmer aussitôt qu'il n'est personnellement pas concerné. Le riche, doublement intouchable, est supposé posséder doublement une lucidité supérieure, l'art de voir au travers des apparences. Ayant perdu ses illusion, mais pas encore regagné le goût de la vie, il n'est du moins plus victime de la superstition. Le pauvre, lui, n'est pas délicat, il se tient en-dessous des préjugés. Dans un premier temps il est dégoûté par les soins à apporter à l'infirme, certes, mais ce n'est pas le même dégoût que celui des aides-soignants, plutôt de la surprise, et une inquiétude quant au droit : a-t-il le droit de toucher un homme ?

Racisme de la normalité, racisme de la santé, racisme du bonheur...

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Message par Borges Lun 9 Jan 2012 - 17:46

hello BC, pas le temps pour le moment de continuer la discussion, sorry...plus tard... Wink
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Message par Invité Dim 15 Jan 2012 - 11:44

Pitié je suis à Berlin et "Intouchables" est pratiquement le seul film visible. On voit aisi une immense affiche de François Cluzet en Chaise Roulante dans un paysage d'hiver sur la façade du "Kino International" de la Karl-Marx-Allee (une sorte de gigantesque ciné-club officiel de l'ex-RDA qui passait apparemment des films de l'Ouest comme les Fellini, dans une architecture mélangeant l'épure du Bauhaus avec le kitsch sci-fi des années 60, à la fois complètement préservé et reconverti en truc vaguement bobo décalé, mais le bâtiment est beau en fait). Ca fait drôle. Titre allemand: "Ziemlich best Freunde". J'ai l'impression qu'il y a résorbtion totale du concept de film d'auteur dans celui de buddy movie. Du coup la ville est triste. Bizarrement j'ai l'impression qu'elle a intégré la mort du cinéma et la mort de l'avant garde mieux que Paris ("la Neue Nationalegalerie", un musée qui commence à 1945 et s'arrête net à 1966, intéressant de la confonter au Centre Pompidou).
Sinon j'ai trouvé une trilogie allemande de Syberberg en DVD à 130€ mais ça fait cher.


Dernière édition par Tony le Mort le Dim 15 Jan 2012 - 21:28, édité 1 fois

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Message par Invité Dim 15 Jan 2012 - 20:53

Ce que je voulais dire c'est que l'accrochage et le bâtiment de Mies van der Rohe pour la Neue Nationalegalerie semblent avoir été conçu dès le départ avec l'idée qu'ils seraient démodés un jour, et même à partir d'une année précise: 1966 (finalement le batiment réintègre ensemble l'art informel, le pop art de Warhol Donal Judd et le courant de l'abstraction géométrique américaine dans un regard malrasien sur l'art avec l'idée qu'une culture a une signature spirituelle qu'elle se choisit dans l'art, sans doute en partie contre la logique des oeuvres, qui sont ainsi offerte à interprétation qui en fait des signes alors qu'elles voulaient se définir plutôt comme des processus, mais cette contradiction est visible et assumée, est elle-même programmatique).


Une chose que je n'avais pas vu auparavant à Berlin dans de telles proportions m'a frappé: un grand nombre de SDF (appelé les "sans-toits", on set que cela ne rcouvre pas tout à fai ce que l'on appelle en France les mal-logésd'une part et les SDF de l'autre, mais relie en même temps les deux aspects), souvent assez jeunes voire très jeune (16 ans), qui vendent pour subsister un journal semi-officiel avec un contenu rédactionnel liés à la société de transport public. Ils interpellent souvent sur un même ton partagés par plusieurs d'entre eux les voyageurs qui ne leur répondent pas (ou ne les voient plus), plus sur un ton de défi moral élémentaire que de provocation, un bon sens blessé à la fois infra-politique, entièrement déterminé sociologiquement et entièrement porté et réduit par la morale. Impossible de ne pas se dire qu'ils ont à peu près mon âge, ont peut-être étudié dans un pays ou la dichotomie entre enseignement supérieur technque et universitaire est encore plus marquée qu'en France et où sortir de l'université sans doctorat est très mal perçu (des trentenaires qui travaillent et ont une vie de famille mettent tout en oeuvre pour finir leur doctorat, sans doute parce que c'est le seuil le plus haut d'u système de surqualification des travaillers), que leurs parents vivent encore. J'ai vu dans le journal vendu uen carte liée aux réforme Harz IV qui annonce un taux de pauvreté de 25% dans la région de Berlin, le plus fort d'Allemagne.
On sent aussi que le coût politiquement assumé de la prospérité incluait le fait qu'une non-intégration ponctuelle dans l'ordre scolaire devient presqu'impossible à rattraper qu'elle ait été subie ou consentie. Enfin bref pas étonnant vu leur niaiserie que le sarkozisme et la presse française présentent précisèment cela comme un modèle et transforment en idéologie ce qui est invivable pour les premiers concernés. Vu de France, l'Allemagne est réduite à la personnde de Merkel et son gouvernement, Le pire c'est qu'ils croient peut-être en ce qui disent et cherchent une formule magique pour sortir de la crise en faisant des gestionnaires de l'état les seuls sujets de l'état. En Allemagne aussi pression de l'extrême droite qui tétanise le débat politique (elle est elle-même minorité qui vit dans la peur et la haine de la minorité), à la télé vu des images glaçantes (et reprises sur YouTube) de marches nocturnes aux flambaux de jeunes neo-nazi qui je crois se passait à Magdebourg et Dusseldorf: des jeunes de moins de 20 ans, look post-gothique post-rock, émo-fasciste, pour ainsi dire. Difficile de comprendre ce qu'ils veulent dire politiquement, leur principal slogan est sur les bombardement alliés de la seconde guerre mondiale et finalement paradoxalement sur la mémoire de la guerre comme consensus. le plus effrayant et ce qui les rattache aux anées 20 est le degré d'élaborations du code esthétique qu'ils utlisent malgré le néant politique de leur discours, et qui devient ainsi un palliatif à la politique. Ils sont insaisissables mais sans doute très facilement récupérables, si la bourgeoisie est confrontée à des peurs plus fortes que celle qu'ils représentent à présent. Au contraire les sans abris de Berlin ne semblaient pas décérébrés et conscients de la vulgarité des logiques de groupes à Berlin, j'avais l'impression horrible que la rue était presque devenue pour d'autres jeunes un milieu pour ne pas tomber dans cette autarcie et rester un individu dans la cité sans aucune base sociologique pour lutter.

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les intouchables se touchent à l'infini : jamais Empty Re: les intouchables se touchent à l'infini : jamais

Message par Dr. Apfelgluck Sam 21 Jan 2012 - 21:16

Je suis tombé là dessus :

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Message par Eyquem Sam 21 Jan 2012 - 23:45

Bof. Y a vraiment rien à dire.
Si on a envie de respirer un peu, le mieux, c'est encore de plus écouter tous ces types.
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Message par gertrud04 Lun 23 Jan 2012 - 22:54

Plusieurs articles lus sur le site de Libe qui sont vraiment durs avec le film.

«Intouchables»? Ben si…
Par GÉRARD LEFORT, DIDIER PÉRON, BRUNO ICHER
Bisounours.Enorme succès, la comédie sociale bien pensante d’Eric Toledano et Olivier Nakache, déploie tous les unanimismes du moment. Visite guidée.


Au lendemain de la troisième Journée mondiale de la gentillesse, entre Intouchables et Indignés, nous sommes pris dans les deux mâchoires d’un même étau : dire du mal, c’est pas bien. La comédie d’Eric Toledano et Olivier Nakache, sortie le 2 novembre, n’est déjà plus un film mais, du haut de ses plus de 2 millions d’entrées, un de ces fameux phénomènes de société qui contraint à se poser la question de l’unanimité. Intouchables, la polysémie du mot est riche : elle désigne la plus basse extraction dans le système indien des castes, pas touche aux intouchables, parias et maudits. Mais toucher aux Intouchables ce serait aussi toucher aux Incorruptibles (the Untouchables en VO) avec le risque afférent de se prendre, au mieux, une baffe. Touche pas aux Intouchables, comme on dit «Touche pas à mes potes !» Osons cependant que le succès du film est le fruit d’un conte de fées cauchemardesque : bienvenue dans un monde sans. Sans conflits sociaux, sans effet de groupe, sans modernité, sans crise. A ce titre, en cet automne, il est LE film de la crise, comme si la paralysie d’un des deux personnages principaux n’était pas seulement celle du film, mais celle d’un pays immobilisé et de citoyens impotents à qui il ne resterait plus que leurs beaux yeux pour rire et pleurer. Le beau et plat pays des Bisounours raconté par un film terriblement gentil. Visite guidée en sept symptômes.

L’histoire, c’est vrai

A deux reprises, Intouchables souligne que «ceci est une histoire vraie». Une première fois dès le générique, comme des centaines d’autres films qui trouvent dans cette formule magique la légitimité indiscutable de leur propos. Peu importe la manière dont cette histoire va être racontée, elle est «vraie». Avec ces Intouchables, on est donc aimablement priés, un flingue émotionnel sur la tempe, de s’attendrir sur la situation respective des deux personnages, l’un grand bourgeois dans un corps cabossé (tétraplégie), l’autre, black de banlieue, abonné au chômage. Au cas où les larmes ne seraient pas montées par litres aux yeux des spectateurs, une dernière couche est apposée au générique de fin. Les «vrais» personnages, ceux qui ont inspiré Omar Sy et François Cluzet, Philippe Pozzo di Borgo et Abdel Sellou, surgissent comme une sorte de preuve à l’appui. L’expression de «chantage au vécu» reprend plus que jamais de la vigueur.

La lutte, c’est pas classe

Intouchables promeut l’union sacrée des riches et des pauvres confrontés à leur échelle aux adversités de l’existence. La fable abolit la méfiance qui règne entre classes sociales et la remplace par un mélange de bonhomie et de sans-gêne. Personne n’exploite personne et les écarts de fortune ne sont jamais un problème ou même un facteur de frustration (du côté des employés). La comédie sociale française organise régulièrement ces rencontres entre bourgeois et prolos. On l’a vu dans les Femmes du 6e étage de Philippe Le Gay, ou récemment dans Mon Pire Cauchemar d’Anne Fontaine (une galeriste d’art et un beauf alcoolo doivent cohabiter au nom de l’amitié entre leurs enfants). Le plaisir collectif pris à ce type de fiction, c’est sans doute que le conflit global entre mondes sociaux (le thème de la domination) est ramené à une série d’incompréhensions factuelles et faciles à surmonter. Les antagonismes deviennent des quiproquos, les sources de révolte finissent en éclat de rire.

L’argent, c’est gentil

Philippe est milliardaire, Driss pointe au Pôle Emploi. Mais on se saura jamais combien ça leur rapporte à l’un ou à l’autre. Ni le montant du salaire octroyé au second pour devenir l’employé du premier. Quant à l’origine de la fortune du tétraplégique logeant dans un hôtel particulier à Paris… Boursicoteur, escroc financier, marchand d’armes, héritier ? A deux reprises cependant, il est question de certaines sommes. Lors d’une estimation d’un tableau d’art contemporain (plus ou moins 50 000 euros) et, surtout, lorsqu’il s’agit de rétribuer les débuts de Driss dans la peinture : 11 000 euros pour sa première toile, le compte est bon sous nos yeux en grosses coupures. Un black payé au noir (rires ?) Sinon l’argent invisible sert à se payer une armée de domestiques, des grands restaurants, des séjours dans les palaces, des allers-retours à la montagne en jet privé, des vêtements de luxe. Pour information, la Maserati, très présente à l’écran, dans le rôle du véhicule principal, coûte environ 130 000 euros.

Le sexe, c’est gentil (aussi)

Driss/Philippe, Philippe/Driss, beau couple ? Pas de panique, le film lève rapidement le début d’hypothèque sur le sous-texte homosexuel de cette rencontre de l’aristo à foulard Hermès et du gaillard à gros… bras en jogging Adidas. Encore que… Driss, comprenant que la seule zone érogène de Philippe, ce sont ses oreilles, n’hésite pas à les lui branler. Dragueur décontracté avec son corps (qu’il a bien taillé), le jeune homme trimballe sa libido sans trop avoir l’occasion de s’en servir, naviguant d’une scène à l’autre entre blagues et râteaux. Omar Sy est lui-même parfait dans ce rôle ambigu, alternativement macho et enfantin, archétype du beau gosse salace et comique ingénu à l’air perpétuellement écarquillé.

L’autorité, c’est grave

Driss a fait de la taule, mais il baisse la tête devant maman quand elle lui dit qu’il est un vilain garçon. Plus tard, Driss gronde son petit frère de 15 ans qui fait le dealer pour des mafieux du quartier. Il le «recadre» (le verbe est dans le film) comme il «recadre» la fille adoptive de Philippe, archétype de la gamine gâtée-pourrie qui ne respecte personne. Il remet aussi à leur place des automobilistes mal garés («Toi, Patrick Juvet, tu dégages !»). Le personnage du banlieusard foutraque, qui a des armes dans son sac de voyage et nargue les flics en roulant à 300 à l’heure sur l’autoroute, est aussi, quand ça l’arrange, le gardien sourcilleux du bon ordre. La morale à géométrie variable, assaisonnée de leçons de vie, est évidemment un ressort efficace pour tous et n’importe qui, car chacun veut la loi pour les autres et la liberté pour soi.

La culture, c’est pire

L’art contemporain ? Une imposture puisque j’en fais autant tous les matins dans ma salle de bains. La musique classique ? Un ennui à périr. L’opéra ? Une plaisanterie, d’ailleurs j’en ris. Baudelaire ? Un pensum, antidrague. Tout cela dit au nom du parler banlieue, du parler d’en bas, du parler incorrect, tous synonymes du parler vrai. Qui n’est pas du tout le fantasme d’un parler minoritaire, mais un parler dominant. Le film ne parle pas le français, il parle le TF1 en première langue et le Canal + en option travaux pratiques.

L’émoi, c’est mou

Pas besoin de micro-trottoir à la sortie des salles pour recueillir les émotions : on a passé un super-moment ensemble ; c’est distrayant ; mes enfants ont a-do-ré ; on rit, on pleure, que demander de plus ? Plus, toujours plus, justement. La dictature de l’émotion comme cache-misère de l’absence totale de pensée. Cet enfumage relève d’un marketing qui, bien au-delà d’un film, infeste la production culturelle majoritaire et son commentaire et fait pousser sa mauvaise graine dans le champ de la politique. Etre ému, c’est être pitoyable, ricaner et pleurnicher en masse au spectacle payant de ses propres néants et damnations. D’ailleurs le film, dans un rare moment d’égarement, le pense lui aussi, quand Philippe dit qu’il aime Driss parce qu’il est sans pitié !



La preuve par l’œuf
Par MARCELA IACUB


Comme les rêves, certains films permettent au public d’éprouver des jouissances inavouables déguisées dans les habits œcuméniques de la fraternité et de la bonté. Intouchables semble un exemple paradigmatique de ces étranges travestissements. On pense que la question que pose ce film est celle du handicap et des possibilités d’entente entre des individus appartenant à des milieux sociaux opposés. Le fait de nous en émouvoir nous montrerait à quel point nous sommes capables d’ouvrir notre cœur aux handicapés et de nous aimer en dépit de nos différences de classes.

Pourtant, derrière cette façade téléthon, la vraie question que pose Intouchables est celle de la légitimité des formes actuelles de la distribution des richesses. Pour ce faire, le réalisateur a mis en scène une histoire d’échanges entre deux personnages : Philippe, un handicapé ultrariche et Driss, un mauvais garçon des banlieues. L’un comme l’autre sont des incarnations de deux figures honnies de la société française. Le premier pour ses privilèges et le second parce qu’il est un assisté et un voleur. Or, l’animosité du public contre Philippe est vite réglée : il est tétraplégique. De son immense fortune il ne peut rien faire d’autre que de rechercher en vain à pallier son corps défaillant.

Une fois ces déséquilibres avec le spectateur ajustés, nous pouvons nous identifier à Philippe et penser, à partir de son point de vue, aux échanges qu’il va instaurer avec Driss. Lors de son rendez-vous d’embauche, celui-ci lui vole un œuf de Fabergé. Philippe y tenait car c’était un cadeau que sa défunte épouse lui avait fait en vingt-cinq exemplaires, un pour chaque année de leur heureux mariage. Philippe lui fait comprendre à quel point il était indispensable qu’il le lui rende. Mais le mauvais garçon l’a perdu en le livrant aux ignominies de sa famille de trafiquants, de voleurs, d’assistés et d’ignorants et il lui sera fort pénible de le récupérer. Or, dans le même temps, Philippe ne cesse de recevoir de Driss les choses les plus précieuses que seuls les enfants, les pauvres, les animaux, les fous, du fait qu’ils sont des dominés, peuvent donner aux dominants : leur point de vue sur le monde. Grâce à ceci, Driss peut apprendre à Philippe à se regarder et donc à relativiser ses certitudes et ses rigidités.

Mais, surtout, il va lui donner ce qu’il cherche le plus : une femme. Or, à l’occasion de ce don total et final, en même temps que Driss lui trouve la créature de ses rêves, il lui rend l’œuf volé. C’est alors que le riche, au lieu de lui dire «garde l’œuf», l’accepte. Comme s’il n’y avait aucun déséquilibre dans leurs échanges par le fait que Philippe reçoit de Driss aussi bien une nouvelle femme que l’œuf volé. C’est sur ce point crucial que le film livre sa terrible morale. Driss, contrairement aux apparences, a bel et bien reçu quelque chose de fondamental à ce moment même : il a compris comme c’est moche d’être un voleur et à quel point il est important de devenir un garçon honnête. Comme si la seule contrepartie que le pauvre devait attendre pour tout ce qu’il donne au riche était d’accepter les règles qui font que l’un est riche et l’autre pauvre. Tandis que si Driss avait gardé l’œuf, si Philippe lui avait dit qu’il devait le faire pour que le don soit réciproque, tout aurait été différent.

Le film aurait pu nous rappeler que les individus sont capables, dans certaines circonstances, d’échanger leurs privilèges contre plus de bonheur pour tous. Cette vieille question, on le sait, a montré dans le passé la capacité des sociétés démocratiques à produire de la justice sociale autrement que par les moyens de la violence révolutionnaire. Aujourd’hui, elle semble l’un des beaux enjeux des nouveaux mouvements populaires et pacifiques qui explosent dans les pays développés.

Or, dans ce film, cette mise en cause est entièrement absente. Le pauvre et le riche ne peuvent pas inventer ensemble un ordre social plus égalitaire et moins violent. Au contraire, ce qu’Intouchables nous montre c’est que, s’il y a des mauvais pauvres comme Driss, c’est parce que les riches n’ont pas su leur transmettre convenablement les principes qui leur permettraient de mieux s’assujettir à un ordre social injuste. Une morale qui rappelle la théorie de la panne des institutions éducatives pour apprendre aux pauvres la soumission à un monde devenu de plus en plus inégalitaire.

En bref, ce film nous présente les formes de révolte des plus démunis non pas comme un problème politique mais comme un problème de civilisation, de bonne colonisation, de transmission d’une culture censée être universelle et non modifiable.

Intouchables est ainsi une sorte de propagande voilée des politiques sociales de Nicolas Sarkozy. Le succès de ce film montre à quel point la société française lui reste fidèle sur le fond et pourrait annoncer, mieux que d’autres enquêtes d’opinion, celui de l’actuel président dans les urnes de 2012. Car on sait que si jamais le chef de l’Etat était amené à faire un second mandat, son but sera de rendre chaque œuf volé au lieu d’ouvrir de grands débats afin de savoir qui devrait être considéré comme leur véritable propriétaire.

«Intouchables» : Cendrillon des temps modernes
Par JEAN-JACQUES DELFOUR Professeur de philosophie en classe préparatoire


Ce conte de Noël, la rencontre entre un Black des banlieues et un richissime bourgeois de la capitale, trame d’autres fils : sadisme, pathétique (du mélodrame en barre) et déni de la réalité sociale. En fait, un remake de Cendrillon. D’où le succès.

Le fil sadique est le plus évident. Philippe, Crésus tétraplégique, vit un enfer. Sa richesse ne le protège ni de la douleur, ni de la souffrance, ni de la solitude. Dans le film, le bon Black chambre à fond le tétraplégique, à la limite du sadisme (la séquence «pas de bras, pas de chocolat», celle du rasage, etc.). Les rires énormes du public saluent son culot et attestent une jouissance sadique par procuration. Pour tous les spectateurs de cette mélasse mièvre et bien-pensante, c’est un soulagement de voir que richesse ne rime pas avec bonheur. On se vautre ici dans un bon gros proverbe à deux balles : l’argent ne suffit pas à rendre heureux. Ce qui requalifie la pauvreté (quelle joie de ne pas être handicapé, quoique pauvre !) et diminue la tension sociale due à l’abîme qui se creuse, dans toutes les sociétés, entre les pauvres, innombrables, et les riches que ce film protège.

La filière pathétique est chargée de cacher cette jouissance sadique. La détresse du handicapé est montrée sans fard mais suffisamment euphémisée. Elle est d’autant plus touchante que le personnage a plein d’humour, dispose d’un entourage adorable, d’une famille aimable. Rien n’empêche d’éprouver une émotion empathique, une pitié propre, bien-pensante, à son égard. Le Black des banlieues est lui aussi montré dans ses détresses, avec, constance oblige, un flot de clichés : famille décomposée, marmaille abandonnée à elle-même, pauvreté, précarité (pas trop élevée non plus), délinquance (mais pas trop grave). Driss est un bon gars, un type simple qui a une morale (des «principes» et des coups-de-poing), des manières grossières certes mais attachant. Et puis c’est un Noir, un bon garçon qui aime rire : un grand enfant, encore un qui n’est pas «entré dans l’histoire», comme disent les racistes à col blanc qui font les importants.

La leçon est simple : chacun souffre à sa façon, mon brave ! L’humaine condition universelle, vie de larmes et de souffrance, atteint tout le monde, indistinctement. Encore l’idéologie de la grande famille de l’homme ! Qu’on écarte tous ces discours malfaisants sur la lutte des classes, sur la violence par laquelle les bourgeoisies ont accaparé les richesses, les moyens de production et le pouvoir politique, sur l’histoire des décisions et des actes qui ont conduit à ces zones de relégation et à y enterrer vivantes des générations d’exclus, d’oubliés, d’humiliés, des générations entières qui se délitent dans le chômage organisé.

C’est un des effets principaux du film. Naturaliser la violence sociale et masquer cette opération par du racolage aux affects. L’ouverture du film, plan serré sur les visages, silence, complicité, piano romantique (dont la bande-son use à outrance, comme dans les mélodrames les plus lacrymogènes), fixe l’ambiance : sentimentalisme et désinvolture (un écho à Amicalement vôtre…). La mièvrerie plutôt que la complexité, les bons sentiments plutôt que l’analyse. Et le plaisir du comique dont il est naturel, viril et simple de jouir sans complications inutiles.

Ce film doit son succès public (des millions de spectateurs, doit-on s’extasier) à deux motifs. Cendrillon d’abord. Ce conte misogyne enseigne comment changer sa vie lorsqu’on est une pauvre fillette exploitée. La beauté de cette souillon ne peut suffire : il lui faut une jolie robe, de jolies chaussures, une belle bagnole avec de beaux canassons. Mais cela ne suffit toujours pas, il lui faut de la chance : un prince riche et puissant qui daigne la trouver ravissante et ne point s’émouvoir de sa basse extraction. Le message du conte est simple : l’instruction, la culture, le désir d’émancipation, la révolte sont inutiles ; la beauté cosmétique et le hasard ont seuls quelque puissance. Driss est une Cendrillon raccourcie : de la beauté mais des fringues banales et du chômage ; cependant, il tombe sur un prince charmant qui s’en énamoure, qui s’en entiche, l’habille en costard, et le sort ainsi du néant social où il croupissait. En chacun somnole un désir de régression, tout à fait satisfait par cette actualisation assez maquillée de Cendrillon.

Mais l’autre motif est l’exploitation du handicap. Le tétraplégique est un saint. Crucifié sur son fauteuil, sa vie est une longue, interminable et effroyable immobilité. Cette souffrance, qui émerge dans le film, est assez grande pour paralyser toute critique et forcer à l’éloge. Remarquer que le scénario marie ce que la langue commune appelle deux «déchets» sociaux (un Black des banlieues et un handicapé) déclencherait un sentiment de scandale. Pourtant, que signifie la pitié de crocodile sinon la peur panique de devenir comme eux ? Le handicap est, du point de vue imaginaire, le symbole d’une chute totale. Au fond de tout être humain, sommeille la peur de devenir handicapé, au propre et au figuré, socialement ou physiquement. Driss est le pendant social du handicap corporel de Philippe. Et ces deux éclopés s’associent, sous le signe de Cendrillon.

Le conte sert à excuser l’échec (qui n’est dû qu’au hasard) et l’utilisation du handicapé à déclencher des émotions et à diffuser une morale anesthésiante autant que légitime. Les gags viennent amortir l’éventuel excès d’affects. Un bon dosage, qui explique l’efficacité du film : une sorte d’unanimité obligatoire qui en dit long sur la détresse sociale dominante.

Le saint crucifié par sa tétraplégie et l’autre saint qui le sert, crucifié par son milieu de naissance et sa peau, forment un couple sacré, intouchable. Leur rencontre et leur amour sont une rédemption qui les lave de tous leurs péchés : l’arrogance et la hauteur sociale pour l’un, la délinquance et la déchéance pour l’autre. Un film religieux, sans autre Dieu que la richesse qui a permis cette rencontre. Un film parfaitement réactionnaire.


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Message par Borges Ven 3 Fév 2012 - 16:10

un simple en esprit (lecteur de Finkielkraut?) sur enculture croit avoir dit quelque chose du film en parlant de "populisme" (un terme dont il a appris le sens à la télé); le plus marrant c'est que le gars n'a jamais brillé dans la défense et l'illustration des vertus de l'intellectualité ou de la grande musique classique, au service de la publicité; sa spécialité c'est plutôt la beaufitude qui enculte tout;

rappelons à ce mec

-que le cinéma est lieu où se pose la question de la distinction des arts vils et des arts nobles (cavell)

-que la lecture de manny Farber lui apprendrait par mal de choses sur les termes "funk", "funky" en matière de goût, et de jugement cinématographique.

-que pour bien des théoriciens de la culture, la bourgeoisie est une histoire de gars et de filles "coincés du cul". Le problème est que le film a plusieurs siècles de retard, en s'en tenant à cette vision.

-que le personnage de driss occupe la place traditionnelle du personnage de la comédie : renversement des valeurs (tout ce que vous nous présentez comme noble a une origine vile,tout ce que vous nous présentez comme haut, noble, désintéressé est mensonge, hypocrisie...c'est l'intérêt, le fric, le sexe... qui mènent le monde...) on peut aussi penser tout ça avec freud, marx, nietzsche...

-que les deux personnages fonctionnent en opposition, on ne peut pas décider qui a raison, qui a tort, dans les jugements de valeur; le jugement d'un banlieusard disant "bach c'est chiant", le juge plus qu'il ne juge bach. Il faut du capital culturel, symbolique pour que cet énoncé ait une valeur. Dans le film, tout dépend de l'identification; lors de la scène de musique, avant la danse : on peut rire avec omar sy, ou rire d'omar sy, de son ignorance, de son manque d'éducation, etc.

-que omar sy a refusé l'invitation de sarkozy, contrairement au représentant des valeurs humanistes, nobles, et bourgeoises... donc le populiste l'est moins que le bourgeois...


ne cherchons pas à corriger les autres erreurs du gars, une vie n'y suffirait pas


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Message par Invité Mar 6 Mar 2012 - 21:15

Balthazar Claes a écrit :

Dans ce film, le handicapé est le même, et le Noir est l'autre, et il s'agit de leur bonne vieille rencontre.

cette formule à moitié exacte en appelle une autre, celle dont Lacan indiquait par là, la fin de la cure : " il n'y a pas d'autre de l'autre ".

Ici " la bonne vieille rencontre " ne s'est tout bonnement pas faite.

le film fige, glace sans motif autre que la vanité.

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