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Avec Sergey Dvortsevoy et le documentaire

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Message par adeline Lun 4 Oct 2010 - 22:14

Hello Borges, JM,


ai vu "Bread Day" hier soir, malheureusement dans une copie vraiment pas top. C'est un étrange saut, de passer de Tulpan, dont j'écoute encore la chanson en boucle, à l'âpreté de "Bread Day".

Le jour du pain, dans un village ouvrier presque abandonné près de Saint-Pétersbourg. La locomotive traîne jusqu'à plus d'un kilomètre du village un wagon vert. Les dernières centaines de mètres de rails sont rouillées, il faut pousser le wagon, en plein hiver, jusqu'au village. Puis, toute la journée, la seule journée de la semaine, l'épicerie a du pain à vendre. Lorsqu'il n'y en a plus pour les derniers clients, c'est toute la semaine qui s'annonce sans pain. Le lendemain matin, il faut repousser le wagon jusqu'à l'aiguillage. Le wagon vert dont les roues ont gelé pendant la nuit.

Il n'y a pas grand chose de la vie espiègle et légère de Tulpan dans Bread Day, à part la fameuse scène du bouc au balcon (un cadre sur une étable. Une chèvre descend de son toit et bêle tristement en traînant. La tête d'un bouc apparaît alors dans une lucarne de l'étable. Retrouvailles, bisous, câlins, c'est Roméo au balcon et Juliette dans la cour comme je l'avais lu je ne sais plus où).

Avec Sergey Dvortsevoy et le documentaire - Page 2 101005120054374916870399

Tout le film fonctionne autour d'une grande analogie, dont j'aimerais bien réussir à déterminer le sens, entre les hommes et les bêtes, autour de la nourriture. À deux scènes de grande engueulade dans l'épicerie, entre l'épicière qui n'a pas assez ou plus de pain et ses clients mécontents, répond la scène de la chienne et de sa portée de chiots. Dans un cas, il s'agit de pouvoir manger du pain. Dans l'autre, pour la chienne, de pouvoir manger sa nourriture sans que ses chiots ne tètent ni ne mangent à sa place. L'épicière fait sortir une chèvre subrepticement entrée dans l'épicerie de la même manière qu'elle en fait sortir un client aussi subrepticement revenu (et qui aimerait bien qu'on arrête de filmer).

Le film est très simple. Deux séquences autour du wagon. Une grand séquence dans l'épicerie-boulangerie (quatre scènes). Deux pano à 360° lents et beaux sur le village. Quatre scènes avec des animaux. En dehors des scènes du wagon, l'exposition et la conclusion, il y a autant de scène avec les animaux qu'avec les hommes.

Le tout, autour de la nourriture. La nourriture et les animaux, comme le disait Borges, ce sont les deux thèmes importants de SD.

Quel est le sens de l'analogie ? Que SD compare les hommes et les animaux tout simplement ? Cela me paraît improbable. Tu disais Borges, qu'il fallait penser aux trois fonctions de l'image de Rancière. Il y a l'arrêt pur du sens ; je ne sais pas ce que cela peut vouloir dire pour Rancière, mais dans les films de SD les animaux ne sont-ils pas là uniquement parce qu'ils sont là justement, dans le village, partout, sans que cela veuille dire autre chose que leur présence ? Arrêt pur du sens ? En même temps, la scène entre la chèvre et le bouc est bien au-delà du motif, puisqu'elle est la figure d'une scène d'amour, complètement, si on revient à Panofski via Huberman et Columbo (chouette voiture). Puisque c'est ce qu'on sentait dans Tulpan, que la question était d'être, là, dans la steppe, ce qu'on est.

C'est très bien cette distinction entre le motif et la figure, pour tenter de faire la différence entre une image-documentaire et une image-fiction. Mais cela ne fonctionne comme tu le dis à propos des deux images d'un visage de femme qu'à partir du moment où on sait d'où vient l'image, et comment elle a été fabriquée. Pareil pour la voiture de Columbo : si tu ne précises pas que c'est sa voiture, rien de l'image même ne permet d'en faire une figure dans une histoire. Et je me dis, pour les chèvres, elles ne sont pas là pour jouer Roméo et Juliette, et pourtant, n'importe qui n'en ferait-il pas des figures d'un couple d'amoureux ?

adeline

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Message par Invité Mar 5 Oct 2010 - 7:46

Borges a écrit:[justify]Une des marques de SD, c’est les animaux ; Il filme les animaux ; pas les mêmes que walt disney, ou que d’autres animaliers, il les égale, compare aux hommes, dans ses films, mais compare aussi ses acteurs à des animaux ; ils doivent être aussi bons que des animaux dit-il ; cela veut dire quoi ? un animal peut-il jouer ? certainement pas, dira-t-on; les animaux jouent, mais ils ne peuvent pas jouer au sens de l’acteur, jouer un rôle, jouer un autre vie que la leur, ils ne peuvent pas se mettre dans la peau d’un autre ;

Salut à tous,
je n'ai pas encore vu de film de SD mais ce que vous en dîtes, Adeline, Borges, donne salement envie.
Sinon, cette histoire de l'acteur, de l'animal et de l'enfant, c'est un vieux truc parfaitement véridique : seuls les meilleurs acteurs et les meilleures actrices peuvent jouer avec un animal ou un enfant sans en être ridicule ; le plus souvent, les spectateurs se mettent à regarder l'enfant ou l'animal, c'est à dire celui qui a apparemment le moins d'emprise sur son image (les chiens sont très forts à ce jeu là). Pour l'acteur, le problème du 'moins d'emprise" c'est qu'il passe au moins dans un premier temps par un "plus d'emprise".


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Riszard Cieslak dans Le Prince Constant. Une façon d'acteur de s'animaliser.

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Message par Invité Mar 5 Oct 2010 - 7:49


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ici, tout semble exister sur un même plan de fiction "lyrique" (l'englobant englobe tout); même si j'hésite un peu pour le cheval;

Je crois bien reconnaître Wyatt Earp mais je n'ai pas de souvenir de cette image dans le film. Photo de tournage ?

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Message par Borges Mar 5 Oct 2010 - 9:04

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-Je crois bien reconnaître Wyatt Earp



ce ne serait pas plutôt lui :


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ou lui

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ou lui

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ou lui

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etc.


-Je crois bien reconnaître Wyatt Earp



c'est tout le problème qu'il faudrait parvenir à construire...

avec Cavell




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Message par Borges Mar 5 Oct 2010 - 9:18


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quelle est la différence la plus immédiate entre ces deux images?

les uns jouent (les acteurs), les autres pas (les animaux ne sont pas des acteurs; aucun texte ne précède leur "comportement"...; en un sens, ils sont manipulés par le metteur en scène...même s'ils font bien ce qu'ils font, le sens de ce qu'ils font leur échappe; seul le metteur en scène et le spectateur avec un minimum de savoir sur la pièce peut savoir, lire là, voir là une allusion à roméo et juliette; il suffit de rien en fait, un balcon, une fille et un garçon, pas même en fait; la différence sexuelle n'est pas nécessaire; puissance donc de la pièce; comme avec la croix, il suffit de mettre quelqu'un en croix pour que jésus soit visible, ou du moins lisible )...

voir en tant que... montrer en tant que...

(bien entendu)

l'intéressant, le paradoxe : c'est précisément parce que les deux "animaux" ne jouent pas qu'ils sont plus proche de roméo et juliette, qui ne jouaient pas à roméo et juliette...

(naturellement, c'est pas aussi simple; ils étaient aussi en représentation; ils jouaient la scène du balcon; un rituel amoureux...)
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Message par Invité Mar 5 Oct 2010 - 11:17

adeline a écrit:
On se cogne ici à une idée qu'on a parfois tendance à oublier lorsque l'on parle de documentaire. Le mot a la même racine que le terme document. Le "document", pour les sciences humaines, est ce qui établit un fait, prouve l'existence de ce dont il est la marque. Un document, c'est une preuve d'existence. De réalité passée. Le documentaire, et non pas parce qu'il peut avoir recours à l'image d'archive dans sa construction, mais bien plutôt car il est supposé filmer "la vraie vie", garde encore en lui la présomption de rapport direct à ce qui a été filmé, et dont il témoigne de l'existence. Les ouvrières des usines Lumière, même en chapeau, et même au troisième passage de porte, ont vécu, existé, et ont travaillé dans ces usines. Et leurs chapeaux, si elles ne les portaient pas au travail, sont bien ceux-là qu'elles portaient en ville, en dehors du travail, ou le dimanche à l'église. La fiction de la même scène n'attesterait que l'existence de costumes, et de costumiers…

Mais ces circonvolutions semblent nous mener bien loin du cinéma.

Preuve. Marque. Persistance. Insistance.

Il y aurait, peut-être, une persistance, dans une certaine manière de considérer l'image de cinéma, de la vie qui a été filmée. Et sans parler de ce qui est réel ou imaginaire, vrai ou faux, existant ou fictif, on pourrait dire que le "documentaire" d'un film est ce qu'il reste, persiste, comme marque ou trace, de la vie telle qu'elle est hors de la fiction ; ce qui persiste au-delà du film, au-delà de la vie, de la mort. Il y aurait, dans cette partie "documentaire" des films, une équivalence, entre le réel et la fiction, le documentaire serait la persistance dans la fiction d'une trace de vie. Le documentaire permettrait aussi la fiction…

Il persiste, dans les épaules de Han Sanming, un peu de la lourdeur de travail de mineur qu'il a effectivement endurée. La douleur du travail de mineur qui a modelé les épaules de Han Sanming-mineur est la même que celle qui a modelé les épaules de Han Sanming-acteur. Pas de recherche de vraisemblance, de réalité ; c'est inscrit dans le corps. De même, persiste dans le corps de Ventura sa résistance vécue à l'espace des nouveaux appartements des immeubles blancs, quand bien même la scène avec l'agent immobilier est entièrement écrite. Et l'on pourrait continuer les exemples de ces traces insistantes du monde tel qu'il est dans les films qui le "poétisent".

Si l'image de cinéma peut être considérée comme trace, empreinte de ce qui a été, de ce qui est, il devient évident que documentaire et fiction ne sauraient être ramenés à un même rapport au monde.

Dans le 1° numéro des Spectres.

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Message par Borges Mer 6 Oct 2010 - 10:51

adeline a écrit:



Le jour du pain, dans un village ouvrier presque abandonné près de Saint-Pétersbourg. La locomotive traîne jusqu'à plus d'un kilomètre du village un wagon vert. Les dernières centaines de mètres de rails sont rouillées, il faut pousser le wagon, en plein hiver, jusqu'au village. Puis, toute la journée, la seule journée de la semaine, l'épicerie a du pain à vendre. Lorsqu'il n'y en a plus pour les derniers clients, c'est toute la semaine qui s'annonce sans pain. Le lendemain matin, il faut repousser le wagon jusqu'à l'aiguillage. Le wagon vert dont les roues ont gelé pendant la nuit.


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Message par Borges Jeu 7 Oct 2010 - 21:50






I don't make films during the edit, I make films when I shoot.
(dvortsevoy)



Alors, c’est quoi « bread day » ?



Un jour de pain qui n’est pas vraiement ce qu’il devrait être, un jour de fête ; pas de quoi non plus remercier le seigneur ; on ne peut pas ne pas penser à l’autre film sur le pain : jour sans pain de bunuel. C’est pas la même chose ; là manque le pain ; c’est la peur de son manque qui intéresse SD.

La nourriture, c’est vraiment une obsession ;

Bread Day nous montre (on ne peut pas dire qu’il peigne ou dépeigne ; le mode de relation de l’image à son sujet, si c’est un sujet, est difficle à préciser) une communauté, dit un type sur le net…

(Ce n’est pas un terme précis. Il est même menteur. La communauté suppose un commun, un partage, c’est le contraire ici. C’est juste des hommes et des femmes réunis par la nécessité (la violence de l’existence) ; des vieux et des vieilles pensionnés, dans un isolement total, sans liens. Ni dieu ni maître. On ne peut compter que sur soi. On ne se raconte pas d’histoire. Rien de sympa chez eux, ils sont violents, amers et sans illusions. Ils savent que pour vivre, il faut manger. Le bien et l’autre, ce sera pour une autre fois. De vrais tueurs. Les kazahks reprochent à dvortsevoy de ne pas donner une jolie image de leur pays, il n’est pas plus complaisant avec les russes. Elle est pas jolie la russie éternelle des petits vieux, et des petites vieilles. C’est pas du sokourov. Ces vieux et ces vieilles ne sont pas là pour donner des leçons spirituelles. Ils ne font pas de cadeaux ; les rares échanges dans le lieu de vente de pain sont des de conflits durs, presque uniquement faits d’insultes. C’est qu’il faut défendre son pain, et son boulot : la vendeuse accuse tout le monde de chercher à lui piquer sa place.

Dans ces conditions de rareté extrême, la communication, la communauté n’est pas possible. Les gens se battent pour leur pain. Nous ne sommes pas dans la jungle, mais ce qui lie les hommes et les sépare c’est la lutte pour le pain ; il n’est distribué qu’une fois par semaine, et il y en a pas des tonnes. Il est amené par train, mais le train s’arrête à deux heures du village, et il faut pousser le wagon jusqu’au point de distribution-vente.

Les vieux et les vieilles s’aident à pousser le wagon et ensuite se battent pour en avoir la plus grosse part ; chacun pense à soi ; les analogies du montage avec la chienne et ses chiots qui se battent pour un peu de nourriture nous donne une idée de cet univers. On est en russie (dans les dehors de saint petersbourg), pas au kazakhstan, mais c’est les mêmes conditions ; la dureté, l’isolement, la nécessité de la lutte contre la nature ; le froid, la neige, le manque de communication ; un autre thème de dvortsevoy ; y a souvent un moyen de transport qui ne marche pas trop ; qu’il faut pousser, qui refuse de démarrer ; je pense à la bagnole de « highway » ; ici c’est ce wagon qu’on doit pousser sur des kilomètres, en plein hiver russe, comme on dit. Dans Tulpan, on ne trouve pas de filles ; ici, c’est un autre manque : pas un seul jeune, pas de gosse ; pas d’avenir en un sens ; comparer cette absence de gosses avec les chiots nombreux que le chienne ne peut pas nourrir)


(un village où n’ira pas passer des vacances dolan, c’était avant l’invention de facebook et du reste; pq est-ce que je fais semblant de m'intéresser à ça ? On sent bien que j'en ai rien à cirer)

Le film s’ouvre sur les plans de ce wagon poussé.

Où se tient dvortsevoy dans ses films ? à distance ; il les suit à distance, ne les laisse ni s’éloigner, ni être très proches ; ils poussent, et il filme ; et ça reste ainsi, toute la séquence ; c’est pas facile à pousser ce wagon ; au début du film on ne sait pas non plus pq ils poussent, ce qu’il y a dedans ;


cette distance de la caméra produit un étrange effet, une effet convenu aussi et assez moral, toujours le même au fond, celui que suscite la fameuse photo de l’enfant et du vautour :

Sur IMDB : ivan from Barcelona, Spain, écrit :

How long do you think the old people have been pushing that wagon? What do you think it's more important?: to help them, for a few minutes, maybe an hour, and only for one day (the day(s) the director went there), or to film it, and show the conditions that those people had to live with?. I think, that the filmmaker's duty it's very clear. Don't miss the point, the help that Dvorstevoi provided those people was probably much bigger and complex than help them pushing a wagon. After I saw this film, I understood where cinema have to go nowadays, and no just for the theme, the form, extremely long takes, almost (and sometimes) a whole reel, avoiding the over saturation of cutting and shots, adopted in commercial cinema, video clips and -supposed to be- art and essay films. That's what I think.

La réponse est peut-être un peu trop rapide, et simple.

Il faut repenser ça, à partir de l’analogie du documentariste avec le vampire ; cette analogie n’est pas gratuite, elle est portée par le cinéma même de dvortsevoy, où la nourriture, le fait de manger ou de ne pas pouvoir occupe une grande place, c’est un cinéma, sinon de la faim, du moins de la peur de la faim.

comment bien manger, c'est la même question que comment bien filmer ; c'est là que dvortsevoy pousse vraiment sa question, et tente d'y répondre


Mais n’allons pas trop vite ;

D’abord cette histoire de distance




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Message par Borges Dim 10 Oct 2010 - 13:54




donc la distance;


de dvortsevoy, avant de raconter qu'il fait du documentaire transcendantal, comme ozu faisait de la fiction transcendantale, il faut d'abord pouvoir affirmer, c'est-à-dire penser, qu'il fait un cinéma de la distance;


distance, quel mot.

A quelle distance, demanderait blanchot, nous sommes de sa saisie, de sa compréhension?


au cinéma, la distance se mesure d'abord par la distance de la caméra à son "sujet"; à ce qu'elle filme ; distance dans laquelle vient se tenir plus ou moins tranquillement, confortablement le spectateur... cette distance, qui est ensuite dite esthétique, ou morale, il faut la gagner, la construire; elle ne se donne pas; il faut la trouver; il faut trouver la bonne distance (déjà nous formulons un jugement sur la distance) et la garder. C'est tout un art; comme disait pascal, on ne voit rien, ni trop proche, ni trop à distance; c'est la même chose quand il s'agit de filmer, mais si on le suivait, les choses serait très simple : la bonne distance serait une distance moyenne; hélas, aucun calcul ne permet de la donner; c'est à vos risques et périls, comme on dit; mais il n'en est pas autrement dans la vie, dans nos relations avec les autres.

Les hommes sont comme des hérissons en hiver : trop proches ils se piquent, trop loin, ils meurent de froid, alors ils passent leur temps, à s'éloigner et se rapprocher les uns des autres. (schopenhauer)



dans "les démons", dosto raconte les ravages de la proximité sans distance;







la séquence du wagon :

Pendant toute cette séquence, nous sommes à distance de l’effort de ces hommes et de ces femmes ; nous ne sommes pas avec eux ; et eux-mêmes ne forment que la plus rudimentaire des communautés, celle que rassemble le besoin, la nécessité ; à distance les uns des autres, bien que rassemblés, ils ne nous sont pas proches. Plus tard, en bons humanistes, nous éprouverons même pour eux une certaine antipathie; ils ne nous rassurent pas dans notre identité d’homme. Rien de plus éloignés d'eux que les moines de xavier beauvois : véritable piège tendu au regard ; véritable captation imaginaire.


Comment comprendre que dvortsevoy se tienne ainsi à distance ; s’agit-il de se protéger, de ne pas se mêler, ou alors devons-nous mettre cette distance sur le compte du respect ; la distance du respect ; que cherche-t-il à rendre ? la distance même ? l’étrangeté de l’autre, essentielle, et non pas la fausseté rassurante de notre commune mesure, une humanité sans singularité, sans violence, où la différence n’est acceptée que parce qu’elle aura été niée.

Quelle distance, donc ?


La distance entre nous et eux?
Entre les hommes, les choses, les animaux, et ce que les images en montrent ?
La distance entre le regard du spectateur et les corps qui peinent, qui affrontent la résistance de la matière ; et qui nous conduit à penser : "peut-on rester là et regarder ?"

Bien entendu, on le peut ; sans cela, il n’y aurait pas de cinéma, ni d’art.

(on connaît l'anecdote du sudiste qui, lors d'une représentation d'othello, monte sur scène pour empêcher un "nègre" d'assassiner une "jolie blanche"; il s'appelait bernard henri lévy)



Depuis bazin, une certaine pensée du cinéma le lie à la monstration, à la phénoménologie, à l’ontologie ; le cinéma nous donne les choses ; nous les montre ; par là, il serait plus proche du dévoilement, de la vérité au sens originaire, au sens de heidegger : "La vérité, avant de caractériser un énoncé ou un jugement, consiste en l'exhibition de l'être", mais demande alors levinas : qu'est-ce qui se montre, sous le nom d'être, dans la vérité ? Et, surtout qui regarde ?






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qu'est ce qui se montre ici?
qui regarde?

une réponse simple, pourrait être : la distance.
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Message par Borges Dim 10 Oct 2010 - 14:48

Avec Sergey Dvortsevoy et le documentaire - Page 2 Images?q=tbn:ANd9GcSo0QjNVruHdeKOsqoAYuZPUqMKmqYO9wJIsikl5ldu8fXmtBo&t=1&usg=__R_L-RXzfFVoR9ZXA9S6mAE0IkiQ=


La distance de l’image à ce qu’elle montre ne prend toute sa force, son sens, que si elle trouve à s’exprimer, que si elle insiste, dans l’image même, dans ce qu’on nomme « le sujet », les « thèmes ». Les obsessions d'un auteur, au sens fort du mot, qui nous conduirait à dépasser cette notion si rassurante d'"auteur"; l'obsession ne fait pas une identité, elle est ce qui le déborde; comme le montre hitch dans vertigo, l'obsession, c'est ce qui m'arrache à moi-même et me laisser errer dans les traces de l'autre. L'obsession, c'est le plus difficile, ce à quoi on voudrait échapper; le plus difficile à saisir dans l'œuvre, lui échappant nécessairement. L'obsession est rare; souvent ce n'est que du jeu, des variations maîtrisées de thématiques vides.

ce qui obsède dvortsevoy, c'est la distance; il ne peut lui échapper;

redis autrement :

Le cinéma de dvortsevoy est un cinéma de la distance, de l’absence de communication, et celle-ci n’a rien à voir avec les clichés que certains radotent à propos d’antonioni, par exemple. Ce qui se passe chez dvortsevoy est autre, pas seulement parce que cela se passe chez « des pauvres », et dans des lieux autres, des lieux sans lieu, où la distance, aux autres et à soi, résonne autrement, mais aussi parce qu’elle passe par des aspects plus essentielles de la condition humaine ; ceux qui la nient et la révèlent. Dans « highway », les personnages ne sont pas seulement enfermés dans l’étendue sauvage de la steppe, sur cette « autoroute », dans l’espace de l’errance misérable de leur spectacle, ils sont aussi enfermés dans leur voiture, comme l’aveugle de « in the dark », dans son appartement. Depuis le vieux tacot, c’est du moins mon souvenir, on ne voit jamais le paysage, l’horizon, la route ; c’est un espace sans expansion, privé de tout ; sans relation. Les quelques spectateurs des numéros ne dessinent aucune sortie. Les artistes semblent plus des mendiants qu’autre chose.

Dans la famille même, chacun semble enfermé en soi, en lutte, pour une certaine forme de solitude, un lieu de tranquillité ; le père semble le trouver dans la prière. Il n’y a pas de rapports entre le mari et la femme, jamais ils ne se parlent, ni entre les enfants, ils se disputent, se bagarrent, s’insultent. La mère, vraie figure de douleur, se plaint des bruits, des cris, de ses gosses. Elle ne sait qu’en faire. Elle crie, les insultes, les bat ; menace de les tuer.


C’est des menaces, innocentes, sans doute, mais elles expriment aussi quelque chose de fort, le désir du repos, le désir que l’errance se termine, et la misère. La nuit elle chante une berceuse pour endormir un des enfants. Moment de calme, image de suspension, et de sortie de la violence du monde. La chanson est souvent chez Dvortsevoy un mode de la ligne de fuite, en un sens faible. Une manière d’aller ailleurs, de se libérer. La chanson est présente dans tous ses films, sauf bread day, où personne ne chante (il me semble). La berceuse, dans ce cas, dans la calme de la nuit, ne vise pas seulement à nous donner de la mère épuisée, à bout de nerf, une image plus douce, plus tendre, et maternelle, elle montre aussi comment la nuit et le sommeil forment un territoire utopique, une délivrance.

Mourir, dormir disait Hamlet. C’est la bonne nuit, celle qui éloigne les soucis du jour.

Je pense à la nouvelle de Tchekhov où une pauvre fille doit garder le bébé de ses maîtres ; il pleure sans arrêt, à rendre fou ; à bout de nerf, morte de sommeil, sans s’en rendre compte elle l’étouffe.







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On mange toujours dans les films de dvortsevoy (sauf peut-être l’aveugle de « in the dark »). Les hommes et les animaux mangent, ce sont des êtres sensibles, des êtres, comme on dit, de besoin ; besoins, qui parfois rabaissent l’homme en-deçà de son essence, ou de ce qu’il croit être son essence ; les hommes comme les animaux ; faudra revenir la dessus, revenir sur cette proximité, sur le rapprochement que ne cesse de donner à voir dvortsevoy, sans que nous sachions immédiatement, avec certitude, ce qu’il vise à rendre, à donner, à voir. On peut cependant, sans trop se risquer, affirmer que chez Dvortsevoy, manger se situe dans la région de l’élémentaire, dans la région la plus essentielle, celle où la vie est sous la menace de la mort ; la région de la nécessité. On mange hanté par la faim. C’est elle qui, de la manière la plus violente et significative, dit la solitude violente de l’être, la distance au monde, à soi, aux autres.

Blanchot a écrit à ce sujet des pages décisives. Celui qui est réduit par la faim, la maladie, ou la pauvreté se retrouve privé de toute relation, à soi, comme aux autres ; il devient vide, et neutre, erre comme un fantôme « dans un espace où rien n’arrive » ; ce espace, c’est aussi bien la steppe, chez dvortsevoy, que l’appartement de l’aveugle, le village de « jour de paix » ; dans la faim, je ne suis pas seulement sans lien aux autres, coupé d’eux, livré comme eux à la lutte, je suis privé de moi-même (comme dans l’insomnie) ; ce qui tente de vivre alors est sans nom, sans moi, sans je, indistinct.

Bien entendu, nous n’en sommes pas là dans « bread day » ou dans les autres scènes de nourriture, celle de paradise, par exemple ; nous en sommes loin, mais manger est toujours une affaire de lutte, de rivalité, vécu sous la menace de la rareté, du manque. Il y a peut-être là quelque chose de russe, ou de juif, levinas, pour qui la faim est essentielle, comme dans la tradition biblique, où l’homme se nourrit aussi de pain, et pas seulement de paroles fussent-elles des plus sublimes, des plus hautes, remarquait que le dasein heideggerien n’a jamais faim ; critique un peu gratuite, mais signifiante. Dans « paradise » on voit deux gosses se de disputer pour finir un plat, juste après avoir vu deux chiots dans la même situation. Paradis, c’est un étrange titre ; ironique, sans doute ; mais il est curieux de constater, de lire chez Levinas : que « la simultanéité de la faim et de la nourriture constitue la condition paradisiaque initiale de la jouissance » Le paradis biblique est promesse de nourriture; en abondance.
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Message par Invité Lun 11 Oct 2010 - 11:22

Borges a écrit:
adeline a écrit:



Le jour du pain, dans un village ouvrier presque abandonné près de Saint-Pétersbourg. La locomotive traîne jusqu'à plus d'un kilomètre du village un wagon vert. Les dernières centaines de mètres de rails sont rouillées, il faut pousser le wagon, en plein hiver, jusqu'au village. Puis, toute la journée, la seule journée de la semaine, l'épicerie a du pain à vendre. Lorsqu'il n'y en a plus pour les derniers clients, c'est toute la semaine qui s'annonce sans pain. Le lendemain matin, il faut repousser le wagon jusqu'à l'aiguillage. Le wagon vert dont les roues ont gelé pendant la nuit.



Juste à côté de l'extrait du film de SD sur Youtube, il y a une vidéo intitulée Bread day où on voit quatre américains jouant à se battre à coups de petits pains emballés dans des sachets plastiques. De l'un à l'autre, l'effet est... woush.

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Message par Invité Lun 11 Oct 2010 - 11:34

Borges a écrit:

Sur IMDB : ivan from Barcelona, Spain, écrit :

How long do you think the old people have been pushing that wagon? What do you think it's more important?: to help them, for a few minutes, maybe an hour, and only for one day (the day(s) the director went there), or to film it, and show the conditions that those people had to live with?. I think, that the filmmaker's duty it's very clear. Don't miss the point, the help that Dvorstevoi provided those people was probably much bigger and complex than help them pushing a wagon.

Est-ce que ce n'est pas la pire chose à écrire ? Est-ce qu'aucune image a jamais rendu service à ce qu'elle représente ? Est-ce qu'un documentaire aide ce (ceux) qu'il documente ? Ou plutôt cette histoire d'aide n'est-elle pas une façon de se donner bonne conscience ? Du côté du spectateur, il faut justifier le plaisir esthétique qu'on a eu à voir cette image ; et si cette image est une image d'atrocité, alors il faut bien en donner une justification morale ; car notre condition est celle-là, qu'il n'y a aucune image insupportable ; there's nothing we can't take : rien que nous ne puissions "prendre" ; tout est bon, même les photos des atrocités nazies, des cadavres empilés, etc., sont terriblement supportables, terriblement fascinantes, obsédantes et je ne connais rien qui puisse en détourner qu'une considération moralisatrice : quel droit ai-je à éprouver du plaisir devant la souffrance - et je parle d'un plaisir esthétique, que je ne confond pas avec un plaisir sadique, laissant de côté la question de l'impureté, la part de sadisme dans cet esthétisme ? Alors, l'assomption est par aide humanitaire.
Et bien sûr, du côté du filmeur, il y a le vampirisme et la question de la dose d'illusions qu'il faut admettre pour garder sa conscience nette face au miroir.

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Message par Invité Lun 11 Oct 2010 - 11:36

Borges a écrit:[justify
La distance de l’image à ce qu’elle montre ne prend toute sa force, son sens, que si elle trouve à s’exprimer, que si elle insiste, dans l’image même, dans ce qu’on nomme « le sujet », les « thèmes ». Les obsessions d'un auteur, au sens fort du mot, qui nous conduirait à dépasser cette notion si rassurante d'"auteur"; l'obsession ne fait pas une identité, elle est ce qui le déborde; comme le montre hitch dans vertigo, l'obsession, c'est ce qui m'arrache à moi-même et me laisser errer dans les traces de l'autre. L'obsession, c'est le plus difficile, ce à quoi on voudrait échapper; le plus difficile à saisir dans l'oeuvre, lui échappant nécessairement. l'obsession est rare; souvent ce n'est que du jeu, des variations maîtrisées de thématiques vides.

ce qui obsède dvortsevoy, c'est la distance; il ne peut lui échapper;

redis autrement :

Le cinéma de dvortsevoy est un cinéma de la distance, de l’absence de communication, et celle-ci n’a rien à voir avec les clichés que certains radotent à propos d’antonioni, par exemple. Ce qui se passe chez dvortsevoy est autre, pas seulement parce que cela se passe chez « des pauvres », et dans des lieux autres, des lieux sans lieu, où la distance, aux autres et à soi, résonne autrement, mais aussi parce qu’elle passe par des aspects plus essentielles de la condition humaine ; ceux qui la nient et la révèlent. Dans « highway », les personnages ne sont pas seulement enfermés dans l’étendue sauvage de la steppe, sur cette « autoroute », dans l’espace de l’errance misérable de leur spectacle, ils sont aussi enfermés dans leur voiture, comme l’aveugle de « in the dark », dans son appartement. Depuis le vieux tacot, c’est du moins mon souvenir, on ne voit jamais le paysage, l’horizon, la route ; c’est un espace sans expansion, privé de tout ; sans relation. Les quelques spectateurs des numéros ne dessinent aucun sortie. Les artistes semblent plus des mendiants qu’autre chose.

Dans la famille même, chacun semble enfermé en soi, en lutte, pour une certaine forme de solitude, un lieu de tranquillité ; le père semble le trouver dans la prière. Il n’y a pas de rapports entre le mari et la femme, jamais ils ne se parlent, ni entre les enfants, ils se disputent, se bagarrent, s’insultent. La mère, vraie figure de douleur, se plaint des bruits, des cris, de ses gosses. Elle ne sait qu’en faire. Elle crie, les insultes, les bat ; menace de les tuer.


C’est des menaces, innocentes, sans doute, mais elles expriment aussi quelque chose de fort, le désir du repos, le désir que l’errance se termine, et la misère. La nuit elle chante une berceuse pour endormir un des enfants. Moment de calme, image de suspension, et de sortie de la violence du monde. La chanson est souvent chez Dvortsevoy un mode de la ligne de fuite, en un sens faible. Une manière d’aller ailleurs, de se libérer. La chanson est présente dans tous ses films, sauf bread day, où personne ne chante (il me semble). La berceuse, dans ce cas, dans la calme de la nuit, ne vise pas seulement à nous donner de la mère épuisée, à bout de nerf, une image plus douce, plus tendre, et maternelle, elle montre aussi comment la nuit et le sommeil forment un territoire utopique, une délivrance.

Mourir, dormir disait Hamlet. C’est la bonne nuit, celle qui éloigne les soucis du jour.

[...]

On mange toujours dans les films de dvortsevoy (sauf peut-être l’aveugle de « in the dark »). Les hommes et les animaux mangent, ce sont des êtres sensibles, des êtres, comme on dit, de besoin ; besoins, qui parfois rabaissent l’homme en-deçà de son essence, ou de ce qu’il croit être son essence ; les hommes comme les animaux ; faudra revenir la dessus, revenir sur cette proximité, sur le rapprochement que ne cesse de donner à voir dvortsevoy , sans que nous sachions immédiatement, avec certitude, ce qu’il vise à rendre, à donner, à voir. On peut cependant, sans trop se risquer, affirmer que chez Dvortsevoy, manger se situe dans la région de l’élémentaire, dans la région la plus essentielle, celle où la vie est sous la menace de la mort ; la région de la nécessité. On mange hanté par la faim. C’est elle qui, de la manière la plus violente et significative, dit la solitude violente de l’être, la distance au monde, à soi, aux autres.

Blanchot a écrit à ce sujet des pages décisives. Celui qui est réduit par la faim, la maladie, ou la pauvreté se retrouve privé de toute relation, à soi, comme aux autres ; il devient vide, et neutre, erre comme un fantôme « dans un espace où rien n’arrive » ; ce espace, c’est aussi bien la steppe, chez dvortsevoy, que l’appartement de l’aveugle, le village de « jour de paix » ; dans la faim, je ne suis pas seulement sans lien aux autres, coupé d’eux, livré comme eux à la lutte, je suis privé de moi-même (comme dans l’insomnie) ; ce qui tente de vivre alors est sans nom, sans moi, sans je, indistinct.

Bien entendu, nous n’en sommes pas là dans « bread day » ou dans les autres scènes de nourriture, celle de paradise, par exemple ; nous en sommes loin, mais manger est toujours une affaire de lutte, de rivalité, vécu sous la menace de la rareté, du manque. Il y a peut-être là quelque chose de russe, ou de juif, levinas, pour qui la faim est essentielle, comme dans la tradition biblique, où l’homme se nourrit aussi de pain, et pas seulement de paroles fussent-elles des plus sublimes, des plus hautes remarquait que le dasein heideggerien n’a jamais faim ; critique un peu gratuite, mais signifiante. Dans « paradise » on voit deux gosses se de disputer pour finir un plat, juste après avoir vu deux chiots dans la même situation. Paradis, c’est un étrange titre ; ironique, sans doute ; mais il est curieux de constater, de lire chez Levinas : que « la simultanéité de la faim et de la nourriture constitue la condition paradisiaque initiale de la jouissance » Le paradis biblique est promesse de nourriture; en abondance.[/justify]

Vampirisme, distance, animalité, nourriture... beaucoup de thèmes deleuziens, non ?

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Message par adeline Lun 11 Oct 2010 - 19:11

Stéphane Pichelin a écrit:
Borges a écrit:
Sur IMDB : ivan from Barcelona, Spain, écrit :

How long do you think the old people have been pushing that wagon? What do you think it's more important?: to help them, for a few minutes, maybe an hour, and only for one day (the day(s) the director went there), or to film it, and show the conditions that those people had to live with?. I think, that the filmmaker's duty it's very clear. Don't miss the point, the help that Dvorstevoi provided those people was probably much bigger and complex than help them pushing a wagon.

Est-ce que ce n'est pas la pire chose à écrire ? Est-ce qu'aucune image a jamais rendu service à ce qu'elle représente ? Est-ce qu'un documentaire aide ce (ceux) qu'il documente ? Ou plutôt cette histoire d'aide n'est-elle pas une façon de se donner bonne conscience ? Du côté du spectateur, il faut justifier le plaisir esthétique qu'on a eu à voir cette image ; et si cette image est une image d'atrocité, alors il faut bien en donner une justification morale ; car notre condition est celle-là, qu'il n'y a aucune image insupportable ; there's nothing we can't take : rien que nous ne puissions "prendre" ; tout est bon, même les photos des atrocités nazies, des cadavres empilés, etc., sont terriblement supportables, terriblement fascinantes, obsédantes et je ne connais rien qui puisse en détourner qu'une considération moralisatrice : quel droit ai-je à éprouver du plaisir devant la souffrance - et je parle d'un plaisir esthétique, que je ne confond pas avec un plaisir sadique, laissant de côté la question de l'impureté, la part de sadisme dans cet esthétisme ? Alors, l'assomption est par aide humanitaire.
Et bien sûr, du côté du filmeur, il y a le vampirisme et la question de la dose d'illusions qu'il faut admettre pour garder sa conscience nette face au miroir.

Salut SP,

du côté de celui qui filme, la question ne peut pas ne pas être posée. Je me la pose très souvent, est-ce que je filme, ou est-ce que je pose la caméra pour aider, ou est-ce que j'arrive à faire les deux en même temps... C'est aussi le lieu commun pour le photo journalisme. Je ne sais pas s'il s'agit d'une dose d'illusion, ou plutôt de toujours savoir où est sa place, ce qui veut dire aussi toujours la questionner. On retrouve la question de la distance.

Lorsqu'on filme des gens qui mènent une lutte politique, on peut se dire que les filmer puis rendre ces images publiques et les faire circuler peut aider en donnant plus de visibilité à leur lutte. Mais c'est une autre manière d'aider, et c'est un contexte précis.

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Message par adeline Mar 12 Oct 2010 - 22:33

Du coup, une question: faut-il être à distance pour filmer la distance ? Tu partais de cette idée au début, que la bonne distance, ni trop loin, ni trop proche, ne peut pas être la distance moyenne. On joue constamment sur les deux sens, entre le sens concret (quel espace, mesurable, sépare les êtres les uns des autres, ou la caméra des êtres) et le sens abstrait (ces communautés qui n'en sont pas, ou plus, l'isolement, alors qu'on vit dans un petit village, ou dans un camion).

Quel est le lien entre ces deux sens, en cinéma, en documentaire ? L'un peut-il traduire l'autre ? Ça donnerait : je filme de loin pour filmer la distance, je filme de près pour filmer la proximité. C'est pas terrible, quand on remplace la distance par la proximité. D'ailleurs, c'est là qu'on voit que distance signifie à la fois le fait que deux choses sont éloignées l'une de l'autre et simplement l'espace, quel qu'il soit, qui les sépare. Donc, filmer la distance, ce n'est forcément filmer le fait que les êtres ou les choses sont loin les uns des autres, mais simplement filmer la manière dont ils se trouvent les uns par rapport aux autres.

Parce que dans Tulpan, je ne trouve pas que SD filme tant la distance, comme dans Bread day, mais plutôt comment on se débrouille et on s'organise dans ces deux espaces complètement opposés, la steppe et la yourte.

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Message par Eyquem Mar 8 Juil 2014 - 19:42

'soir Adeline,
Adelin a écrit:ai vu "Bread Day" hier soir, malheureusement dans une copie vraiment pas top.
Il est temps de réparer cette injustice, car l'image m'a paru superbe dans la version disponible sur le site d'Arte (je n'aurais sans doute pas regardé ce film, sans le souvenir de ce topic).

http://www.arte.tv/guide/fr/018587-000/le-jour-du-pain?autoplay=1
(diffusé hier soir, dispo une semaine)

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Message par adeline Mer 9 Juil 2014 - 18:46

Eyquem, c'est génial de remonter ce topic ! Quels souvenirs Wink

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Message par careful Mer 9 Juil 2014 - 20:41

(oui merci eyquem -le jour du pain-)
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