L'institutrice (Nadav Lapid)
L'institutrice (Nadav Lapid)
"Hagar est assez belle
Assez pour moi
Assez pour moi
Une pluie d'or tombe sur sa maison
Véritable soleil de Dieu"
Le sujet du film m'a d'abord rappelé l'histoire de Minou Drouet. Je ne sais pas si ce nom évoque encore quelque chose: on ne l'a pas totalement oublié à cause de l'article de Barthes (dans Mythologies), et à cause de la phrase assassine de Cocteau: "Tous les enfants sont poètes, sauf Minou Drouet". Il m'a fallu un temps infini (près de cinq minutes) pour trouver sur le net ne serait-ce qu'un poème de cette vieille enfant prodige:
"Nuages, haies de plumes
oiseaux d’écume
oiseaux aux grandes ailes
venus de mon ailleurs,
etc etc etc
Nuages, féerie du ciel
dont un coup de vent
fera en une seconde
des confettis de cristal."
Ca devait sembler daté dès sa publication.
La seule chose encore étonnante, dans cette histoire, c'est qu'un enfant-poète ait pu faire l'objet d'un tel emballage médiatique: des dizaines d'articles, dans Paris Match comme dans le Times, des interventions de Barthes, de Breton, de Cocteau... Barthes, dans son article, se désole que la préciosité cuculapraline de ces poèmes passe pour de la poésie; mais toute cette agitation autour de Minou Drouet était au moins le signe que la poésie et la définition qu'on en donnait pouvaient constituer des enjeux, des objets de dissensus décisifs dans la vie intellectuelle de l'époque. On n'imagine pas qu'une telle chose puisse se produire en ce moment, qu'il puisse y avoir de grands débats sur LCI ou dans les pages du Monde sur un enfant-poète, et sur la question de savoir si ce qu'il écrit est authentiquement de la poésie.
Le film de Lapid commence comme ça, dans ce climat de non-poésie, d'insensibilité à la poésie: la poésie a disparu, et le pire n'est même pas qu'elle manque, mais que son absence ne se fasse pas sentir, ne manque à personne, ou presque. Il n'y a plus de poètes, et tout le monde s'en fout.
[la suite plus tard]
Assez pour moi
Assez pour moi
Une pluie d'or tombe sur sa maison
Véritable soleil de Dieu"
Le sujet du film m'a d'abord rappelé l'histoire de Minou Drouet. Je ne sais pas si ce nom évoque encore quelque chose: on ne l'a pas totalement oublié à cause de l'article de Barthes (dans Mythologies), et à cause de la phrase assassine de Cocteau: "Tous les enfants sont poètes, sauf Minou Drouet". Il m'a fallu un temps infini (près de cinq minutes) pour trouver sur le net ne serait-ce qu'un poème de cette vieille enfant prodige:
"Nuages, haies de plumes
oiseaux d’écume
oiseaux aux grandes ailes
venus de mon ailleurs,
etc etc etc
Nuages, féerie du ciel
dont un coup de vent
fera en une seconde
des confettis de cristal."
Ca devait sembler daté dès sa publication.
La seule chose encore étonnante, dans cette histoire, c'est qu'un enfant-poète ait pu faire l'objet d'un tel emballage médiatique: des dizaines d'articles, dans Paris Match comme dans le Times, des interventions de Barthes, de Breton, de Cocteau... Barthes, dans son article, se désole que la préciosité cuculapraline de ces poèmes passe pour de la poésie; mais toute cette agitation autour de Minou Drouet était au moins le signe que la poésie et la définition qu'on en donnait pouvaient constituer des enjeux, des objets de dissensus décisifs dans la vie intellectuelle de l'époque. On n'imagine pas qu'une telle chose puisse se produire en ce moment, qu'il puisse y avoir de grands débats sur LCI ou dans les pages du Monde sur un enfant-poète, et sur la question de savoir si ce qu'il écrit est authentiquement de la poésie.
Le film de Lapid commence comme ça, dans ce climat de non-poésie, d'insensibilité à la poésie: la poésie a disparu, et le pire n'est même pas qu'elle manque, mais que son absence ne se fasse pas sentir, ne manque à personne, ou presque. Il n'y a plus de poètes, et tout le monde s'en fout.
[la suite plus tard]
Eyquem- Messages : 3126
Re: L'institutrice (Nadav Lapid)
salut Tom,
La question est pas du tout, pour Lapid, de se faire mousser (enfin, on peut le penser, mais où ça mène? A rien de bon); il y a bien des scènes où les poèmes du môme ne sont pas considérés comme de vrais poèmes (par la nounou du début, les gens du club de poésie, le public qui jette des bonbons, le père, etc). Il s'agit pas, pour Lapid, de nous faire admirer des poèmes qu'il a écrits à 4 ans, mais plutôt de demander: qu'est-ce qui fait qu'un poème est un poème? Ce n'est pas une question de genre littéraire; il ne suffit pas qu'il y ait des rimes ou des métaphores; c'est une question de valeur: qu'est-ce qui fait que ce poème est un vrai poème, vaut quelque chose comme poème? Si un poème était un poème, si la poésie était seulement dans le poème, tout le monde serait d'accord en lisant pour dire que c'est un poème. Or, c'est pas le cas; certains personnages disent que c'est de la poésie, et d'autres que ça n'en est pas - et c'est cette différence qui intéresse Lapid: on s'en fiche, au fond, de savoir si ces poèmes sont de mauvais ou de bons poèmes; l'important, c'est de poser la question de la valeur d'un texte (quel qu'il soit), de faire de cette valeur un enjeu, l'objet d'un questionnement qui oppose tels personnages à tels autres.
Comme tu le dis ailleurs dans le topic, c'est l'institutrice le personnage principal. Elle est persuadée que le gamin est poète, mais le film n'affirme rien de tel et observe son personnage avec assez de distance, demandant: qu'est-ce qui fait que, pour cette femme, ces textes sont des poèmes? Qu'est-ce qui la décide, elle, à les écouter, à les lire, comme des poèmes? Pourquoi elle croit que ce sont des poèmes? Et pourquoi a-t-elle besoin de le croire?
C'est plutôt ça le questionnement du film.
Si le film épousait sans distance le point de vue de l'institutrice, on n'aurait pas cette impression de flottement, on n'aurait pas ce sentiment de ne pas toujours tout comprendre.Tom, du forum FdC, a écrit:Le film peint très souvent l'opposition plus attendue entre les deux maudits (le génie, celle qui sait reconnaître ce génie) et le reste du monde contemporain où rien n'est à sauver. [...] Le film semble pas mal de fois épouser strictement le point de vue de son héroïne. Du coup il y a beaucoup de scènes où je ne comprend pas ce que le film essaye de me montrer, ou de me dire.
Au contraire, c'est une super idée que Lapid ait repris ses propres poèmes et il faut le savoir avant de voir le film. C'est aussi ce qui montre que le film n'épouse pas le point de vue de l'institutrice.Tom a écrit:J'apprends, en lisant l'interview de Lapid dans les Cahiers, que les poèmes du gamin (ceux qu'on loue sur 10 scènes, qu'on admire les yeux embués) sont ceux... du cinéaste lui-même, quand il avait 5 ans :?
A partir du moment où c'est traité comme un phénomène de l'ordre du divin, du miracle... Ça devient quand même un réal qui parle de son propre talent sur un ton lyrique ! Je suis content de pas l'avoir su avant de voir le film.
La question est pas du tout, pour Lapid, de se faire mousser (enfin, on peut le penser, mais où ça mène? A rien de bon); il y a bien des scènes où les poèmes du môme ne sont pas considérés comme de vrais poèmes (par la nounou du début, les gens du club de poésie, le public qui jette des bonbons, le père, etc). Il s'agit pas, pour Lapid, de nous faire admirer des poèmes qu'il a écrits à 4 ans, mais plutôt de demander: qu'est-ce qui fait qu'un poème est un poème? Ce n'est pas une question de genre littéraire; il ne suffit pas qu'il y ait des rimes ou des métaphores; c'est une question de valeur: qu'est-ce qui fait que ce poème est un vrai poème, vaut quelque chose comme poème? Si un poème était un poème, si la poésie était seulement dans le poème, tout le monde serait d'accord en lisant pour dire que c'est un poème. Or, c'est pas le cas; certains personnages disent que c'est de la poésie, et d'autres que ça n'en est pas - et c'est cette différence qui intéresse Lapid: on s'en fiche, au fond, de savoir si ces poèmes sont de mauvais ou de bons poèmes; l'important, c'est de poser la question de la valeur d'un texte (quel qu'il soit), de faire de cette valeur un enjeu, l'objet d'un questionnement qui oppose tels personnages à tels autres.
Comme tu le dis ailleurs dans le topic, c'est l'institutrice le personnage principal. Elle est persuadée que le gamin est poète, mais le film n'affirme rien de tel et observe son personnage avec assez de distance, demandant: qu'est-ce qui fait que, pour cette femme, ces textes sont des poèmes? Qu'est-ce qui la décide, elle, à les écouter, à les lire, comme des poèmes? Pourquoi elle croit que ce sont des poèmes? Et pourquoi a-t-elle besoin de le croire?
C'est plutôt ça le questionnement du film.
Eyquem- Messages : 3126
Re: L'institutrice (Nadav Lapid)
ces poèmes ne soulèvent ils pas la question d'un ailleurs? Dans ce monde du visible, du survisible, l'institutrice est face à quelque chose qui est hors du cadre de l'apprentissage de la vie normale auquel sont amenés les enfants; et qu'elle ordonne. C'est son rôle.
Elle recherche une origine chez la famille, dans l'histoire personnelle des proches, du père restaurateur, de l'oncle journaliste, de Miri la nounou. C'est, d'ailleurs, avec cette dernière, que le film trouve le plus bel interprète des poèmes, véritables ou non.
Cette recherche permet une peinture de la société israélienne.
La violence aveugle des rapports humains se donne à voir dans le bac à sable de la cour de jeu?
Elle dit souvent au gamin de se laver parce qu'il est recouvert de sable.
Elle recherche une origine chez la famille, dans l'histoire personnelle des proches, du père restaurateur, de l'oncle journaliste, de Miri la nounou. C'est, d'ailleurs, avec cette dernière, que le film trouve le plus bel interprète des poèmes, véritables ou non.
Cette recherche permet une peinture de la société israélienne.
La violence aveugle des rapports humains se donne à voir dans le bac à sable de la cour de jeu?
Elle dit souvent au gamin de se laver parce qu'il est recouvert de sable.
Invité- Invité
Re: L'institutrice (Nadav Lapid)
hello erwan,
Le film suggère que le gamin n'est pas le poète: ce sont deux êtres différents, bien qu'ils partagent le même corps. Le môme n'explique pas d'où lui viennent les poèmes, ce qu'il a voulu dire: les poèmes lui sont comme dictés d'ailleurs; dans ses moments d'inspiration, il se met à ressembler à un poste de radio, captant des ondes très lointaines, qui viennent d'ailleurs ou d'une autre époque, et qui lui permettent de restituer des expériences de vie qui n'ont rien à voir avec la sienne.
Ces poèmes n'ont pas d'origine claire: ils sont sans rapport direct avec l'expérience de l'enfant. Quand l'institutrice l'interroge, lui montre des choses, il regarde et reste muet: on n'a aucune idée de ce qu'il fait de tout ce qu'elle lui raconte. Le seul moment où on le voit réceptif, c'est quand il entre en transes avec son copain de classe et chante à tue-tête l'hymne de je ne sais quelle équipe de foot. Idem, plus tard, on l'entend répéter des vers de la performance à laquelle il vient d'assister. C'est aux mots, aux textes qu'il paraît sensible, et plus particulièrement quand ces mots sont joués, passent par le corps, par une performance. Lui-même, quand il récite un de ses poèmes, il se met à aller et venir "comme un drogué".
(Est-ce que tu te souviens, Erwan, de ce que dit le gamin après la performance de sa nounou? Dans mon souvenir, il dit qu'il n'a pas aimé.)
Si "poésie", étymologiquement, ça veut dire "créer", on se demande en quoi le môme est un poète, un créateur: au fond, quand il "crée" un de ses poèmes, il se comporte de la même façon que lorsqu'il imite son copain de classe ou la performeuse: il imite, il répète, il récite - la seule différence, c'est qu'on ne voit pas qui ou quoi il imite, qui ou quoi lui dicte le poème qu'il récite; on ne sait pas d'où vient ce texte qu'il dit d'une traite, sans ratures, comme s'il était déjà tout fait.
Il y a quelque chose de Cronenberg dans ce film (et dans le précédent, "Le policier"): on retrouve le même type de personnages sans personnalité, sans individualité propre, traversés, mis en mouvement par des forces extérieures, branchés sur des textes, des mots, qui les tirent dans un sens ou dans l'autre.
Le seul indice exploitable dans la biographie du gamin, c'est le fait que ses parents lui ont menti: ils se sont séparés, la mère a renoncé à l'enfant et est partie à New York; mais on a dit à l'enfant que sa mère était morte. Est-ce que le "don" poétique de l'enfant n'est pas la traduction de ce secret de famille? C'est comme si le poète avait compris quelque chose que le gamin ignore: dans cette perspective, les poèmes seraient comme la version chiffrée de ce secret de famille.
Ce n'est pas mon rayon. Sur ce sujet, il faudrait que Jerzy intervienne: c'est lui qui avait parlé des "cryptes", des "hiéroglyphes", dans deux textes de son blog (celui sur Haneke et celui sur Hergé)
Dans tous les cas, on comprend bien que si le film suggère que ces poèmes sont sans origine claire et comme dictés du dehors, ce n'est pas pour en revenir naïvement à de vieilles lunes sur la "fureur poétique", ou sur l'inspiration comme "don des dieux". Le don poétique du gamin est à mettre en rapport avec les secrets de son histoire familiale, et sans doute plus largement, avec l'histoire de son pays (c'est là que la course au désert finale, vers le Sinaï, prendrait sens, et que s'éclairerait cette obsession pour le sable que tu notes Erwan, sable de la cour de récré ou sable du désert)
Bon, mais avec tout ça, je ne fais que parler du môme, alors que, comme le titre l'indique, c'est l'institutrice le personnage central.
Oui, et c'est décevant comme enquête puisque rien, dans la biographie du gamin, n'explique vraiment sa vocation poétique. C'est décevant aussi quand l'institutrice essaie de cultiver le sens poétique du gamin en lui montrant le monde sous différents points de vue, en lui donnant des leçons de choses. On n'a pas l'impression que c'est comme cela que les poèmes naissent: il y a une coupure entre le monde où vit le gamin, les choses qu'il voit d'un côté, et de l'autre, les poèmes qui lui viennent. Comme dit la nounou: ses poèmes parlent souvent d'amour déçu, ressemblent à ceux d'une "vieille fille de 40 ans". Aucun rapport entre la vie et l'oeuvre semble-t-il: qui est Hagar dans le 1er poème? pourquoi écrit-il un poème sur un torero, alors qu'il n'a sans doute jamais assisté à une corrida? pourquoi l'un de ses poèmes fait-il penser à un conte chinois? quel rapport entre cet enfant et le lion d'un autre de ses poèmes?erwan a écrit:Elle recherche une origine chez la famille, dans l'histoire personnelle des proches, du père restaurateur, de l'oncle journaliste, de Miri la nounou. C'est, d'ailleurs, avec cette dernière, que le film trouve le plus bel interprète des poèmes, véritables ou non.
Le film suggère que le gamin n'est pas le poète: ce sont deux êtres différents, bien qu'ils partagent le même corps. Le môme n'explique pas d'où lui viennent les poèmes, ce qu'il a voulu dire: les poèmes lui sont comme dictés d'ailleurs; dans ses moments d'inspiration, il se met à ressembler à un poste de radio, captant des ondes très lointaines, qui viennent d'ailleurs ou d'une autre époque, et qui lui permettent de restituer des expériences de vie qui n'ont rien à voir avec la sienne.
Ces poèmes n'ont pas d'origine claire: ils sont sans rapport direct avec l'expérience de l'enfant. Quand l'institutrice l'interroge, lui montre des choses, il regarde et reste muet: on n'a aucune idée de ce qu'il fait de tout ce qu'elle lui raconte. Le seul moment où on le voit réceptif, c'est quand il entre en transes avec son copain de classe et chante à tue-tête l'hymne de je ne sais quelle équipe de foot. Idem, plus tard, on l'entend répéter des vers de la performance à laquelle il vient d'assister. C'est aux mots, aux textes qu'il paraît sensible, et plus particulièrement quand ces mots sont joués, passent par le corps, par une performance. Lui-même, quand il récite un de ses poèmes, il se met à aller et venir "comme un drogué".
(Est-ce que tu te souviens, Erwan, de ce que dit le gamin après la performance de sa nounou? Dans mon souvenir, il dit qu'il n'a pas aimé.)
Si "poésie", étymologiquement, ça veut dire "créer", on se demande en quoi le môme est un poète, un créateur: au fond, quand il "crée" un de ses poèmes, il se comporte de la même façon que lorsqu'il imite son copain de classe ou la performeuse: il imite, il répète, il récite - la seule différence, c'est qu'on ne voit pas qui ou quoi il imite, qui ou quoi lui dicte le poème qu'il récite; on ne sait pas d'où vient ce texte qu'il dit d'une traite, sans ratures, comme s'il était déjà tout fait.
Il y a quelque chose de Cronenberg dans ce film (et dans le précédent, "Le policier"): on retrouve le même type de personnages sans personnalité, sans individualité propre, traversés, mis en mouvement par des forces extérieures, branchés sur des textes, des mots, qui les tirent dans un sens ou dans l'autre.
Le seul indice exploitable dans la biographie du gamin, c'est le fait que ses parents lui ont menti: ils se sont séparés, la mère a renoncé à l'enfant et est partie à New York; mais on a dit à l'enfant que sa mère était morte. Est-ce que le "don" poétique de l'enfant n'est pas la traduction de ce secret de famille? C'est comme si le poète avait compris quelque chose que le gamin ignore: dans cette perspective, les poèmes seraient comme la version chiffrée de ce secret de famille.
Ce n'est pas mon rayon. Sur ce sujet, il faudrait que Jerzy intervienne: c'est lui qui avait parlé des "cryptes", des "hiéroglyphes", dans deux textes de son blog (celui sur Haneke et celui sur Hergé)
Dans tous les cas, on comprend bien que si le film suggère que ces poèmes sont sans origine claire et comme dictés du dehors, ce n'est pas pour en revenir naïvement à de vieilles lunes sur la "fureur poétique", ou sur l'inspiration comme "don des dieux". Le don poétique du gamin est à mettre en rapport avec les secrets de son histoire familiale, et sans doute plus largement, avec l'histoire de son pays (c'est là que la course au désert finale, vers le Sinaï, prendrait sens, et que s'éclairerait cette obsession pour le sable que tu notes Erwan, sable de la cour de récré ou sable du désert)
Bon, mais avec tout ça, je ne fais que parler du môme, alors que, comme le titre l'indique, c'est l'institutrice le personnage central.
Eyquem- Messages : 3126
Re: L'institutrice (Nadav Lapid)
salut Eyquem,
oui, Histoire de sable et histoire d'eau: l'eau qui lave et purifie? la pluie d'or sur la maison, la pluie dans la cour de l'école qui menace de noyer une figurine en plastique; le cinéaste est attentif aux éclats des gouttes d'eau sur le sol inondé. La scène finale, l'institutrice se lave dans la douche de l'appartement et l'enfant dans les bras de la femme policier passe sur le bord d'une piscine pleine de baigneurs prêts pour la danse; comme tu le dis si bien, il y a un aspect marionnette des corps, soumis au diktat des mots, corps dansants, sautant, baisant.
Miri est la seule qui accomplie l’œuvre des mots dans leur lumière, par son corps, sa parole. je trouve
qu'est ce que les mots du gamin provoquent sur les corps? La première fois qu'il prononce un poème il va de gauche et de droite en marchant pas à pas; disparait un court instant, dans ce mouvement de va et vient derrière un pan du mur de l'école. Il y a quelque chose d'indiscernable, qui ne se montre pas.
au début, on ne voit guère que le corps de l'institutrice, chez elle, tandis que son mari regarde une émission comique à la télé (on entend d'ailleurs des propos très étranges de la part des intervenants), corps sans tête. Elle questionne son mari: suis je toujours belle?
J'ai pas l'impression qu'il s'agisse de beauté physique, plastique.
Le poète lui dira plus tard qu'il la trouvait banale avant qu'elle ne récite les poèmes de l'enfant, en s'en attribuant la paternité.
Peut être que le corps, c'est banal. rien de mystérieux là. Le déterminisme total des images en mouvement qui s'accorde au déterminisme de la guerre jamais montrée, tue. C'est de la mécanique.
Faut chercher autre chose? l'esprit?
(ou alors c'est le corps vieillissant (sa mère est décédée)).
Est ce qu'elle peut être la mère de cet enfant? de substitution? quand elle ne comprend pas les mots qu'il prononce. Est ce que c'est lui qui est d'ailleurs, du dehors, ou elle qui n'appartient plus, qui n'est plus.
Désolé je ne me souviens pas de ce qu'il dit exactement ... je ne me souviens pas qu'il dise qu'il n'a pas aimé; ni le contraire d'ailleurs(Est-ce que tu te souviens, Erwan, de ce que dit le gamin après la performance de sa nounou? Dans mon souvenir, il dit qu'il n'a pas aimé.)
oui, Histoire de sable et histoire d'eau: l'eau qui lave et purifie? la pluie d'or sur la maison, la pluie dans la cour de l'école qui menace de noyer une figurine en plastique; le cinéaste est attentif aux éclats des gouttes d'eau sur le sol inondé. La scène finale, l'institutrice se lave dans la douche de l'appartement et l'enfant dans les bras de la femme policier passe sur le bord d'une piscine pleine de baigneurs prêts pour la danse; comme tu le dis si bien, il y a un aspect marionnette des corps, soumis au diktat des mots, corps dansants, sautant, baisant.
Miri est la seule qui accomplie l’œuvre des mots dans leur lumière, par son corps, sa parole. je trouve
qu'est ce que les mots du gamin provoquent sur les corps? La première fois qu'il prononce un poème il va de gauche et de droite en marchant pas à pas; disparait un court instant, dans ce mouvement de va et vient derrière un pan du mur de l'école. Il y a quelque chose d'indiscernable, qui ne se montre pas.
au début, on ne voit guère que le corps de l'institutrice, chez elle, tandis que son mari regarde une émission comique à la télé (on entend d'ailleurs des propos très étranges de la part des intervenants), corps sans tête. Elle questionne son mari: suis je toujours belle?
J'ai pas l'impression qu'il s'agisse de beauté physique, plastique.
Le poète lui dira plus tard qu'il la trouvait banale avant qu'elle ne récite les poèmes de l'enfant, en s'en attribuant la paternité.
Peut être que le corps, c'est banal. rien de mystérieux là. Le déterminisme total des images en mouvement qui s'accorde au déterminisme de la guerre jamais montrée, tue. C'est de la mécanique.
Faut chercher autre chose? l'esprit?
(ou alors c'est le corps vieillissant (sa mère est décédée)).
Est ce qu'elle peut être la mère de cet enfant? de substitution? quand elle ne comprend pas les mots qu'il prononce. Est ce que c'est lui qui est d'ailleurs, du dehors, ou elle qui n'appartient plus, qui n'est plus.
on le lui a dit ou c'est lui qui se le raconte ainsi? je ne sais plus si c'est expliqué dans le film. Je trouvais l'incertitude assez bellemais on a dit à l'enfant que sa mère était morte.
Invité- Invité
Re: L'institutrice (Nadav Lapid)
ola Erwan,
Ce qui rend les films de Lapid un peu étouffants, c'est qu’ils dépeignent dans les deux cas l’échec de ceux qui veulent changer le monde parce qu’ils le trouvent injuste ou parce qu’ils trouvent que la bêtise, la cupidité le rendent laid. Dans une scène du Policier, les révolutionnaires s’échinaient à écrire un tract percutant, en rognant tout ce qui pouvait rester de poétique dedans : ils cherchaient les bonnes formules, le bon slogan, et leur hantise, c’était que ça soit trop poétique – ce qui suggérait que, pour eux, la poésie, c’était le contraire de l’action, c’était ce qu’il fallait congédier pour passer à l’action révolutionnaire. Pour eux, un texte efficace, un texte capable de changer le monde, de convertir les esprits, c’était un texte sans rien de poétique.
Dans L’Institutrice, on a la même idée mais vue du point de vue opposé : l’institutrice veut aussi séparer la poésie du monde où l’on vit et où l’on agit, mais elle, c’est le monde qu’elle abandonne ; elle ne veut garder du monde que ce qui est poétique, le prélever, le séparer, et le mettre à l’abri, loin du monde et des passions tristes qui le dominent et l’enlaidissent (la bêtise télévisuelle, l’avidité des entrepreneurs, le fascisme de l’armée).
Dans un cas, on jette la poésie pour changer le monde ; dans l’autre, on jette le monde pour sauver la poésie. Dans les deux cas, ça rate.
Est-ce que Lapid tentera une synthèse dans son 3e film ?
Il y a vraiment dans ce film un côté "Pastorale israélienne", pour pasticher le titre du bouquin de Philip Roth avec lequel il a pas mal de rapports.
Dans "L'institutrice", le lien mère-fils remplace le lien père-fille mis en avant dans "Le policier". Là, aussi, la question des liens "naturels", biologiques, entre générations paraît capitale; l'institutrice devient une mère un peu folle pour ce môme, et dans le même temps, elle plante toute sa famille à elle: son mari, et ses enfants, pour lesquels elle ne manifeste aucun attachement particulier (on ne voit jamais sa fille lycéenne je crois, et le fils, on le voit seulement danser avec ses copains militaires: il est passé "naturellement" de la famille biologique à la famille de l'armée, puisque "Le policier" montrait que c'était la même chose, la même famille, dans le discours propagandiste israélien).
Si je me souviens correctement des entretiens de Lapid au moment du "Policier", il disait que pour lui, c'était un point politique capital de faire voler en éclats ce mythe de la grande famille israélienne, et que ça passait, dans ses scénarios, par des récits où les liens naturels parents-enfants étaient rompus sans retour, au profit de liens nouveaux, "contre-nature".
Tu me fais douter, là. Je sais plus non plus.erwan a écrit:on le lui a dit ou c'est lui qui se le raconte ainsi? je ne sais plus si c'est expliqué dans le film. Je trouvais l'incertitude assez belle
Oui, chez l'institutrice, c'est manifestement un problème: son obsession est de laver le môme, et d'une manière plus générale, de l'enfermer, de le séparer du monde, comme si la poésie devait être protégée, coupée du monde. Mais qui a dit que la poésie devait être protégée, chouchoutée comme une petite chose fragile? Qui a dit qu'elle ne pouvait pas se défendre toute seule? (J'aime beaucoup le dernier plan, sur l'enfant, seul, au milieu du boucan de l'hôtel: on se dit que c'est là qu'il doit être, au milieu du monde.)l'eau qui lave et purifie?
Ce qui rend les films de Lapid un peu étouffants, c'est qu’ils dépeignent dans les deux cas l’échec de ceux qui veulent changer le monde parce qu’ils le trouvent injuste ou parce qu’ils trouvent que la bêtise, la cupidité le rendent laid. Dans une scène du Policier, les révolutionnaires s’échinaient à écrire un tract percutant, en rognant tout ce qui pouvait rester de poétique dedans : ils cherchaient les bonnes formules, le bon slogan, et leur hantise, c’était que ça soit trop poétique – ce qui suggérait que, pour eux, la poésie, c’était le contraire de l’action, c’était ce qu’il fallait congédier pour passer à l’action révolutionnaire. Pour eux, un texte efficace, un texte capable de changer le monde, de convertir les esprits, c’était un texte sans rien de poétique.
Dans L’Institutrice, on a la même idée mais vue du point de vue opposé : l’institutrice veut aussi séparer la poésie du monde où l’on vit et où l’on agit, mais elle, c’est le monde qu’elle abandonne ; elle ne veut garder du monde que ce qui est poétique, le prélever, le séparer, et le mettre à l’abri, loin du monde et des passions tristes qui le dominent et l’enlaidissent (la bêtise télévisuelle, l’avidité des entrepreneurs, le fascisme de l’armée).
Dans un cas, on jette la poésie pour changer le monde ; dans l’autre, on jette le monde pour sauver la poésie. Dans les deux cas, ça rate.
Est-ce que Lapid tentera une synthèse dans son 3e film ?
La question de la transmission, du passage d'une génération à l'autre, c'est un point important mais je ne sais pas trop quoi en dire. En revoyant "Le policier" il y a quelques mois, ça m'avait frappé alors que je n'y avais pas spécialement prêté attention la première fois. Je ne sais pas si tu te souviens du dernier plan du "Policier"? C'est un champ-contrechamp sur le visage du policier et sur celui de la jeune fille qu'il vient de tuer. Pendant tout le film, le policier est présenté comme un futur père (d'une petite fille, je crois me souvenir): cet enfant, il le rêve comme une extension de lui-même, un double, un simple faire-valoir (je pense notamment à une scène où on le voit, en cachette, s'entraîner à être père devant un miroir: il prend un bébé dans ses bras et il se regarde dans la glace avec l'enfant dans les bras, il se regarde et il s'admire, le bébé n'étant qu'un accessoire). C'est le souvenir de ce plan qui fait la force de la toute dernière scène: c'est comme si, à ce moment-là, le policier prenait conscience que cet enfant qui va naître, ne serait pas lui-même, serait un autre ou une autre, comme cette jeune fille qu'il regarde à la fin et qui semble incarner à ses yeux un mystère total, une altérité incompréhensible, parce qu'elle a rompu avec tout ce en quoi lui il croit (le mythe auquel il adhère aveuglément, c'est celui de cet "esprit de corps" qui lie les enfants aux parents, la famille au groupe, le groupe à l'armée, et l'armée au pays tout entier, le tout formant un ensemble homogène, sans coupure; une sorte de "corps de la nation" unique, immortel, qui n'est même pas entamé par le temps, parce qu'il fusionne les générations entre elles. Le champ-contrechamp final donne le sentiment que le policier, pour la première fois, ouvre les yeux sur ce mythe et le voit tel qu'il est: comme une illusion destinée à masquer les divisions profondes de la société israélienne. C'est un moment de vérité pour lui, au sens où il voit de la division, de la séparation, là où jusqu'à présent il ne voyait que de l'unité, de l'homogénéité. C'est l'inverse exact de la scène où il se regardait dans le miroir avec le bébé: là il ne voyait que lui-même, il n'y avait que de l'un, dupliqué dans le miroir et dans l'enfant, perçu comme un reflet de lui-même; dans la scène finale, c'est la jeune fille qu'il regarde, il la voit pour elle-même, tout en imaginant que son enfant à naître pourrait être cette jeune fille: d'un coup, il y a de l'autre, de l'altérité, c'est une faille qui s'ouvre entre les générations, entre les parents et les enfants.)erwan a écrit:Est ce qu'elle peut être la mère de cet enfant? de substitution?
Il y a vraiment dans ce film un côté "Pastorale israélienne", pour pasticher le titre du bouquin de Philip Roth avec lequel il a pas mal de rapports.
Dans "L'institutrice", le lien mère-fils remplace le lien père-fille mis en avant dans "Le policier". Là, aussi, la question des liens "naturels", biologiques, entre générations paraît capitale; l'institutrice devient une mère un peu folle pour ce môme, et dans le même temps, elle plante toute sa famille à elle: son mari, et ses enfants, pour lesquels elle ne manifeste aucun attachement particulier (on ne voit jamais sa fille lycéenne je crois, et le fils, on le voit seulement danser avec ses copains militaires: il est passé "naturellement" de la famille biologique à la famille de l'armée, puisque "Le policier" montrait que c'était la même chose, la même famille, dans le discours propagandiste israélien).
Si je me souviens correctement des entretiens de Lapid au moment du "Policier", il disait que pour lui, c'était un point politique capital de faire voler en éclats ce mythe de la grande famille israélienne, et que ça passait, dans ses scénarios, par des récits où les liens naturels parents-enfants étaient rompus sans retour, au profit de liens nouveaux, "contre-nature".
Eyquem- Messages : 3126
Re: L'institutrice (Nadav Lapid)
salve Eyquem,
D'ailleurs, quand elles sont ensemble dans le plan, il y a toujours une sorte de séparation, le cadre d'une fenêtre ou autre, entre elles.
Si l'institutrice va à la mer avec le gamin, n'est ce pas en réaction à la séquence de rêve qui la surprend au moment de la sieste des bambins, et où l'on voit Miri apparaitre au milieu des flots et avancer vers la caméra, fixement? (Cette mer représente t elle les songes mouvants des enfants endormis comme la promesse cachée d'un devenir autre?)
Que représente Miri vis à vis de cette société israélienne? on sait que pour remplacer la mains d’œuvre arabe des territoires occupés, il est fait appel, entre autres, à des populations d’Érythrée, du Soudan, du Ghana.
L'institutrice veut insuffler au poète en herbe les images d'une société israélienne du présent afin qu'il les transmute en poésie peut être; mais elle ne veut pas que Miri face partie du champ marin des images.
Est ce qu'il ne s'agit pas alors de sélectionner la division du monde qu'il s'agit de rêver à défaut de voir le monde monde, dans son ensemble? La poésie, selon l'institutrice, aurait alors valeur élective. Son rôle serait d'amener l'enfant poète à d'autres mots que les siens, si ce sont les siens, à d'autres sources, d'autres racines?
Enfin je sais pas trop
je n'ai hélas pas vu le précédent film de Nadav LapidJe ne sais pas si tu te souviens du dernier plan du "Policier"?
elle écarte également Miri; la dénonce hypocritement auprès de l'oncle et du père du gamin pour avoir utilisé les poèmes à son profit.Eyquem a écrit:l’institutrice veut aussi séparer la poésie du monde où l’on vit et où l’on agit, mais elle, c’est le monde qu’elle abandonne ; elle ne veut garder du monde que ce qui est poétique, le prélever, le séparer, et le mettre à l’abri, loin du monde et des passions tristes qui le dominent et l’enlaidissent (la bêtise télévisuelle, l’avidité des entrepreneurs, le fascisme de l’armée).
D'ailleurs, quand elles sont ensemble dans le plan, il y a toujours une sorte de séparation, le cadre d'une fenêtre ou autre, entre elles.
Si l'institutrice va à la mer avec le gamin, n'est ce pas en réaction à la séquence de rêve qui la surprend au moment de la sieste des bambins, et où l'on voit Miri apparaitre au milieu des flots et avancer vers la caméra, fixement? (Cette mer représente t elle les songes mouvants des enfants endormis comme la promesse cachée d'un devenir autre?)
Que représente Miri vis à vis de cette société israélienne? on sait que pour remplacer la mains d’œuvre arabe des territoires occupés, il est fait appel, entre autres, à des populations d’Érythrée, du Soudan, du Ghana.
L'institutrice veut insuffler au poète en herbe les images d'une société israélienne du présent afin qu'il les transmute en poésie peut être; mais elle ne veut pas que Miri face partie du champ marin des images.
Est ce qu'il ne s'agit pas alors de sélectionner la division du monde qu'il s'agit de rêver à défaut de voir le monde monde, dans son ensemble? La poésie, selon l'institutrice, aurait alors valeur élective. Son rôle serait d'amener l'enfant poète à d'autres mots que les siens, si ce sont les siens, à d'autres sources, d'autres racines?
Enfin je sais pas trop
Invité- Invité
Re: L'institutrice (Nadav Lapid)
'soir erwan,
C'est des pistes intéressantes. Faut qu'on creuse
http://terrain.revues.org/3136
En tout cas, tu as raison d'insister sur la place de chacun dans la société israélienne; c'est une question importante dans le film: dans la scène de la plage que tu cites, l'institutrice évoque notamment la distinction entre ashkénazes et séfarades (si je ne me trompe, elle dit qu'elle est séfarade; le petit garçon, lui, est ashkénaze). Leurs origines à tous trois peuvent expliquer la place très différente qu'ils occupent dans la société (nounou, instit', fils de bourge)
Si l'instit' élimine Miri, c'est peut-être parce qu'elles sont trop semblables: toutes deux savent que l'enfant a un don; toutes deux s'approprient des textes du môme de manière intéressée; toutes deux pourraient occuper la place de mère. L'une des deux est en trop.
Ce qui se joue entre Miri et l'institutrice, c'est une rivalité sociale et "amoureuse": c'est une compétition entre deux dominées de la société israélienne. Le plan dont tu parles, où Miri sort de l'eau comme une déesse antique, la pose comme une rivale, aux yeux de l'institutrice à la beauté "banale" (comme il est dit dans le dialogue dont tu parlais plus haut). Miri est trop belle, trop talentueuse, trop sûre d'elle pour une fille qui, vu ses origines, devrait, selon l'institutrice, faire davantage profil bas. Est-ce que l'institutrice, en l'éliminant, ne cherche pas à lui rappeler quelle est sa "place", à la rabaisser, à l'humilier?
En tout cas, si on lit le film depuis l'origine sociale des personnages, ça dessine un autre scénario: la poésie représente l'enjeu culturel qui permettra d'exister à une dominée de la société israélienne. Si l'institutrice séfarade a un tel amour pour la poésie d'un fils de bourge ashkénaze, c'est sans doute pas par pur amour de l'art: c'est un instrument de revanche (qui lui permet d'attirer l'attention de son mari, de se distinguer parmi les autres membres du club de poésie, de séduire un amant, de participer à un spectacle auquel elle n'aurait jamais été invitée sans ça).
C'est des pistes intéressantes. Faut qu'on creuse
L'actrice qui joue Miri est en fait une chanteuse connue: Ester Rada (elle a sa page wiki, son site officiel, et son tube sur YouTube). Sa famille a des origines éthiopiennes:erwan a écrit:Que représente Miri vis à vis de cette société israélienne? on sait que pour remplacer la mains d’œuvre arabe des territoires occupés, il est fait appel, entre autres, à des populations d’Érythrée, du Soudan, du Ghana.
Sur l'origine des juifs ethiopiens et leur migration vers Israël, j'ai juste lu cet article:Ester Rada’s cross-cultural sound is a deep reflection of the Israeli born Ethiopian’s heritage. Growing up in a religious Jewish family in more than modest conditions in Israel, gave Rada the drive to change her way of life and fulfill her dream of creating music
http://terrain.revues.org/3136
Rien ne dit dans le film quelles sont les origines de la famille de Miri, mais on peut supposer qu'elle représente cette minorité de juifs éthiopiens récemment arrivés.Avant d'émigrer en Israël dans les années 80 et au début des années 90, les Beta Israël (connus également sous le nom de Falashas) vivaient dans de petits villages des montagnes du nord de l'Ethiopie, parmi leurs voisins chrétiens et musulmans.
Pour la société dominante des Amhara, les Beta Israël étaient un groupe de très bas statut social, ne possédant aucun droit à la terre, exerçant des artisanats méprisés et possédé par le « mauvais œil ».
Mais, une fois en Israël, dans leur terre promise, ils se virent, là encore, assigner une position sociale marginale.
Au total, il y a aujourd'hui près de 60 000 Juifs éthiopiens en Israël.
En tout cas, tu as raison d'insister sur la place de chacun dans la société israélienne; c'est une question importante dans le film: dans la scène de la plage que tu cites, l'institutrice évoque notamment la distinction entre ashkénazes et séfarades (si je ne me trompe, elle dit qu'elle est séfarade; le petit garçon, lui, est ashkénaze). Leurs origines à tous trois peuvent expliquer la place très différente qu'ils occupent dans la société (nounou, instit', fils de bourge)
Si l'instit' élimine Miri, c'est peut-être parce qu'elles sont trop semblables: toutes deux savent que l'enfant a un don; toutes deux s'approprient des textes du môme de manière intéressée; toutes deux pourraient occuper la place de mère. L'une des deux est en trop.
Ce qui se joue entre Miri et l'institutrice, c'est une rivalité sociale et "amoureuse": c'est une compétition entre deux dominées de la société israélienne. Le plan dont tu parles, où Miri sort de l'eau comme une déesse antique, la pose comme une rivale, aux yeux de l'institutrice à la beauté "banale" (comme il est dit dans le dialogue dont tu parlais plus haut). Miri est trop belle, trop talentueuse, trop sûre d'elle pour une fille qui, vu ses origines, devrait, selon l'institutrice, faire davantage profil bas. Est-ce que l'institutrice, en l'éliminant, ne cherche pas à lui rappeler quelle est sa "place", à la rabaisser, à l'humilier?
En tout cas, si on lit le film depuis l'origine sociale des personnages, ça dessine un autre scénario: la poésie représente l'enjeu culturel qui permettra d'exister à une dominée de la société israélienne. Si l'institutrice séfarade a un tel amour pour la poésie d'un fils de bourge ashkénaze, c'est sans doute pas par pur amour de l'art: c'est un instrument de revanche (qui lui permet d'attirer l'attention de son mari, de se distinguer parmi les autres membres du club de poésie, de séduire un amant, de participer à un spectacle auquel elle n'aurait jamais été invitée sans ça).
Eyquem- Messages : 3126
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