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Habemus Papam ... en passant

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Borges
Largo
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Message par Invité Mer 21 Sep 2011 - 18:41

Hello Borges,

je dois dire que je ne partage absolument pas ta perception ou ton angle de réception des films de Moretti, du moins concernant "je suis un autarcique", "ecce bombo" ou "palombella rossa".
Ce ne sont là ni des films d'impuissance ou d'abdication, ni des films d'égotiste.

Je parle des premiers Moretti, mais pas seulement. Qu'après, ça change de tonalité, et pas forcément pour le meilleur, je serais le premier à le déplorer. Mais de là à décréter que "habemus papam" représente le paradigme de son cinéma, ou voir ses autres films en les déduisant strictement de ce tu vois dans cet "habemus papam", c'est un peu trop rapidement et facilement expédié.
En dépit d'un "instinct très sûr" (je sens comme de l'auto-dérision, là, car ce même "instinct très sûr" t'incita en son temps à porter aux nues "le grand bleu", "braveheart", "unforgiven", - tu trouvais même dans le visage d'Eastwood la sécheresse et l'élégance des traits d'un Gilles Deleuze. Sorry, mais lol, quand-même).


C'est juste le contraire. Ce sont des films très toniques, dynamisants, libérateurs. Ils actent un état de la société (italienne ou autre), figé, bloqué, transi d'impuissance, tenté par le nihilisme, et justement, l'ego transposé de Moretti (qui est celui d'une génération) fait exploser toutes les impasses, propose des "modes de subjectivation" alternatifs, esquisse une autre possibilité de la "communauté".

Il y a bcp de générosité dans la colère de ces films. Bcp de corps, aussi.
Leur drôlerie réside dans un activisme jusqu'au boutiste, jamais en repos, où Moretti inverse toutes les données de la "comédie à l'italienne" (ce ton misérabiliste, grinçant, cynique, déconfit ou capitulard, des Mario Monicelli, Dino Risi ou Ettore Scola). Il invente un comique actif, interventionniste: il s'agit d'attaquer toutes les facettes d'un langage devenu rhétorique de la misère égotiste, instrument d'une esthétique de soi qui est une haine de soi, et il administre à tout le monde des gifles qui réveillent.

Ne pas se méprendre sur la situation de "je" dans ces premiers Moretti. Bien sûr, il y a une circulation constante entre l'autobiographie et la fiction, mais ce n'est du tout sur le mode d'un Woody Allen. C'est une pratique de l'auto-portrait dont le moi personnel n'est pas l'enjeu, et c'est l'inverse de la mélancolie du je réduisant tout à l'impuissance. Il y a un regard ouvert, extrêmement attentif au collectif. Absolument pas défaitiste, mais revigorant. C'est un procès savoureux de "l'autisme", et quand il se met dans la peau de "l'autarcique", c'est dans un cheminement qui fait progressivement éclater, crever la bulle du confinement dans l'entre-soi et le quant-à-soi d'une génération dont l'engagement est devenu un fétichisme sourd et aveugle.

Dans la gauche radicale de l'Italie des années 70, Moretti occupe la position singulière d'une affirmation obstinée d'un nouveau rapport au champ politique. Il ne cesse de dénoncer les postures d'un utopisme qui tourne à vide parce qu'il exclut un rapport concret, empathique, aux autres. L'utopisme de la génération à laquelle il appartient, et dont il se moque, est englué dans la complaisance, le repli sur soi, l'auto-indulgence, un amoncellement de discours sans praxis, un nombrilisme déréalisant qui a fait rempart contre le monde en se réfugiant dans de pures abstractions.

Moretti fait éclater tout ça, pas du tout en décrétant toute révolte impossible, mais en proposant une nouvelle politique des corps et des affects. Tout comme le comique de ces films inventait quelque chose de nouveau, frais, de jamais-vu. J'ai découvert "ecce bombo" et "je suis un autarcique" l'année passée, alors que Moretti, ça m'attirait pas du tout. J'ai été frappé par la bonne humeur, je dirais même le bonheur qui s'en dégageait, leur puissance d'affirmation. C'est la tristesse qui y est prise à la gorge. On sort de la vision de ces films avec un punch, une volonté d'en découdre.

C'est patent dans ces premiers films que je cite. Y percevoir le contraire relève selon moi d'un pur et simple contresens.



J'ignore comment tu as vu "palombella rossa", pour attribuer à Moretti tout ce que tu lui attribues ici avec sévérité.


"Palombella rossa", c'est, là encore, le travail rugueux de destruction d'une "langue de bois", guettée par la psychose: le psittacisme étouffant du PC italien devenu amnésique de lui-même, impuissant, prêt à étreindre, déjà, la nouvelle "parole émergente", celle de l'entreprise.
"Trend negativo", etc.
Dans les films précités, Moretti ne cède jamais sur la moindre formule, tous les mots sont importants, aussi une part importante de son art comique est-elle de les épingler, les psalmodier, les ruminer, les enfler, en faire ressortir chaque sonorité, jusqu'à faire rendre gorge au rapport avec le monde qu'ils instituent. Tout un travail de sémiologue obsessionnel. Tout le contraire, aussi, d'une capitulation.


C'est d'une drôlerie libératrice, qui, tout au contraire de fermer les points de réel, dé-suture, réouvre de force tous les points de réel obstrués. C'est pas du tout un film défaitiste, et c'est bien parce que le PC italien présente le visage du repli dépressif dans l'impuissance d'un "tout au langage" terrifiant, que Moretti se charge de faire péter toutes les coutures. En contrepoint, le film dessine le lieu d'un autre agencement possible, d'un retour du sens, du sens du collectif, de la praxis d'un être ensemble.

L'équipe de Water-Polo constituée par ces camarades ou anciens cadres du parti, ce jeu d'équipe dont Moretti filme magnifiquement la chorégraphie, forme dans le final un pur moment de beauté et de vérité retrouvés. Comme s'ils y retrouvaient enfin l'enthousiasme de l'engagement qui les a fuit, dans la fatigue, le découragement, le sentiment malheureux d'être séparés du monde, du réel.

Ce moment de sport figure une reconquête heureuse du point de réel annulé, d'une parole vraie, par les corps et âmes non plus scindés entre une machinerie d'affects aveugles et une logorrhée de concepts vides, mais recomposés à la manière d'un Spinoza si on veut, à la manière de ce que peuvent des corps.

Donc, vraiment, on n'a pas du voir le même film.


Moretti est un cinéaste du corps, disais-je, de la collectivité et de la pluralité des corps. Non pas, bien sûr, l'unité vibrante du grand corps fasciste qui fait Masse, ni, dans son pendant individuel, le corps glorieux de l'athlète qui imprime sa force motrice au monde, mais le corps fragile qui suit la courbe d'un mouvement extérieur à lui. Dans tous les films de Moretti, il y a un moment de grâce et de vérité, qui est un moment de sport d'équipe, dans la pure gratuité du jeu et le bonheur du geste épousant une arabesque.

Le beau nombril (encore une appréciation erronée de Daney, qui voyait assez souvent dans les films des tas de trucs qui ne s'y trouvaient pas), le manque de courage, la réduction à l'impuissance, le consensualisme, je ne vois rien de tout cela dans la majeure partie des films de Moretti, même dans ses plus "privés", comme "la chambre du fils", histoire de cette famille endeuillée qui compose peu à peu un autre agencement de vie, de circulation des corps dans l'espace, mouvement qui se fait parallèlement à l'abandon par le psychanalyste du ressassement des névroses du "moi" psychique clôturé dans l'introspection et l'intimité étouffante de son cabinet.







Concernant cette vilaine image d'un Moretti narcissique, n'oublions pas non plus que ce dernier, loin d'être prétendument replié sur son petit nombril, et loin de macérer dans je ne sais quelle esthétique dépressive de l'impuissance, l'a toujours jouée collective: il s'est toujours bcp impliqué, et s'implique toujours bcp, pas que cinématographiquement, dans le champ politique, déployant une énergie considérable. Peu de cinéastes peuvent en dire autant (un Godard, après l'expérience "Dziga Vertov", s'est plus ou moins replié dans un mélancolisme solitaire). Militant très actif depuis le début dans les organisations de la gauche non gouvernementale; son implication personnelle, dès la création de l'empire télévisuel de Berlusconi; son action au sein des Movimenti. Rappelons, entre autres initiatives, qu'il organisa en 2002 une manifestation contre Berlusconi qui réunit à Rome plus d'un million de personnes, etc.




Badiou avait su saisir dans Faux mouvement de Wenders la puissance de l'affirmation d'une autre communauté possible, opérant dans la soustraction. Les grands films qui travaillent sur ou avec le "négatif" donnent cela. C'est d'ailleurs facile de les distinguer des films négatifs qui n'offrent aucun travail et qui se font forts de nous déprimer. Il était pourtant facile également de n'y voir que dépression, désenchantement morbide, ce que n'est pas le film. Un film qui, personnellement, m'a bcp réjoui et me réjouit encore, que je trouvais oxygénant, ouvrant. Mais bon, Wenders a changé, c'est vrai. Il est passé de Alice à Wuppertal à Pina Bausch à Wuppertal. L'horreur de vieillir lui fait se coiffer comme Nicole Kidman période "calme blanc".
Donc, oui, on vieillit, c'est possible. C'est possible que Moretti vieillisse et devienne plus égoïste, comme il le déclare dans ses dernières interviews. Mais ça n'induit pas un décodage démiurgique établissant de force que ce qui serait mauvais sur la fin éclaire et révèle à rebours que les débuts qu'on croyaient bons sont finalement, eux aussi, mauvais. Tout le monde ne se tient pas à la hauteur de ce qu'il fut, un jour.


Badiou, c'est toujours intéressant, qui le contestera? Mais nous servir à chaque fois Badiou pour trancher les nœuds, administrer des leçons sur ce qui vivifie et ce qui mortifie, c'est parfois un peu lourd, ça vire un peu au catéchisme. Badiou parle-t-il des premiers Moretti? Je sais pas, mais j'ai comme dans l'idée que c'est pas sa cup of tea. Déjà qu'il expédie sous la même bannière "cinéma révisionniste" ( celle qui "désespère Billancourt") pêle-mêle Kubrick, Bertolucci, Angelopoulos, Demy, Bergman, Boisset. Enfin, dans des textes anciens. Badiou qui trouve plutôt ses régalades dans Dirty Harry, Un monde parfait, Magnolia. Pourquoi pas. Je partage assez sa conception du spectacle d'un film comme un objet du quotidien qui "arrive" et qu'on "reçoit", à la différence d'un livre qui demande une décision, de se mettre dans un certain travail. Je comprends le plaisir qu'il a eu de voir Titanic, qui n'est pas de la boue, qui est un film honorable, non seulement joliment construit mais qui a quelque chose d'intéressant à nous dire sur le "contemporain", et pour cela touche un grand nombre de personnes. Il n'est pas absolument nécessaire de se livrer à une exégèse serrée, érudite, d'analyser chaque dialogue, chaque plan comme on s'arrêterait sur chaque concept dans La critique de la raison pure, y déceler un signifiant lacanien par ci, une tournure augustienne par là. On sait que Wittgenstein allait surtout au cinéma pour se divertir, s'aérer, appréciant plus que tout les choses légères sans profondeur, les séries B policières, etc. Heidegger, si je ne me trompe, appréciait les films de Chaplin sans pour autant y méditer sur le destin du monde technique. Tu écrivais un jour, et tu avais raison, que c'était surtout les cinéphiles passionnés dont la passion ne laisse pas bcp de temps pour lire les philosophes, qui éprouvent le besoin de philosopher sur les films. Et qu'aujourd'hui, on trouve de la philosophie dans tout, dans le cinéma des frères Coen, dans Matrix, dans Star wars, etc. Ce qui ne contrevient pas au fait qu'on a aussi le droit, bien sûr, de penser à propos de films, toute manifestation de l'esprit donnant à penser... Mais ça ne contient pas nécessairement en soi cette finalité. Comme les Kubrick, par exemple, qu'on peut se contenter d'apprécier sans réécrire la Phénoménologie de l'esprit, ou le Zarathoustra de Nietzsche, même s'il tissent de subtils réseaux de signes, de correspondances, qui feront le bonheur de tout qui aime décrypter les énigmes, noble occupation, exercice qui peut s'avérer passionnant et stimulant, selon le degré de talent et de compétence de celui qui s'y adonne.

Nous ne parlons pas ici de Deleuze, un Deleuze mettant son énergie et sa pensée au service de ce qui se pense dans le cinéma, ça arrive une fois par siècle. Peut-être. Et combien de mauvaises imitations.


Il y a aujourd'hui une nouvelle catégorie de "philosophes-pour-films et séries télé". Je suis tombé sur des textes et des interviews d'un certain Pacôme Thiellement, nouvelle coqueluche des plateaux de Taddéi: "la main gauche de Lynch", "les même yeux que Lost", et autres exégèses sur Zappa, Led Zeppelin, la magie noire, la sorcellerie, une pincée de gnosticisme à la Raymond Abellio, un doigt de maître Eckhart, quelques tables qui tournent, un fourre-tout papillonnant et virevoltant où il ne se dit et ne se pense finalement presque rien, hormis des banalités creuses qui sonnent un peu "psychédéliques"; et qui se voudrait un tantinet "pop-philosophie" sur les bords. Non, "pop philosophie", c'est pour Technikart. Plutôt gothico-rock-philosophie, alors. C'est très blitz. Un fétichisme dandyste chic, très à la mode, chargé de bidules d'antiquaire indéfiniment recyclés. C'est l'Aventure post-moderne à son acmé, murmure-t-on, ébaubi par tant d'associations osées sortant de ce milkshake arc-en-ciel. Même MBK imitant Zizek imitant Badiou, c'est plus profond. On dit, sur les radios, que c'est un des "penseurs les plus originaux et les plus singuliers de notre époque... C'est soppible, comme on dit à la sncf. Mais j'ai quelque doute.







Pour en revenir à Badiou... "Magnolia" (qui est un mauvais film), ou "Mort à Venise" (qui est un grand film), pour enchanter Billancourt...
Ou "le diable probablement", tiens - petite chose moribonde, sans force, sans vie, pleine de dolorisme catholique, qui veut tellement être en phase avec les djeunns de l'époque qu'il les enferme dans son gâtisme: ils sont nécessairement pâles et christiques, écologistes marchant pieds nus dans leurs sandales, passant leurs nuits à mater des diapos de pelleteuses et de marées noires, et inévitablement voués à se flinguer dans une chapelle déserte en mettant je ne sais plus quelle messe des morts sur le recorder portatif. Ah, ça ravigote, hein. Un film positif qui propose des héros positifs susceptibles "d'éduquer les masses" tout en les réjouissant.





Puis on nous vantera jusqu'au "sublime" les vacuités languides, les états d'âme sépulcraux et le nombrilisme gniangnian des romans-photos de Philippe Garrel... Et pour se redonner un peu de "puissance", allez, matons-nous un petit Bela Tarr de derrière les fagots: un plan de fenêtre pluvieuse donnant sur un paysage de cendre, pendant deux heures trente, devant laquelle un affligé asthénique en imperméable débite à intervalles irréguliers des poncifs dépressiogènes sur la fin du monde et l'espoir envolé. Le tout sur une musique d'accordéon triste bloquée sur la touche rewind...


Dernière édition par jerzy P le Jeu 22 Sep 2011 - 6:06, édité 22 fois

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Message par Invité Mer 21 Sep 2011 - 22:24

Stéphane Pichelin a écrit:
le soin ou, en anglais, CARE. c'est le grand délire de toute la sociale-démocratie contemporaine, le CARE. même Mame Aubry en cause. mais le CARE est pour elle une politique d'Etat.

Bien bien sûr qu'elle en cause et le défend, elle est du PS après tout, de la même manière que lorsqu'elle affirme être pour "l'égalité réelle" elle veut juste dire que comme tout le monde elle n'a rien contre l'égalité en tant que telle (ni contre la réalité, ne nous le cachons pas cette formule a une connotation hégelienne, ici réel est l'euphémisme de "raisonnable"), mais que si par hasard le PS devait élaborer une idéologie politique et considérer qu'arriver au pouvoir implique de la traduire dans la loi, le PS ne se sent pas tenu de considérer l'égalité comme un contenu de cette idéologie putative.

De toute manière ayant eu un proche ayant récemment dû appeler les soins palliatifs en Belgique (mais il en va vraisemblablement de même en France où le débat sur "mourir dans la diginité" est encore plus hypocrite qu'en Belgique), l'idée que le CARE crée du lien social tient du foutage de gueule le plus total. Déjà c'est inefficace car pas intégré dans les services hospitaliers normaux, rien que les solliciter tient de la démarche kafkaïenne, et est impossbile si le malade est seul et précarisé (or quand on est précarisé on est souvent seul).Un exemple de kafkaïsme: deux mois après la mort de la personne on recevait des papiers disant que notre demande pour la location gratuite d'un fauteuil électrique sollicitée 6 mois avant avait été reçue et acceptée par l'association wallonne de la personne handicapée (remarque: le degré d'urgence n'avait pas diminué en effet le malade était tellement limité dans ses mouvement qu'il était au cimetière). Ou encore: les soins palliatf qui viennent le jour du décès de la personne essetiellement pour réfléchir au type d'analgésique qu'ils pourront donner la fois prochaîne si elle est encore vivante (démarche assez lourdement facturée mais en effet remboursée par la Sécu). Je sais bien que mourir est rarement facile, mais quand-même...
De facto les seules personnes à avoir une attitude d'écoute constructive et manifester ne curiosité sur la nature de la maladie (la SLA) étaient les infirmières de l'hôpital "traditionnel", alors même que les médecins se défaussaient sur le CARE pour la donation des soins. Au passage, à ceux qui pensent qu'il y a trop d'étrangers dans nos pays qui empêchent la relance économique et la distribution des richesses en période de vaches maigres, et que les réseaux sociaux permettent un travail de sensiblisation et de propagande inédit sur cet état de fait: ces infirmières étaient souvent d'origine immigrée.
Ceci dit avec le CARE les amateurs de cinéma vont être servis: en sollicitant leurs services on a parfois l'impression d'être dans un film d'Orson Welles, tantôt de Polanski parfois de Ferreri avec un soupçon de Ken Loach ou de Satyavit Ray. Ma mère puisque c'est d'elle qu'il s'agit se sentait plutôt dans une pièce de Tchekov. Les références culturelles sont ardemment mobilisées par la situation.

Inutile de dire ce que ce discours visant à remplacer la notion de welfare state par celle de CARE ou de le présenter comme la forme post-moderne du service de santé publique représente pour moi. Je commence à comprendre le ressort psychologique en jeu dans le fait que le welfare state a été mis en place pas tellement par la gauche mais plutôt par des conservateurs lassés par la guerre.

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Message par Invité Jeu 22 Sep 2011 - 10:10

salut Jerzy,
t'as l'air en forme.
jerzy P a écrit:
"Palombella rossa", c'est, là encore, le travail rugueux de destruction d'une "langue de bois", guettée par la psychose: le psittacisme étouffant du PC italien devenu amnésique de lui-même, impuissant, prêt à étreindre, déjà, la nouvelle "parole émergente", celle de l'entreprise.
"Trend negativo", etc.
Dans les films précités, Moretti ne cède jamais sur la moindre formule, tous les mots sont importants, aussi une part importante de son art comique est-elle de les épingler, les psalmodier, les ruminer, les enfler, en faire ressortir chaque sonorité, jusqu'à faire rendre gorge au rapport avec le monde qu'ils instituent. Tout un travail de sémiologue obsessionnel. Tout le contraire, aussi, d'une capitulation.
je suis d'accord avec ta lecture mais je ne crois pas qu'Habemus papam soit en retrait par rapport à ces films. je pense au contraire qu'il fait un pas de plus. et que ce n'est pas un pas de trop.

salut Tony,
je tiens à re-préciser que je vois une différence fondamentale entre le CARE et la proposition de NM. je suis avec Jerzy pour dire que NM dans ses films
esquisse une autre possibilité de la "communauté".
une possibilité à ce point autre, à ce point utopique (au meilleur sens du terme) qu'elle en devient infigurable directement. car tous les mots pour la dire sont d'abord piégés. ce n'est pas une innovation en Italie : il y a un très beau poème de Pasolini à ce sujet, titré C en traduction française, F en Italien. dans Caro Diario, il y a un hommage à PPP.


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Message par Borges Jeu 22 Sep 2011 - 12:02

oui, tous ces mots importants :

« palombella est le film le plus contemporain qu’il nous ait été donné de voir depuis longtemps, et confirme que NM est un sismographe de génie. Il y est dit des choses capitales sur le langage (sur la nécessité de renouer avec le vrai sens des mots), contre la communication, le babil médiatique, la langue de bois qui, au-delà de la politique imprègne toute la vie sociale. Il y est question de la souffrance de ceux qui n'ont plus de vraies croyances. De l’enfance à jamais disparue. De la nostalgie des goûters pris en rentrant de l’école dans la chaleur du foyer. Des utopies enfouis sous la chape de plomb du social. De l’enfant tué au cœur de l’être humain. C’est un film magistral de notre temps, l’oeuvre d’un cinéaste qui sera au cœur des années 1990, pour qui le cinéma est aussi et surtout affaire de morale »

(serge toubiana, qui esquisse aussi une communauté à venir à la cinémathèque)

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Message par Borges Jeu 22 Sep 2011 - 12:28

les mots sont importants : dans son texte sur le diable probablement, "le "suicide de la grâce", badiou ne fait pas l'éloge de bresson, au contraire; bresson est pour lui,"un nihiliste qui fait le vide pour dépister l'avant-trace de dieu"; il est d'accord avec sa description "négative" d'une jeunesse tentée par "l'absence radicale", le vide, mais à cette absence il ne peut donner comme solution qu'une "réaction théologique"; son seul souci est de faire briller dieu dans cette absence; quant au contenu, Bresson, c'est la voie d'extrême droite..."
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Message par Borges Jeu 22 Sep 2011 - 12:29

pour une réponse de fond, quand j'aurais un peu de temps...


Dernière édition par Borges le Jeu 22 Sep 2011 - 12:39, édité 1 fois
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Message par Borges Jeu 22 Sep 2011 - 12:37





la seule communauté qu'esquisse NM, c'est la démocratie, le sens de l'Etat...l'indépendance des institutions...bref, la langue de bois, comme vous dites, médiatico-démocratique... j'aime beaucoup cette réponse; je sais pas si le mec lui demande de parler du monde, ce qui se passe et tout, l'essentiel est qu'il lui parle de son cerveau...et de son incapacité à comprendre...



Comment vous positionnez-vous par rapport au monde qui vous entoure ?

Il y a plein de choses que je ne comprends pas, et notamment certains métiers. Je parle avec beaucoup de gens et la plupart du temps je ne comprends pas quel métier ils font. Et ça, c’est nouveau. Il y a vingt ans, je comprenais ce que mon interlocuteur faisait dans la vie. Un jour, alors que je me promenais, je suis entré dans un magasin et je n’ai pas compris de quel magasin il s’agissait ! Après une bonne minute de réflexion, j’étais incapable de dire dans quel magasin j’étais. Autre point : par paresse, je suis resté en dehors de l’explosion du Net, lequel a joué, semble-t-il, un rôle très important lors des dernières élections. Et puis j’ai envie de faire des films plus souvent. Reste à voir comment les choses vont évoluer… J’ai l’impression qu’il y a des choses importantes qui se passent dans la société - et je le dis sans complaisance ni autoflagellation - que je n’arrive pas à comprendre. Mais comme je veux continuer à raconter des histoires, il va bien falloir que je remette mes antennes et mon cerveau à niveau !



mon film raconte mon Vatican, mon conclave, mes cardinaux.


mon, mon mon mes : le moi et ses propriétés



les mots sont toujours importants
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Message par sokol Jeu 22 Sep 2011 - 13:35

Habemus Papam est un mauvais film :

- je n'en pouvais plus de cette musique illustrative qui inonde le film
- je n'en pouvais plus du ralentie du match de volley
- je n'en pouvais plus du majordome qui faisait bouger le rideau
- je n'en pouvais plus de tous ces sketch qui également inonde le film
- je n'en pouvais plus de ce Mgr Melville qui est supposé ne pas être italien de langue maternelle mais qui se souvient par cœur de passage entiers de 'la Mouette' de Tchékhov !

Ce film ne contient qu'une grande scène, magnifique même : la toute dernière ! Mais, peut-on sauver un film entier par une seule scène ???
« HABEMUS PAPAM » est une grande concession artistique de Mr Moretti (une des plus grande maison italienne de production a produit son film).
Ce film est beau seulement sur papier !

Suis-je le seul à penser ainsi ??


ps: faut excuser mon français... Embarassed

sokol

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Message par Invité Jeu 22 Sep 2011 - 18:02

Ben tu vois, Borges, tu fais comme Moretti, qui prend au mot, et renvoie la balle. Pour montrer à tel interlocuteur qu'il tient des propos "trend-tendance", il lui administre la lecture d'un critique installé dans la langue de bois médiatique. Et le mec est crucifié. Bien joué.


Mon propos concernait surtout la façon de cerner le "noumène" du cinéma de Moretti comme lieu de l'impuissance, de l'égotisme, etc.



Dans ses premiers films, je perçois Moretti comme une sorte de Holden Caulfield placé non dans un collège mais dans un groupe d'activistes. Un mélange d'ironie et de tendresse, de cruauté et de bonté. Tu me diras certainement que ça n'a absolument rien à voir.


Dernière édition par jerzy P le Jeu 22 Sep 2011 - 18:46, édité 1 fois

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Message par Borges Jeu 22 Sep 2011 - 18:45

jerzy P a écrit:

Dans ses premiers films, je perçois Moretti comme une sorte de Holden Caulfield placé non dans un collège mais dans un groupe d'activistes. Un mélange d'ironie et de tendresse, de cruauté et de bonté. Tu me diras certainement que ça n'a absolument rien à voir.

hello;

au contraire, j'ai beaucoup pensé à Holden caulfield, en regardant "PR", et pour plein de raisons : dénonciation du règne du faux, du langage des autres, désir d'enfance, comme seul lieu d'idéalité, lien à la soeur (dans la messe est finie, dans "habemus papam"... ce lien à la soeur peut d'ailleurs être lu depuis deleuze et melville...), refus des groupes, chapelles, appartenances..."les catholiques essayent toujours de savoir si vous êtres catholiques", attraction du mysticisme et du silence... mais n'oublions pas que HC est dans une phase dépressive, où rien dans le monde en dehors de l'enfance ne fait sens pour lui... dans une phase dépressive, tout se vide, tout se fait "langue de bois" (faut retracer la généalogie de ce terme)... kant c'est de la "langue de bois", joyce, wittgenstein, absolument tout; on ne veut rien de plus que des silences; du silence; en terme deleuzien, je dirais que NM fait le point sans tracer des lignes de fuite, sinon vers l'enfance, et vers sa mère, la chanson de variété, vers la totalité imaginaire fantasmatique, sans castration;

le rire : je dois dire qu'il me fait plus rire dans le souvenir, que dans la perception; qu'il soit émouvant, c'est une évidence; mais je maintiens que c'est un cinéma de l'impuissance, plus que de l'impossible; son cinéma s'inscrit dans la désillusion, la mélancolie de l'après marx, de la fin des politiques d'émancipation; c'est un cinéma des spectres de marx, de jésus...*

( oui, j'ai fait comme NM; si j'avais pas vu PR, j'en connaissais bien des passages; sur le forum des cahiers, c'était même chez moi à un moment une habitude amusante de citer : "le qui parle mal, pense mal, vit mal...", souvent à l'adresse de vincentdel, et de gallo31... )





Dernière édition par Borges le Jeu 22 Sep 2011 - 18:48, édité 1 fois
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Message par Invité Jeu 22 Sep 2011 - 18:48



Si tu as l'occasion, vois quand-même les deux premiers films.

J'y perçois des lignes de fuite.

Je dois dire que le peu que j'essaie de dire pour défendre Moretti tient surtout à l'émotion que m'ont procuré ses deux premiers films.

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Message par Invité Jeu 22 Sep 2011 - 19:22

Et la fin de La chambre du fils mon Jerzy !

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Message par Invité Jeu 22 Sep 2011 - 21:28

Bonjour,

je digresse, mais il y a sûrement un lien entre l'idée de "care" et celle d' "autre communauté", qui serait l'expression d'un progressisme résiduel après l'acceptation de fait du démantèlement libéral des systèmes de protection social (je ne sais pas si le dernier Moretti est là dedans, mais dans le cinéma italien bizarrement j'ai l’impression qu'un film comme La Chair de Ferreri est souterrainement traversé par quelque chose de cet ordre: dans les années 80, le lien provoqué entre consumérisme et handicap, tant du côté de la société que du côté du sujet, bon d'accord ce n'est pas Moretti. L'idée que réifiée la sexualité est alors la dernière chose qui tienne face à a la mort. Mais "Dillinger est mort" c'est déjà un film sur la forcément mauvaise manière de sortir de l'utopie du "changer la vie" des années 68, mais Moretti dans "la Messe est Finie" commence à partir de là).

quand même deux choses troublantes dans l'idée qu'une partie gauche (enfin les socialistes) en vienne à défendre l'idée de "care":
-c'est déjà un domaine organisé comme un marché (je pense que les infirmières ont un statut d'indépendant), qui pallie les taches qui ne sont pas prises en charge par le système de santé gratuite et la sécu
-l'enjeu de ce marché est précisément la gestion de l'impuissance du système de soin traditionnel, "public"

Sinon dans "Vers le Sud" de Johan Van der Keuken il y a un prêtre au visage et au débardeur pasolinien qui essaye de créer en 1982 encore une coopérative de couture autogérée pour soustraire les gens à la mafia calabraise, faire comprendre aux femmes qu'elles peuvent travailler même avec des enfants, et qui balance l'existence d'un évêque mafieux, qu'est-il devenu? Il est agaçant de voir cette scène, car on comprend avec un recul cynique que la sincérité de l'engagement de ce prêtre et l'expression d'une mode, mais pourtant en même temps existe le sentiment que l'on ne comprend pas le vrai "pourquoi" de son action, qui délimite ce par quoi cette sincérité avait une chance de survie...

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Message par Invité Jeu 22 Sep 2011 - 21:31

Borges a écrit: quant au contenu, Bresson, c'est la voie d'extrême droite..."
Est-ce que c'est pas en effet un peu une sorte de catéchisme révisionniste ultra simplificateur de considérer par exemple que "les Dames du bois de Boulogne" mène à l'extrême droite. Il a sûrement été fait depuis un milieu qui pouvait dans la collaboration s'apparenter à l''extrême droite mais il en raconte justement la défaite de l'extrême droite.
A la limite il montre comment l'extrême droite est travaillée par sa propre mort et ne se soutient plus (seule la phrase "je lutte" est réelle). Les phrases que tu ponds, pour employer un concept heideggerien "voilent" précisément le contenu des films et ne tiennent que par la construction d'une opposition artificielle entre une forme de vérité morale (d'ordre téléologique) des films et le contexte historique de leur production (tenu pour contingent, accidentel).

Putain faudra m'expliquer en quoi "les 4 nuits du Rêveurs" sont la voie de l'extrême droite...

Par contre pas un mot sur les séries télévisés actuelles "d'extrême-centre" sur la seconde guerre mondiale où la moindre mère de famille de la France villageoise est montrée comme une résistante de l'ombre et est clonée physiquement sur Violette Szabo.

C'est en train de créer un immense piège à con(s) prendre garde à ne pas galvauder la notion d'extrême droite justifie un procès d'intention selon lequel on est peut-être d'extrême-droite. "Politique paranoïaque" comme disait l'autre.


Que signifie être "indirectement d'extrême droite" ou être dans son "contenu" un jalon ou une "voie del'extrême droite" alors que l'idéologie et la propagande d'extrême droite sont en train de tirer le parti maximum des médias sociaux pour s'afficher de manière visible et décomplexéen et ont compris que c'est cette visibilité qui désamorçait le mieux la critique. Badiou est en retard de 20 ans sur Kracauer ou Walter Benjamin, il est né au XIXème siècle...


Et c'est un amateur de Manchette qui défend Bresson, comme quoi...

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Message par Invité Ven 23 Sep 2011 - 13:48


désolé pour ceux qui comme moi l'ont cru, mais Melville est présent dès les premiers plans dans la Sixtine.
C'est une belle erreur en fait. Parce que c'est probablement le sens de la séquence. Mais NM le monnaie autrement. Melville est là depuis le début, au fond. Il regarde à droite et à gauche. Quand tous les cardinaux sont penchés sur leur bulletin de vote, lui regarde droit devant lui, indifférent, moralement absent – mais physiquement toujours présent, en arrière-plan et souvent légèrement flouté, mal défini, mal déterminé. Ce qui se passe quand les cardinaux l'appellent, ce n'est pas à proprement parler son apparition provoquée par la répétition de son nom, mais c'est sa mise en avant. La rhétorique n'est pas narrative, type : il n'est pas là puis il est là. Elle est d'abord filmique, une question de focale et de valeur de plan.

La vision fausse – et pourtant permise par le film – de Melville apparaissant à l'appel des autres cardinaux est une figure forte de ce qui est en jeu dans la séquence : le désarroi des cardinaux face à la papauté (la place du mort) suscitant sa réponse sous les traits du nouveau pape. La figure de la création ex nihilo pourrait être d'autant plus crédible qu'elle fonctionne comme un nom visuel de ce qui se passe dans cette élection : image forte, univoque, aux contenu bien défini. Oui, mais NM a fait un autre choix, celui d'une figure faible et incertaine et qui, elle, ne nomme pas ce qu'elle montre mais se contente de le montrer.

Le nom subit le même affaiblissement dans la parole parlée. La dépression, par exemple : elle est le yoyo du psy qui la retrouve dans le livre dans sa chambre. Et qui, bien sûr, est la Bible, le Livre dans lequel tout est censé se trouver. Mais elle n'est pas nommée, elle est juste « l'unique livre » présent dans la chambre, et ce pourrait être n'importe quel livre. Religiosité du psy qui extraie du Livre, et peu importe lequel, une série de symptômes pour en conclure sans le moindre doute quil s'agit de dépression. Et contre-religiosité du cardinal Gregori certain que tout ceci ne peut aps concerner le Saint Père. Dépression contre sainteté, nom contre nom.

Pour sa part, le Saint Père, qui a perdu son nom dans la psalmodie électorale, est complètement ailleurs, dans une question : « est-ce que c'est ça, la dépression ? » Question qui reste sans réponse. On ne saura pas si c'est ça, la dépression. Et on ne saura pas vraiment non plus ce que c'est que la carence de soin. Quelque chose qui est arrivé quand on était « piccolo, piccolo » et qu'on ne redécouvrira peut-être qu'après plusieurs années à raison de trois séances hebdomadaires. Plus tard, dans la boulangerie, regardant artisans-ouvriers en train de faire le pain, le pape dit très tranquillement : j'ai une carence de soin, je ne sais pas ce que c'est. Non, on ne sait pas ce que c'est. « Dépression » et « carence de soin », qui devraient expliquer l'état du pape, restent en attente de contenu.

C'est la même chose avec la papauté. Il ne s'agit pas d'un pape qui finalement ne parvient pas à assumer ses fonctions – hypothèse où on devrait savoir quelles fonctions, avec quel contour et quel contenu. Au contraire, ce pape assume à ce point ses fonctions qu'il les achève. Son retrait n'est pas un problème personnel. Ce n'est pas Melville qui s'en va pour retrouver son nom, ce nom ne revient pas. C'est bien le pape, pleinement pape, uniquement pape, qui se retire, et après lui il n'y en a plus d'autre. Le titre Habemus Papam ne revient pas s'afficher sur la fenêtre vide, ce qui relancerait la fiction à l'identique : comment remplir cette fenêtre, où trouver un pape. Il revient sur un écran noir. Ce n'est pas l'acquisition du titre papal qui est relancée, c'est le contenu de sa fonction. Contenu de parole.

Le pape a affaire avec la parole, comme l'acteur, le journaliste, le psychanalyste, le politicien – surtout comme le politicien. Mais ce n'est pas une parole essentiellement représentative. Le pape est censé être branché directement sur le logos divin, qui est une parole créatrice, productive. Et la production concerne aussi les autres. Les acteurs, par exemple. L'acteur fou qui refuse que le pape répète ses répliques. Il refuse la répétition, ce qui est assez bizarre pour un acteur. Mais qui s'explique très bien si l'enjeu n'est pas la représentation mais la production du monde. L'acteur fou, en s'appropriant toutes les paroles, produit les actrices en Nina et Arkadina, produit le pape en Sorine, produit l'internement en sortie de scène. C'est d'ailleurs très bien filmé, avec ce travelling tournoyant dans les escaliers et ce panoramique sur l'ambulance, où tout du long le corps parlant de l'acteur organise la réalité matérielle en production de sens. En monopolisant la représentation, l'acteur – non, les acteurs, comme les psys, les journalistes, les prêtres, monopolisent la production sociale de l'image de soi, c'est-à-dire le cadre idéologique qui définit et limite les actions possibles. Mais ils ne le font pas d'eux-mêmes, pas de leur propre choix libre. En amont, il y a le texte auquel ils sont liés et par lequel ils sont aliénés. Les mots de Tchekhov (l'acmé de la représentation bourgeoise) remplacent toute parole singulière dans la bouche des acteurs devenus aussi incapables d'improviser que le commentateur qu'ils regardent sur la télé du restaurant. La télé est là à la place de la nourriture : il y a ce qui rentre avant de sortir, l'intoxication alimentaire à la source du délire de l'acteur. Et il y a encore l'assignation sociale à la fonction d'acteur : être ou ne pas être admis au Conservatoire, comme il y a une assignation sociale à la fonction papale dans l'élection par les cardinaux. Mais l'assignation est aussi hétérogène à la société : le choix des cardinaux est celui de dieu, la non-admission de Melville s'explique par le refus de la représentation par le pape qu'il sera. Le choix social est indifféremment extra-social.

Démêler l'intérieur et l'extérieur, c'est tout ce que NM n'essaie pas de faire. Dans son article sur le les rapports du blason et du portrait (dans Pour une anthropologie des images), Belting en vient à dire que le second a fait concurrence au premier dès lors que le sujet a été figuré frontalement, ajoutant ainsi à la frontalité du blason la profondeur et l'intériorité d'un moi. Le pape de NM accepte le blason comme signe de sa papauté, et aussi comme ce qui le rattache à la tradition par la rupture (absence de pérennité du blason papal), et il refuse le portrait, la figuration dans la chair et la différenciation de l'intérieur et de l'extérieur qui va avec. Et il engage dans son refus les cardinaux qui à la dernière séquence se cachent le visage. Mais engager le Vatican ne signifie pas engager toute la société, puisque la foule est au contraire un ensemble de visages, une assemblée de regards tendus vers l'événement et qui inspirent moins une intériorité ou une extériorité qu'une épaisseur : ce qu'il y a entre moi spectateur du film et eux spectateurs dans le film. La privation du vissage ne frappe que les cardinaux, c'est-à-dire une instance sociale de pouvoir. Avec eux, c'est l'état qui est privé de visage, de regard, de toute son intériorité mystérieuse. Le mystère étant rabattu sur la surface de la foule.

Mais il faut aussi que le film subisse la même défiguration. Car le film, comme l'acteur, n'est pas simple représentation mais production de l'image sociale de soi. C'est pourquoi il ne peut pas y avoir de héros en plein, de héros exemplaire approuvable et imitable, mais seulement l'héroïsme en creux de ce pape renonçant et à la ressemblance du Christ : dieu est mort, on le sait depuis 2000 ans et il serait tant d'en tirer toues les conséquences. Et puis aussi, tout au long du film, un refus de sur-signifier, le choix général de figures faibles données aux spectateurs pour qu'ils les habitent, plutôt que de figures fortes et univoques. Et ce qui est vrai au plan métaphorique l'est aussi pour la structure du film. Je suis très étonné du texte de Badiou cité par Borges contre le film alors qu'il me semble qu'il va justement pour le film. Badiou parle de responsabilités et NM raconte un pape prenant ses responsabilités papales jusqu'au bout, jusqu'à leur changement de configuration. Et il le fait en prenant lui-même ses responsabilités esthétiques, notamment – et c'est le second point soulevé par Badiou – au niveau de la durée. D'une part, le pape refuse à la fois la temporalité qui lui est imposée par l'étiquette en s'enfuyant, et l'imposition à la foule d'une temporalité extérieure en s'abstenant d'indiquer la date de début du pontificat. L'état perd alors ses prérogatives en ce qui concerne la définition des durées. Mais d'autre part, le film est lui aussi travaillé par des durées hétérogènes à son projet, qu'on le considère de façon réductrice sous un angle purement psychologique (les cas de conscience d'un pape dépressif, ce dont on n'a rien à foutre) ou sous son angle politique (la mise à bas de la parole d'état, ce qui est beaucoup plus sexy). Dans ces deux cas, le rythme légitime semblerait devoir être une certaine lenteur, une manière de s'attarder sur les choses pendant la durée nécessaire au creusement d'une profondeur réflexive. Mais ce n'est pas du tout ce qui se passe. Le rythme est plutôt celui d'une comédie, avec des séquences très courtes, qui s'interrompent les unes les autres, qui se coupent la parole. Au lieu de traiter chaque moment thématique (le Vatican, les psys, le théâtre, les médias) en grands blocs expressifs, NM choisit de les fractionner en petite unités ponctuelles à l'intérieur desquelles la réflexion n'est pas possible parce qu'elle n'ont pas, ou très peu, d'intériorité. Elles sont avant tout des surfaces plastiques trop rapides pour se creuser. Autrement dit, la réflexion du film n'est pas dans le film, mais ici, sur le forum, dans ce que nous essayons de produire. L'intériorité du film est atténuée autant que possible au profit du rapport d'intelligibilité que le spectateur peut entretenir avec lui. Le film parle moins qu'il ne provoque la parole. Il cède ainsi sa position étatique (le cinéma comme Appareil Idéologique d'état à la Althusser – trop fort). La communauté politique rêvée par Habemus papam, son héros, c'est nous.

(à suivre)


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Message par Invité Ven 23 Sep 2011 - 13:52

"Politique de l'intertexte dans Journal Intime
par Marie Martin"
un papier assez bien dans Contre Bande n°15.



Dernière édition par Stéphane Pichelin le Sam 24 Sep 2011 - 8:45, édité 1 fois

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Message par Borges Ven 23 Sep 2011 - 18:05



on dit que ce sont les premières images du cinéma italien; je sais pas...
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Message par Invité Sam 24 Sep 2011 - 8:48

merci Borges.
un pape très assis, non ?
et puis les gestes qu'il fait dans l'air - probablement des signes de croix mais il donne plus l'impression de s'entraîner à beurrer sa tartine, tu trouves pas ? Wink


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Message par Invité Lun 26 Sep 2011 - 8:37

SuperNanni le réalisateur et sa communauté de" production d'une "comédie musicale sur un pâtissier trotskiste dans l'Italie des années cinquante où tout le monde est pour Staline." (Aprile)
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Message par Invité Lun 26 Sep 2011 - 8:39

« Quand Godard tournait Made in USA, Pierrot le Fou ou La Chinoise, son discours intrinsèquement ambigu rencontrait un état du combat anti-impérialiste et de l’espérance révolutionnaire qui faisait communiquer sans problème les formes de subjectivation politique. C’est en définitive la politique, ou ce qui en tient lieu à une époque donnée, qui fournit les conditions qui rendent véritablement opérante la dissensualité propre à une forme artistique. »

Adeline avait cité ce texte de Rancière à propos de Vol spécial. je le trouve aussi adapté ici.


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Message par Borges Lun 26 Sep 2011 - 12:18


on n'avait pas pensé à Alain Ehrenberg, sport, performance, dépression...( on préfère toujours passer par le modèle noble d'une figure littéraire)

Le recul de la régulation par la discipline conduit à faire de l'agent individuel le responsable de son action... Commettre une faute à l'égard de la norme consiste désormais moins à être désobéissant qu'à être incapable d'agir.




Nous codons aujourd'hui une multiplicité de problèmes quotidiens dans le langage psychologique, et particulièrement dans celui de la dépression, alors qu'ils étaient énoncés, il y a encore peu, dans le langage social ou politique de la revendication, de la lutte, de l'inégalité". Nous sommes donc sommés d'être responsables de nous-mêmes à un point jamais atteint dans l'histoire humaine. Cette augmentation de responsabilité nous rend plus vulnérables. Pour alléger ce poids et faciliter la capacité d'agir, nos sociétés offrent toutes sortes de possibilités que l'auteur regroupe en deux catégories : les moyens d'action sur soi de la pharmacologie (drogues illicites, anxiolytiques, antidépresseurs ( pensons ici à la pharmacie du vatican dans le film, à ces vieux cardinaux sous médicaments, excitants et calmants )) et les mises en scène de soi des technologies de la communication (interactivité, reality-shows, cyberespace)

"La dépression et l'addiction sont les noms donnés à l'immaîtrisable quand il ne s'agit plus de conquérir sa liberté, mais de devenir soi et de prendre l'initiative d'agir. Elles nous rappellent que l'inconnu est constitutif de la personne, aujourd'hui comme hier. Il peut se modifier, mais guère disparaître - c'est pourquoi on ne quitte jamais l'humain. Telle est la leçon de la dépression. L'impossibilité de réduire totalement la distance de soi à soi est inhérente à une expérience anthropologique dans laquelle l'homme est propriétaire de lui-même et source individuelle de son action.

La dépression est le garde-fou de l'homme sans guide, et pas seulement sa misère, elle est la contrepartie du déploiement de son énergie. Les notions de projet, de motivation, de communication dominent notre culture normative. Elles sont les mots de passe de l'époque. Or la dépression est une pathologie du temps (le déprimé est sans avenir) et une pathologie de la motivation (le déprimé est sans énergie, son mouvement est ralenti, et sa parole lente). Le déprimé formule difficilement des projets, il lui manque l'énergie et la motivation minimale pour le faire. Inhibé, impulsif ou compulsif, il communique mal avec lui-même et avec les autres.

Défaut de projet, défaut de motivation, défaut de communication, le déprimé est l'envers exact de nos normes de socialisation. Ne nous étonnons pas de voir exploser, dans la psychiatrie comme dans le langage commun, l'usage des termes de dépression et d'addiction, car la responsabilité s'assume, alors que les pathologies se soignent. L'homme déficitaire et l'homme compulsif sont les deux faces de ce Janus".



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Message par sokol Mar 27 Sep 2011 - 10:14

exellente critique d'INDEPENDENCIA : http://independencia.fr/revue/spip.php?article362



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Message par Invité Mar 27 Sep 2011 - 15:41

une très mauvaise critique d'Independencia, tu veux dire.
ces types ont pas vu le film. ils ont fait ça du bistrot d'en face après avoir vu la bande-annonce et lu le dossier de presse.
jusque là je me contentais de lire les diatribes de Borges à leur sujet. mais ils sont encore plus cons que ça, non ?


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Message par Borges Mar 27 Sep 2011 - 17:00

diatribes? t'as lu le texte de ER sur le dernier cronenberg?
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Message par Borges Mar 27 Sep 2011 - 17:03

Stéphane Pichelin a écrit:
et puis les gestes qu'il fait dans l'air - probablement des signes de croix mais il donne plus l'impression de s'entraîner à beurrer sa tartine, tu trouves pas ? Wink


moi, je me moque pas du pape; tu devrais être content de voir le premier pape filmé de l'histoire bénir la caméra : Wink
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