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Shame (McQueen)

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Message par Eyquem Mer 14 Déc 2011 - 11:22

Shame (McQueen) Mcquee10
Shame (McQueen) Mcquee11
"Hunger" et "Shame"




De quoi était-il question dans "Hunger" ? Il s'agissait de faire apparaître quelque chose d'invisible. On avait cet homme, Bobby Sands, dont on plongeait le corps dans les situations les plus humiliantes, jusqu'à ce qu'il devienne ce qu'il y a de plus sale, de plus repoussant. Mais il s'agissait en fait de faire apparaître tout autre chose que ce corps couvert de merde ou couvert d'escarres : il s'agissait de faire apparaître un corps glorieux, le corps de gloire qui résistait à toutes ces épreuves, qui les traversait, se sublimait, parce qu'il était soutenu par une idée, par une vérité. Plus le corps était avili et humilié, et plus l'homme devait nous apparaître libre et radieux. Quel que soit le pouvoir de contrainte que les flics exerçaient contre Sands, tout ce qu'ils pouvaient atteindre, c'était son être-objet, c'est-à-dire ce corps qu'ils avaient sous la main : mais c'était tout. Tout ce qu'ils pouvaient faire, c'était le faire souffrir et le faire mourir, et le film nous disait : ils ne peuvent rien faire d'autre, rien de plus, ils peuvent seulement le tuer. Ce que les flics auraient voulu atteindre, évidemment, c'était l'être-sujet de Bobby Sands, sa liberté, ce qui faisait que cet homme leur résistait, mais ça, c'était justement ce qu'ils ne pouvaient pas atteindre. Ils ne pourraient jamais mettre la main sur ce qui faisait que cet homme, comme conscience, justement leur filait entre les doigts, leur échappait.


Le film proposait donc ce renversement : aller au fond de l'humiliation, de la souffrance, pour, dans le même temps, s'élever au comble de la gloire. Ce qu'on voyait, c'était le corps supplicié, le corps réduit au saccus merdae, mais ce qu'on devait voir (qui est invisible) c'était le corps de gloire.


Voilà l'invisible que le film devait faire apparaître. (Qu'il y soit parvenu, c'est une autre histoire : on en avait discuté à l'époque.)


Si on s'en tient au seul titre, on pourrait penser que "Shame", c'est l'inverse. La honte, en effet, c'est le contraire de la gloire. Mais j'ai l'impression que le film n'est pas si différent, et qu'il s'agit du même problème, au fond : filmer le corps visible pour que transparaisse un corps invisible, irréductible.

Comment justifier ça ? Partons d'une des scènes de la fin, la scène de baise à trois. J'ai lu que le montage-séquence dans lequel s'insérait cette scène prouvait le puritanisme de McQueen (Dans cette séquence, on voit Brandon baiser avec n'importe qui, n'importe où, sans qu'il semble y trouver beaucoup de satisfaction, de plaisir ; il y a une musique qui rend tout ça dramatique - c'est vrai que l'utilisation de la musique n'est pas du tout inspirée ici, mais passons). Certaines critiques condamnaient le film, au motif que la baise y était moralement condamnée. Ca me paraît vraiment vite dit. A mon avis, c'est pas un film trash sur l'addiction au sexe, c'est un film sentimental sur un type qui voudrait aimer et qui n'y arrive pas ; c'est un film triste sur un homme qui n'arrive pas à vivre, c'est-à-dire à aimer, et qui dans la baise réalise une forme de suicide (le suicide raté, c'est une des obsessions du film, du frère et de la soeur, qui n'arrivent ni à vivre ni à mourir). Difficile de dire si cette impuissance à aimer est la cause de son addiction au sexe, ou la conséquence. Les deux sont liées, sans pouvoir se déduire l'une de l'autre (ce serait un peu simpliste). Voilà donc l'histoire d'un type qui ne parvient pas à vivre son histoire d'amour, mais qui ne parvient pas non plus à devenir une pure bête de sexe, et qui fait une dépression sévère à force d'errer dans cet entre-deux.


(Le film laisse entendre que l'angoisse, la névrose, du frère et de la soeur, ont une origine familiale : "Nous ne sommes pas mauvais, nous venons du mauvais endroit" dit la soeur.
Mais, plus intéressant que cet aveu voilé qui au fond ne dit rien, il y a la scène où Brandon demande à la femme qu'il essaie d'aimer de toucher la bosse qu'il a derrière la tête : "Un restant de Neandertal", dit-il, en blaguant.
Le film devient plus intéressant si on cherche à la honte une origine autre que simplement familiale. Elle l'est en partie, sans doute, mais elle est aussi spécifique, c'est-à-dire liée à l'espèce humaine, au fait d'être homme. Et peut-être qu'elle est historique aussi : il faudrait réfléchir davantage au fait que Brandon est présenté, à plusieurs reprises, comme un étranger, un immigré irlandais. Sans oublier la longue scène de la chanson "New York New York", où, dit McQueen, la chanson est chantée comme un blues, le blues du vagabond, de l'arrivant qui rêve à sa future réussite. Comment expliquer ça ? Est-ce que dans la honte de Brandon ne fait pas retour la honte de ses origines sociales, historiques, aussi ? la honte qu'on lui a fait ressentir à son arrivée, la honte qu'il aurait intériorisée ?)

(La honte, après tout, on peut en faire une lecture à plusieurs niveaux. Dans la Bible, c'est le premier sentiment éprouvé par Adam et Eve : "ils connurent qu'ils étaient nus et ils eurent honte et ils se cachèrent". C'est le sentiment de la Chute originelle, le sentiment de la chute des hommes dans le monde historique, hors paradis, mais c'est aussi le sentiment qui les humanise, le sentiment qui est lié à l'éclair de la conscience - du bien et du mal - , qui est lié à leur devenir hommes.

Cette citation, de Sartre :
« la honte est le sentiment de chute originelle, non du fait que j’aurais commis telle ou telle faute, mais simplement du fait que je suis tombé dans le monde, au milieu des choses et que j’ai besoin de la médiation d’autrui pour être ce que je suis ».
L'être et le néant, p328.)



Que montre la scène de baise à trois ? Elle montre ça. Elle montre d'abord la besogne. Jouir, ça a l'air laborieux. Les corps emmêlés font un tas, dans quoi la caméra découpe, prélève des morceaux : des seins, des fesses, des visages, tout ça indifférencié. Un plan long nous montre le visage de Brandon (le héros) jouir, grimacer, pleurer, on ne sait pas trop. Pourquoi ça a l'air si laborieux de jouir, pour Brandon ? A mon avis, c'est pas parce que McQueen nous dit que toute chair est triste, c'est parce que Brandon se sert de la baise pour se faire disparaître lui-même et les autres comme sujets, et que bien évidemment, il y arrive pas. Ce que voudrait Brandon à ce moment-là, c'est devenir une simple bête de sexe, littéralement : il voudrait qu'en touchant l'autre, il ne touche qu'un tas de chair, un corps qui n'est rien qu'un corps, et pas la chair d'autrui, le corps de quelqu'un d'autre, une personne, comme lui. La baise, la jouissance, c'est le seul moment où Brandon se délivre du fardeau de l'existence, la sienne et celle de l'autre. C'est là, quand il a l'autre vraiment au plus près de lui, sous la main, c'est là que l'autre disparaît, qu'il disparaît comme sujet, il se sert de lui comme d'un objet pour atteindre la jouissance. "Il n'y a pas de rapport sexuel" : je crois que c'est ça l'idée : la jouissance fait disparaître l'autre, atteint quelque chose au-delà de lui. C'est un shoot de néant, une petite mort comme on dit justement, où Brandon se libère de la lourdeur des choses, de la peine d'avoir à vivre sa propre vie, du fardeau d'exister avec les autres.


Le côté besogneux de la scène à trois montre que malgré tous ses efforts, Brandon ne pourra jamais se supprimer lui-même et les autres comme sujets, comme consciences : l'autre, avec son corps de chair, reste une personne. Il aura beau faire tous les efforts qu'il veut, il aura beau s'y reprendre à deux fois, trois fois, x fois, avec tout ce que la baise comme pulsion a de répétitif, il aura beau faire, il ne pourra jamais faire en sorte qu'il ne reste pas lui-même une conscience, et que l'autre ne soit pas, comme lui, un sujet humain, en dehors de ce bref moment où l'autre et soi-même disparaissent dans la jouissance. C'est ce néant, qui ne dure qu'un instant, que Brandon recherche, et qu'il ne peut obtenir qu'en reprenant toujours sa tâche à zéro, car, en tant qu'homme, il n'en viendra jamais à bout, il ne peut se supprimer en tant qu'homme, c'est-à-dire en tant que conscience.




Finalement, c'est donc très proche de "Hunger" : dans "Hunger", les flics ne parvenaient pas à supprimer ce qui faisait de Bobby Sands un homme libre. Dans "Shame", Brandon a beau aller au bout de la honte, la honte est insupprimable, c'est-à-dire qu'elle reste le signe ineffaçable de son humanité, le signe qu'il ne peut se satisfaire d'une jouissance pure, bestiale, délivrée du fardeau de la conscience, du fardeau d'avoir à être, délivrée du fardeau d'avoir à vivre parmi les autres, ses prochains.

On peut juger ça très crétin, très chrétien. Mais au fond, c'est un cinéaste qui a un certain sens de la dignité humaine, de la vocation suprasensible de l'homme, disons ça comme ça, c'est un cinéaste qui pense que l'homme n'est pas qu'une bête à jouir mais aussi une conscience libre, un être qui a à être, un être qui pense (et ça ne veut même pas dire que l'homme doit être un penseur, ou doit être libre : "Shame" dit qu'il pense et qu'il est libre dès le départ, par définition). Je trouve ça intéressant, parce que cette année, j'ai l'impression d'avoir vu un certain nombre de films déprimants qui tendaient à démontrer que l'homme valait pas tellement mieux qu'une bête, et que son humanité n'était que le fragile vernis qui recouvrait sa bestialité essentielle.


Dernière édition par Eyquem le Mer 14 Déc 2011 - 17:25, édité 1 fois
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Message par Eyquem Mer 14 Déc 2011 - 14:31

Une scène qui me paraît riche pour saisir le film, c'est celle de la discussion avec la collègue. J'en ai un peu parlé au-dessus, mais j'y reviens.

Brandon et sa collègue marchent dans la rue, en sortant du restau. C'est un plan-séquence, un long travelling arrière, au cours duquel les deux personnages traversent des zones plus ou moins éclairées, d'un lampadaire à l'autre.
Je résume le dialogue :

Brandon : Mets ta main ici (il lui montre une petite bosse derrière la tête mais au moment où elle met sa main, il aboie comme un chien, pour lui faire peur. Rires.)
Brandon : (en parlant de la bosse) C'est un restant de Neandertal.
Elle : Sans déconner ?
Brandon : Non, en fait, c'est une cicatrice liée à l'enfance.
Et il se met à raconter que quand il était gamin, il jouait avec son cousin ou je ne sais pas qui : son cousin le portait et le faisait voler dans les airs. Sauf que le jeu a mal tourné, le cousin a dû le lâcher, et le môme a volé dans le décor. Perte de conscience et tout. "Je me suis même pissé dessus" ajoute Brandon.

C'est une espèce de résumé du film.

D'abord, ce récit, en accéléré, c'est une petite histoire de l'évolution, ni plus ni moins : le chien qui aboie, l'animal ; le restant de Neandertal ; le petit d'homme.
Ensuite, le jeu de l'enfance, cet envol suivi d'une chute, c'est (d'une manière presque trop évidente) une image du dualisme qu'on a relevé, ce dualisme de la gloire et de la honte. Le désir de voler, c'est le signe que l'homme a vocation à s'arracher à ce qu'il est, il a à s'élever, il n'est pas d'ici, pas tout à fait de cette terre, il tend vers l'ailleurs, il aspire au ciel. Mais cet appel est immédiatement suivi d'une chute : le môme qui voulait voler valdingue dans le décor, perd conscience, se pisse dessus, il tombe bien bas, c'est le cas de le dire.
L'envol et la chute, c'est le dualisme permanent de Hunger et de Shame. Dans un de ses entretiens, McQueen dit notamment qu'il a cherché cette alternance du haut et du bas dans les décors, les scènes dans les buildings de verre alternant avec les scènes souterraines, dans le métro. On retrouve cette opposition haut/bas, envol/chute, dans le souvenir d'enfance de Brandon.


Enfin, il faut noter que les trois explications se superposent sans s'annuler : le hiatus entre le chien qui aboie, l'homme de neandertal, et le petit d'homme, c'est la continuité du plan-séquence qui le réduit, qui fait que chaque étape se conserve dans la suivante. Il reste, en l'homme, quelque chose de l'animal qui aboie, de l'homme de Neandertal - mais c'est au moment où il le découvre, avec honte, qu'il est homme et se découvre homme, c'est-à-dire, justement, quelque chose d'autre qu'un animal qui aboie, qu'un homme de Neandertal. Envol et chute, honte et gloire, indissociablement.
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Message par Borges Jeu 15 Déc 2011 - 13:28

c'est très platonico-chrétien comme lecture, même le passage que tu cites de sartre; non? avec cette opposition du haut et du bas, de l'envol et de la chute, on échappe peut-être pas au "déprimant"...




"L'image du philosophe, aussi bien populaire que scientifique, semble avoir été fixée par le platonisme: un être des ascensions, qui sort de la caverne, s'élève et se purifie d'autant plus qu'il s'élève. Dans ce « psychisme ascensionnel », la morale et la philosophie, l'idéal ascétique et l'idée de la pensée Ont noué des liens très étroits. En dépendent l'image populaire du philosophe dans les nuages, mais aussi l'image scientifique d'après laquelle le ciel du philosophe est un ciel intelligible qui nous distrait moins de la terre qu'il n'en comprend la loi. Mais dans les deux cas tout se passe en hauteur (fût-ce la hauteur de la personne dans le ciel de la loi morale). (...) La hauteur est l'Orient proprement platonicien. L'opération du philosophe est alors déterminée comme ascension, comme conversion, c'est·à-dire comme le mouvement de se tourner vers le principe d'en haut dont il procède, et de se déterminer, de se remplir et de se connaitre à la faveur d'une telle motion. On ne comparera pas les philosophies et les maladies, mais il y a des maladies proprement philosophiques. L'idéalisme est la maladie congénitale de la philosophie platonicienne et, avec son train d'ascensions et de chutes, la forme maniaco-dépressive de la philosophie même (...) dans la mort de Socrate, il y a quelque chose d'un suicide dépressif."

(deleuze, logique du sens)
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Message par Borges Jeu 15 Déc 2011 - 13:43

Envol et chute, honte et gloire, indissociablement

"S'il se vante, je l'abaisse; s'il s'abaisse, je le vante; et le contredis toujours, jusqu'à ce qu'il comprenne qu'il est un monstre incompréhensible"
(pascal)
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Message par Eyquem Sam 17 Déc 2011 - 0:36

'soir Borges,
Borges a écrit:c'est très platonico-chrétien comme lecture, même le passage que tu cites de sartre; non? avec cette opposition du haut et du bas, de l'envol et de la chute, on échappe peut-être pas au "déprimant"...
oui, ma lecture est pesante ; pourtant le film est simple et direct, je trouve.


J'aurais bien aimé parler du film, c'est dommage qu'il ne soit pas discuté ici.
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Message par Borges Sam 17 Déc 2011 - 10:03

hello eyquem; faut attendre que les autres le voient; les rythmes de distribution ne sont pas les mêmes... Wink
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Message par Invité Sam 17 Déc 2011 - 11:25

salut Eyquem, Borges,
j'espère voir le film ce weekend et je reviendrai par ici.

Borges a écrit:c'est très platonico-chrétien comme lecture
à moins que ce soit luthéro-évolutionniste.. voir darwino-rousseauiste ? Laughing

plus sérieusement, Borges ayant déjà introduit Deleuze (si j'ose dire), la description de la scène de triolisme m'a évoqué un échec d'une dynamique moléculaire avec retour au molaire (à l'être). la perversion comme négociation impossible au pied du mur qu'il faudrait franchir. alors, effectivement, puritain, mais pas dans le sens de châtré et plutôt dans une théorie de l'individu et de sa honte (grande invention de la Réforme).


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Message par Eyquem Sam 17 Déc 2011 - 15:17

Je lisais des textes sur le film, à droite à gauche, et visiblement, le sens du titre n'est pas aussi évident que ça.
Je suis parti du principe que la honte, Brandon l'éprouvait d'emblée, cherchait à s'en débarrasser mais en faisant cela même qui lui faisait honte (une spirale sans fin où le sentiment d'échec s'auto-entretient, par une attitude de fuite qui est la source même du sentiment d'échec) Mais selon moi, cette "chute" lui révèle qu'il est voué à autre chose : la honte lui révèle une ouverture fondamentale, insupprimable, aux autres, au monde, et c'est par là qu'il peut s'échapper, s'en sortir. C'est pour ça que le film n'est pas déprimant, accablant.

C'est pas l'avis de tout le monde : pour certains, le sentiment de honte ne survient qu'à la toute fin (il paraît clair que Brandon n'est plus le même au début qu'à la fin ; mais est-ce que le changement qui survient à la fin, c'est la découverte de la honte ?). Pour d'autres, on ne sait même pas si Brandon a jamais honte de quoi que ce soit (le film montre clairement la honte de Brandon dans quelques scènes à mon avis, mais c'est vrai qu'à plusieurs reprises, aussi, on se demande s'il éprouve quoi que ce soit, s'il n'est pas juste indifférent, insensible, une sorte de zombie errant dans une cité de verre, où tout est transparent, sans intériorité, sans profondeur, du rien ne réfléchissant rien).


Ce n'est pas seulement un film sur la honte comme regard sur soi. C'est aussi un film sur la manière qu'a Brandon de regarder les autres, c'est-à-dire en fait de ne pas les voir.
Dans la scène du métro qui ouvre le film, avant de dévorer des yeux la jolie blonde en face de lui, Brandon jette un regard mort sur le clochard assis au fond du wagon. Il le regarde, et il ne le voit pas ; son visage n'exprime rien, ni pitié, ni cruauté, rien.
Dans ses rapports avec sa soeur, c'est son absence de "coeur" que l'on retient : il ne cherche pas à l'aider, à l'écouter, il veut juste la voir débarrasser le plancher, parce qu'au sens littéral, elle est un parasite dans son appartement tout clean, tout transparent. Il ne peut pas la voir, à tous les sens du mot.


Ceux qui n'aiment pas le film se sont pas mal moqués du dernier plan. C'est une reprise du début : Brandon retrouve dans le métro la même jolie blonde qu'il avait dévorée des yeux et tenté d'accoster. On voit la blonde le regarder et reprendre le même petit jeu de séduction qu'au début. Il la regarde aussi. Le film s'arrête sur ce regard, et on ne sait pas ce qui va se passer ensuite.
Ceux qui n'aiment pas trouvent cette fin suspendue totalement faux-cul (a-t-il changé ? est-il sur la voie de la "rédemption" ? etc). Peut-être peut-être. L'important, à mon avis, c'est que le regard de Brandon a changé. Ce n'est pas le même regard que dans la première scène, il me semble, et on le voit d'autant mieux que la blonde, elle, n'a pas changé, reprend le même jeu.
Mon impression, c'est que Brandon, à la fin, regarde cette blonde comme pour la première fois, parce que cette fois-ci, il la regarde sans désir (du moins, ce n'est pas que le désir qui informe sa perception). Et qu'est-ce qu'il reste de cette femme, quand Brandon la regarde sans la désirer ? Qu'est-ce qu'il voit à ce moment-là ?

Je crois qu'on aura saisi quelque chose du film quand on aura déterminé précisément ce qui se passe dans ce regard, quand on aura dit ce que voit Brandon dans ce regard. C'est peut-être la première fois que l'autre se dévoile pour ce qu'il "est" indépendamment de l'intérêt que Brandon lui porte. Dans ce regard, soudain, le regard de Brandon bute sur quelque chose, sur quelqu'un : il y a un visage, un corps, un être, qui existe, là, sous son regard, indépendamment de son désir. C'en est fini de cet univers transparent, de cet univers clean où rien ne réfléchit rien, de ce monde de verre où le regard glisse sans jamais buter sur quelque obstacle que ce soit. Là, sous son regard, il y a quelqu'un : et que voit Brandon de cet autre qu'il découvre ? Que lui découvre de cet autre le regard qu'il porte sur lui, et qui n'est pas du désir ni de l'amour, mais qui n'est pas non plus de l'indifférence ?


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Message par Invité Dim 18 Déc 2011 - 17:14

j'en sors.

quelques impressions en vitesse avant d'aller plus loin.

beaucoup pensé à Cronenberg. Fassebender est aussi Jung dans A dangerous Method. mais bizarrement je trouve qu'à plusieurs moments il est filmé de façon à ressembler à Mortensen. quand il prend l'asiatique en levrette dans la scène de triolisme : reprise d'une scène similaire dans les Promesses de l'ombre. mais plutôt la Mouche. Brundlefly/Brandonfly ? la scène du bar démarquée de la Mouche. aussi sa façon de s'écrouler à la fin, qui imite la position de Veronica à la fin.

la pitié, dis-tu, Sébastien. il faudrait peut-être plutôt parlé de compassion. compassion ratée pour le clochard. et qui ne s'applique finalement qu'à sa soeur. à la famille. le sens de la famille, très important dans le film je trouve. le gros plan sur l'alliance de la blonde dans la dernière séquence.

ce qui a changé de la première à la dernière séquence.
elle a changé : beaucoup plus agressivement séduisante, non ?
est-ce que lui a changé ? ça me parait inévitable. dans quelle direction ? le respect des valeurs familiales ? superficiellement, c'est une conclusion inévitable. y en a-t-il une autre ?

autre chose a changé du début à la fin, c'est le rythme. première séquence en bribes, répétitions, entremêlement de différents moments chronologiques. dernière séquence linéaire. il me semble que ça renvoie à sa discussion avec l'Afro : le désir d'être quelqu'un d'autre dans un autre temps ou d'être here and now. il finirait ici et maintenant mais arrêter par l'alliance, par le signe de la famille.
c'est ça, l'être ?


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Message par Invité Lun 19 Déc 2011 - 10:52

je continue sur la piste cronenbergienne qui me parait productive.

d'autre citations :
-dans la dernière séquence, le gros plan sur l'alliance et en contrechamp son regard inexpressif : on trouve la même chose à la fin de A history of violence ;
-le premier plan : dans son lit, mouvement des draps et un seul de ses yeux visibles : cf. la fin de Dead Ringers ;
-la fille se caressant sur l'écran rappelle beaucoup Nikki dans la télé de Videodrome :
-au début, le virus, ou kind of, qui provoque le rhume, sert au marketing, pourrit l'ordinateur sauf qu'il s'agit de ses sites de cul : une figure cronenbergienne assez classique ou le virus ou un équivalent distribue le corps, le business, l'informatique et le sexe.

c'est la structure même du film qui a à voir avec ceux de DC. la famille en fait ne se présente pas comme une solution au dérèglement sexuel mais comme identité à travers la partie de jambes en l'air entre la soeur et le patron, et le patron lui même qui est à la fois père de famille et obsédé sexuel. Brandon est pris dans un double bind où quoiqu'il regarde, cela revient au même. il n'a apparemment pas de solution et tout le filmage, emphatique et chargé d'inertie, est fait pour qu'il ne puisse pas s'en sortir. il y aurait peut-être une solution esquissée du côté de la soeur mais en la dé-sororisant : l'inceste avec elle, qui est là dès son apparition vénusienne dans la salle de bain, et quand ils se battent dans le lit - j'ai vraiment cru qu'il allait la baiser et qu'elle allait dire oui. cet inceste pourrait faire exploser tout le système, toutes le places assignées, toute la série famille-sexe-business en y introduisant un terme étranger. mais il n'a pas lieu et je n'ai pas la sensation qu'il pourrait avoir lieu dans le film tel qu'il est fait. Brandon est condamné comme tous les persos de DC.

mais il faut aussi voir les rares points où le film transgresse visiblement les codes cronenbergiens. j'en vois deux d'abord. la citation de Youtube pendant le premier briefing professionnel et l'insistance sur New York. chez DC, jamais de marque réaliste, l'action n'est pas situé temporellement et la plupart du temps pas non plus situé géographiquement. Shame par contre se passe de nos jours et dans cette ville, here and now. politiquement ça fait un sacré distingo. il n'et pas question d'une nature humaine ou même d'une nature du système capitaliste mais d'un récit précis, d'un personnage précis dans une époque précise. nature de l'homme dans l'époque (celle du "capitalisme tardif") qui ne préjuge pas d'une autre nature dans une autre époque - voir une époque synchrone mais localement différente. c'est peut-être le rôle de l'Afro - il n'y a pas de Noir chez DC. finalement elle n'est pas tant familiale que ça. elle l'est assez peu pour accepter de suivre Brandon à l'hôtel. et en même temps, elle n'est pas assez réifiée pour supporter son fantasme. il y a peut-être ça dans le film, cette possibilité d'échappée, mais en mineur.


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Message par Invité Lun 19 Déc 2011 - 10:55

le premier plan : il se lève, sort du champ, on entend un bruit de rideau tiré, la lumière tombe sur le lit vide sur lequel le titre vient s'incruster. Shame est à mettre en lumière. un des grands fantasmes de Brandon est d'être vu en train de baiser. et il fait tout pour ça : la fenêtre bien sûr ; mais aussi la porte ouverte de la salle de bain, son ordi allumé, ou l'ordi à son boulot qui doit forcément être trouvé un jour ou l'autre. il y a une honte à révéler. laquelle ?


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Message par Invité Lun 19 Déc 2011 - 17:10

Brandon est toujours en retard ou en avance sur son désir. il veut prendre l'Afro d'après un fantasme, une vision qu'il a eue ; mais il passe complètement à côté de la situation, du présent, de l'ici et maintenant et de sa question : comment on désire si on ne bande pas ? avec la langue et les mains : c'est ce qu'il fait plus tard dans le bar mais c'est à nouveau hors de la situation et il se fait casser la gueule. alors ça lui donne l'idée d'aller se faire voir chez les mecs mais là encore c'est trop tard, etc... il projette en avant la satisfaction de son désir et projette en arrière son désir dans une satisfaction déjà vécue. jamais ici, jamais maintenant.


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Message par Invité Lun 19 Déc 2011 - 17:11

le lit vide du premier plan, est-ce que ça vaut le coup de le voir avec No sex last night de Sophie Calle ? McQueen est aussi plasticien, non ?


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Message par Invité Lun 19 Déc 2011 - 17:16

il y a quand même quelque chose qui me déplait dans la réification des femmes, qui n'est pas qu'un effet de subjectivité. le film est assez vériste dans sa forme, je trouve. et normalement, quand Brandon met un doigt à une fille qu'il ne connait pas, à moins d'être armé, il devrait se retrouver au tribunal ou perdre un oeil ou quelque chose comme ça - en tous cas, pas être regardé avec des yeux de merlan frit éperdu d'admiration (d'ailleurs, les merlans admiratifs n'existent pas). même chose pour son oeillade insistante dans le métro : les filles, surtout quand elles sont jolies, n'arrêtent pas de se faire mater dans le métro et elles en ont marre, elles détestent ça, et je ne pense pas que ce soit différent à New York. mais McQueen connait-il des filles ?

autre chose de désagréable : l'association de l'homosexualité des deux sexes avec le climax de sa déchéance.


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Message par Borges Ven 13 Jan 2012 - 9:54


quelques remarques;

vu le film; pendant les premières minutes, je me disais que ça valait rien, que SMQ n'était pas un metteur en scène, mais un faiseur de plan, de cadres...un constructeur d'espace sans présence... puis le film s'est approfondit; je sais pas comment;

- l'usage de la musique est particulièrement nul, très cliché, pas une seule idée : de bach, les variations, de coltrane, my favorite things, et puis des grands trucs des années 1980, parmi les plus connus; peut-être les usages ont-ils un sens, disent-ils quelques chose du vide de ce monde...de la superficialité, de la mode...?

-la question que je me pose, parce que je crois avoir une réponse, c'est : pq la panne avec marianne? la conversation avec elle est le seul moment ou presque où nous apprenons quelque chose du personnage de Brandon (brando-n) : souvenir d'enfance, il aurait voulu être "musicien dans les années 60"...(curieusement, comme dans "tree of life", où la thématique de la hauteur, de la tour était aussi très présente...le désir raté d'être musicien s'accompagne d'une honte; j'ai vécu dans la honte disait le père...et j'ai communiqué cette honte... là aussi la honte était liée au suicide...)...

- Marianne dit qu'elle n'aurait jamais voulu vivre dans les années 1960 (chaos); elle évoque le film des maysles, "gimme shelter", fameux pour l'assassinat d'un jeune Noir par des Hell's angels...alors que les stones chantent leur sympathie pour le diable, si je me souviens encore...

-penser ce personnage en relation avec le driver : la baise et la conduite. Le personnage de drive ne baise jamais, mais il est amoureux; conduire, pour lui, c'est baiser (activité mécanique de la performance et de la maîtrise), celui de shame ne conduit jamais, refuse d'aimer, mais baise sans arrêt, seul, à deux, à trois...ce qui rejoint ces deux personnages, c'est une espèce de solitude, autiste, comme on disait; la baise et la conduite, deux activités de la performance...SMQ est un cinéaste de l'endurance, et non pas de la durée... un marathonien...c'est cela qu'illustre la scène de baise à trois. Dans "hunger" c'était déjà un peu ça, la grève de la faim...battre des records, tenir le plus longtemps possible (je m'écarte de la lecture de eyquem-badiou); la question est moins celle de l'incorporation à une vérité que celle de la puissance du corps; l'action politique devient une simple épreuve sportive; une épreuve pour le livres des records. Le marathon tenait aussi un grand rôle dans hunger.

-penser ce film avec dangerous method, penser donc la différence entre le sexe, l'amour, le désir, la séduction, donc la parole; dans "shame", y a pas de désir, ni de séduction, pas d'amour non plus, ou alors comme dit eyquem en tant que manque, comme ce qui est fuit...parce qu'on y parle pas; brandon ne croit pas aux mots (comme il le dit à sa soeur) il ne drague pas (il regarde, et hypnotise; le regard est le lieu de la rencontre du besoin "animal"; lors de la scène de sucre avec marianne, celle-ci détourne vite le regard; c'est pas son truc) et quand il cause, il peut plus baiser, parce que dans la parole vient à l'être l'autre; on ne peut baiser que des gens à qui on ne parle pas réellement; c'est le problème avec marianne; il lui parle. Je pense que la baise est aussi pour lui, une manière de revanche sociale-politique sur son enfance, sur sa honte, ses humiliations irlandaises... il ne peut pas baiser des femmes de sa condition, une dominée, comme marianne.

-beaucoup pensé aussi, comme SP, à "la mouche"; le seul moment où il parle à une fille, captivée, c'est pour lui servir des clichés pornos...si brandon ne baise pas/avec Marianne, c'est qu'il y a du désir, donc de la différence : cronenberg, défendant crash, opposait ses scènes de sexe aux habituelles scènes d'amour et de séduction, qui sont pour lui du viol; à quoi rancière répond, ce qu distingue le porno de l'amour, c'est que dans l'amour, comme chez sade d'ailleurs, c'est l'inégalité des désirs; le désir de l'autre n'est pas le mien; l'autre ne désire pas nécessairement ce que je désire, de lui, de son corps...(on n'est pas dans l'ordre de la demande)...dans la scène porno, ce que l'un fait l'autre, c'est précisément ce que l'autre souhaite qu'on lui fasse...la pornographie illustre le contrat social néo-libéral; elle développe son empire visuel avec le consensus libéral."



-brandon, c'est avant tout le regard; l'attention au détail; ce qui se produit dans le dernier plan, ce qui a changé, c'est aussi que la femme n'a plus son alliance... je crois; on voit bien le diamant, mais plus l'alliance... à l'inverse de dangerous method (contre le mariage, pour la "polygamie"), le personnage est complètement pris dans l'idéal du mariage; c'est un mec finalement moral, et religieux... il reproche à sa soeur d'avoir baisé avec son patron (homme marié, allusion à l'alliance)...


-en plus de la honte ontologique, sociale, des origines, religieuses ou pas, faut noter les quelques scènes de hontes contingentes, dans des détails plus ou moins gros, celle avec l'ordinateur "sale", le patron le traite comme un enfant (tout en discutant avec son fils), celle où la soeur le trouve se masturbant...quelques remarques, aussi, celle sur les cheveux qui deviennent gris, sur les dents qui jaunissent, sur le manteau...

-la scène de la couleur des yeux : levinas disait quand je regarde vraiment l'autre, je ne sais même pas la couleur de ses yeux...brandon ne regarde jamais l'autre en tant qu'autre, comme infini, mais de manière technique...


-dans la scène de l'aboiement, haut-bas, envol -chute; le mec imite un chien, la fille dit "oh my god", si je souviens bien; inversion classique (dog-god), que j'avais déjà soulignée dans tree of life



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Message par Borges Ven 13 Jan 2012 - 10:06

que s'est-il finalement passé depuis "hunger" ? BSands est mort, MT et le néolibéralisme ont triomphé; fin des idéologies comme on dit; brandon est aussi "irlandais", mais ce n'est plus un opposant politique...il a avec son bosse une relation de copinage, pas de lutte, même si sous ce copinage on sent aussi les relations de pouvoir; peut-on penser à intouchables? Un peu; brandon c'est OS, le point de vue du sexe sur l'amour et le désir. Il a quelque chose qui manque à son boss, une relation sans histoire, sans récit, sans parole à l'autre sexe; il se raconte pas d'histoire, il sait, ou croire savoir, que l'amour, le désir, c'est du sexe, c'est du visuel pornographique; il n'a pas besoin de parler, de draguer, de séduire.

Bien entendu, il réussit presque à tous les coups, alors que le pauvre OS n'y arrive pas une seule fois, mais c'est peut-être la vérité de son désir, ne pas y arriver, choix d'un objet impossible : une homo...


dans le film si je me souviens on entend la chanson de tom tom club, genius of love, qui commence par une question...


"What you gonna do when you get out of jail?
I’m gonna have some fun
What do you consider fun?
Fun, natural fun"


"
Who needs to think when your feet just go …
"
(le mec ne cesse de courir pour ne pas penser)


(c'est peut-être dans la musique qu'est dit ce que ne disent pas les images, ni ne montrent...)


-la scène de la panne sexuelle avec marianne (ce prénom n'est pas indifférent; que faire de son origine biblique, française? de son sens révolutionnaire? ) ce qui y émerge, c'est l'énoncé lacanien, dont a parlé plus haut eyquem : y a pas de rapport sexuel. Le rapport sexuel en tant qu'impossible... la vérité du personnage, du sujet es là, dans cette absence, dans ce non rapport qui est précisément émergence de la vérité de la relation homme-femme. "La psychanalyse s'intéresse à ce qui ne marche pas, elle prend son départ des obstacles que le sujet rencontre et de ce qui en témoigne à son insu : symptôme, acte manqué, lapsus. A l'inverse des psychopathologies ordinaires, la psychanalyse a toujours fait des symptômes non pas les signes d'une déroute des facultés de l'esprit ou d'une faiblesse de la volonté, mais le point de création du sujet autour d'un réel qu'il convient de dégager.

-pour la relation frère-soeur, j'ai pensé à musil; la question de l'inceste ( faire un avec la Chose, le désir qui pousse à (re)trouver l'objet absolu doit être compris comme ce qui met en mouvement le sujet en même temps que sa négation; atteindre ce but, c'est mourir;) " le renversement lacanien de la logique freudienne : ce n'est pas pour interdire la jouissance d'un seul que tous se soumettent à la loi, c'est au contraire parce que cette jouissance est impossible qu'il faut l'interdire. Dit autrement, c'est parce qu'il n'y a pas de rapport sexuel qu'il y a des règles sociales et non l'inverse."

la formule complète, c'est "il n’y a pas de rapport sexuel chez l’être parlant ou si
vous voulez, le rapport sexuel, c’est la parole elle-même
." (...) Bien entendu, ça paraît comme ça un peu zinzin. Suffirait de baiser un bon coup pour me démontrer le contraire. Malheureusement, c'est la seule chose qui ne démontre absolument rien de pareil, parce que la notion de rapport ne coïncide pas tout à fait avec l'usage métaphorique que l'on fait de ce mot tout court «rapport» : "ils ont eu des rapports», c'est pas tout à fait ça. On peut sérieusement parler de rapport, non seulement quand l'établit un discours, mais quand on l'énonce, le rapport. Parce que c'est vrai que le réel est là avant que nous le pensions, mais le rapport c'est beaucoup plus douteux : non seulement il faut le penser„ mais il faut l'écrire. Si vous êtes pas foutus de l'écrire, il n'y a pas de rapport. "


rapporter "a dangerous method" a "shame" c'est penser ce rapport et ce non rapport sexuel dans leur relation à l'écriture, à la parole, j'avais parlé de la place de la lettre, de l'écriture dans "ADM"... on n'écrit pas dans "shame"...

le générique des deux films joue sur l'opposition de deux "couleurs" : blanc et noir, celui de la page, de la lettre, et de l'encre, dans "ADM", celui du lit et du titre (shame), dans le Stevemcqueen




film américain, contre film français : dans "intouchables" , la musique populaire et la musique "savante", sont opposées, ici, rien de tel; elles coexistent...dans une conférence faite à Amsterdam, cavell, demande à son auditoire, des tas de profs de philo, si c'est bien sérieux de parler d'art à propos de la comédie musicale et de fred astaire...? et il répond, l'essence démocratique (américaine) du cinéma, c'est la fin du partage entre le haut et le bas...(ce que rancière appelle le régime esthétique)... en ce sens "intouchables" se situe avant ce régime...cela peut se montrer de diverses manières;











Dernière édition par Borges le Ven 13 Jan 2012 - 11:24, édité 1 fois
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Message par Borges Ven 13 Jan 2012 - 11:02

slimfast a écrit:Nichols doit être un fan des Rolling Stones, dont les paroles de Gimme Shelter sont raccord avec le film ou intertextuelles, c'est selon.

comme je disais plut haut, marianne, évoque la chanson des stones et le film...


"
Oh, a storm is threat'ning
My very life today
If I don't get some shelter
Oh yeah, I'm gonna fade away

War, children, it's just a shot away
It's just a shot away
War, children, it's just a shot away
It's just a shot away

Ooh, see the fire is sweepin'
Our very street today
Burns like a red coal carpet
Mad bull lost its way

War, children, it's just a shot away
It's just a shot away
War, children, it's just a shot away
It's just a shot away

Rape, murder!
It's just a shot away
It's just a shot away

Rape, murder!
It's just a shot away
It's just a shot away

Rape, murder!
It's just a shot away
It's just a shot away

The floods is threat'ning
My very life today
Gimme, gimme shelter
Or I'm gonna fade away

War, children, it's just a shot away
It's just a shot away
It's just a shot away
It's just a shot away
It's just a shot away

I tell you love, sister, it's just a kiss away
It's just a kiss away
It's just a kiss away
It's just a kiss away
It's just a kiss away
Kiss away, kiss away"


y a une "tempête", dans le film, une petite, une forte pluie, avec brandon sans shelter, en pleurant...


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Message par Invité Ven 13 Jan 2012 - 11:28

salut Borges.
ce qui se produit dans le dernier plan, ce qui a changé, c'est aussi que la femme n'a plus son alliance... je crois; on voit bien le diamant, mais plus l'alliance...
ah, moi il m'avait semblé qu'elle l'avait encore, que le sujet de la dernière séquence était justement de le remettre face à l'alliance. mais si tu as raison et qu'il n'y a plus d'alliance, c'est assez différent. le changement de la fille irait avec la disparition du signe de son mariage. mais il y aurait une persistence, le diamant, qui est éternel, n'est-ce pas.

j'avoue que le film m'a vite quitté. mais il m'avait aussi assez peu convaincu.


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Message par Invité Ven 13 Jan 2012 - 11:31

Borges a écrit:pendant les premières minutes, je me disais que ça valait rien, que SMQ n'était pas un metteur en scène, mais un faiseur de plan, de cadres...un constructeur d'espace sans présence... puis le film s'est approfondit; je sais pas comment
mais te rappelles-tu à quel moment ? si je me rappelle bien, tout le début du film joue sur un montage staccato où différents épisodes sont mêlés, repris (est-ce qu'on peut parler de montage synchronique ici ?) puis on en vient à un récit linéaire. est-ce que tes variations d'intérêt sont en rapport ?


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Message par Eyquem Ven 13 Jan 2012 - 13:34

Salut Borges et Stéphane,
Borges a écrit:rapporter "a dangerous method" a "shame" c'est penser ce rapport et ce non rapport sexuel dans leur relation à l'écriture, à la parole, j'avais parlé de la place de la lettre, de l'écriture dans "ADM"... on n'écrit pas dans "shame"...
Oui, non seulement la parole ne lui sert pas à séduire, mais elle ne lui sert pas non plus à transformer sa vie en récit. Il y a notamment cette scène où Brandon ne raconte pas son aventure avec la fille du bar que convoitait son patron. Quand ils se revoient le lendemain, le patron lui demande ce qu'il a fait après ; je ne sais plus ce que Brandon répond, il reste évasif, en tout cas il ne dit pas qu'il a couché avec la fille.
On peut penser qu'il garde ça pour lui à cause des rapports de pouvoir, qui sont bien réels, bien qu'ils feignent l'amitié, un rapport d'égalité.
Mais c'est autre chose, plus profondément : c'est, comme tu le dis, que Brandon n'est pas du tout dans le récit. Il n'y a rien à dire de ces aventures. Littéralement, c'est un type sans histoires.



(je partage votre avis sur la valeur inégale du film, la lourdeur des montages-séquences au début et à la fin ; c'est Fassbender qui a fini par capter mon attention, par me convaincre que ce film n'était pas juste un exercice de style creux à la "Drive")
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Message par Eyquem Ven 13 Jan 2012 - 14:07

"Cela me plaisait que mon personnage aime Bach parce qu'il aime contrôler. Il y avait là une belle équation mathématique" (Mc Queen, dans Positif 610)

C'est vrai que le dualisme est assez convenu : chute du corps contre envol de l'âme ; les Variations Goldberg comme exemple de sublimation...


J'ai lu "La Nausée" pas longtemps après avoir vu le film. A plusieurs reprises, Sartre oppose la glu de l'existence au monde éternel de l'art qu'il entrevoit en écoutant quelques notes d'un air de jazz :

A présent, il y a ce chant de saxophone. Et j'ai honte. Une glorieuse petite souffrance vient de naître, une souffrance-modèle. Quatre notes de saxophone. Elles vont et viennent, elles ont l'air de dire : "Il faut faire comme nous, souffrir en mesure." Eh bien, oui ! Naturellement, je voudrais bien souffrir de cette façon-là, en mesure, sans complaisance, sans pitié pour moi-même, avec une aride pureté. Mais est-ce ma faute si la bière est tiède au fond de mon verre, s'il y a des taches brunes sur la glace, si je suis de trop, si la plus sincère de mes souffrances, la plus sèche, se traîne et s'appesantit, avec trop de chair et la peau trop large à la fois, comme l'éléphant de mer, avec de gros yeux humides et touchants mais si vilains ? [...] J'ai honte pour moi-même et pour ce qui existe devant elle. [...] Elle n'existe pas, puisqu'elle n'a rien de trop : c'est tout le reste qui est de trop par rapport à elle. Elle est. Et moi aussi j'ai voulu être. Je n'ai voulu que cela ; voilà le fin mot de l'histoire. Je vois clair dans l'apparent désordre de ma vie : au fond de toutes ces tentatives qui semblaient sans liens, je retrouve le même désir : chasser l'existence hors de moi, vider les instants de leur graisse, les tordre, les assécher, me purifier, me durcir, pour rendre enfin le son net et précis d'une note de saxophone."
(p245-246 de l'édition folio)

Certains moments de honte ordinaire que tu signales (les dents jaunies par le café, etc), on peut les mettre sur le compte d'un hygiénisme morbide, mais peut-être y a-t-il aussi quelque chose de cette "nausée" que provoque cet empâtement, cet engluement dans les choses.

A la différence de Roquentin, on n'a pas le sentiment que Brandon attende grand-chose de l'art proprement dit. Mais comme cette musique accompagne son jogging, on peut supposer qu'il s'agit pour lui de trouver dans la performance, l'endurance du corps, une transformation, une purification du corps lui-même : courir, ce serait sa manière à lui de trouver la bonne "mesure", le rythme, de sa souffrance. Le marathon, c'est sa manière de se faire clavecin.
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Message par Borges Ven 13 Jan 2012 - 15:26


hello SP, eyquem;

-je pense que la honte du film doit être comprise, aussi, depuis les nombreuses théories psycho-psychanalytiques qui situent à l'origine de l'addiction une honte : shame-based-disease...il y a honte au départ, puis honte dans l'impossibilité à échapper à l'addiction...(pour quelqu'un qui veut tout contrôler, qui veut être dieu ( c'est le rêve final des addictés, être comme sinatra au sommet, le roi de new york, du monde; la honte, c'est la honte de ne pas être dieu, en soi-pour soi, c'est la définition que donne sartre de dieu et de l'oeuvre d'art ) rien de pire que ce cercle infini : honte, fuite dans l'addiction, honte de l'addiction et fuite de la honte dans l'addiction...le remède est le mal...)

-c'est bien ce passage de la Nausée, parce qu'il permet d'agencer la honte-nausée avec un désir de contrôle, un désir de virilité, de dureté...ce que dit SMQ de bach, et de son personnage, le désir de maîtrise, de contrôle, c'est un peu le fondement de l'existence du jeune sartre : ne rien devoir à la nature, se refaire entièrement; "ce qui compte ce n'est pas ce que la vie a fait de nous, mais ce que nous faisons de ce que la vie a fait de nous" (philosophie de la volonté; sartre rêvait d'être à la fois spinoza et stendhal, culte de l'énergie (c'est ça finalement brandon); on sait le rôle de l'orgueil et de la honte chez julien sorel; roquentin oppose cherche contre la contingence « un refuge dans la claire Italie de Stendhal")... bourdieu avait fait une lecture sociologique du livre (de mémoire): un prof plein d'avenir relégué dans une petite ville, qu'il prend en dégoût, honte de soi, en quelque sorte...

-remarque anecdotique : la philosophie du jeune sartre, comme celle de brandon est une philosophie de l'action (cf la discussion avec sa soeur, où il dit seuls comptent les actes)
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Message par Borges Ven 13 Jan 2012 - 15:31

Stéphane Pichelin a écrit:
Borges a écrit:pendant les premières minutes, je me disais que ça valait rien, que SMQ n'était pas un metteur en scène, mais un faiseur de plan, de cadres...un constructeur d'espace sans présence... puis le film s'est approfondit; je sais pas comment
mais te rappelles-tu à quel moment ? si je me rappelle bien, tout le début du film joue sur un montage staccato où différents épisodes sont mêlés, repris (est-ce qu'on peut parler de montage synchronique ici ?) puis on en vient à un récit linéaire. est-ce que tes variations d'intérêt sont en rapport ?


hi SP; je sais pas exactement; quand j'ai commencé à m'intéresser au personnage, comme eyquem, à voir en lui autre chose qu'un golden boy, une espèce d'american psycho, sans humour; au fond, il y a un point commun avec "hunger" : les deux personnages sont prisonniers, enfermés...
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Message par Borges Ven 13 Jan 2012 - 15:42

Eyquem a écrit:"Cela me plaisait que mon personnage aime Bach parce qu'il aime contrôler. Il y avait là une belle équation mathématique" (Mc Queen, dans Positif 610)

C'est vrai que le dualisme est assez convenu : chute du corps contre envol de l'âme ; les Variations Goldberg comme exemple de sublimation...

c'est moins le dualisme et tout ça que le simple fait d'utiliser les variations qui m'avait agacé, le clichés qu'elles sont devenues au cinéma, depuis "le silence des agneaux"... comme l'écriture est curieuse, et nous amène à penser. A peine j'ai écrit "le silence des agneaux" que je me souviens : dans le film de JD, (auteur du film SMS, où l'on peut entendre la chanson des TTC, genius of love, jouée par les TH) la honte jouait un très grand rôle, c'est le sentiment qui structure la vie de JF; les attaques de H visaient toujours à lui rappeler ses origines de péquenaude, à lui en faire honte...


autrement, plus on pense un film plus on le voit; voir un film, c'est le revoir, en l'écrivant, en le pensant, et en le discutant...



un des plus grands films musicaux, bien entendu

on regarde et on se dit que c'est ça précisément qui manque à Brandon, le fun, la joie de danser...
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Message par Invité Jeu 19 Jan 2012 - 15:50

Je suis arrivé à Cathage où grésillait autour de moi la poêle des amours scandaleux.
Je n'aimais pas encore mais j'aimais aimer. Je me haïssais même de ne pas souffrir de manquer d'un manque plus secret.
Je cherchais de quoi aimer, aimant aimer. Je haïssais la sécurité, les chemins sans traquenards.

Au fond de moi, j'étais affamé. Privé de la nourriture intime - toi, mon Dieu -, je n'éprouvais pas la faim de cette faim. Je n'avais aucun désir pour ce genre d'aliments. Je ne m'en remplissais pas, et plus j'en manquais plus j'en étais dégoûté.

Mon âme n'allait pas bien. Ulcérée, exilée, malheureuse et avide d'attouchements avec des êtres sensibles (mais sans âme, ils ne pourraient jamais se faire aimer!). Aimer et être aimé m'était plus agréable si je pouvais jouir du corps amant. Je salissais donc le flux de l'amitié d'une concupiscence ordurière. Je noircissais sa candeur d'effrayants désirs. Mais j'avais beau être abject et sordide, je me démenais pourtant pour paraître élégant et urbain - quelle énorme vanité !

Je me suis rué dans l'amour. J'ai voulu être une proie.

Mon Dieu, mon amour, tu es si bon que tu as aspergé mon plaisir de tant de fiel.
J'ai té aimé. J'ai connu dans la clandestinité les fers de la jouissance. Tout à la joie d'être attaché par d'insupportables noeuds. J'étais enflammé par les fouets de la jalousie, du soupçon, de la peur, de la colère et des coups.
il me semble qu'on peut trouver un rapport avec le film - voir des rapports figuraux, expressifs. mais je ne crois pas que le film soit augustinien. Augustin ne parle pas vraiment depuis la honte. au contraire, depuis l'envol : lui s'est envolé sans retour. il déplore son passé mais il est passé. et dans ce passé, ce qu'il a été par rapport au désir de sa mère. pas encore la honte chez Augustin, parce que pas encore un individu séparé de son peuple/communauté de destin.
Comble de la perversité... Mais j'en étais là et je ne rougis pas, mon Dieu, d'avouer devant toi ton amour pour moi [....] Aujourd'hui, j'ai plus de pitié pour celui qui tire son plaisir de sa propre abjection que pour celui qui souffre d'être frustré d'une volupté malsaine ou d'un misérable bonheur. La pitié est d'autant plus authentique qu'elle ne prend plaisir à aucune souffrance. On approuve le commandement de l'amour : plaindre le malheur d'autrui. Mais pour qui cède à la pitié, il est préférable, bien sûr, de ne pas en souffrir. Oui, car s'il existait quelque chose comme une bienveillance malveillante, il serait alors possible que celui qui s'apitoie véritablement, sincèrement, en vienne à souhaiter l'existence d'êtres malheureux pour avoir à les plaindre.


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