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Territoires de Cronenberg

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balthazar claes
Borges
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cronenberg - Territoires de Cronenberg Empty Territoires de Cronenberg

Message par Invité Mer 3 Nov 2010 - 15:09

[une schizo-analyse de Cronenberg ? ou un pastiche de Deleuze & Guattari ?
merci à ceux à qui j'ai repiqué des trucs sur le topic sur Videodrome.]


David Cronenberg n'a jamais cessé de filmer Freud et la psychanalyse, au moins depuis 1980 et Scanners. Dans ce film, qui met en scène l'affrontement des deux frères Darryl et Cameron, puis leur union hypostatique en un seul corps (un Darryl-Cameron dont les initiales, D-C, sont justement celles du réalisateur), le rôle du père des antagonistes est tenu par un Docteur Paul Ruth, sans aucun doute associable par l'alliance de son patronyme juif, de son apparence physique, de sa qualité professionnelle et de son obsession pour le programme pourri du passé (« Access to the ripe program is access to the past ») à toute une imagerie freudienne. Mais aussi, cette figure paternelle freudienne n'hésite pas à manipuler un fils contre l'autre, tous les deux malades d'une drogue de son invention et qui a la particularité d'être seule à soulager la maladie qu'elle crée d'abord. Freud apparaît dans l'œuvre cronenbergien du point de vue de sa critique. Le cinéaste semble s'intéresser moins à la psychanalyse elle-même qu'à ce qui se dresse en face et contre elle : moins à Œdipe qu'à un anti-Œdipe.

Muscaria depicta
L'Anti-Œdipe, c'est justement le titre du livre de 1972 dans lequel Deleuze & Guattari (ci-après : D&G) expose leur concept, devenu lieu commun, de territoire, déterritorialisation et reterritorialisation, plus quelques autres à la postérité moins fameuse. Trois ans plus tard, les deux font paraître un Kafka consacré à un concept lié à celui de territoire : l'agencement. On n'a pas encore mesuré ce que le cinéma de Cronenberg doit à cette pensée, ni a fortiori comment elle y est subvertie et tordue. The Fly, entre autres, en donne un exemple tout à fait opérationnel. En termes guattaro-deleuziens, Seth Brundle est le Célibataire, le schizo, pris dès avant sa métamorphose dans un voyage sur place et en intensités. Voyage savant et intellectuel d'abord : comment dépasser les notions de « limite, de frontière, de temps et d'espace » ? Avec quelle machine, quel agencement technique ? Car il s'agit bien avec les télépods d'agencements : Brundle a beau être seul et fixé dans son laboratoire, il n'en est pas moins branché directement sur une multitudes d'autres labos, d'autres unités de production qui lui fournissent les pièces qu'il n'a plus ensuite qu'à articuler les unes aux autres. Montage d'une machine technique qui est également machine sociale à filer sans bouger, à créer des lignes de fuite (passer dans la machine, c'est « go through »), des issues, même à cinq mètres de distance, surtout à cinq mètres de distance et dans la même salle : le moins spatialement possible, le plus intensément possible. Et c'est parfait quand le babouin cobaye en sort retourné à la façon d'une chaussette – la chaussette de Spider en remplacement du pénis ou le bas sensuellement retiré par Veronica Quaife et premier à « passer à travers ». Car il n'y a pas d'autre réussite qu'assumer l'absence de profondeur, quand la peau épaisse et réversible se révèle être l'interface du champ d'immanence avec lui-même. Exposer non seulement le sexe, ou l'anus, ou la bouche (importance des orifices chez Cronenberg), mais tout l'intérieur à toutes les connexions imaginables, avec une érotisation maximale.


cronenberg - Territoires de Cronenberg A2020David20Cronenberg20The20Fly20D
Tout est là (The Fly)

Machine technique du télépod prise dans la machine sociale nommée Bartok Industries et conduisant à la machine érotique que devient Brundlefly : c'est l'agencement et ça file vers la mort de tous les côtés. Et qu'y a-t-il d'autre à espérer quand l'enjeu est celui d'un dysfonctionnement généralisé, pas plus retournement du téléporté que retournement social (« change the world and the human life as we know it ») ? Parfaite telle qu'elle est, la machine de téléportation/déterritorialisation fait tout fuir vers un monde Autre, impliquant tout autant l'inadéquation de son utilisateur au monde ancien que l'inadéquation de ce même monde à son invention. Mourir, le schizo y vient alors de deux manières : soit en rejoignant la machine abstraite immanente à la façon du singe sens dedans dehors ; soit exécuté par la machine sociale, ce qui est la crainte de Brundle (« Bartok Industries would kill me, my colleagues would kill me »). Dans les deux cas, la mort termine typiquement la course des schizos chez Cronenberg. Seul Cameron Vale a cette chance un peu naïve de pouvoir se poursuivre sur un autre segment, dans un autre corps. Dès le film suivant, la figure s'assombrit. Certes, le suicide de Max Renn est associé à l'explosion d'un écran télé, expulsant hors de la machine tripes et entrailles comme pour réaliser enfin le corps sans organe, la « nouvelle chair ». Et la béance obscure qui en résulte ressemble à une ultime issue par laquelle, plus tôt dans le film, on a déjà vu Max tenter de filer la tête la première à la suite de Nikki Brand. Mais en même temps, ce suicide rédempteur n'est qu'une image télévisuelle. De la vraie mort de Max, on ne verra rien, qu'un écran noir et silencieux (à comparer au coup de feu en off sur un même écran noir dans The suicide of the last jew of the world in the last cinema of the world). L'image de la mort de Max manque et son suicide comme continuation du processus de déterritorialisation n'est que l'image d'une image manquante. L'adéquation de l'image de l'image manquante à l'image manquante même est évidemment indécidable. L'issue creusée par l'explosion de la télévision (« the retin of the mind's eye » du Professeur O'blivion) est sous un régime identique à celui de toutes les séquences hallucinatoires de Videodrome : elle peut représenter une promesse de salut ou simplement une nouvelle divagation du cerveau malade de Max. Or, avec The Fly, l'incertitude n'est plus possible. La mort de Brundlefly n'ouvre aucune issue et la dislocation de sa boîte crânienne, aucune ligne de fuite. Au contraire, le filmage frontal de l'exécution fait de tout son corps un cul-de-sac, une barrière devenue infranchissable au moment de l'assimilation avec la machine. Et ce devrait être le climax de sa métamorphose : la fusion du devenir-animal et de la machine aboutissant à un accès virtuel intime et instantané à tout l'univers. Déterritorialisation absolue, identification à la machine abstraite immanente, déification en un certain sens. Au lieu de quoi la prière d'annihilation de Brundlefly n'indique que sa reterritorialisation, le retour triomphal du triangle œdipien.


cronenberg - Territoires de Cronenberg Videodrome
Téléviseur en fuite (Videodrome)

Gregor Samsa et son devenir-cloporte sont vraiment tout proches. Dans les deux cas, chez Cronenberg et chez Kafka, la métamorphose ne se résume pas à un changement de costume. Le devenir-insecte n'est pas devenir UN insecte et Brundlefly n'envisage pas de laisser la place à une mouche de six pieds de haut. Qu'il y arrive en fin de compte, voilà justement le problème. Car la « fusion au niveau génétique-moléculaire » est autre chose que juste un déplacement de forme, une reterritorialisation dans une autre forme, de l'humain à l'insecte et inversement. C'est même la grande différence avec l'original de 1958, où la mouche et l'homme se contentaient (drôle de contentement) d'échanger leurs têtes. À l'inverse, le voyage de Brundlefly est dans l'entre-deux, dans la faille ou la fracture, dans l'interzone où se précipiter la tête la première. Le devenir-insecte pour l'homme a sa contrepartie dans un devenir-homme pour l'insecte (« I am an insect who dreamt he was a human ») et tout le processus se trouve re-marqué par la présence de blocs d'enfance – le vomi, la comptine – qui en signale le caractère potentiellement illimité. Si pourtant Brundlefly est rattrapé par Œdipe, c'est que sa course se triangule aussi sur le schéma classique du vaudeville : le mari, la femme et l'enfant, décliné dans le film sous plusieurs espèces. Au triangle Seth Brundle-Veronica Quaife-Stathis Borans répond d'une part la scène du bar où Brundlefly s'inscrit en tiers dans la relation Marky-Tawny. Mais aussi, le triangle générique connaît de nouveaux avatars à chaque fois que la place du mari passe de Brundle à Borans et inversement. Et surtout, toutes ces variations sans modèle original sont associés au triangle œdipien quand Tawny prévient qu'elle vit avec sa mère, bientôt imitée par Brundlefly désignant Veronica. Veronica est la mère et elle est l'agent parano, non dans un sens pathologique – elle est une gagnante bien appropriée à son milieu – mais comme représentante d'un état social et agent d'application de la Loi transcendante paranoïaque. Stathis Borans le dit ironiquement mais littéralement : c'est par elle que tous ses fantasmes paranoïaques prennent corps. Grâce à elle aussi que la machine déterritorialisante et asociale est remise aux normes de la bureaucratie industrielle de Bartok, par l'introduction dans le programme d'une « folie de la chair » qui n'est qu'un truc de grand-mère, une fantaisie réglée dans un contexte familialiste (au strict opposé de la « nouvelle chair » de Max Renn). Et c'est encore Veronica qui porte l'enfant et force l'œdipianisation de Brundlefly en le faisant père. Le pire étant qu'elle n'y peut rien et qu'il serait ridicule de lui assigner une quelconque culpabilité. Elle n'est de toutes façons jamais en position d'être le sujet de son action. Agent, elle est surtout agie en rouage d'un agencement qui la mystifie. Elle est nécessairement enceinte malgré elle, sans en avoir fait le choix. Elle n'en provoque pas moins le projet paranoïaque le plus surprenant et le plus banal : la fusion dans un même corps du père, de la mère et de l'enfant pour former la « famille ultime ». C'est d'ailleurs innocemment et pour se défendre de cette monstruosité qu'elle arrache la mâchoire de Brundlefly et enclenche la dernière transformation, l'abandon de l'interzone et la reterritorialisation finale dans la mouche de six pieds de haut qui ne devait pas venir.

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Dernière édition par Stéphane Pichelin le Lun 8 Nov 2010 - 16:32, édité 1 fois

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Message par Invité Mer 3 Nov 2010 - 15:10

Les agents doubles et l'espace unique
Typiquement, un film de Cronenberg met ainsi aux prises un personnage schizo et un agent parano. Un « agent » car, si le schizo agit et évolue sur un plan d'immanence immédiatement sensible, LE parano relève de la Loi transcendante, infilmable puisqu'elle est toujours ailleurs, au dessus ou à côté, et qu'elle ne se manifeste qu'à travers ses hypostases et ses messagers. Seul l'agent paranoïaque est accessible à la figuration – parfois littéralement décalquée sur le modèle kafkaïen. C'est par exemple le cas dès le premier plan d'A History of Violence, où les deux tueurs Bill et Leman entrent dans le film en passant une porte. Ce franchissement schizophrénique inaugural est loin d'être isolé : Cameron Vale s'introduit dans la galerie marchande par une issue de secours, les frères Mantle sortent de la maison familiale pour parler sexe, Bill Lee toque à une porte pour exterminer toute pensée rationnelle, Spider descend du train... à chaque fois, un nouveau seuil de déterritorialisation introduisant à un nouveau segment, ou à un nouveau film. Le cas de Bill et Leman n'est pas foncièrement différent, schizos pris dans une course injustifiée et illimitée – du moins jusqu'à son interruption brutale par Tom Stall/Joey Cusak. Mais le lent travelling latéral qui accompagne leur apparition sur un alignement interminable et rectiligne de portes toutes semblables est déjà plus singulier, et il mérite d'être mis en relation avec la multitude de courbes qui ponctuent le chemin vers Philadelphie et la maison dans laquelle Richie se dévoile progressivement venant d'en haut. Richie est évidemment l'agent parano envoyé par l'étage au dessus pour retrianguler Joey (triangle physiquement actuel dont Richie est la pointe et ses deux sous-fifres, la base) et le reprendre dans une territorialité inamovible, entre politique bureaucratique (l'organisation, même criminelle – qu'on pense aux « vori v'zakonie », les « voleurs dans la loi » de Eastern Promises) et familialisme guimauve (l'écœurante étreinte que Richie impose à son frère). Et plastiquement, les formes d'introduction de Bill et Leman d'une part, de Richie d'autre part, renvoient aux deux états architecturaux repérés par D&G dans l'œuvre de Kafka : les schizos débarquent dans l'illimité du couloir immanent, de la loi-schize immanente, avec ses portes contiguës et ses blocs-segments ou blocs-séries, tandis que le parano dépend de la hauteur de la tour de la Loi transcendante qu'on ne rejoint qu'en parcourant la totalité des blocs-arcs qui la ceignent d'une muraille discontinue. À ce niveau de cohérence, il ne fait guère doute que la rencontre des théories guattaro-deleuziennes et du cinéma cronenbergien n'est ni fortuite, ni inconsciente. Mais surtout, A History of Violence donne un bon aperçu de la distorsion de ces théories une fois passées à la moulinette par le réalisateur. Tout le film fonctionne sur un jeu de doubles. Le dédoublement de l'agent parano est le plus attendu : au familialisme bureaucratique de Richie répond exactement la famille Stall, également liée de manière directe à la Loi bureaucratique par la profession de la mère. Entre les deux, Tom/Joey est prisonnier d'une ligne bi-univoque aux deux bouts de laquelle le guettent des agencements peut-être différents, mais pareillement accrochés à la transcendance de la Loi et rattrapés par la violence et sa glorification. Et si le personnage, ouvertement présenté comme « schizoïde », ne cherche pas à sortir du piège, à creuser une issue, c'est qu'il n'y en a pas de possible. À la place, rebarrant toutes les lignes de fuite, il y a le dédoublement du schizo. Bill et Leman, Leman et Bill : le plus jeune montre son indifférence envers le complexe d'Œdipe par son dédain pour l'odeur prise sur les seins de la serveuse, odeur maternelle qui ne semblent justifier à ses yeux ni sa mort ni son salut, mais qui provoque une haine mortelle chez le plus vieux, qui assume par ailleurs le rôle de chef et la place de la Loi. La relativité de la déterritorialisation de Tom/Joey (aller de Cusak à Stall et retour) trouve son écho dans la reterritorialisation de Leman et Bill sur leur rapport de subordination. Toute déterritorialisation absolue est radicalement exclue. Du couloir de la loi-schize, Cronenberg semble ne retenir qu'un aspect : il est aussi la forme spatiale d'une néo-formation bureaucratique qui n'a rien de plus pressé que de ré-introduire du transcendant dans l'immanence. Et pour cela, il suffit de décaler la prise de vue : la latéralité de la voiture de Bill et Leman devient la frontalité de la voiture des Stall, tandis que la perspective transforme l'illimité contigu du couloir immanent (un segment+un segment+un segment, etc.) en la discontinuité d'une route qui paraît vouloir monter vers l'au-dessus à l'infini. La Millbrook des Stall et l'errance des tueurs sont ainsi la même transfiguration du schizo en parano, la même reterritorialisation dont la forme d'actualisation ne tient qu'à un déplacement du regard, à son passage dans un axe mimétique (on est à la place de, dans l'agencement de, alors on fait comme) frontal ou latéral.


cronenberg - Territoires de Cronenberg Historyofviolence2005dvd
Dans le couloir d'immanence (A History of violence)

Ré-introduire du transcendant dans l'immanence ou reprendre l'immanent dans la transcendance, la différence est avant tout d'expression. Elle est ce qui distingue le mécanisme de dédoublement de A History of Violence du mécanisme d'emboîtement d'eXistenZ. eXistenZ est une espèce de golem qui prend sa chair dans tous les films qui l'ont précédé, du pistolet organique de Videodrome aux visions pompant l'énergie du voyant de The Dead Zone, des pods de The Fly au corps à deux têtes de Dead Ringers, des antennes des insectes de Naked Lunch à l'homme pénétré de M Butterfly, à quoi on peut ajouter les accidents de voiture de Crash (le jeu « Hit by a car » sur les rayons du D'Arcy Nader Emporium) et le spécialiste barbu du langage incarné tour à tour par la figure freudienne de Paul Ruth et par le personnage de Kiri Vinokur empruntant son nom à un célèbre linguiste. eXistenZ recueille ainsi vingt ans de cinéma de Cronenberg et les résume dans sa structure triple implacable : un jeu dans un jeu dans un jeu, une réalité dans une réalité dans une réalité – trois niveaux, ou trois plans, qu'il faut bien dire tous les trois électroniques (plutôt que « virtuels », pour éviter tout parasitage avec la virtualité deleuzienne) si on veut respecter le doute généré par la dernière réplique, qui est a fortiori un doute cinématographique. Tout commence au niveau transCendanZ et par le mot eXistenZ à la fois énoncé, épelé et écrit. Il faut donner le plus de poids, la plus grande puissance attractive au nom avant la déclaration inévitable que ce que le nom désigne, le jeu eXistenZ, est « right here ». Cronenberg recycle des techniques de marketing pour emballer son annonce principale, qui est qu'eXistenZ est dans transCendanZ – dit autrement, que le champ d'immanence se trouve dans le plan de transcendance. Et c'est là une réflexion très étrange, très anti-schizoanalytique, mais à laquelle D&G prêtent le flanc, par exemple quand ils définissent les deux machines abstraites opposées, la transcendante et l'immanente, théoriquement incompatible mais qui risquent fort de se confondre du point de vue de l'existant. [Et n'est-ce pas aussi le fond de la critique que Badiou fait du deleuzianisme : l'Un virtuel ne serait qu'une façon d'immanentiser la transcendance, de ramener dans le champ d'immanence une transcendance intacte et parée de tous ses attributs – étant bien entendu par ailleurs que le présent texte n'a pas pour objet d'apprécier la cohérence ou l'incohérence de la pensée de D&G.] Et la confusion finit effectivement par s'installer. Certes, l'architecture de transCendanZ se conforme au modèle astronomique des segments-arcs à la fois proches (tout se passe « around ») et distants infiniment (le chemin qu'il faut parcourir pour les joindre et qui n'est figurable que par élision) et ces arcs cernent la tour figurée par le chalet surplombant, filmé en contre-plongée, de Vinokur. Et à l'inverse, eXistenZ avance sur des segments en un sens hermétiques les uns aux autres (l'usine, le magasin, le restaurant, dans lesquels on peut voir les trois grandes synthèses de L'Anti-Œdipe : synthèses de production, de distribution et de consommation) et pourtant communiquant tous les uns avec les autres par leurs portes de derrière (lointains et contigus). Mais en même temps, transCendanZ est un espace de contingence, évoluant sur des principes holistiques et de ce fait entièrement perméable à ce qui lui vient des deux autres niveaux : les spores avant-coureurs d'eXistenZ comme le sentiment « anti-jeu » du dernier niveau. Alors qu'eXistenZ est d'abord régi par la nécessité, sous la forme des « pulsions » et des « boucles » qui obligent le joueur à une action particulière. C'est-à-dire qu'eXistenZ, le champ d'immanence, est soumis à une Loi transcendante paranoïaque tandis que transCendanZ, le plan de transcendance, dépend de la loi-schize immanente. Le jeu d'emboîtement est aussi un jeu d'inversion des espaces de jeu, à partir de quoi tous les retournements de veste sont possibles, un mouvement schizo pour un réflexe parano, à une vitesse sans cesse accélérée jusqu'à l'effondrement des niveaux les uns dans les autres et la révocation en doute qu'ils aient jamais différés de quelque façon que ce soit. Il n'y a plus le schizo ET le parano, l'immanent ET le transcendant, mais un seul champ, celui de la victoire par contamination du parano sur le schizo dans un jeu aux règles inconnues car extérieures et transcendantes.

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Dernière édition par Stéphane Pichelin le Lun 8 Nov 2010 - 16:39, édité 1 fois

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Message par Invité Mer 3 Nov 2010 - 15:13

De la morale au passé
Confusion énoncé/énonciation dans Dead Ringers, machine d'expression dans Naked Lunch, flux du désir dans Crash, re-œdipianisation sociale dans Spider... quel film de Cronenberg n'a pas son aspect guattaro-deleuzien, qu'il explore et sur lequel il s'appuie ? Plus qu'à je ne sais quelle viralité récurrente (on trouve toutes sortes de contagions chez Cronenberg : par virus bien sûr, mais aussi par spores, par parasites, par gènes, par contacts de peaux ou de systèmes nerveux, par accidents de voiture, par cassettes vidéos, par consanguinité, par imitation, par choix...), c'est à cet usage continu des théories de D&G que tient l'unité thématique forte de l'œuvre. Mais l'usage est aussi spécifique et engrène une distorsion fondamentale. Dans Eastern Promises, Kiril n'est plus qu'une toile de fond et un accessoire dans la lutte de deux organisations étatiques concurrentes. L''allusion à la révolution bolchévique d'Octobre 17 est transparente (le site de l'IMDB a longtemps gardé la trace du pré-projet, où l'inspecteur infiltrant la maffia russe se nommait Ottobre) et porte l'intensité politique du film, dans lequel le fils schizo est soumis à la paranoïa ecclésiale du père avant d'être la dupe et l'instrument de la paranoïa policière du nouvel état. La schizophrénie, qui n'apparaît même plus comme processus, est ravalée à la fonction de faux-nez et de tactique du véritable acteur de l'Histoire, l'agent de la néo-formation bureaucratique.


cronenberg - Territoires de Cronenberg A-history-of-violence-dinner
Cul de sac familial (A History of Violence)


Comment le cinéma de Cronenberg en est-il arrivé là ? Là, c'est-à-dire à se transformer en une mouche de six pieds de haut non prévue dans le programme. On voudrait dire avec Veronica : « Something's gone wrong when you went through. » Quelle mouche s'est incrustée dans le cinépod cronenbergien sans y avoir été proprement invitée ? Peut-être une morale, celle qui fonde la situation de Max Renn – mais morale déjà elle-même distordue au moment de sa fusion avec le processus schizo. Videodrome, ou l'arène de la vision. Les regards sont importants chez Cronenberg, rarement des regards qui se croisent, qui communiquent ou tentent de communiquer quelque chose, plus souvent des regards de pesage, d'appréciation ou de dissection d'un personnage par un autre. Il y aurait une taxinomie à faire de ces non échanges de regards : par qui, vers qui, avec quelle puissance, avec quels moyens de puissance. Avec Videodrome, qui diffuse des snuff-movies, il y a un regard non pas sur la mort – ce serait trop soft pour Max – mais sur la mise à mort. Ça peut sembler très contemporain, mais une arène où regarder des mises à mort ne représente aucun phénomène nouveau, plutôt deux phénomènes datés et localisés, différents selon la différence des deux fondateurs de ce projet qui « a une philosophie ». Pour Barry Convex, PDG de Spectacular Optical, Videodrome est l'occasion de palier à la dégradation des mœurs états-uniennes et de réveiller la virilité de la nation face à un monde de plus en plus dur : son arène promotrice de vertus rappelle surtout les Jeux du Cirque romains. Le but du Professeur O'blivion et de sa Mission Cathodique est autre : Videodrome est pour eux destiné à créer un peuple visionnaire, et O'blivion en personne a montré le chemin, rentrant du même coup dans la mort et parlant depuis la mort. La concavité du cirque s'inverse en colline et la mort contemplée dans l'arène ressemble à celle du Christ. Nécessairement, le déplacement de l'opposition antique dans le monde contemporain ne va pas sans quelques décalages. Le discours moralisateur de Convex doit beaucoup au puritanisme chrétien et son nom même donne l'indice qu'il identifie la forme de son arène à celle du Golgotha, le Mont du Crâne. En face, la mort du père remplace la mort du Fils dans le Père, ce qui fait un sacré distingo (on se rappelle que le christianisme comme revanche du fils sur le père par la mort du père est une des assertions de Freud dans la dernière section de L'Homme Moïse et la religion monothéiste). Mais ces ajustements ne changent rien à la situation de Max, qui est entre les deux comme Augustin d'Hippone entre les deux cités, d'abord consommateur des Jeux du Cirque et fasciné par la philosophie hellénistique qui leur est liée, puis contempteur de ces Jeux et pourfendeur, au nom de la Cité céleste, de la philosophie de la Cité terrestre. Pétri de manichéisme, Augustin converti prêchât la fuite hors du monde et le refus de tout compromis pour atteindre au-delà de la mort au Royaume divin. Le suicide de Max, qui ouvre une ligne de fuite radicale et donne accès au corps sans organe, accomplit précisément, quoique de manière sécularisée, les prescriptions augustiniennes. Mais n'est-il pas bizarre d'attribuer une morale chrétienne à David Cronenberg, qui est juif et qui n'hésite pas même à se mettre en scène dans le rôle du « dernier Juif du monde » ? Et pourtant ce Juif ultime et suicidé – qui choisit le suicide comme mode d'exécution – évoque bien trop le Christ pour qu'il s'agisse d'une simple coïncidence, surtout après les Cènes au début et à la fin d'eXistenZ et les citations du Christ couché, de Mantegna dans Dead Ringers et de L'Incrédulité de Saint Thomas, du Caravage dans Videodrome (pour ne citer que les références les plus évidentes). Après tout, Cronenberg s'intéresse à la Loi, et pour le judaïsme, le Christ est la principale question posée à la Loi. Ce qui ne fait d'ailleurs pas du cinéaste un crypto-chrétien. Au contraire, la présence christique dans ses films relève uniquement de motifs picturaux et on y chercherait en vain des allusions aux évangiles ou aux dogmes du christianisme. Il n'y a donc aucune raison de mettre en doute sa profession d'athéisme. D'autant que c'est justement la torsion imposée à la morale d'Augustin. Car Augustin était croyant, sa fuite était rédemptrice, course vers le Salut, et sa décision pour une cité contre l'autre était un saut dans un hors-le-monde déjà présent au monde. Alors que, s'il n'y a pas de dieu, il n'y a pas non plus de hors-le-monde et toute fuite est vaine, impossible. Dit avec les mots de D&G, il n'y a pas de déterritorialisation absolue, il n'y a que des déterritorialisations relatives débouchant inévitablement sur des reterritorialisations ou sur la mort. Mais ce n'est pas encore de ce point de vue que la greffe d'un augustinisme minoré abâtardit la pensée guattaro-deleuzienne. L'échec inévitable est de toutes façons compris comme composante du processus schizo, car ce processus est justement ce qui passe en amont, entre le franchissement du premier seuil et l'effondrement terminal. D&G ne cessent de se placer du point de vue du moment interminablement multiplié – éternisé – du passage. Alors que Cronenberg paraît subir le tropisme téléologique de la morale augustinienne, quand bien même le point d'arrivée est vide. Il regarde tout le processus du côté du résultat, là où le passage ne vaut que pour ce qu'il advient de ce qui est passé. Sa perspective en finit par retrouver celle de Freud, et son cinéma se laisse reprendre par ce qu'il avait l'air de vouloir élucider : la domination de la Loi paranoïaque transcendante, désormais seule triomphante : the ripe program of the past.




Dernière édition par Stéphane Pichelin le Mar 9 Nov 2010 - 10:47, édité 4 fois

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Message par Borges Mer 3 Nov 2010 - 17:58

hi SP; merci, mais il nous faudra une semaine au moins pour lire ton message;
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Message par Invité Jeu 4 Nov 2010 - 7:44

Borges a écrit:hi SP; merci, mais il nous faudra une semaine au moins pour lire ton message;

Salut Borges,
merci pour l'avertissement mais ça faisait cinq ans que j'essayais d'écrire ce texte, alors une semaine de plus ou de moins... et puis, si ça vous excite à lire autant que moi à écrire, ça vous prendra beaucoup moins (et dans le cas contraire, beaucoup plus).

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Message par Invité Mar 9 Nov 2010 - 10:44

Pour le rapport des films de Cronenberg avec Kafka, on peut aussi se reporter à l'étude de A History of violence par Sébastien Wojewodka :

http://findepartie.hautetfort.com/archive/2007/02/18/a-history-of-violence-de-david-cronenberg-par-sebastien-woje.html

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Message par Invité Mar 9 Nov 2010 - 12:14

Pour une esquisse du rapport avec Deleuze, Cédric Succivalli :
http://cinema.fluctuat.net/films/crash/755-chronique-les-nouvelles-i-machines-desirantes-i.html

Bonnes lectures !!

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Message par Invité Mar 9 Nov 2010 - 17:55

Sur la question de la morale augustinienne, on peut ajouter que le cinéma de Cronenberg est connu pour une représentation du corps très particulière et qui me paraît pré-cartésienne. Le « soi » des personnages cronenbergiens n'a pas son siège dans un corps mécanique qui prendrait les coups à sa place et servirait d'interface. Machine de désir, ce corps n'est pas machine du soi, pour la bonne raison qu'il n'y a pas de soi. Ce qui machine le corps, ce sont des circonstances adverses les unes des autres et qui s'emboîtent en agencements et les coups que le corps prend sont directement pris par celui qui pâtit. La métamorphose de Brundle, les cicatrices de Vaughn ou l'habileté à la tuerie de Stall/Cusak impliquent tout le personnage par le corps et rien au delà car le corps est déjà la totalité du personnage. Autrement dit, le cogito n'est pas la raison suffisante de l'être, elle est un attribut du corps qui, lui, résume tout l'être. Et il s'agit bien là d'une conception propre au christianisme primitif (primitif mais pas pour autant isolable chronologiquement – « l'empire n'a jamais pris fin » écrivait Philip K. Dick, qui lui aussi en connaissait un bout sur la schizophrénie) : en s'incarnant dans un corps d'homme, Jésus a également endossé toute la condition humaine ; en Lui, il n'y a pas un dieu de reste qui nous soit étranger mais tout Jésus est pris dans l'humanité en même temps qu'Il la prend en Lui – vrai homme et vrai dieu, selon le Credo. Et ce qui s'applique à Jésus, à Son corps d'homme, s'applique identiquement à nous tous : la fin du temps ne sera pas la résurrection des âmes mais la résurrection des corps. Il n'y a pas d'âme, ou d'être, quon puisse distinguer du corps. Seulement, l'être du corps chrétien ne relève que de cette résurrection et de la divinisation qui l'accompagne et qui est pour l'heure à venir, alors que le corps chez Cronenberg ne connait justement pas de téléologie. À la place de l'issue continue vers dieu du christianisme, il y a un retour violent vers l'ici-et-maintenant et vers le corps sans être qui l'occupe. La fascination pour le corps cronenbergien vient sûrement en grande partie de ce qu'il est tautologique. Il est représenté pour être signifiant, mais dans le même temps il ne signifie rien d'autre que sa présence réitérée, sa re-présentation.

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Message par Invité Mer 10 Nov 2010 - 17:19

(j'ai découvert la fonction capture d'écran)

Gardes-robes du Célibataire - The Fly
cronenberg - Territoires de Cronenberg Garde-13

cronenberg - Territoires de Cronenberg Tout_e11

Cloth maketh the man (Spider)



Cul de sac : la place du Père - Eastern Promises
cronenberg - Territoires de Cronenberg Cul_de11


Un agent double : Fadela/Benway - Naked Lunch
cronenberg - Territoires de Cronenberg Un_age10


Encore un téléviseur en fuite - Videodrome
cronenberg - Territoires de Cronenberg Talavi10


"Si tu veux être sauvé, prie sans cesse" - A History of Violence
cronenberg - Territoires de Cronenberg La_pri10

cronenberg - Territoires de Cronenberg La_pri11



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Message par Invité Jeu 11 Nov 2010 - 15:35

La paranoïa aime particulièrement nommer, substantialiser l'accident pour bloquer dans le signifiant la mise en réseau généralisée du schizo. Par exemple, une compréhension paranoïaque de The Fly s'accrochera facilement aux noms du triangle amoureux : Seth Brundle, Veronica Quaife et Stathis Borans. En premier lieu, Brundle et Borans entrent en rapport phonétique par la suite initiale des consonnes b-r-n. Le prénom féminin Veronica rejoint les patronymes masculins par la flexion classique (voir la langue espagnole) du b en v. Les trois forment alors le groupe b/v-r-n, dont la tentative de prononciation évoque irrésistiblement le bourdonnement d'une mouche. Mais l'unité phonologique vrombissante, déjà faible du fait de la flexion b/v, se révèle également en groupe de différenciations figuratives :
Veronica porte le prénom de la sainte recueillant sur un linceul l'image humaine du visage de dieu. Cette Sainte Véronique introduit la caméra, le capteur de l'image de Brundle, dans la clôture protectrice du laboratoire et elle vaut en général pour l'extériorité à laquelle Brundle mesure l'évolution de son apparence, les changements de son image. Le prénom Veronica indique donc un trait de fonction dans le film. Il en va autrement de Borans, le nom de l'homme ennuyeux du film, dont le martyr final n'éveille qu'un intérêt esthétique teinté d'horreur et de sadisme, sans aucun mélange de compassion. En anglais, « ennuyeux » se dit « boring », et l'allitération avec Borans, toute virtuelle et sans support diégétique, signale non plus un trait de fonction, mais un trait de caractère ou d'intensité : l'ennui entre en composition dans la forme d'intensité du personnage. Enfin, le nom Brundle se différencie des noms porteurs de traits en ne portant rien d'autre que lui-même et en demeurant pour l'essentiel dans une indétermination figurative.
À ce premier groupe d'indifférenciations figuratives, se greffe un second, formé cette fois à partir des prénoms masculins et du patronyme féminin. Si Stathis résonne avec Seth, c'est au prix de l'introduction de l'idée de statisme. Schématiquement, Seth + statique = Stathis. Statique, Stathis refuse d'accepter la rupture avec Veronica, fait ce qu'il peut pour la reconquérir – et il a finalement gain de cause quand elle abandonne Seth devenu Brundlefly et se retourne vers son ancien amour. Ce retournement est inclus dans le nom de Veronica : Quaife, aussi homophone à la raison sociale d'une entreprise de boîtes de transmission pour voitures. Alors, d'une part, Veronica transmet un mouvement qu'elle n'initie jamais : c'est principalement à Seth, marginalement à Stathis, qu'appartient le geste moteur et Veronica ne fait que le retourner amplifié à son envoyeur (par exemple, elle ne saute sur Seth que comme réponse retardée aux avances qu'il lui fait dès le début du film). D'autre part, Quayffe, nom d'un équipementier automobile, désigne un mouvement relatif et mesurable dans l'espace par comparaison avec le mouvement a priori absolu et non-mesurable de la téléportation. Sauf que dans la version de Seth Brundle, la téléportation conduit à un échec final, déjà annoncé par sa forme matérielle, celle des télépods inspirés du cylindre d'une Ducatti et comparés par Veronica à des cabines téléphoniques. La dématérialisation du mouvement absolu exige un support matériel qui le relativise d'emblée. L'idéal devient communication. par cette contradiction de la mesure et de l'incommensurable, le prénom Seth trouve sa figuration dans le troisième fils d'Adam et Eve, frère d'Abel et Caïn qui, après la mort de l'un et la fuite de l'autre de ses frères, porte seul le destin de l'humanité entre statique et mouvement, ancrage dans le monde et pélerinage infini vers dieu, vision géographique de la Terre Promise et mystique de l'union toujours approfondie et jamais accomplie avec le divin.
Comme la théorie des cordes en physique, le système schizo avance à coups de proliférations dimensionnelles : dimensions s'engendrant mutuellement, se faisant nécessités les unes aux autres ; réseau parcouru sur un rythme sans cesse accéléré jusqu'à la rupture inévitable, le saut qualitatif dans le signifiant et l'apparition d'une valeur infinie. Elle arrive tôt ou tard et elle aplanit le chemin de dieu, depuis la sympathie élémentaire du cosmos, la « folie de la chair », jusqu'à la bouillie du plérôme, la « source de plasma » d'où jaillit tout savoir et toute puissance pour celui qu'on a décomposé dans un télépod et réincarné dans l'autre. Brundle sort de sa première téléportation sous l'oeil de la caméra de Véronique, le visage nimbé de lumière comme le Christ transfiguré. Homme purifié, sur-homme, accomplissement par la science de toutes les promesses divinisantes de la matière. Sauf que la matière a une ombre comme prix inéluctable de sa lumière. Cette divinité-là se monnaie en espèces bifrons : le visage d'une assomption et la valeur d'une chute.
Par définition, dieu arrive toujours trop tôt et par manque de préparation.


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Message par Invité Ven 12 Nov 2010 - 12:38

Fou. Tu. Foutu. (Joyce)

quelqu'un connait la version anglaise ?

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Message par Borges Ven 12 Nov 2010 - 15:56

Stéphane Pichelin a écrit:Fou. Tu. Foutu. (Joyce)

quelqu'un connait la version anglaise ?

U.P.: up
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Message par Invité Ven 12 Nov 2010 - 15:59

Thanks.

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Message par balthazar claes Ven 12 Nov 2010 - 23:36

Ce serait une erreur de lire L’Anti-Oedipe comme la nouvelle référence théorique (vous savez, cette fameuse théorie qu’on nous a si souvent annoncée : celle qui va tout englober, celle qui est absolument totalisante et rassurante, celle, nous assure-t-on, dont « nous avons tant besoin » en cette époque de dispersion et de spécialisation d’où « l’espoir » a disparu). Il ne faut pas chercher une « philosophie » dans cette extraordinaire profusion de notions nouvelles et de concepts-surprise : L’Anti-Oedipe n’est pas un Hegel clinquant. La meilleure manière, je crois, de lire L’Anti-Oedipe, est de l’aborder comme un « art », au sens où l’on parle d’« art érotique », par exemple. S’appuyant sur les notions en apparence abstraites de multiplicités, de flux, de dispositifs et de branchements, l’analyse du rapport du désir à la réalité et à la « machine » capitaliste apporte des réponses à des questions concrètes. Des questions qui se soucient moins du pourquoi des choses que de leur comment. Comment introduit-on le désir dans la pensée, dans le discours, dans l’action ? Comment le désir peut-il et doit-il déployer ses forces dans la sphère du politique et s’intensifier dans le processus de renversement de l’ordre établi ? Ars erotica, ars theoretica, ars politica.

D’où les trois adversaires auxquels L’Anti-Oedipe se trouve confronté. Trois adversaires qui n’ont pas la même force, qui représentent des degrés divers de menace, et que le livre combat par des moyens différents.

1. Les ascètes politiques, les militants moroses, les terroristes de la théorie, ceux qui voudraient préserver l’ordre pur de la politique et du discours politique. Les bureaucrates de la révolution et les fonctionnaires de la Vérité.

2. Les pitoyables techniciens du désir - les psychanalystes et les sémiologues qui enregistrent chaque signe et chaque symptôme, et qui voudraient réduire l’organisation multiple du désir à la loi binaire de la structure et du manque.

3. Enfin, l’ennemi majeur, l’adversaire stratégique (alors que l’opposition de L’Anti-Oedipe à ses autres ennemis constitue plutôt un engagement tactique) : le fascisme. Et non seulement le fascisme historique de Hitler et de Mussolini - qui a su si bien mobiliser et utiliser le désir des masses - mais aussi les fascisme qui est en nous tous, qui hante nos esprits et nos conduites quotidiennes, le fascisme qui nous fait aimer le pouvoir, désirer cette chose même qui nous domine et nous exploite.

Je dirais que L’Anti-Oedipe (puissent ses auteurs me pardonner) est un livre d’éthique, le premier livre d’éthique que l’on ait écrit en France depuis assez longtemps (c’est peut-être la raison pour laquelle son succès ne s’est pas limité à un « lectorat » particulier : être anti-Oedipe est devenu un style de vie, un mode de pensée et de vie). Comment faire pour ne pas devenir fasciste même quand (surtout quand) on croit être un militant révolutionnaire ? Comment débarrasser notre discours et nos actes, nos cœurs et nos plaisirs, du fascisme ? Comment débusquer le fascisme qui s’est incrusté dans notre comportement ? Les moralistes chrétiens cherchaient les traces de la chair qui s’étaient logées dans les replis de l’âme. Deleuze et Guatari, pour leur part, guettent les traces les plus infimes du fascisme dans le corps.

En rendant un modeste hommage à saint François de Sales (Homme d’Eglise du XVIIe siècle, qui fut évêque de Genève. Il est connu pour son Introduction à la vie dévote), on pourrait dire que L’Anti-Oedipe est une introduction à la vie non fasciste.

(Michel Foucault)

Je vois pas bien comment on peut concilier ça avec ces photogrammes trash tirés des Promesses de l'ombre (âmes sensibles s'abstenir)


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Message par Invité Lun 15 Nov 2010 - 12:01

Salut BC,
merci pour le texte.
ça ne se concilie pas avec les images, c'est vrai.
une réponse en trois remarques :

1-Cronenberg aime filmer le sang et la chair souffrante et il le fait avec un sens certain de l'effroi. mais il ne faut pas oublier que, de leur côté, D&G n'hésitent pas à prendre comme terrain de recherche l'oeuvre de Kafka, dont les nouvelles offrent également quelques tableaux bien dégueulasses et sadiques (A la colonie pénitentiaire notamment). Ces nouvelles de K s'achèvent toujours par des reterritorialisations, et c'est aussi le cas des films de Cronenberg.

2-Dans Eastern Promises, comme dans les autres films, le personnage double n'est pas le schizo mais l'agent parano – ibid chez K d'après D&G. Nicolaï, l'agent double, et les frères tchètchènes, doublon physique, en donnent le meilleur aperçu. ce sont eux, les violents.
D&G préviennent aussi que le schizo bloqué dans une impasse devient le malade schizophrène, pathologisé : c'est Kiril, le fils psyhopathe pris en tenailles entre les patriarcats biologique-maffieux et bureaucratique-policier. Mais on ne voit jamais Kiril commettre directement un acte de violence et le film insiste sur son impossibilité à le faire.
Le schizo cronenbergien « pur », libéré des chaînes oedipiennes, c'est Cameron Vale, et il est tout ce qu'il y a de pacifique.

3-Je ne m'amuserais sûrement pas à mettre en doute la lecture par Foucault de L'Anti-Oedipe. D'une part, c'est à peu près ce que j'en avais compris, d'autre part, j'aurais bonne mine à le faire ! Malgré tout, cette lecture n'engage que lui et ceux qui en sont d'accord. Mon idée est que Cronenberg prend les matériaux de ses films dans les travaux de D&G, non dans leur lecture par Foucault.
Par ailleurs, je ne crois pas non plus que les films soient pris dans un mouvement de déterritorialisation absolue. Au contraire, Cronenberg n'en finit pas de se reterritorialiser sur la notion de déterritorialisation élevée au rang de schème explicatif universel. En quelque sorte, il se reterritorialise sur L'Anti-Oedipe, ce qui a un côté marrant.

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Message par Invité Lun 15 Nov 2010 - 12:08

On peut élargir le quadrille nominal à l'ensemble de The Fly. La suite phonétique b-r-n revient partiellement dans le nom de l'employeur de Brundle, Bartok (b-r-vide), et dans la signature de la partition posée sur le piano au début du film, Beethoven (b-vide-n). Deux compositeurs donc : Beethoven, l'homme démocratique isolé dans sa surdité et œuvrant, à destination de l'humanité entière, à l'intensification des formes classiques quasiment jusqu'à la rupture ; et Bela Bartok, que la rupture dodécaphonique ne tenta pas longtemps avant qu'il préfère se rabattre sur la mélodie du terroir et sur un folklore certainement moins dangereux pour lui. Au delà de leurs valeurs musicales respectives, ces deux musiciens représentent assez bien les deux phases de la Bourgeoisie capitaliste selon D&G : d'abord, une force révolutionnaire déterritorialisante, procédant au décodage de la société existante pour mieux la faire fuir ; puis, une force réactionnaire de reterritorialisation des flux dans les axiomes assurant sa propre reproduction sociale ; et les deux phases s'appliquent simultanément, laissant la société Bourgeoise toujours même et différente. On lit ça tous les jours dans les journaux. Et la machine de Brundle ne fait pas autre chose, à l'image, que de décoder le corps dans une première phase avant d'en axiomatiser le flux pour en donner sa propre version.

cronenberg - Territoires de Cronenberg Dacoda11

décodage


cronenberg - Territoires de Cronenberg Axioma11

axiomatisation


Quand la machine dysfonctionne et recrache des corps retournés, alors elle fonctionne comme machine schizo par un « défaut » dans l'axiomatisation, la non-prise en compte de la folie de la chair selon mère-grand, et le flux continue dans le corps ramené à son épaisseur. À l'inverse, la machine œdipianisée pleinement fonctionnelle produit in fine de la reterritorialisation et la mouche apparaît en lieu et place de Brundlefly. Le devenir-insecte échoue, et il ne peut qu'échouer, car il fait déjà partie de la machine sociale capitaliste, aliéné à l'industriel qui finance Brundle, à l'appartenance du même Brundle à une communauté scientifique menaçante (même si Brundle veut s'en tenir à la marge) et à la romance familialiste avec Veronica. La Bourgeoisie traverse ainsi tout le destin de Brundle. Et on peut facilement comprendre qu'il en vienne à démembrer Marky, dont le nom marque le lien à l'Ancien Régime, pour s'approprier Tawny, ou Townee, qui peut renvoyer selon l'orthographe adoptée à un brun-jaune fortement marqué d'animalité (en français, couleur « fauve ») ou aux citadins, les bourgeois au sens pré-capitaliste, séduits d'abord par l'aventure révolutionnaire, ce « wonderful time ».
Ce qui est vrai pour The Fly s'applique aussi aux autres films de Cronenberg : il y a une véritable furie du nom, qui opère en fait comme réseau d'indices, chaque indice trouvant ensuite son sens mesuré à la structure d'ensemble.


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Message par Invité Mar 16 Nov 2010 - 17:40

balthazar claes a écrit:
Ce serait une erreur de lire L’Anti-Oedipe comme la nouvelle référence théorique (vous savez, cette fameuse théorie qu’on nous a si souvent annoncée : celle qui va tout englober, celle qui est absolument totalisante et rassurante, celle, nous assure-t-on, dont « nous avons tant besoin » en cette époque de dispersion et de spécialisation d’où « l’espoir » a disparu). Il ne faut pas chercher une « philosophie » dans cette extraordinaire profusion de notions nouvelles et de concepts-surprise : L’Anti-Oedipe n’est pas un Hegel clinquant. La meilleure manière, je crois, de lire L’Anti-Oedipe, est de l’aborder comme un « art », au sens où l’on parle d’« art érotique », par exemple. S’appuyant sur les notions en apparence abstraites de multiplicités, de flux, de dispositifs et de branchements, l’analyse du rapport du désir à la réalité et à la « machine » capitaliste apporte des réponses à des questions concrètes. Des questions qui se soucient moins du pourquoi des choses que de leur comment. Comment introduit-on le désir dans la pensée, dans le discours, dans l’action ? Comment le désir peut-il et doit-il déployer ses forces dans la sphère du politique et s’intensifier dans le processus de renversement de l’ordre établi ? Ars erotica, ars theoretica, ars politica.

D’où les trois adversaires auxquels L’Anti-Oedipe se trouve confronté. Trois adversaires qui n’ont pas la même force, qui représentent des degrés divers de menace, et que le livre combat par des moyens différents.

1. Les ascètes politiques, les militants moroses, les terroristes de la théorie, ceux qui voudraient préserver l’ordre pur de la politique et du discours politique. Les bureaucrates de la révolution et les fonctionnaires de la Vérité.

2. Les pitoyables techniciens du désir - les psychanalystes et les sémiologues qui enregistrent chaque signe et chaque symptôme, et qui voudraient réduire l’organisation multiple du désir à la loi binaire de la structure et du manque.

3. Enfin, l’ennemi majeur, l’adversaire stratégique (alors que l’opposition de L’Anti-Oedipe à ses autres ennemis constitue plutôt un engagement tactique) : le fascisme. Et non seulement le fascisme historique de Hitler et de Mussolini - qui a su si bien mobiliser et utiliser le désir des masses - mais aussi les fascisme qui est en nous tous, qui hante nos esprits et nos conduites quotidiennes, le fascisme qui nous fait aimer le pouvoir, désirer cette chose même qui nous domine et nous exploite.

Je dirais que L’Anti-Oedipe (puissent ses auteurs me pardonner) est un livre d’éthique, le premier livre d’éthique que l’on ait écrit en France depuis assez longtemps (c’est peut-être la raison pour laquelle son succès ne s’est pas limité à un « lectorat » particulier : être anti-Oedipe est devenu un style de vie, un mode de pensée et de vie). Comment faire pour ne pas devenir fasciste même quand (surtout quand) on croit être un militant révolutionnaire ? Comment débarrasser notre discours et nos actes, nos cœurs et nos plaisirs, du fascisme ? Comment débusquer le fascisme qui s’est incrusté dans notre comportement ? Les moralistes chrétiens cherchaient les traces de la chair qui s’étaient logées dans les replis de l’âme. Deleuze et Guatari, pour leur part, guettent les traces les plus infimes du fascisme dans le corps.

En rendant un modeste hommage à saint François de Sales (Homme d’Eglise du XVIIe siècle, qui fut évêque de Genève. Il est connu pour son Introduction à la vie dévote), on pourrait dire que L’Anti-Oedipe est une introduction à la vie non fasciste.

(Michel Foucault)

Je vois pas bien comment on peut concilier ça avec ces photogrammes trash tirés des Promesses de l'ombre (âmes sensibles s'abstenir)


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pour reprendre là dessus, je ne crois pas que D&G excluent un usage schizo de la violence. la question me parait plutôt être de savoir si la violence sert à la découverte d'une ligne de fuite ou au contraire comme instrument de reterritorialisation.
par aillerus, peut-on associer de façon univoque la violence et le fascisme ? ou y a-t-il un usage de la violence légitime et non-fasciste ? j'imagine que Engels mettrait en avant le rôle de moteur historique de la violence, déjà sous la forme des antagonismes sociaux donc très en amont de la violence physique qui ne fait qu'en découler, et l'importance qu'il y a à ne pas laisser la violence dans les seules mains de l'Etat - différence d'une violence conservatrice, paranoïaque, et d'une violence qui fait fuir l'existant et déterritorialise toute la société. on peut trouver ça pas très satisfaisant sur le plan de l'éthique. mais peu importe si c'est fondé en raison - ce qui a donné lieu et donne encore lieu à pas mal de discussion.

pour en revenir L'Anti-Oedipe, le schizo ne me semble pas y être le contraire ni exclusif du parano. être à côté de la machine ou à l'intérieur, la longer, y entrer ou en sortir, c'est toujours en faire partie. le schizo file de segment en segment, d'agencement en agencement, tous plus ou moins paranoïaques, et la vistesse de sa déterritorialisation dépend de sa rapidité à trouver à chaque fois une issue - et inversement. c'est pour ça que la loi-schize immanente n'est pas le contraire de la Loi transcendante, ou bien elle serait une autre Loi face à la Loi, une Loi "loi-schize immanente" transcendante. à la place, elle est une fonction quasi mathématique, avec des intensités hautes (maximum de déterritorialisation) et des intensités basses (reterritorialisation, oedipianisation...). l'important étant qu'elle continue de filer en multipliant les résultats (prolifération) sans jamais s'arrêter à un seul. et c'est tout le problème de Cronenberg qu'il ne voie le processus que du point de vue du résultat.
moi aussi d'ailleurs peut-être...

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Message par balthazar claes Mar 16 Nov 2010 - 18:34

Non mais moi ce qu'en j'en dis, c'est surtout une question de style. Tu m'as l'air d'avoir une compréhension assez profonde de l'AO ; moi je ne fais que tourner autour en m'en répétant des bouts. Mais tout de même il y a dans ce bouquin une espèce d'allégresse fiévreuse, haletante, titubante, une ivresse, une joie à taper comme des dératés sur la psychanalyse, à foutre le bordel, à délirer ; à s'aventurer à deux là où il serait trop dangereux d'aller seul.


“Chaque fois que le désir est trahi, maudit, arraché à son champ d’immanence, il y a un prêtre là-dessous. Le prêtre a lancé la triple malédiction sur le désir : celle de la loi négative, celle de la règle extrinsèque, celle de l’idéal transcendant. Tourné vers le nord, le prêtre a dit : Désir est manque (comment ne manquerait-il pas de ce qu’il désire ?) Le prêtre opérait le premier sacrifice nommé castration, et tous les hommes et les femmes du nord venaient se ranger derrière lui, criant en cadence « manque, manque, c’est la loi commune ». Puis tourné vers le sud, le prêtre a rapporté le désir au plaisir. Car il y a des prêtres hédonistes et même orgastiques. Le désir se soulagera dans le plaisir ; et non seulement le plaisir obtenu fera taire un moment le désir, mais l’obtenir est déjà une manière de l’interrompre, de le décharger à l’instant et de vous décharger de lui. Le plaisir-décharge : le prêtre opère le second sacrifice nommé masturbation. Puis tourné vers l’est, il s’écrie : Jouissance est impossible, mais l’impossible jouissance est inscrite dans le désir. Car tel est l’Idéal, en son impossibilité même, « le manque-à-jouir qu’est la vie ». Le prêtre opérait le troisième sacrifice, fantasme ou mille et une nuits, cent vingt journées, tandis que les hommes de l’est chantaient : oui, nous serons votre fantasme, votre idéal et votre impossibilité, les vôtres et les nôtres aussi. Le prêtre ne s’était pas tourné vers l’ouest, parce qu’il savait qu’il était rempli d’un plan de consistance, mais croyait que cette direction était bouchée par les colonnes d’Hercule, sans issue, non habitée des hommes. C’est pourtant là que le désir était tapi, l’ouest était le plus court chemin de l’est, et des autres directions redécouvertes ou déterritorialisées.
La figure la plus récente du prêtre est le psychanalyste avec ses trois principes, Plaisir, Mort et Réalité. Sans doute la psychanalyse avait montré que le désir n’était pas soumis à la procréation ni même à la génitalité. C’était son modernisme. Mais elle gardait l’essentiel, elle avait même trouvé de nouveaux moyens pour inscrire dans le désir la loi négative du manque, la règle extérieure du plaisir, l’idéal transcendant du fantasme. (…)”

Bon, ça c'est un bout de MP.

Je ne connais pas plus que ça Cronenberg, j'ai regardé La Mouche pour la première fois hier, mais ça n'a pas vraiment l'air d'être la même affaire. Que DC tourne son travail autour du schizo et du parano, et qu'il en sorte des choses intéressantes, je n'en doute pas ; mais ça ne veut pas nécessairement dire qu'il réponde directement à l'AO. Les schizos et les paranos, c'est une question un petit peu connue tout de même.

Je veux bien que l'AO te serve d'outil pour dépiauter les scénarios de Cronenberg, et que tu t'amuses à vérifier l'un par l'autre. C'est très bien, mais il s'agit de deux registres différents. DC n'est certainement pas fasciste quand il fait ses films, je ne dis pas ça ; je dis qu'il n'a décidément pas l'air d'être occupé à un problème d'éthique, de processus révolutionnaires... ou alors vraiment pas de la même façon.

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cronenberg - Territoires de Cronenberg Empty Re: Territoires de Cronenberg

Message par Eyquem Mar 16 Nov 2010 - 18:50

Certains points de la discussion avaient été soulevés ici :

http://www.cahiersducinema.com/forum/viewtopic.php?t=4795
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Message par Borges Mar 16 Nov 2010 - 22:09

David Cronenberg says his title "A History of Violence" has three levels: It refers (1) to a suspect with a long history of violence; (2) to the historical use of violence as a means of settling disputes, and (3) to the innate violence of Darwinian evolution, in which better-adapted organisms replace those less able to cope. "I am a complete Darwinian," says Cronenberg, whose new film is in many ways about the survival of the fittest -- at all costs. (...) At the Toronto Film Festival I saw a screening of "Nanook of the North," the great documentary about Eskimos surviving in the hostile arctic wilderness. They live because they hunt and kill. Of the three levels "A History of Violence" refers to, I think Cronenberg is most interested in the third, in the survival of the fittest. Not the good, the moral, the nice, but the fittest. The movie is based on the graphic novels by John Wagner and Vince Locke. It could also be illuminated by The Selfish Gene, by Richard Dawkins. I think that's why Cronenberg gives his hero a son: To show that Jack inherited what he did not ever suspect his father possessed.

c'est roger ebert; ce qui ne l'empêche pas de donner un 3.5/4 au film; et ce qui ne fait pas de ebert un fasciste, c'est un démocrate, comme le montrent ses prises de position contre bush, ou palin; cela dit voir du dawkins dans un film, me dire démocrate, et lui mettre un 3.5/4... faut vraiment que le film soit bon; je dis pas que darwin, c'est le diable, mais tout de même dawkins, c'est pas cool :





In the 1920’s and 1930s, scientists from both the political left and right would not have found the idea of designer babies particularly dangerous - though of course they would not have used that phrase. Today, I suspect that the idea is too dangerous for comfortable discussion, and my conjecture is that Adolf Hitler is responsible for the change.

Nobody wants to be caught agreeing with that monster, even in a single particular. The spectre of Hitler has led some scientists to stray from "ought" to "is" and deny that breeding for human qualities is even possible. But if you can breed cattle for milk yield, horses for running speed, and dogs for herding skill, why on Earth should it be impossible to breed humans for mathematical, musical or athletic ability? Objections such as "these are not one-dimensional abilities" apply equally to cows, horses and dogs and never stopped anybody in practice.

I wonder whether, some 60 years after Hitler's death, we might at least venture to ask what the moral difference is between breeding for musical ability and forcing a child to take music lessons. Or why it is acceptable to train fast runners and high jumpers but not to breed them. I can think of some answers, and they are good ones, which would probably end up persuading me. But hasn't the time come when we should stop being frightened even to put the question?









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Message par Invité Mer 17 Nov 2010 - 10:35

Eyquem a écrit:Certains points de la discussion avaient été soulevés ici :

http://www.cahiersducinema.com/forum/viewtopic.php?t=4795

Salut Eyquem
merci pour le lien.
Je quote :

jerzy pericolosospore a écrit:
Non: cinéma-métaphore ce n'est pas cinéma-allégorie. D'où les "fausses pistes" quand on bascule dans l'interprétation. La métaphore, chez Cronenberg, c'est au contraire pour permettre un accès plus direct à l'organique: comment matérialiser une souffrance, un sentiment etc. Ce n'est pas "symboliser", "montrer quelque chose pour parler d'autre chose". C'est même le contraire. Ce qui fait métaphore, c'est précisément qu'on ne peut pas revenir purement et simplement à l'organique: ça doit passer par et dans une mise en scène du corps, par la tête. C'est que chez Cronenberg plus que chez tout autre cinéaste, la tête est un cerveau, cerveau en tant qu'organe, toute une névropathie (Scanners en offre la métaphore la plus crue: la tête explose). Il faut repasser par la tête et ses terminaisons nerveuses pour toucher l'organique, le corps-organe acéphale.
[...]
De la mouche à la tête d'homme et de l'homme à la tête de mouche du film original, on préférera donc une contamination progressive complète du corps par la tête et de la tête par le corps. Que faisait d'autre Kafka? Et on ne dira pas que Kafka est un allégoriste.
[...]
Ce serait à bon compte confondre la métaphore descriptive (et on sait que Cronenberg est le cinéaste du corps comme métaphore, qu'il ne cesse d'approfondir), l'intérêt que Cronenberg a toujours manifesté pour les soubassements pulsionnels de la socialité, avec une intention prescriptive.
Il n'y a pas à mon sens de césure esthétique ni éthico-politique entre le Cronenberg de la période dite "trash" et le Cronenberg des "polars" faussement mainstream: pour moi c'est le même cinéaste, les mêmes thématiques, justes plus "innervées". Des fois, c'est réussi, des fois, c'est raté.
La discussion autour de la politique réactionnaire me semble un commentaire artificiellement plaqué là-dessus, ou alors Cronenberg a toujours été fasciste. Mais je ne crois pas que Cronenberg ait jamais été fasciste ni qu'il le soit devenu.

Je crois bien plutôt que Cronenberg a toujours eu quelque chose à nous dire, à travers le thème de la chair, sur la matérialité du fascisme, la fascination du fascisme, justement, sa sidération. Et je pense que sur ce point, on peut difficilement prendre Cronenberg en flagrant délit de non-réflexivité. C'est un médecin, qui ausculte, qui prend le pouls, qui sonde la spirale de l'inconscient, ses spasmes "chimiques", même.

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Message par Invité Mer 17 Nov 2010 - 10:40

balthazar claes a écrit:
Non mais moi ce qu'en j'en dis, c'est surtout une question de style. Tu m'as l'air d'avoir une compréhension assez profonde de l'AO ; moi je ne fais que tourner autour en m'en répétant des bouts. Mais tout de même il y a dans ce bouquin une espèce d'allégresse fiévreuse, haletante, titubante, une ivresse, une joie à taper comme des dératés sur la psychanalyse, à foutre le bordel, à délirer ; à s'aventurer à deux là où il serait trop dangereux d'aller seul.

Je veux bien que l'AO te serve d'outil pour dépiauter les scénarios de Cronenberg, et que tu t'amuses à vérifier l'un par l'autre. C'est très bien, mais il s'agit de deux registres différents. DC n'est certainement pas fasciste quand il fait ses films, je ne dis pas ça ; je dis qu'il n'a décidément pas l'air d'être occupé à un problème d'éthique, de processus révolutionnaires... ou alors vraiment pas de la même façon.

je ne sais toujours pas si DC est "fasciste" ou "révolutionnaire". et je suis de moins en moins sûr que le partage est à ce point faisable. ce qui m'intéresse ici, c'est de vérifier jusqu'où on peut rester cohérent en disant que Cronenberg ne fait que relire D&G de film en film, mais avec un "twist" moraliste fondamental. pas seulement ce qui rapproche les films des bouquins mais aussi ce qui les sépare et pourquoi.
par ailleurs, je suis pour l'instant plus sur le Kafka que sur L'AO ou MP. une chose après l'autre...

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Message par balthazar claes Ven 19 Nov 2010 - 15:24

A History of violence par exemple c'est une illustration de la vision du monde de Peter Thiel : éloge de la déréglementation des marchés, de la baisse des taxes, de l'hypercompétitivité ET défense des valeurs conservatrices, rejet du multiculturalisme.

On imagine le portait-type de ce trader-killer viril en uniforme costard-cravate (ou bermuda-tongs zuckerbergien, last update de l'uniforme), le jour plongé dans d'impitoyables affrontements (mais uniquement avec des types dans son genre, sinon c'est pas du jeu, c'est multiculturel), occupé à glaner le profit sans merci, refusant à ses adversaires (ses concurrents ; les pauvres en général, qui rechignent parfois à consommer ce qu'on leur a dit de consommer, voire se rebiffent et désobéissent à la loi du marché) le moindre respect, le moindre regard ; coulant des Etats, faisant de la charpie de tissu social, de la charpie de vies humaines,... parce que c'est ça l'hypercompétitivité, parce que c'est ça la guerre économique, c'est pour les forts des forts ;

puis le soir, harassé, rentrant dans son foyer traditionnel bien rangé, embrassant ses deux ou trois petites têtes blondes bien peignéees, langeant l'un, jouant à la balle avec l'autre, buvant une tisane avec sa dulcinée, discutant pédagogie, relations avec les voisins, si le chien va bien, et si on allait au lac dimanche, on fera un feu de bois dans la cheminée de la maison de campagne, et pis du cerf-volant avec les enfants, qui sont merveilleux.

Ah, toute cette guerre, c'est surtout pour défendre la famille, rien de plus beau en ce monde que le sourire d'un enfant, etc...

Le navet Mr & Ms Smith en serait la version comique : ah qu'il est difficile de cloisonner ces deux existences si antithétiques : tueur sanguinaire d'un côté, défenseur de l'ordre moral et de la paix privée de l'autre. Quel grand écart, quel double registre, c'est bien perturbant ; mais c'est la seule chose à faire, Es muss sein, alors...

Il faut protéger les petits et la dulcinée, ils ne faut surtout pas qu'il sachent, les chères âmes, ce qu'il en est de la réalité de la guerre économique ; ça assombrirait le teint de Madame, et les petits feraient des cauchemars. Il ne faut surtout pas les mettre au courant : mieux vaut qu'il croient que papa est un bon gars tranquille, un simple garçon de café.

Pour en revenir à D&G, ceux-ci s'intéressent aux losers, aux bartlebys, aux suceurs de cailloux et aux petits vélos, pendant que Cronenberg s'intéresse plutôt dans ce film au winner et à ses petites contrariétés. Allégorie du néolibéralisme. Voilà pourquoi la mise en parallèle des deux a quelque chose d'abusif !

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Message par Invité Ven 19 Nov 2010 - 16:17

ça me parait assez possible comme analyse. j'ai l'impression quand-même que le film l'illustre plus sur un plan politique qu'économique.

par exemple (au rayon indices), tout se passe entre Millbrook, Indiana et Philadelphie. Philadelphie, on peut voir assez bien ce que c'est : la ville au coeur de la révolution américaine, où furent rédigés aussi bien la déclaration d'indépendance que la constitution. et DC en fait un fabuleux repaire de voyou. tiens, comme c'est bizarre.

pour Millbrook, Indiana, c'est plus compliqué : il n'y a pas de Millbrook en Indiana et il y en a un certain nombre aux USA et au Canda. laquelle choisir qui fasse sens ? aucune. il y a une Millbrook High School dans la ville de Raleigh, en Caroline du Nord et son cri de ralliement est Wildcat - le cri que pousse Edi quand elle est déguisée en pom pom girl pour une nuit d'amour adolescente avec son Tom Stall. il se trouve que Raleigh est une ville importante pour le mouvement des droits civiques puisqu'il s'y est créé Student Nonviolent Coordinating Committee (SNCC) en 1960, une réunion d'acteurs étudiants de la lutte contre la discrimination raciale et l'accession des Noirs aux droits constitutionnels. tout se passe donc dans les rapports entre le geste constituant - silencieux sur le sort des esclaves Noirs - et la lutte pour les droits de ces mêmes Noirs - ou plutôt ce que cette lutte est devenue dans la bonne ville de Edi et Tom Stall. ville où on ne voit pas un Noir d'ailleurs.

donc DC me parait assez conscient de ce que tu signales. la question est de savoir si Tom est vraiment le héros du film - ou s'il n'en est que le personnage central. à vrai dire, j'ai longtemps pensé que DC était à ranger du côté des "révolutionnaires". et puis j'ai changé d'avis et quand j'ai ouvert ce topic, je le voyais bien du côté des "fascistes". et maintenant je ne sais plus - ce qui est une position toujours intéressante. dans le Kafka, D&G souligne que K ne critique pas mais fait filer les logiques sociales et que c'est beaucoup plus puissant et subversif. c'est peut-être ce que DC veut faire. mais est-ce ce qu'il fait ?

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Message par balthazar claes Ven 19 Nov 2010 - 17:02

Stéphane Pichelin a écrit:ça me parait assez possible comme analyse. j'ai l'impression quand-même que le film l'illustre plus sur un plan politique qu'économique.

Alors précisément : la "politique" en question consiste à soumettre la politique à l'économie, à dire que l'économie constitue le tout de la politique, en détermine le champ et les fins.


Selon la vision consensuelle, il n'y a qu'une seule réalité qui ne nous laisse pas le choix de l'interpréter et nous demande seulement des réponses adaptées qui sont les mêmes, quelles que soient nos opinions et nos aspirations. Cette réalité s'appelle économie : en d'autres termes, l'illimité du pouvoir de la richesse.
(Rancière)

Ce consensus correspond à un déni. Le même que celui qu'il peut y avoir à nier la contradiction entre les valeurs conservatrices de la famille traditionnelle et celles de la dérégulation totale.

Ensuite, quand tu dis que Cronenberg est lucide là-dessus, et le donne à voir, l'expose, en toute connaissance de cause : c'est un peu comme quand René Girard dit que la religion chrétienne dépasse toutes les autres parce qu'elle met à nu le mécanisme sacrificiel et exhorte ainsi ses fidèles à ne plus le reproduire. En fait ce n'est pas du tout ce qui se passe, les chrétiens se font une spécialité de brûler les sorcières. La médiation spectaculaire christique ne constitue pas du tout la "bonne leçon" qui permettrait à ses héritiers de sortir de la violence mimétique.

On peut toujours dire que Cronenberg est lucide : il produit son spectacle en sachant qu'il aura une résonance sur le spectateur, qui ne saura pas décoder le message ; il y verra une expression d'une grande force et d'un grand réalisme. Toi, tu décodes Cronenberg, mais tu hésites à conclure : tu admires encore son boulot. Le fait est qu'il ne propose pas grand chose aux gens : un petit quart d'heure cathartique sur la dureté du monde, et comment on n'a pas le choix de toute façon ; pas trop d'émancipation là-dedans.

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