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HAuteurs : esprit de conservation

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Message par Invité Dim 25 Avr 2010 - 18:20

Be Happy (2008) et La fille coupée en deux (2007) suivent, chacun à sa manière, le parcours de personnages féminins censés représenter les jeunes femmes actuelles, en prise avec leur temps. Avec ces personnages que les cinéastes font s'enfoncer non sans complaisance dans des sables mouvants, à travers eux, c'est toute modernité formelle et donc passionnelle (ou vice-versa) qui semble asphyxiée, marquer un brutal coup d'arrêt.

La fille coupée en deux met en scène Gabrielle (Ludivine Sagnier), jeune fille qui se retrouve tenaillée par deux milieux passablement sclérosés. Il y a, d'un côté l'arrière-garde aristocratique (lyonnaise), aux traditions toujours fermement ancrées dans la religion catholique. Traditions, qui, comme à l'accoutumé chez Claude Chabrol, ne sont pas dépeintes sans leur lot de masques et de faux-semblants visant à préserver la face en toutes circonstances, même les pires. Rien que de très classique, voire ronronnant, ici. On s'étonne tout au plus que les mœurs rances de ce milieu-là, tout ce vieux bazar, intéressent ou même amusent encore Chabrol. Gabrielle va pourtant s'y frotter, via le fils de la famille Gaudens, Paul (Benoît Magimel), lui-même en quelque sorte victime et bourreau des coutumes familiales. Elle doit faire face aux avances de Paul et surtout à ses desiderata de pureté hérités de son milieu social.

Mais voilà, la jeune fille a perdu sa vertu en ayant été initiée à des pratiques érotiques salaces, s'étant amourachée auparavant de Charles (François Berléand). C'est ici qu'intervient le second milieu auquel Gabrielle se trouve subitement mise en présence. Charles, écrivain (écrivant des articles au Nouvel Observateur, lisant Le Canard Enchaîné dans sa baignoire) quinquagénaire, a tout de l'ancien soixante-huitard installé, ayant essentiellement conservé de cette époque des pratiques hédonistes adultères, plaisirs "coupables" auxquels il participe dans des clubs privés de la ville et dans un petit appartement en ville où il séjourne avec les filles qu'il entretient. C'est au libéralisme de ces jeux sexuels petits-bourgeois, conservation formolée des expériences corporelles de l'évènement qu'a constitué Mai 68, que se trouve confrontée Gabrielle.

Entre ces deux milieux, elle est moins "coupée en deux" (ce qui sous-entendrait éventuellement un arrachement) que clivée, elle n'est pas un personnage agissant mais toujours ballotté de l'un à l'autre, victime prise au piège de l'un puis de l'autre. Le titre du film fait, en définitive, plutôt référence à la scène finale où Gabrielle trouve dans le spectacle de magie de son oncle, dans lequel elle joue la fille coupé en deux, un ultime refuge à son chagrin. Cette scène qui, selon Claude Chabrol (1) déjoue le semblant (monde du spectacle) par le jeu du semblant (spectacle de magie), n'offre pas d'alternative à Gabrielle, seulement les larmes salvatrices et, à la manière du final de Fire Walks With Me de David Lynch. La rédemption angélique d'un corps qui a payé le prix cher de sa souillure par la mise à l'écart des milieux évoqués précédemment, c'est du moins ce que Chabrol voudrait nous suggérer là. Une lecture dialectique du film, trouvant dans cette fin une troisième voie offerte à Gabrielle (2), prend passablement l'eau. Pourquoi ?

D'une part, cette lecture omet le fait qu'apparemment ici les forces en présence qui aliènent la jeune fille à son propre corps n'ont pas grand-chose à voir avec un partage brutal entre rêve et réalité, ni avec "le monde du spectacle", même si le fait que Gabrielle appartienne en effet à ce monde-là renforce (et renferme aussi de manière perverse dans) le renvoi à son propre corps comme chair à baiser ou pas. Elles résultent plutôt, comme nous l'avons vu, de pensées agissantes propres à des milieux précis dont Chabrol donne une représentation croquée (mollement) aux spectateurs. Ainsi, suivant le schéma dialectique, le basculement final dans la magie dispenserait Gabrielle elle-même de prendre pleinement conscience des milieux auxquels elle s'est frottée et piquée. Tout au plus elle y prend avant de leur dire adieu bien malgré elle, quoique inconsciemment, sa petite part du gâteau : garder la voiture de luxe de la "belle" famille, déballer le récit authentique de son aventure sexuelle devant le juge. On est loin de la subversion des personnages buñueliens ou pasoliniens actifs et transgressifs dans les milieux qu'ils pénètrent et font éclater de l'intérieur.

D'autre part parce que cette sortie du deux (bien/mal) comme images typiquement masculines plaquées sur Gabrielle, lui est offerte. Une fois encore, Gabrielle est mue par une sorte de passivité, choisissant sans broncher la nouvelle solution providentielle qui se présente à elle pour sortir de son chagrin. Dans de telles dispositions, lui faire réciter du Nietzsche (qui plus est, lui faire dire : "Tout ce qui ne me détruit pas me rend plus forte") sonne comme tristement ironique. Si La femme et le pantin est évoqué à un moment donné dans le film, Claude Chabrol jouerait plutôt la partition inverse : "Les hommes et le pantin". Gabrielle est et reste un corps victimaire jusqu'au bout, créature pathétique vouée éternellement à jouer les potiches dans les mises en scène de ses partenaires mâles, dont les larmes finales font un bruit de chaînes qui, avec ou sans magies, n'ont été brisées.

De là à affirmer que la jeunesse d'aujourd'hui n'est pas en mesure d'inventer (ou "réinventer" suivant les mots de Rimbaud) de méchantes et puissantes lignes de fuite pour faire face à ce double héritage sans désir, il n'y a qu'un pas. Cet état des lieux de l'époque - pour dire vite, d'un siècle débutant marqué par les restes frelatés du précédent -, tout en croyant très malin de brocarder une fois de plus les vieux machins par le biais de la misérable jeunesse perdue parmi les vieux loups, semble faire fi de tout geste contemporain réel d'émancipation de l'être (dans lequel la sexualité a certainement un rôle à jouer), de toute sortie de soi hors du continuum social. Profond dégoût d'un film où l'on passe son temps entre le boire (du bon vin) et le manger (raffiné), mécaniquement, sans partage, comme une évidence. C'est peut-être que Chabrol est un peu trop à l'aise avec ses gri-gri d'antan pour aller chercher ailleurs, parmi la vie et non parmi les forces conservatrices, objet de son enthousiasme à filmer encore. Cette complaisance saute aux yeux lorsque, désespérément, on cherche trace d'une mise en scène un peu plus audacieuse que le tout venant de la production télévisuelle. Longues séquences de champs/contrechamps autour de dialogues poussifs s'enchaînent avec des mouvements de caméra censés profonds, accentuant les questionnements intérieurs des personnages les plus plats, tandis qu'une ribambelle d'acteurs, de "têtes connues", défilent à l'écran suivant la tradition.

Pire encore que La fille coupée en deux, Be Happy de Mike Leigh ne rassure pas plus sur la capacité des auteurs d'outre-Manche à dépasser une réalisation des plus plan-plan. Tout y est désespérément banal, à tel point qu'on peut, je crois, évacuer d'ores et déjà toute étude formel approfondie. Tout au plus, en guise d'introduction au second volet de ce texte, peut-on garder cette scène où "Poppy" fait du trampoline. Nous y voyons la tête du personnage passer fugitivement et à intervalles réguliers dans le plan fixe filmant le mur au niveau du haut de la trajectoire de la sauteuse. Pourquoi préserver ce plan du film ? Pour une raison sans doute bien mal intentionnée. Parce que, s'il ne recèle en lui-même aucune puissance artistique, il illustre au moins, sans doute, assez bien l'aspiration à se sentir exister (c'est-à-dire occuper le plan autant que possible et en toute circonstance, et non vraiment l'habiter) du personnage principal du film. Ce plan est à l'image de la situation qui verrait un individu, séparé d'une autre personne par un haut muret, sauter aussi haut et autant que possible afin d'être sûr d'avoir été bien vu par elle.

Comme Gabrielle, "Poppy" (Sally Hawkins) est un personnage auquel il est demandé à un moment donné de "grandir un peu". Mais si Gabrielle est à la traîne des coutumes propres aux milieux qu'elle côtoie soudain, "Poppy" a tous les traits de la trentenaire ado attardée, traînant volontairement les pieds dans une régression pré-"monde des adultes". Ceci ne mériterait pas quelque attention que se soit si Mike Leigh n'érigeait dans Be Happy, qu'on pourrait nommer comédie du "rire ensemble" (3), ce type de comportement en programme ("Adoptez la Poppy Attitude !", pouvait-on lire sur les affiches françaises du film) face à tous ceux que croise "Poppy". L'altérité est ici principalement croisée en deux circonstances.

Il y a, tout d'abord, le personnage récurrent du moniteur d'auto-école, Scott (Eddie Marsan). La construction de ce personnage est particulièrement intéressante car celui-ci est censé cristalliser tout discours contestataire sur la société et, dans le même temps, afin d'annuler tout réel enjeu politique à cette comédie légère, passer pour un dangereux psychopathe névrosé paranoïaque. C'est ainsi que racisme est d'office accolé à anti-multiculturalisme, que critique de la société de contrôle se retrouve associée à délire ésotérique du grand complot mondial, etc, etc. In fine, le "trouble-fête" aura le droit pour justification de son caractère belliqueux, à la double-casquette caricaturale de la frustration sexuelle et sans doute du traumatisme enfantin. On retrouve là, sous les auspices du bon déroulement du petit train-train de la comédie, les ingrédients rebattus du discours idéologique de sape soutenant la machine capitaliste face à toute contestation un tant soit peu rigoureuse. On aura compris que l'écriture du personnage de Scott (son dialogue, ses agissements) ne pouvait, de toute façon, décemment lui laisser d'autre possibilité.

Dans un second temps, "Poppy" (ici sans doute au sommet de son cabotinage insupportable) et sa bande, croisent le fer avec la sœur installée, avec la famille, qu'elles font toutes mines de fuir tout en vivant quand même en vase clôt entre sœurs. Là encore, le paradoxe de la situation réside dans le fait que rien ne s'oppose véritablement à la cellule familiale caricaturale, sinon la plainte puérile d'une perte de la libre régression de soi si chère (ne plus pouvoir jouer à la console, ne plus pouvoir aller boire des canons au club).

Ajoutons qu'aucune altérité ne vient troubler les relations de "Poppy" avec ses élèves, si tel est le cas (un élève au comportement violent), un travailleur social, qui plus est prince charmant, est convoqué, et tout rentre dans l'ordre. "Poppy", elle, comprend aussi ce clochard qu'elle rencontre dans la rue et qui lui parle curieusement, de même qu'elle garde un souvenir merveilleux de ses voyages de jeunesse au Vietnam… tout est top, un cœur gros comme ça, et un altruisme qui réchauffe fasse à l'indifférence ou à la méchanceté de ses concitoyens. Le seul hic, c'est internet. Un peu réac, me direz-vous, mais pourtant c'est la bête noire des instits réunies, soudain les mines sont sombres lorsqu'on en parle. Pour résister à ce phénomène grandissant chez leurs jeunes élèves, elles préfèrent une petite séance club de trampoline ou flamenco.

Mike Leigh oublie que les jeunes gens d'aujourd'hui, pour se confronter à l'état de conservation de l'âge adulte, font exister bien d'autres alternatives aux enfantillages niais qu'il nous propose par le biais de ses personnages. Qui plus est, cette "attitude" schizophrénique est caractéristique de l'attachement le plus total à un système libéral auquel il vaut mieux pour le réalisateur, semble-t-il ne pas trop toucher. Si Claude Chabrol rabattait Gabrielle sur une entrée en scène sans issue à ses questionnements sur ce qu'elle souhaitait faire de son propre corps, Mike Leigh laisse lâchement entrevoir au final que "Poppy" basculera manu militari, l'amour trouvé, dans le camps des adultes. Pour Leigh, il semble ne rien y avoir entre l'enfant et l'adulte, ou du moins ceci ne l'intéresse pas, il est temps pour lui de se retirer discrètement, c'est le travelling arrière clôturant le film sur "Poppy" parlant à son petit copain au téléphone.

Ces deux films ne mettent en scène que fausses extractions de la jeunesse hors des forces négatives de notre temps. Il le font sans talent, l'un par attachement malgré tout à des valeurs totalement obsolètes, l'autre par jeunisme, les deux par préservation d'un certain ordre du monde. Chabrol et Leigh sont deux noms connus d'un tel échec à la modernité dans le cinéma actuel, il y en aurait bien d'autres à citer, à commencer par Téchiné et sa Fille du RER (4).[/justify]




Qu'en pensez-vous ? ce texte est en dialogue avec deux autres textes :

celui de jll sur le Chabrol : http://www.cineclubdecaen.com/materiel/ctfilms.htm

celui de Vincentdel sur Be Happy : http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/dont-worry-be-happy-sort-en-dvd-52593

les notes arrivent..


Dernière édition par JM le Mer 28 Avr 2010 - 8:37, édité 8 fois

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Message par balthazar claes Lun 26 Avr 2010 - 11:22

Hello,

j'aurais du mal à mettre dans le même sac La Fille coupée en deux et la Fille du RER. Je voulais voir dans le Téchiné une tartuferie fondamentale, qui se retrouvait à mes yeux dans la mise en scène, essayant de voler à l'arraché un rendu "tremblé" naturaliste-documentaire se donnant l'air de ne pas y toucher et de laisser la vie faire, alors qu'il s'agissait en définitive d'un pesant film à thèse. Le point de départ "authentique" entraîne le récit dans une logique d'élucidation psychanalytique qui s'efforçe d'inventer les "bonnes raisons" de l'acte de la jeune fille en redoublant son mensonge, en l'étoffant, en le rendant "naturel".

Il y a à l'oeuvre une dialectique perverse de la fiction et du fait réel : prenez "The Man who shot Liberty Valence", c'est une démonstration de la mécanique qui conduit au "Print the legend" : la "nécessité" pour un peuple de forger sa légende en recouvrant la vérité du fait. Ici ce serait le contraire, ou alors la même chose mais tout l'effort serait mis pour voiler la réécriture, pour refouler le "print the legend". La Fille crée une légende urbaine tordue, - c'est un fait social : une jeune fille se prend pour un media à elle toute seule. Un cinéaste arrive et surenchérit sur cette légende urbaine, surenchérit sur l'invention de la fille, justifie son invention, fait d'elle la martyre qu'elle voulait être, donne une réalité à son délire. Il fait ça au nom de sa bonne conscience. Il imprime la légende, mais fait croire qu'il fait le contraire, qu'il se contente de désintriquer. etc




Alors que Chabrol, qui ne se revendique certes pas comme le révolutionnaire à la page, assume dans son film des choses d'une noirceur peu commune ; et il n'a à sa disposition aucun paravent pour s'abriter, aucun prêt-à-porter de bonne conscience. Juste son art de la mise en scène, un art de montrer sans dire, de désigner en silence. Sous l'habillage modeste, anodin, de l'esthétique de la fiction télé à la Maigret, il va très loin dans le dévoilement de la bourgeoisie - encore et toujours la bourgeoisie ; pourquoi le lui reprocher ? c'est un très gros sujet.

Ce n'est pas tant entre les deux hommes que la jeune fille est coupée en deux, que par son expérience avec l'écrivain. Cet homme, maître des signifiants supérieurs de l'art, "grand homme", supposément gardien et créateur des valeurs élevées - et qui l'est pour ainsi dire réellement, dans le monde des valeurs inversées, celui de la bourgeoisie, - est celui-là même qui va s'efforcer de faire voir à Gabrielle l'horreur en face, de désintégrer ses illusions, d'assassiner son âme ; car pour lui cette hideur est le prix de l'"élévation", de la libération des codes de la médiocrité bourgeoise. Dans le monde de l'écrivain, la libération "par le haut", par les valeurs supérieures de l'art, n'est rien si elle n'est pas redoublée par une libération "par le bas", il faut de ses yeux avoir vu le cloaque. La transgression est une et indivisible.


Ainsi ce monde est celui d'un parfait enfermement. C'est "naturaliste", cette fois dans le bon sens, celui de Balzac et Zola.

balthazar claes

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Message par Invité Lun 26 Avr 2010 - 14:26

salut,

je partage bien entendu ce que tu dis du "dévoilement de la bourgeoisie" (même si je ne vois pas vraiment la construction du même oeil) dans "La fille coupée en deux", mais j'affirme que, d'une part, il se fait totalement au dépend de Gabrielle, d'autre part il ne s'opère pas sans une certaine complaisance (qui peut faire dire à jll que Charles pourrait être une sorte d'alter ego de Chabrol lui-même).

Ta remarque à propos du Téchiné tombe bien, je voulais renvoyer à ce que tu as écrit du film (sur le forum, ou dans le blog si ça te dis de publier tes notes dedans?) dans la note 4 de mon texte. Je me suis aussi souvenu de ce qui avait été dit du film par d'autres sur le forum..


Dernière édition par JM le Mer 28 Avr 2010 - 12:15, édité 1 fois

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Message par balthazar claes Mar 27 Avr 2010 - 7:56

Ma foi, on pourrait dire que Gabrielle parvient à se venger des deux hommes qui l'aliènent. Les deux veulent qu'elle ne soit rien d'autre que l'image qu'ils se font d'elle : une Justine, un souffre-douleur, un cobaye servant à la démonstration de sa supériorité pour l'écrivain sadique ; une pure colombe virginale pour l'héritier, qui pourra ainsi projeter sur elle la figure maternelle.


Ça me fait penser à cette phrase de Nietzsche : "Que quelqu'un ne puisse se défendre et par conséquent ne veuille non plus le faire, voilà, à nos yeux, qui ne serait point pour lui un sujet de honte : mais nous n'avons guère d'estime pour qui n'a ni la faculté ni la volonté de se venger - peu importe qu'il s'agisse d'un homme ou d'une femme. Est-ce qu'une femme pourrait nous retenir (ou, comme on dit, nous "fasciner") dont on n'imaginerait pas, le cas échéant, qu'elle sache manier le poignard contre nous ? - ou bien contre elle-même : ce qui dans certains cas constituerait une vengeance plus sensible (la vengeance chinoise)."

C'est en s'absentant complètement de sa vie, en disparaissant, en perdant toute épaisseur, en retournant le poignard contre elle-même au point de ne plus être que la double image correspondant au désir des deux hommes, qu'elle les conduit à la confrontation, qu'elle les projette l'un sur l'autre, assurant ainsi sa double vengeance sur un mode certes passif mais terriblement efficace.


Quant à l'idée d'une complaisance de la part de Chabrol... je suis assez d'accord avec la rhétorique de Griffe à son sujet. Finalement n'obtient-il pas par là le moyen retors de choquer, c'est-à-dire d'ouvrir la possibilité d'une prise de conscience ? Un peu comme Batman dans The Dark Knight qui décide de se faire passer pour un salaud, quoi.

http://notremusique.blogspot.com/2009/06/la-ceremonie-de-chabrol.html

Sinon, oui, peut-être, faire atterrir mon truc sur Téchiné sur le blog, si personne n'y voit un problème.

balthazar claes

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Message par Invité Mar 27 Avr 2010 - 10:07

Non, je ne vois aucune espèce de vengeance ici, la faculté est là bien sûr dans la présence même de la fille (comme pur objet de convoitise) mais elle n'est pas recherchée par Gabrielle contrairement à la Susana de Bunuel, par exemple (qui elle agit vraiment, et c'est encore plus beau, sans motif pour elle-même, par simple esprit destructeur, d'une vengeance qui viendrait des profondeurs de l'âme humaine). Absolument pas, je suis désolé mais cette fille est bien décrite comme paumée du début à la fin, de mon point de vue et comme je le précise dans le texte, elle n'a pas conscience du tout (donc pas prise sur elles) des lignes de conservation propres aux milieux qu'elle traverse, les spectateurs, oui. Je vois pas trop comment tu vois la fin du film d'ailleurs avec ton point de vue ? Au passage, Paul est pas du tout anéanti, bien au contraire, on comprend bien qu'il restera protégé par son milieu et sa décision coïncide pour une fois avec celle de sa mère (heureusement sinon je sais pas trop ce que tournera Chabrol après ça), c'est aussi pour ça que j'ai pas tenu à trop parler d'"auto-destruction" entre Paul et Charles avec Gabrielle au centre.

Une prise de conscience de quoi ? De ce que je décris dans mon texte ? J'essaye justement d'y expliquer en quoi il peut toujours être intéressant de partir de là pour en sortir mais que de choisir, une fois encore, d'y baigner 2 heures durant et d'en sortir seulement à la fin et de cette façon là n'a, à mes yeux, plus rien de provocateur et au contraire de légèrement rance. C'est sans doute que je place trop mon regard sur Gabrielle en tant que personnage et non en tant que pure abstraction, mais même si je me plaçais de ce côté-là, je crois pas que je serais convaincu.

Cool pour ton texte sur le Téchiné. Tiens-nous au courant !

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Message par balthazar claes Mar 27 Avr 2010 - 13:48

Paumée, paumée... elle n'est pas détruite finalement par les deux hommes (alors que l'un est assassiné par l'autre, qui finit en taule), elle rebondit. Coupée en deux, mais ça ne l'empêche pas de vivre. Moins "paumée" que le fils de famille à moitié fou... moins pervertie que l'écrivain sadique.

Elle traverse ces différents milieux, effectivement en aveugle, sans avoir la conscience de leurs lois. Elle est vide, inconsistante, pour ainsi dire ; c'est ce qui lui permet in fine d'échapper à l'emprise de l'un et l'autre.

Pure victime de classe, elle est, mais il y a bel et bien vengeance, avec ou sans conscience. Enfin, en un sens, tous les personnages sont également aliénés. Admettons même qu'elle le soit, en tant que femme, pauvre, davantage que l'écrivain et que l'héritier. Mais ça ne change pas grand chose. C'est de cette aliénation généralisée qu'il s'agit de prendre conscience.

Une morale grinçante et pessimiste : et on n'en sort pas plus à la fin qu'au début. Le spectacle de magie rejoue la tragédie de la jeune fille, mais il est clair qu'elle n'a rien compris. La beauté de la chose résiderait alors dans le fait que son innocence, sa force de vie, ont eu raison de toutes les images qu'on lui tendait, de tous les miroirs trompeurs.


Tout ça est raccord avec le texte de Deleuze sur Zola dans Logique du sens. La fêlure héréditaire de Paul, le fils de famille dégénéré... Et la jeune fille, le corps de la jeune fille qui sert de milieu de propagation à la fêlure...

"Ce que la fêlure désigne, ou plutôt ce qu'elle est, ce vide, c'est la Mort, l'Instinct de mort. (...) Dans son hommage à Zola, à la fois profond et réticent, Céline trouvait des accents freudiens pour marquer cette présence universelle de l'instinct de mort silencieux, sous les instincts bruyants : "Le sadisme unanime actuel procède avant tout d'un désir de néant profondément installé dans l'homme et surtout dans la masse des hommes, une sorte d'impatience amoureuse, à peu près irrésistible, unanime, pour la mort (...)" Quoi qu'en pense Céline, c'était déjà cela, la découverte de Zola : comment les gros appétits gravitent autour de l'instinct de mort, comment ils fourmillent par une fêlure qui qui est celle de l'instinct de mort, comment la mort surgit sous toutes les idées fixes... (...)


Et si [dans la Bête humaine] Lantier se met à aimer Séverine, c'est parce qu'elle a participé au crime : elle "était comme le rêve de sa chair". (...) Séverine a retrouvé un amour instinctif qui lui rend l'innocence ; mais elle ne peut pas s'empêcher d'y mêler le besoin d'un aveu explicite, à son amant qui a pourtant tout deviné. (...)


Car, l'essentiel de l'épopée, c'est un double registre où les dieux, activement, jouent à leur manière et sur un autre plan l'aventure des hommes et de leurs instincts. Le drama, alors, se rejoue dans un epos, la petite généalogie dans une grande généalogie, la petite hérédité dans une grande hérédité, la petite manoeuvre dans une grande manoeuvre. (...)


Dans le monde qui lui était contemporain, Zola découvre la possibilité de restaurer l'épique. La saleté comme élément de sa littérature, "la littérature putride", c'est l'histoire de l'instinct sur ce fond de mort. La fêlure est le dieu épique pour l'histoire des instincts, la condition qui rend possible une histoire des instincts. (...)


On a souvent remarqué l'optimisme final de Zola, et les romans roses parmi les noirs. Mais on les interprète très mal en invoquant une alternance ; en fait, la littérature optimiste de Zola n'est pas autre chose que sa littérature putride. C'est dans un même mouvement, qui est celui de l'épique, que les plus bas instincts se réfléchissent dans le terrible Instinct de mort, mais aussi que l'Instinct de mort se réfléchit dans un espace ouvert, et peut-être contre lui-même. L'optimisme socialiste de Zola veut dire que, par la fêlure, c'est déjà le prolétariat qui passe."

Je ne sais pas trop comment citer ce texte dense et quelque peu confus. D'ailleurs plus tard Deleuze ne devient-il pas un adversaire de l'idée de "pulsion de mort" freudienne ? Mais quoi qu'il en soit cette description de l'épopée et de la fêlure chez Zola s'ajuste très bien sur le cas Chabrol.


Dernière édition par balthazar claes le Mar 27 Avr 2010 - 14:28, édité 1 fois

balthazar claes

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Message par Invité Mar 27 Avr 2010 - 16:18

Je ne comprends pas du tout le raccord entre le texte de Deleuze et le film de Chabrol, si tu peux m'éclaircir un peu ? La pulsion n'est-elle pas liée à un milieu social dans le naturalisme de Zola, qui n'a rien à voir avec celui de Paul dans "La fille coupé en deux" ? Bon, désolé, je suis sans doute ne plein contre-sens mais je comprends pas.

La beauté de la chose résiderait alors dans le fait que son innocence, sa force de vie, ont eu raison de toutes les images qu'on lui tendait, de tous les miroirs trompeurs.

bof, non là encore une fois c'est une interprétation qui me convient pas. Y'a pas plus de "force de vie" que d"'innocence" chez cette fille.

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Message par balthazar claes Mar 27 Avr 2010 - 20:11

Expliquer je ne sais pas mais je peux toujours en recopier un peu plus long.


JM a écrit: La pulsion n'est-elle pas liée à un milieu social dans le naturalisme de Zola, qui n'a rien à voir avec celui de Paul dans "La fille coupé en deux" ?




C'est précisément la question. Il y a une première notion : les instincts, les "gros appétits" ; ceux-ci renvoient bien au milieu social, ils "désignent en général des conditions de vie et de survie, des conditions de conservation d'un genre de vie déterminé dans un milieu historique et social (ici, le second empire). C'est pourquoi les bourgeois de Zola peuvent aisément nommer vertus leurs vices et leurs lâchetés, leurs ignominies ; c'est pourquoi inversement les pauvres sont souvent réduits à des "instincts" comme l'alcoolisme, exprimant leurs conditions historiques de vie, leur seule manière de supporter une vie historiquement déterminée. Toujours le "naturalisme de Zola est historique et social. (...) L'instinct tend à conserver, en tant qu'il exprime toujours l'effort de perpétuer un mode de vie ; mais ce mode, et l'instinct lui-même, peuvent être destructeurs non moins que conservateurs au sens étroit du mot. L'instinct manifeste la dégénérescence, la précipitation de la maladie, la perte de santé non moins que la santé même."


A côté de cette première notion, l'instinct, il y a la fêlure. "Sous toutes ses formes l'instinct ne se confond jamais avec la fêlure, mais entretient avec elle des rapports étroits variables." "En son vrai sens, la fêlure n'est pas un passage pour une hérédité morbide ; à elle seule, elle est toute l'hérédité, et tout le morbide. Elle ne transmet rien sauf elle-même, d'un corps sain à un autre corps sain des Rougon-Macquart." "La fêlure-araignée : tout culmine, dans la famille Rougon-Macquart, avec Nana, saine et bonne fille dans le fond, dans son corps vigoureux, mais qui se fait objet pour fasciner les autres et communiquer sa fêlure ou révéler celle des autres - immonde germen."


Il y a donc ces deux notions différentes, sur deux plans différents : "deux cycles inégaux coexistants, interférant l'un avec l'autre : la petite et la grande hérédité, une petite hérédité historique et une grande hérédité épique, une hérédité somatique et une hérédité germinale, une hérédité des instincts et une hérédité de la fêlure. La petite hérédité est celle des instincts, au sens où les conditions et genres des vie des ancêtres ou des parents peuvent s'enraciner chez le descendant et agir en lui comme une nature, parfois à des générations de distance. (...) Quels que soient les sauts qu'elle opère, cette hérédité des instincts transmet quelque chose de bien déterminé ; et ce qu'elle transmet, elle le "reproduit", elle est hérédité du Même. Il n'en est pas du tout ainsi de l'autre hérédité, celle de la fêlure ; car, nous l'avons vu, la fêlure ne transmet rien d'autre que soi. (...) Ne transmettant qu'elle-même, elle ne reproduit pas ce qu'elle transmet, elle ne reproduit pas un "même", elle ne reproduit rien, se contente d'avancer en silence, de suivre les lignes de moindre résistance, toujours obliquant, prête à change de direction, variant sa toile, perpétuellement hérédité de l'Autre."


Et à quoi sert tout ça ? "Or l'intérêt d'une telle distinction est qu'elle se substitue tout à fait à la dualité de l'héréditaire et de l'acquis, ou même rend cette dualité impossible."






Bon, et maintenant, le rapport avec La Fille coupée en deux.


Tu décris les deux milieux entre lesquels Gabrielle se tient. On pourrait dire aussi que ces deux milieux ne font qu'un. Avant même l'apparition de la jeune fille, Charles et Paul sont rivaux et se détestent. Ils prétendent tous deux représenter l'élite authentique de la société lyonnaise. D'un côté, le fils d'industriel milliardaire a le véritable pouvoir financier ; de l'autre, l'écrivain-journaliste a le pouvoir culturel. Mais ils se retrouvent dans les mêmes restaurants huppés. Leur opposition se fait sur le fond d'un accord sur l'ordre des choses - ils sont l'élite et entendent bien le rester - évidemment, pas la moindre velléité de changer l'ordre social ne traverse leur esprit.

Leur confrontation relève de l'épopée, au sens où c'est comme si l'ordre de la noblesse et l'ordre clérical s'affrontaient, noblesse spirituelle du clerc contre noblesse guerrière du chevalier. En ce premier sens, on rejoint le Zola épique décrit par Deleuze.

C'est l'épopée d'une société tarée, dégénérescente : le lettré, le supposé guide spirituel, est un porc jouisseur et débauché, tels les pires curés de Sade. Le baron d'industrie, le capitaine, le meneur d'hommes libéral, est une mauviette oisive, moins débauché que l'autre mais tout aussi décadent, un fils à papa-maman incapable de faire face à la réalité, vivant sur son tas d'or dans le plus grand désespoir et la plus grande confusion.

Au milieu, la prolétaire et son corps sain, qui va jouer le rôle de trophée, de fétiche dans l'affrontement des deux hommes.

La description que Deleuze fait de La Bête humaine fait vraiment penser à la même histoire. Ce qui va servir d'instrument de liaison, de moyen de transmission, ce n'est plus le train, la locomotive, mais la télévision. C'est par la télévision que la belle Gabrielle entre sur la scène, comme présentatrice météo. C'est le surgissement d'un pouvoir social, un pouvoir médiatique, une visibilité, que les deux hommes vont aussitôt convoiter. Un pouvoir qui les menace, sans doute. La potiche de la télé les menace.

Ils veulent tous les deux, en quelque sorte, lui apprendre le goût du secret. L'écrivain par des actes de débauche si atroces, si déshonorants qu'ils en seront irracontables. L'héritier, en faisant entrer Gabrielle dans la "famille", c'est-à-dire dans une bulle si hermétiquement fermée qu'elle produit déjà des spécimens de "consanguinité", de débilité incestuelle tels que lui-même.

On dirait qu'ils veulent absolument s'assurer de son silence. Silencieuse, la fêlure, dit Deleuze, par opposition aux instincts bruyants... Et elle, finalement, produit sur ce milieu le même effet que Nana. "La fêlure-araignée : tout culmine, dans la famille Rougon-Macquart, avec Nana, saine et bonne fille dans le fond, dans son corps vigoureux, mais qui se fait objet pour fasciner les autres et communiquer sa fêlure ou révéler celle des autres - immonde germen."

Ce que ces deux représentants de l'"élite" veulent par-dessus tout c'est que le silence soit gardé, que le secret soit maintenu : c'est la condition de leur conservation : là-dessus ils tombent parfaitement d'accord. Et il faut le surgissement de la présentatrice météo pour tout faire craquer.

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Message par Invité Mar 27 Avr 2010 - 21:17

Tu décris les deux milieux entre lesquels Gabrielle se tient. On pourrait dire aussi que ces deux milieux ne font qu'un.

oui, oui, très clairement, d'une certaine manière.

pour le reste, merci bien, je comprend mieux cette histoire de "fêlure", et la différence avec l'"instinct", j'ai pas tout lu le bouquin de Deleuze, j'en lis comme ça de temps en temps des chapitres épars. En revanche je sais pas pourquoi mais j'arrive pas trop à me faire à cette idée là pour le film de Chabrol, même si je dois reconnaître que ta démonstration est solide. Sans doute cette histoire de non personnage qui ne serait qu'objet et que j'ai refusé d'accepter comme tel en revoyant le film. En somme, suivant la démonstration que j'ai pas tenu à suivre, il faut que la femme assume un certain degré de réification afin de dépasser celle-ci qui l'attend dans les milieux qui l'entoure (ce qui reste à prouver). Ce qui rejoindrait éventuellement la déclaration brechtienne cette fois de CC à propos de la fin : "Le salut dans un univers truqué ne peut venir que d'un trucage supplémentaire."

Le salut dans un monde réifié ne pourrait venir que d'une réification supplémentaire ?

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Message par Invité Mar 27 Avr 2010 - 21:50

... et de finir sur les images de la fête des lumières.


Dernière édition par JM le Mer 28 Avr 2010 - 5:29, édité 1 fois

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Message par balthazar claes Mar 27 Avr 2010 - 22:29

JM a écrit:En somme, suivant la démonstration que j'ai pas tenu à suivre, il faut que la femme assume un certain degré de réification afin de dépasser celle-ci qui l'attend dans les milieux qui l'entoure (ce qui reste à prouver). Ce qui rejoindrait éventuellement la déclaration brechtienne cette fois de CC à propos de la fin : "Le salut dans un univers truqué ne peut venir que d'un trucage supplémentaire."

Le salut dans un monde réifié ne pourrait venir que d'une réification supplémentaire ?

Je ne sais pas si on peut parler de son salut. Je ne sais pas trop ce qu'on peut lui souhaiter. Oui, elle s'est vue réifiée, et c'était bien le contraire de son salut. Disons qu'elle a survécu à ses souffrances et à l'affrontement épique qu'elle a déchaîné passivement, aux grandes manoeuvres dans lesquelles elle s'est trouvée prise. Elle ne dit plus rien, mais elle en a appris beaucoup. Elle s'est sans doute résignée, à l'absence de l'amour, à l'absence de vérité. Maintenant elle travaille avec son oncle ; l'illusion du prestidigitateur est moins dangereuse que celle de la télé. Elle a gagné son anonymat, elle n'est plus "Gabrielle Desanges" la fille de la météo, mais simplement la fille coupée en deux.

Elle était le fétiche, l'icône ; position aliénante, réifiante, et aveuglante. C'est en aveugle, en marionnette qu'elle a traversé le film. Deleuze parle de la locomotive de la Bête humaine comme de l'Objet phantasmé, le symbole épique. "Dans tous les romans des R-M., il y a un énorme objet phantasmé qui est aussi bien le lieu, le témoin et l'agent." Là je suppose que l'objet est la télévision, mais ça pourrait bien être la fille elle-même, devenue pur objet publicitaire dans une réification mortelle.

La machine finale qui coupe la fille en deux, c'est un peu l'instrument de torture de La Colonie pénitentiaire. Elle y rejoue tous les soirs, moyen d'exorciser ?, ce qu'elle a subi ; un peu comme dans 36 Vues, Birkin doit rejouer la scène de l'accident - la bonne répétition, celle qui sauve.

L'"optimisme" de Zola, selon GD, c'est : "Pour répondre à ceux qui l'accusent d'exagération, l'écrivain n'a pas de logos, mais seulement un epos, qui dit qu'on n'ira jamais trop loin dans la description de la décomposition, puisqu'il faut aller jusqu'où va la fêlure. En allant au plus loin, l'Instinct de mort se retournera-t-il contre lui-même ? Peut-être la fêlure a-t-elle de quoi se surpasser dans la direction qu'elle crée, elle qui n'est comblée qu'en apparence par les gros appétits ? Et puisqu'elle absorbe tous les instincts, peut-être aussi peut-elle opérer la transmutation des instincts, en retournant la mort contre elle-même. Faire des instincts qui seraient évolutifs, au lieu d'être alcooliques, érotiques ou financiers, conservateurs ou destructeurs ?"

Et encore :
"On a souvent remarqué l'optimisme final de Zola, et les romans roses parmi les noirs. Mais on les interprète très mal en invoquant une alternance ; en fait, la littérature optimiste de Zola n'est pas autre chose que sa littérature putride. C'est dans un même mouvement, qui est celui de l'épique, que les plus bas instincts se réfléchissent dans le terrible Instinct de mort, mais aussi que l'Instinct de mort se réfléchit dans un espace ouvert, et peut-être contre lui-même. L'optimisme socialiste de Zola veut dire que, par la fêlure, c'est déjà le prolétariat qui passe." "Comme si la fêlure ne traversait et n'aliénait la pensée que pour être aussi la possibilité de la pensée, ce à partir de quoi la pensée se développe et se recouvre. Elle est l'obstacle à la pensée, mais aussi la demeure et la puissance de la pensée, le lieu et l'agent."


Tout ça est très ésotérique, comme tout le bouquin. "C'est déjà le prolétariat qui passe par la fêlure." Ce qu'on peut dire c'est qu'elle a survécu, qu'elle n'a pas sombré, au milieu de ce qui nous est montré comme triste agonie des élites corrompues.

Tu dis qu'il y a du mépris chez Chabrol pour "tout geste contemporain d'émancipation de l'être" et l'affirmation larvée que la jeunesse actuelle n'est pas en mesure d'inventer ses lignes de fuite. Ma foi, ce n'est peut-être pas à vieux Chabrol d'apporter des vues inédites là-dessus. Tourne-t-il vraiment à vide dans une espèce de cynisme pantouflard et sarcastique ? Ou bien peaufine-t-il son métier d'artisan de la mise-en-scène, creusant toujours le même sillon, celui du tableau d'une bourgeoisie française en phase de putréfaction finale ? Finalement, ce qu'on voit dans le film, c'est que les dominants ne parviennent qu'un instant à retenir la dominée, et qu'elle ne sombre pas avec eux.

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Message par Invité Mer 28 Avr 2010 - 6:13

faudrait évoquer les femmes qui restent dans les milieux en question après le coup de théâtre final.

La femme de Charles : on en entend plus parler, d'ailleurs elle traverse le film avec le plus de "discrétion" possible.

Capucine : elle discute avec Gabrielle après, lui dit un rien compatissante que la vérité qu'elle dira au juge sera juste sa vérité.

De l'autre côté : les soeurs de Paul, inexistantes avant et après.

La mère : elle, on peut dire qu'elle continuera à régner sur sa famille comme avant. Son fils est en prison mais elle jubile qu'il ait fait le bon choix de plus vouloir revoir Gabrielle. Ou alors c'est elle qui guide ce choix, on sait pas trop.

Si on prend en compte le fait que le sort de Gabrielle n'est pas plus exaltant que : "elle survie", franchement je vois pas ce qui a été gagné à la fin. Les hommes ont été mis sur la touche, certes. Elle va témoigner au procès, c'est pas "qu'ils se démerdent" comme à la fin de "L'ivresse du pouvoir", et là encore elle se fait avoir. Et le "happy-end" n'a rien d'un final à la Bunuel ou tout rentre faussement dans l'ordre, s'engouffre d'un coup, en un seul plan pas raccord.

J'avais aussi pensé au cirque de Rivette en écrivant mon texte. Mais je crois pas que l'on puisse rapprocher les deux "saluts" finaux. Kate est en prise à bien d'autres choses, des fantômes intérieurs, qui ne portent pas le même nom que ce à quoi est confrontée Gabrielle. Elle a un lien au lieu du cirque différent. La scie joue un rôle symbolique, pas la mise en scène de la fin de "36 vues".

Chabrol : "Rarement le message d'un film n'aura été aussi clair : le titre et la séquence finale avouent volontiers le noyau créateur du désir de Chabrol de faire ce film. Il s'était d'ailleurs exprimé là-dessus alors que le film était encore en préparation, insistant sur le rôle symbolique de la séquence avec le magicien. Et le film est tendu par ce constat triste à pleurer que la réalité coupe les individus en deux, sépare leur rêve de la réalité et, leur désir d'absolu du quotidien. L'expérience d'où qu'elle vienne ne sert pas à grand chose et seule la salle de spectacle, parce qu'elle assume et se joue du goût du faux, peut redonner l'illusion d'une unité triomphante et heureuse.Dans une interwiev pour le site Fan de cinéma, Chabrol dit ainsi : "L'idée, c'est que la magie est un trucage qui s'ajoute à ceux de la télévision ou du monde de l'édition… Le salut dans un univers truqué ne peut venir que d'un trucage supplémentaire. Le titre, qui renvoie lui-même à la magie, pourrait être allégorique, alors qu'il n'en est rien."

(au passage pas grand chose à voir avec Brecht en fait, je gomme donc ce que j'ai écris au-dessus Wink )

J'ai jamais trop vu évoqué l'absence du père de Gabrielle. Cela ne devrait-il pas compter dans notre approche du personnage?

c'est pas trop exagéré de parler de personnage prolétaire à propos de Gabrielle ?

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Message par balthazar claes Mer 28 Avr 2010 - 8:02

Le parallèle avec Zola vaut ce qu'il vaut : c'est Maupassant qui est invoqué avec Bellamy, avant ça c'était Flaubert... de manière générale c'est Simenon... Disons qu'il y a chez Chabrol une inspiration qui prend sa source dans le roman balzacien au sens le plus large, mais ça ne nous avance pas beaucoup. Ou alors, ce "naturalisme épique", on pourrait l'attribuer à tout le roman du XIXème... mais c'est terriblement général.

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Message par Invité Mer 28 Avr 2010 - 10:04

J'ai trouvé ça à propos de ses "Bonnes femmes" (que j'ai pas vu) :

Héritage flaubertien chez Chabrol

27Symétriquement à ce regard sur les femmes largement hérité du romantisme, on trouve dans la Nouvelle vague une démarche plus « flaubertienne », dont le quatrième film de Claude Chabrol, Les Bonnes femmes (1960) est sans doute l'exemple le plus abouti.

28Présenté par son auteur comme un regard matérialiste sur l'aliénation féminine, le film a été assez mal accueilli à sa sortie parce qu'il rompait avec le subjectivisme romantique qui caractérisait largement les films des jeunes réalisateurs associés à la Nouvelle vague (et de Chabrol lui-même). Mais il rompait tout aussi brutalement avec le populisme en vigueur depuis les années 1930. Cette vision idéalisée des classes populaires par des artistes petit-bourgeois souvent « de gauche » n'était pas exempte d'une certaine misogynie visant en particulier les figures de femmes autonomes (cf. La Belle équipe). Mais elle s'attachait à dénoncer l'oppression particulière des jeunes femmes exposées à la concupiscence des bourgeois et des patrons (cf. Quai des brumes ou Le Crime de M. Lange). Les années 1950 n'ont pas renié cette idéologie, même si elle s'exprime souvent d'une façon convenue, qui permet de sauvegarder une bonne masculinité patriarcale (cf. Des gens sans importance).

29Le regard de Chabrol sur quatre vendeuses d'un magasin d'électroménager à Paris est totalement dépourvu des illusions rassurantes du populisme. Comme Flaubert avec Madame Bovary, il revendique un regard d'entomologiste pour décrire les diverses apparences que prend l'aliénation des jeunes femmes sans instruction dans le Paris contemporain.

30Mais Chabrol ne s'en tient pas à un regard « sociologique » : dès la première scène, dans un Paris nocturne filmé avec toute la modernité de la Nouvelle vague, on sent une véritable jubilation de l'auteur à souligner la grossièreté de deux dragueurs d'âge mûr en décapotable blanche qui « lèvent » Bernadette Lafont et Clotilde Joannon, les emmènent au restaurant puis au cabaret, en espérant finir la soirée au lit, ce qui se réalisera au moins avec la première. L'insistance sur le grotesque des personnages et le caractère dérisoire des situations marque l'ensemble du film qui suit les quatre jeunes filles dans leur travail et leurs loisirs dans un laps de temps qui n'excède pas deux jours. Après une journée de travail interminable dans l'ennui du magasin, une deuxième soirée au music-hall, puis à la piscine, permet de dessiner les étroites limites de leur monde.

31Mais le sommet de la dérision est atteint avec l'intrigue faussement romantique dont Clotilde Joanno, visage de madone triste, est l'objet. Le film introduit un suspense dès le début avec un personnage de motard flamboyant, joué par Mario David, qui la suit partout sans l'aborder jusqu'au moment où, à la piscine, il la protège contre les deux dragueurs devenus agressifs. Leur virée à la campagne, parodie explicite de romans-photos, se termine par un crime sadique : l'amoureux transi se révèle être un pervers qui étrangle sa victime consentante.

32Pour enfoncer le clou, Chabrol propose sans transition une fin ouverte : dans un dancing, une jeune fille seule, aussi angéliquement belle et triste que la précédente, attend le prince charmant, qu'elle accueille d'un sourire extatique, en la personne du premier danseur venu, dont nous ne verrons que le dos...

33Si le cinéaste réserve ses traits les plus acérés aux hommes dont ces jeunes filles sont immanquablement les victimes (chacune à leur manière : en les épousant, en acceptant de coucher avec eux, ou en se faisant étrangler par eux), l'absence totale de conscience de leur situation chez ces dernières, même fugitivement, place immanquablement le spectateur en position de supériorité. Et le fait de ne leur donner le choix qu'entre de minables don juans, une réplique de Monsieur Homais ou un psychopathe, témoigne de la dimension manipulatoire du film. Comme Flaubert, Chabrol n'adopte pas le même ton selon que ses « héros » sont des jeunes gens peu ou prou ses alter ego, aptes à susciter l'empathie du spectateur (comme dans Le Beau Serge ou Les Cousins, ses deux premiers films) ou des jeunes femmes, privées de toute individualité. Ce sont des “ bonnes femmes” qu'il construit, sous prétexte de décrire une aliénation sociale, comme des “Autres” radicalement dépourvus de conscience.

34Même si le travail n'est pas une valeur dans le cinéma de la Nouvelle vague, on peut quand même remarquer que les scènes assez longues dans le magasin d'électroménager ne nous montrent jamais les jeunes femmes accomplissant un quelconque travail, ce qui rend totalement dérisoire leur statut social, et permet de ne pas aborder la question, pourtant bien réelle, de l'exploitation de ces jeunes travailleuses du tertiaire. Le harcèlement sexuel est implicitement tourné en dérision à travers le personnage grotesque du patron (Pierre Bertin) qui convoque ses vendeuses dans son bureau pour les « réprimander » sur un mode lubrique systématiquement euphémisé par le film, sans doute parce qu'une vraie scène de harcèlement aurait impliqué de prendre les personnages au sérieux, et suscité une identification des spectateurs aux victimes.

35Film très maîtrisé dans sa structure et son ton, Les Bonnes femmes reconduit comme un constat « objectif » l'équivalence entre femme et aliénation, dans une tradition culturelle particulièrement vivace en France depuis le milieu du XIXe siècle.

http://clio.revues.org/index265.html

je trouve ça assez bien adapté à "La jeune fille coupée en deux"..

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Message par balthazar claes Mer 28 Avr 2010 - 10:38


Si le cinéaste réserve ses traits les plus acérés aux hommes dont ces jeunes filles sont immanquablement les victimes (chacune à leur manière : en les épousant, en acceptant de coucher avec eux, ou en se faisant étrangler par eux), l'absence totale de conscience de leur situation chez ces dernières, même fugitivement, place immanquablement le spectateur en position de supériorité. Et le fait de ne leur donner le choix qu'entre de minables don juans, une réplique de Monsieur Homais ou un psychopathe, témoigne de la dimension manipulatoire du film. Comme Flaubert, Chabrol n'adopte pas le même ton selon que ses « héros » sont des jeunes gens peu ou prou ses alter ego, aptes à susciter l'empathie du spectateur (comme dans Le Beau Serge ou Les Cousins, ses deux premiers films) ou des jeunes femmes, privées de toute individualité. Ce sont des “ bonnes femmes” qu'il construit, sous prétexte de décrire une aliénation sociale, comme des “Autres” radicalement dépourvus de conscience.



L'article est pas mal, mais cette critique est-elle adéquate, sans même parler de Chabrol, en ce qui concerne Flaubert ? "Madame Bovary c'est moi", quoi. Est-ce que Flaubert ne fait rien d'autre que "reconduire comme un constat « objectif » l'équivalence entre femme et aliénation" ; ne dépasse-t-il pas cette critique "objective", sociologique, quasi-marxiste de l'aliénation ? Il fait sans doute tout autre chose, et va au-delà d'une dénonciation extérieure. L'aliénation de Emma Bovary est la sienne, et la bêtise des bourgeois sa croix.


Deleuze dit encore quelque chose là-dessus quand il explique à propos de Zola que dans le monde que celui-ci décrit il est important de voir qu'il n'y a pas de sentiments. "Il ne s'agit pas d'amour, il ne s'agit pas de remords, etc., mais de torsions, de craquements, ou au contraire d'accalmies, d'apaisements, dans des rapports toujours plus tendus par-dessus la fêlure. (...) Cette dénégation du sentiment au profit de l'idée fixe a évidemment plusieurs raisons chez Zola. On invoquera d'abord la mode du temps, l'importance du schéma physiologique. La "physiologie" depuis Balzac jouait le rôle littéraire aujourd'hui dévolu à la psychanalyse (physiologie d'un pays, d'une profession, etc.). Plus encore, il est vrai que depuis Flaubert le sentiment est inséparable d'un échec, d'une faillite ou d'une mystification ; et ce que le roman raconte, c'est l'impuissance d'un personnage à constituer une vie intérieure. En ce sens le naturalisme a introduit dans le roman trois types de personnages, l'homme de la faillite intérieure ou le raté, l'homme des vies artificielles ou le pervers, l'homme des sensations rudimentaires et des idées fixes ou la bête."

Je retiens, comme un bon moyen de décrire La Fille coupée en deux, cette idée de l'absence de sentiments. L'écrivain renvoie au type du pervers ; l'héritier, c'est à la fois le raté, ou la bête ? En tout cas ils n'aiment pas Gabrielle, mais seulement la désirent.

C'est intéressant aussi d'imaginer cette méthode "physiologique" chez Chabrol, inspirée des romanciers du XiXème, comme faisant concurrence à la psychanalyse, comme produisant par la mise en scène une sorte de savoir objectif irréductible à la psychanalyse, échappant à ses catégories.

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Message par Leurtillois Mer 28 Avr 2010 - 15:09

L'article est pas mal, mais cette critique est-elle adéquate, sans même parler de Chabrol, en ce qui concerne Flaubert ? "Madame Bovary c'est moi", quoi. Est-ce que Flaubert ne fait rien d'autre que "reconduire comme un constat « objectif » l'équivalence entre femme et aliénation" ; ne dépasse-t-il pas cette critique "objective", sociologique, quasi-marxiste de l'aliénation ? Il fait sans doute tout autre chose, et va au-delà d'une dénonciation extérieure. L'aliénation de Emma Bovary est la sienne, et la bêtise des bourgeois sa croix.

S'il y a autre chose qu'une dénonciation extérieure chez Flaubert, je ne pense pas que cette chose soit "lui". "Mme Bovary c'est moi" ça ne veut rien dire, c'est pas vrai, il ne l'a écrit nulle part.
Quand Flaubert parle de lui dans ses premiers romans (Les Mémoires d'un fou), c'est relativement mauvais, comparé à ses "grands romans".
Chercher des correspondances entre le personnage et la personne on sait que c'est secondaire. Je ne pense pas non plus que l'aliénation de Bovary soit la sienne : ç'aurait pu être la sienne, s'il n'avait pas fait mieux que ses premiers romans, par exemple.

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Message par balthazar claes Jeu 29 Avr 2010 - 13:25

Nous sommes d'accord. Qu'il ait dit ou pas "Madame Bovary c'est moi", on peut quand même y trouver du sens, cela dit.

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Message par Borges Jeu 29 Avr 2010 - 13:32

Il peut être intéressant d'ajouter à cette discussion le texte de Rancière "gustave flaubert assassin de madame bovary" (politique de la littérature), pour penser le rapport auteur-personnage, et aussi réfléchir un peu tous ces thèmes de "l'aliénation"... c'est pas si simple affirmer qu'il n'a jamais dit qu'il était elle; on a dit qu'il a dit, et bien des passages de sa correspondance disent quelque chose de ce lien :


à propos de son roman :

" Croyez-vous donc que cette ignoble réalité, dont la reproduction vous dégoûte, ne me fasse tout autant qu'à vous sauter le coeur ? Si vous me connaissiez davantage, vous sauriez que j'ai la vie ordinaire en exécration. Je m'en suis toujours, personnellement, écarté autant que j'ai pu. - Mais esthétiquement j'ai voulu, cette fois, et rien que cette fois, la pratiquer à fond. Aussi ai-je pris la chose d'une manière héroïque, j'entends minutieuse, en acceptant tout, en disant tout, en peignant tout (expression ambitieuse). "

A Léon Laurent-Pichat, 2 octobre 1856



" On me croit épris du réel, tandis que je l'exècre. C'est en haine du réalisme que j'ai entrepris ce roman. Mais je n'en déteste pas moins la fausse idéalité, dont nous sommes bernés par le temps qui court. "



A Edma Roger des Genettes, 30 octobre 1856



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Message par balthazar claes Dim 2 Mai 2010 - 12:36

Paré pour un revirement critique : revu le film hier, juste après le finale de la saison 2 de the wire. Et en comparaison, ça avait l'air si chétif, si empesé, si artificiel, si maladroit, si vieillot, dépassé, en plus d'être égrillard et creux. Dialogues de café-théâtre, acteurs à contre-emploi, les notations psychologiques supposément suggérées sont téléphonées, les personnages passent leur temps à expliquer le scénario, le grotesque le dispute à l'invraisemblable...

Genre : la scène où l'héritier est au restaurant avec sa mère et ses soeurs. On veut nous faire comprendre que cette famille est profondément pathogène. L'une des soeurs fixe lourdement le serveur avec un sourire lubrique et se fait reprendre par la mère ; ceci pour nous indiquer dans la finesse ses tendances nymphomaniaques visiblement incontrôlables : à table, devant toute la famille. Un personnage qu'on ne reverra plus, expédié d'un trait supposément léger, enlevé : on ne lui aura laissé aucune chance d'exister. Ça pourrait être acceptable si le registre de l'oeuvre était celui d'un burlesque hystérique. Autrement dit, on a là une notation psychologique qui ne déparerait pas dans un épisode de Seinfeld, alors même que le film, par sa forme et son label "d'auteur", entend se poser à un niveau plus élevé que The Wire.


Le fils, que la mère veut marier, se met au débotté à déballer les histoires secrètes familiales, à faire le procès de la mère, laquelle, perdue dans sa névrose, incapable d'aimer ses enfants, les a laissés entre les mains de précepteurs évidemment pervers. La mère ne peut pas entendre, dit "Oui, Paul" en souriant, et demande à l'espèce de garde du corps du fils de l'entraîner dehors pour "aller chercher des cigares". Paul, blessé, se soumet à cette fin de non-recevoir, et sort ; sa parole est irrecevable, il est traité en bouffon, la mère est folle et lui est acculé à l'être plus encore, etc.

On est donc sensé sentir à quel point cette famille est cinglée, par cette scène d'exposition, laquelle consiste en une enfilade de clichés, mal amenés, traités par-dessus la jambe. Si c'était simplement de l'exposition, il faudrait que les choses soient suggérées, mais ici les personnages en dissertent librement, un peu comme dans le Conte de Noël de Desplechin où les personnages sont tellement plus malins que leur situation. A ce niveau de conscience de leur aliénation, on se demande pourquoi ils ne font pas un tout petit effort supplémentaire pour essayer d'en sortir. La situation est évidente pour tout le monde, rien n'est caché, tout est dit en plus d'être montré. Les personnages expliquent le mode d'emploi du scénario en faisant des clins d'oeil. Ça se veut, dans le même temps, une charge caustique, au vitriol, d'une situation objectivement monstrueuse - il faudrait, je ne sais pas, avoir au moins un tout petit peu pitié de cette bande de tarés. Ils n'ont pas besoin d'une charge, leur cas est visiblement accablant.

Enfin bref, c'est d'une irrécupérable théâtralité, on ne voit que la facticité et l'absence d'enjeu.


Si on arrive à tenir tout le long, on rentre tout de même dans la machinerie fictionnelle, l'ensemble est cohérent, constant dans ses faiblesses. On se dit à peu près, ah, encore une soirée de passée sur france télévision.

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Message par Invité Dim 2 Mai 2010 - 13:03

Tu as raison de faire un lien avec Desplechin puisque c'est les deux auteurs français qui revendique, il me semble, le plus explicitement, la filiation de leur cinéma actuel avec le flux d'images télévisuelles.

A la charnière entre Image Mouvement et Image Temps, Deleuze évoque les "clichés", il dit que les meilleurs trucs des mecs de la Nouvelle Vague (Godard, Rivette) à la suite de Rossellini partent de là, d'une réflexion sur l'image, pour parvenir à sortir des clichés, échapper au regard goguenard, au "cinéma de la parodie et du mépris".

"..Mais, si tout est clichés, et complot pour les échanger et propager, il semble qu'il n'y ait d'autre issue qu'un cinéma de la parodie et du mépris, comme on l'a reproché parfois à Chabrol et à Altman. Que voulaient dire au contraire les néo-réalistes quand ils parlaient du respect et de l'amour nécessaires à la naissance de la nouvelle image ? Loin de s'en tenir à une conscience critique négative ou parodique, le cinéma c'est engagé dans sa plus haute réflexion, et n'a pas cessé de l'approfondir et la développer..." (IM, p.289 )

là, par exemple : http://www.univ-paris8.fr/deleuze/article.php3?id_article=130

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Message par Borges Dim 2 Mai 2010 - 13:51

je sais pas si c'est si simple : le cinéma de Rohmer fonctionne sur, avec des clichés, des gens qui vivent en eux, s'illusionnent en les vivant, et chez Godard... combien de personnage ne nous semblent pas des clichés, pour Rivette, je vois pas trop... où se fait la différence entre une image et un cliché? le cinéma ne vise pas à nous faire voir, mais à nous faire voir comment nous voyons (godard), et il est bien évident que nous ne nous voyons presque jamais en dehors des clichés; la fille de "vivre sa vie", est-ce qu'elle vit sa vie? n'est-elle pas dans le cliché, et pierrot, et sa copine... enfin, c'est mon sentiment...et puis finalement, comme dit deleuze une image gagnée contre les clichés finit toujours par devenir à son tour cliché...
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Message par Invité Mer 5 Mai 2010 - 6:28

JM a écrit:Tu as raison de faire un lien avec Desplechin puisque c'est les deux auteurs français qui revendique, il me semble, le plus explicitement, la filiation de leur cinéma actuel avec le flux d'images télévisuelles.

J'oublie Resnais aussi quand même, du côté us.

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Message par Invité Lun 10 Mai 2010 - 21:09

Hello,

J'ai trouvé cet article sur la fille qui a réalisé l'affiche du film de Chabrol.

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Message par Invité Mar 11 Mai 2010 - 13:25

Borges a écrit:
je sais pas si c'est si simple : le cinéma de Rohmer fonctionne sur, avec des clichés, des gens qui vivent en eux, s'illusionnent en les vivant, et chez Godard... combien de personnage ne nous semblent pas des clichés, pour Rivette, je vois pas trop... où se fait la différence entre une image et un cliché? le cinéma ne vise pas à nous faire voir, mais à nous faire voir comment nous voyons (godard), et il est bien évident que nous ne nous voyons presque jamais en dehors des clichés; la fille de "vivre sa vie", est-ce qu'elle vit sa vie? n'est-elle pas dans le cliché, et pierrot, et sa copine... enfin, c'est mon sentiment...et puis finalement, comme dit deleuze une image gagnée contre les clichés finit toujours par devenir à son tour cliché...

Godard à propos des clichés : "Le cinéma, c'est éclairer la caverne de Platon avec la lumière de Cézanne." (citation approximative)

Sinon, Balthazar, pour éclairer ma lanterne : instinct/fêlure dans Logique du sens, est-ce que ça rejoint agencement/ligne de fuite dans L'Anti-Oedipe ?

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Message par balthazar claes Mar 11 Mai 2010 - 16:51

Stéphane Pichelin a écrit:
Sinon, Balthazar, pour éclairer ma lanterne : instinct/fêlure dans Logique du sens, est-ce que ça rejoint agencement/ligne de fuite dans L'Anti-Oedipe ?

Salut,

je ne saurais préciser ça. Je crois qu'il y a un grand écart entre LS et AO. Dans Pourparlers on différencie trois sortes de lignes, ligne molaire à segmentarité dure, celle de l'histoire et des déterminations sociales ; ligne moléculaire à seuil ou à quantas, celle des devenirs ; et la troisième, la plus étrange, la ligne de fuite. Les instincts renverraient plutôt à la première et la fêlure à la troisième ?

balthazar claes

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