Le Triomphe du simulacre

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Message par Van Stratten Mer 20 Mai 2009 - 13:12

En cours... Et toujours en cours, mais l'ouverture du propos est consultable ci-dessous. L'intuition est la bonne, je pense, mais les idées sont ingrates. Ce sera donc un "work in progress" : bien entendu, à votre bon coeur, m'sieur dame : ces propos n'attendent que votre contribution. Et cette fois-ci, je me suis préparé à être contesté... sauf par Careful, là, c'est imprévisible.
Au fait, je n'ai pas eu le temps de reporter les références, notes et renvois de mon propos. Ce sera fait tout prochainement. De toute façon, ce n'est qu'un préambule.


Dernière édition par Van Stratten le Jeu 25 Juin 2009 - 12:42, édité 3 fois

Van Stratten

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Message par adeline Mer 20 Mai 2009 - 13:34

Salut Van Stratten, ça faisait un bail !

Que veux-tu dire par là ? Si tu développais, on pourrait en discuter peut-être...

Wink

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Message par Largo Mer 20 Mai 2009 - 14:16

Lol, j'avais commencé à lire ce long texte, il faudra patienter pour la suite, donc !
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http://www.raphaelclairefond.com/

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Message par Invité Mer 20 Mai 2009 - 17:41

Question

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Message par Van Stratten Jeu 25 Juin 2009 - 12:10

Le triomphe du simulacre
Au sujet de la toute-puissance des images


Le cinéma n’est plus tout neuf. Les images étendent leur empire. Voilà deux assertions tellement incontestables, que nous les recevons volontiers comme les actes d’un dessein tragique : le devenir du cinéma réveille chez l’amoureux des images les affects les plus primitifs, et incidemment, les réactions les plus irréfléchies. Les cinéphiles européens ont quelque temps cédé à la tentation élégiaque – celle de la “mort du cinéma”, croyance révolue avec l’an 2000, depuis devenue taboue. Désormais nombreux sont ceux qui, à toute force, nient l’évidence, et professent l’éternelle jeunesse du cinéma – nouvelle mystique des images, inaugurée avec le millénaire. Les deux postures ne sont-elles pas suicidaires ? Comment en arrive-t-on à se réjouir de l’éclatement des identités du cinéma (éclatement des substances comme des formes), alors même que cette démultiplication des représentations plonge d’abord son spectateur dans un sentiment de perte ? Il ne serait peut-être pas raisonnable, aujourd’hui, de suivre pas à pas Serge Daney, lorsqu’il oppose le cinéma, qui oblige le spectateur à se repérer dans un monde encore inconnu, à la vidéo, qui l’entraîne à se perdre dans un monde trop connu (1) : la remise en jeu de l’unité identitaire – identité du cinéma, mais aussi identité du spectateur – conduit inévitablement à déplacer la frontière, ou plutôt les frontières, entre les images. Cependant la question de l’identité du cinéma est plus que jamais d’actualité, et le devenir des images, aussi incertain qu’il soit, dépend absolument d’une redéfinition du cinéma par lui-même.

Faire un film aujourd’hui, c’est d’abord faire référence à d’autres images. Voir un film aujourd’hui, c’est d’abord se remémorer toutes les images qui l’ont précédé.(2) L’image n’a pourtant pas changé de nature : elle est toujours définie par sa ressemblance, par le rapport d’analogie qui la lie à son modèle (le mode de reproduction numérique n’a, que l’on sache, rien modifié au type foncièrement analogique de la représentation cinématographique). Une image, c’est « ce qui ressemble ». Or, loin de s’être atténuée, la ressemblance des images est plus imposante que jamais, parce qu’elle est démultipliée : elle n’est plus tant un rapport au réel, qu’un degré plus ou moins conséquent de fidélité aux autres images. Le spectateur ne juge plus recevable telle image parce qu’elle est fidèle à la réalité, mais parce qu’il en a déjà vu une autre analogue. Tout cinéaste se voit donc forcé de produire des images plus ou moins ressemblantes. Il n’y a pas d’image innocente : toute image nouvelle ressemble toujours déjà à une autre. Un film peut jouer du degré de ressemblance, chercher à s’en démarquer ou à la contester, mais il le fera toujours par rapport à une autre image : le cinéma n’échappe pas à la référence.

Cette conscience qu’une image ne naît pas d’elle-même, pas plus que du réel filmé, mais succède toujours à une autre, la conscience qu’une autre image était toujours déjà là avant, n’est pas neuve : c’est celle du nouveau cinéma de l’après-guerre. Ce que l’on a appelé “le cinéma moderne” fut un renouvellement de la façon de concevoir le cinéma (en théorie comme en pratique), renouvellement à la fois éthique, et historique. Pour le néoréalisme, filmer c’est d’abord avoir conscience que l’on est en train de filmer. Pour la nouvelle vague, c’est la conscience de filmer différemment des films qui ont précédé. Pour les cinémas maniéristes qui leur succèdent, filmer c’est avoir conscience que l’on fait semblant de filmer comme les cinéastes de la génération précédente. Bien sûr, dans tous les cas, l’enjeu est de partager cette conscience avec le spectateur. C’est moins l’image qui compte, que la conscience de l’image.

Baignée d’une aurore de mauve et d’orange, la baie de Miami s’offre à nous, radieuse : à la fois puissante cité, dont la fierté est érigée de tours ultra modernes aux structures métalliques, et havre de paix bordé de cocotiers qui ont l’air de s’incliner en signe de respect. Le rêve nous tend les bras. La caméra s’éloigne, tranquillement, dessinant progressivement un cadre dans le cadre, et laisse deviner, surmontant ce panorama, le nom d’un lieu branché, le « Little Havana Restaurante » (en anglo-cubain dans le texte), puis, en un panneau vertical bordant le cadre à droite, le mot « Parking ». Progressivement, par un subtil mouvement chaloupé de la caméra, le travelling-arrière devient descendant, puis légèrement circulaire, et nous découvrons, au devant d’une bouche de cheminée en zinc, dont s’échappe une épaisse fumée, une mosaïque de panneaux disparates et plus ou moins noirs de suie, qui tous vantent les sandwiches cubains d’un quelconque boui-boui. Obéissant à cette réclame indiscrète, la caméra n’hésite pas, en un lent travelling avant, à nous rapprocher de l’établissement, que nous découvrons bientôt dans toute sa profondeur, et les détails sont si vrais que l’odeur d’huile de friture nous chatouille presque les narines. Au fond du champ, les manches retroussées et les mains dans l’eau de vaisselle, Al Pacino nous tourne le dos, mais nous l’avons reconnu. Il jure (en anglo-cubain dans le texte), et avant même qu’il ne se retourne vers son copain Many (Steven Bauer), nous avons deviné sa moue dédaigneuse au mouvement chaloupé de tout son corps, dont il accompagne les gestes impulsifs de sa plonge du dimanche. Ellipse. Many et Tony se reposent, accoudés au comptoir, et commentent les courbes des jeunes femmes qui descendent de décapotables criardes, juste en face, de l’autre côté de la rue, pour se rendre au « Little Havana Restaurante ». Un nouveau mouvement d’appareil (pano gauche-droite et travelling arrière) vient en effet de nous signifier, en balayant tranquillement le décor, que le fast-food fait face au club de luxe annoncé au début de la séquence, de part et d’autre l’une large avenue.

Ce décor, c’est celui de Scarface, de Brian DePalma. Rien ne le distingue du village de Brigadoon, de Vincente Minelli, ou de la rue de Rio Bravo, de Howard Hawks. Rien, sinon la conscience qu’il s’agit d’un décor. Le trompe-l’œil grossier du premier plan nous empêche absolument de l’oublier : nous sommes dans un film. Ce que nous voyons est une représentation du monde, mais non pas le monde lui-même. Ainsi, lorsque, dans une même course, Tony Montana enlève son tablier, le jette à la figure bilieuse du patron, et marche fièrement vers la caméra, le mouvement d’appareil qui l’accompagne alors ne lui fait pas seulement traverser la rue pour rejoindre le Havana Club, mais l’entraîne inévitablement vers son rêve, c’est-à-dire vers une illusion, vers une représentation qui ressemble au réel, mais qui n’en est pas moins tout à fait irréelle. Tony marche droit vers l’affiche de ses rêves : tombant d’emblée dans le panneau, il ne s’en relèvera pas.

Ce mouvement de Tony, accompagné in fine par la caméra, qui plus est en un singulier travelling-arrière, cette traversée du boulevard qui le fait entrer dans son rêve, le portant vers la gloire, mais aussi vers sa chute, cette geste si singulière de cinéma, définit au plus près ce qui fait le ferment de cet art maniériste : la mise en scène. C’est par la mise en scène que le décor est dénoncé comme un simulacre : par l’agencement des signes dans un espace où cheminent personnages et caméra, la mise en scène de cinéma porte la conscience même du cinéaste : conscience du monde, conscience de l’image. Le spectateur, s’il le souhaite, peut épouser cette conscience, faire corps avec la caméra, et assister, dans une sorte d’extra-lucidité, au désenchantement du monde. En effet, tandis que la mise en scène hollywoodienne classique, de Ford jusqu’à Peckinpah, consistait en une idéalisation du monde, tendant à établir une géographie de symboles parmi lesquels l’identification du spectateur au personnage ne pouvait pas poser problème, soit qu’elle fût validée, soit au contraire qu’elle fût franchement condamnée, le metteur en scène maniériste entretient une relation angoissée et proprement schizophrénique à l’espace, obsédé qu’il est par sa (mauvaise) conscience d’être en train d’élaborer un double mensonge : le mensonge de la représentation théâtrale de la réalité, redoublé en direct par la couche de ripolin du filmage, qui maquille tout, rendant accessible au spectateur d’entrer dans le décor, et d’avoir ainsi une illusion absolue de réalité. La mise en scène de cinéma, c’est du théâtre ripoliné. Or dans le maniérisme des années soixante dix, cette mise en scène, en tant qu’elle se rend visible, avec une ostentation notoire (voir le langoureux, et interminable mouvement d’appareil qui ouvre la séquence), commence par pointer du doigt toute apparence de réalité, en la dénonçant comme représentation théâtrale, et comme fruit, précisément, d’une mise en scène. Dans le même temps, l’organisation même de l’espace n’a de cesse, par l’élaboration d’un réseau de symboles, de renvoyer dos à dos la réalité d’une part, et son image d’autre part (d’une rive à l’autre de la rue, ou bien, dans la séquence suivante, de la lucarne de la salle de bains jusqu’à la plage bordée de cocotiers). Ainsi, dès ces premières séquences du film, Tony Montana est désigné par la mise en scène pour ce qu’il est : faux empereur romain, et véritable imbécile heureux.


(1) Serge Daney, L’Exercice a été profitable, monsieur, éd. POL, 1993, p. 175 : « Le cinéma : je me repère dans un monde qui n’est pas (que) le mien. La vidéo : je me perds dans un monde qui n’est que le mien. Se perdre, se noyer, le bain amniotique de la vidéo. »

(2) « À tout plan d’un homme marchant dans la rue, je ne rattache pas tant mon expérience ─ pourtant riche ─ de la marche, mais une série de souvenirs allant de L’Aurore de Murnau à La Punition de Jean Rouch. » Serge Daney, Sur « Salador » (Cinéma et Publicité), article de 1970 paru dans les Cahiers du Cinéma, repris dans La Rampe, éd. Cahiers du Cinéma-Gallimard, 1983, titre réédité dans la collection « Petite bibliothèque » des Cahiers du Cinéma, 1996. Dans cette dernière publication, la plus récente, la phrase citée se trouve p. 23.


Dernière édition par Van Stratten le Jeu 25 Juin 2009 - 16:37, édité 3 fois

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Message par Van Stratten Jeu 25 Juin 2009 - 12:11

Le cinéma maniériste des années soixante-dix et quatre-vingts, de Coppola à Fassbinder, de Scorsese à Jarmush, ne cesse de dénoncer la duperie à laquelle ses personnages se laissent prendre. Le spectateur s’y retrouve toujours en porte-à-faux : va-t-il croire au monde qui s’offre à lui, ou choisir de garder la conscience que tout cela n’est que pure représentation ? C’est dans cette alternative que nous plongent ces films, avant, en général, de nous détromper une fois pour toutes, par un dénouement sans appel. On connaît le dénouement de Scarface. On sait que Tony Montana n’est qu’un gamin qui prend ses rêves pour la réalité. On sait que la réalité aura tôt fait de le rattraper. On sait très bien que Tony Montana est condamné d’avance. Et pourtant on l’admire. Et pourtant, dans la réalité, il est devenu un modèle social incontournable (c’est un fait notoire de sociologie que Scarface est aujourd’hui le film le plus adulé par la jeunesse des banlieues, de Los Angeles à Paris). Presque trente ans après la sortie du film, Tony Montana n’en finit pas de s’imposer à la réalité, de la même façon, implacable, que la réalité s’était imposée à son rêve.

Pour quelle raison ? C’est que nous n’avons pas considéré le mode pictural particulier qui ouvre notre séquence en trompe-l’œil : nous n’avons pas prêté attention à la nature de l’image proposée, pas plus qu’à la nature des panneaux successifs qui nous guident progressivement vers nos deux personnages. Nous avons négligé la publicité. La vérité publicitaire est plus forte que la vérité tout court, parce qu’elle est séduisante.
Séduisant, Al Pacino l’est au plus haut degré, au point de nous faire oublier qu’il n’est pas plus cubain que Vaclav Havel. Son accent de carton-pâte amuse De Palma, ainsi que le spectateur, qui s’est toujours bidonné autant qu’il a frissonné devant les mises en scène extraverties du maître en maniérisme. Seulement voilà, ce simulacre d’empereur romain mâtiné de nasillements latino a du charisme. La caméra, dont le mouvement ondoyant imite à la perfection le chaloupé des hanches de l’acteur, la caméra a du charisme. Le simulacre outrancier, dénonciation du spectacle et du faux-semblant, devient alors un rêve infiniment plus séduisant que toutes les réalités. C’est un piège grossier, mais c’est un piège auquel nous avons pris l’habitude de nous laisser prendre.

Qu’importe dès lors que dans la séquence suivante (3), la plus subversive de sa filmographie, DePalma s’ingénie à nous montrer l’envers du décor, à faire pénétrer son spectateur dans la coulisse du rêve, où l’on découvre que la carte postale de Floride ne s’achète qu’au prix du sang, et que l’Amérique en bikini est plus puritaine que celle des Quakers ? Qu’importe, puisque le crime se passera hors-champ ? Entendez : nous ne voulons pas le savoir, si ce n’est pas visible. Ou plutôt : nous n’acceptons de l’apprendre que si cela nous est montré. Nous voulons voir pour croire. Nous attendons la preuve par l’image. Donc, nous refuserons d’entendre ce que nous dit la mise en scène. Nous ne voudrons pas accéder à l’invisible, en imaginant les implications du hors-champ. Ainsi, lorsque le cinéaste, en élève appliqué de Rome, ville ouverte, choisit de ne pas montrer la torture, plutôt que de suivre la caméra, et de nous laisser guider par un long « travelling » pour en saisir la « morale », plutôt que d’apprendre ce que recouvre le simulacre, c’est-à-dire une vérité morale, un savoir, nous préférons juger toute la séquence invraisemblable, irréaliste, et DePalma un cinéaste grand-guignol, qui en fait trop, qui ne sait pas montrer la réalité. C’est tout le sens de la mise en scène qui nous échappe alors, car la grandiloquence affichée, la scène de torture improbable, dopée à l’hémoglobine (le sang est en effet la seule incarnation de l’horreur dans la scène) n’était là que pour mieux démystifier l’image, la dégonfler, la défaire un instant de sa toute-puissance. La mise en scène outrancière affirme : ce que vous voyez n’est pas le réel, ce que vous voyez n’est que du visible. Mais le spectateur répond, en fanatique de l’image : ce que je vois n’est pas convaincant. À la mise en scène, nous préférons le décor. À la quête de vérité, nous préférons l’illusion de réalité. À la dénonciation du simulacre, nous préférons le simulacre.

Alors, il faut bien se rendre à l’évidence : DePalma n’est pas Rossellini. L’incompréhension n’est pas la faute du spectateur. La méprise est d’abord celle du cinéaste, qui décidément se croit au-dessus du lot, plus malin que les autres : plus roublard, plus jésuite, plus hitchcockien. Fâcheuse posture, pour un cinéaste qui entend ôter à l’image un peu de sa superbe. Posture intenable, qui fraye trop avec la limite pour vraiment la dénoncer. En dépit de toute leur intelligence, ou bien plutôt à cause d’elle, les films de DePalma participent pleinement de ce qu’ils entendent critiquer, de sorte qu’au lieu de déciller notre regard, ils l’ont aveuglé. Le vers était dans le fruit : le trompe-l’œil du premier plan était une image publicitaire. Dès lors, à force d’ironie, à force de double entente, recelant toujours un double fond, l’image se court-circuite elle-même : l’image est sans fond. Son unique fond, son unique décor, est une affiche publicitaire. Son unique horizon est l’hégémonie de l’image publicitaire. Ce que Serge Daney nommait photo-logie.

« Qu’est-ce que la photo-logie ? » « Une confiance littéralement aveugle dans le visible, l’hégémonie, acquise peu à peu par l’œil sur les autres organes des sens, le goût, le besoin qu’une société a de se spéculariser, etc. » Croire à la photologie, ou la prodiguer, c’est donc poser que « réel = visible ». La photologie, c’est croire à la preuve par l’image : « appelons « photo-logique » cette obstination à confondre vision et connaissance, à faire de celle-ci le gain de celle-là et de celle-là la garantie de celle-ci. » (4)

Le triomphe du simulacre, c’est le règne sans partage de la photologie. C’est un fanatisme de l’image qui ne connaît plus de limite. C’est l’obstination irrationnelle d’un aveugle tellement « accro » à l’image qu’il se croit encore capable de la percevoir. Alors, en un geste désespéré, il s’approche de l’écran, la paume des mains en avant, jusqu’à frôler l’image, convaincu qu’elle existe au-delà des sens, au-delà de toute perception physique : tangible, éternelle. Cet homme est fou. Cet homme est le spectateur de l’an 2009. Cet homme, c’est vous et moi. C’est aussi le personnage d’un film. Le film s’appelle Etreintes brisées. Il est de Pedro Almodovar. Bien sûr, l’écran dont s’approche l’homme est un écran vidéo.

Entretemps, que s’est-il passé ? Faut-il comprendre que les limites de Scarface ne sont pas seulement celles du cinéaste DePalma ? Mais alors, c’est qu’elles sont celles du cinéma ? Soyons plus précis : la limite atteinte est celle du cinéma comme langage. L’impuissance est celle de la mise en scène. C’est la conception du cinéma comme écriture, de « La mise en scène comme langage » (5), qui est devenue intenable. La preuve : à partir des années ’90, dans le montage tous azimuts des séries télévisées, les repères spatiaux n’existent plus, et les repères temporels sont presque toujours brouillés, tellement multipliés au fil des flash-back et, toute récente trouvaille, des flash-forward, qu’ils en deviennent pratiquement illisibles. Les grands cinéastes d’aujourd’hui sont bien rares, mais ils ont ceci en commun : leur mise en scène est polymorphe, diffractée, insaisissable. Quant à DePalma, vingt-cinq ans après Scarface, il a jeté les armes, et abandonné toute velléité de mise en scène, au point de singer le filmage trébuchant du vidéaste amateur, dans son dernier film à ce jour, Redacted.

Dernièrement, à propos d’un film qui m’avait révolté, je me suis surpris à poser la question suivante : « Les travellings ne sont-ils plus affaire de morale ? » Il me semble bien que la vérité, quoique plus complexe, n’est pas moins accablante. En tout cas, si les travellings sont toujours les travellings, force est de constater qu’ils ne sont plus affaire de rien du tout. Les travellings ne nous intéressent plus. Toujours dans Sur « Salador » (un texte à relire de temps en temps), Daney fait l’hypothèse que l’écriture cinématographique (au sens large, c’est-à-dire : mise en scène + montage) est le moyen inventé par les grands cinéastes (entendez : ceux qui ont la lucidité de constater que le visuel n’est pas le réel) pour neutraliser la photologie. En d’autre termes : pour ces cinéastes, le sens d’un film, son discours, n’est pas dans la teneur intrinsèque de ses images, le sens du film n’est pas dans le visuel (ce que Daney nomme le matériau « profilmique »), il est dans son écriture, dans l’organisation spatiale, temporelle, et dans l’agencement des plans entre eux. « Dépasser en conservant, capitaliser » : ce gain de la mise en scène est bien celui du langage cinématographique. Daney montrait déjà, en 1970, la vanité de l’entreprise.

Depuis lors l’écriture, qui croyait éternel son pouvoir de dépasser la photologie par le gain du discours, s’est elle-même fait rattraper par le simulacre. Il n’est plus possible, à personne, de faire abstraction du simulacre. Les Auteurs n’ont plus le « final cut » de leur film : le dernier mot, c’est celui du simulacre. Toujours, dans chaque plan, dans chaque succession de plans, le visible l’emporte sur la vision. La « politique des ôteurs » n’a plus de raison d’être : il n’y a plus rien d’ôtable, car le visible règne en maître. À moins de renoncer à leur statut, en même temps qu’à leurs vieilles habitudes, les Auteurs se retrouvent dépassés par la publicité. Vaincus par KO. Face au simulacre, face à la toute puissance de l’image, la mise en scène a perdu tout pouvoir.

Tout récemment intronisé Auteur, un ancien photographe, Yann Arthus Bertrand, nous propose ses « travellings » aériens, filmés d’un hélicoptère. Son œuvre s’appelait La Terre vue du ciel, quand il s’agissait encore de photographie. Désormais elle s’appelle Home. Mais seul le nom a changé. Il s’agit toujours de la même hérésie d’une vision absolue, universelle : la vision totale. Donner à voir toute la terre dans une image. Programme impossible. Idéologie réelle. C’est un contresens alors de nommer « travelling » ce qui n’est même plus perçu par l’œil. Le spectateur ne perçoit plus qu’un tout, un grand Tout Visible : l’image. L’image dans sa totalité. D’ailleurs, plus personne ne prête attention aux limites, jusqu’ici usuelles, de cette image : le cadre a disparu, noyé dans la dispersion des formats.


(3) Il s’agit bien sûr de la séquence controversée, celle dans laquelle DePalma revisite la scène de la douche de Psycho, mais cette fois dans une baignoire, et avec une tronçonneuse ! Pendant que Tony se fait torturer dans une salle de bains de motel, son copain Many drague les minettes sous les cocotiers, au volant d’une décapotable : un nouveau travelling au pas tranquille nous entraîne alors de la lucarne de la salle de bains jusqu’au grand air, sur le boulevard le long de la plage.

(4) Toutes les citations sont extraites de Serge Daney, Sur « Salador » (Cinéma et publicité), op. cit., pp. 16, 17.

(5) Titre de l’ouvrage de Michel Mourlet, critique de cinéma qui fut, dans les années cinquante, un des fers de lance du mac-mahonisme : Michel Mourlet, La mise en scène comme langage, éd. Henri Veyrier, 1987.


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Van Stratten

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Message par Invité Jeu 25 Juin 2009 - 16:46

Hello VS,

Les idées se bousculent là ! Je te retrouve tel que tu nous avais laissé pendant l'hiver, avec des positions très tranchées sur certaines choses. Un rejet viscéral du "simulacre", par exemple, contre l'image "Tout", comprendre tautologique ? .. il y aurait des choses à nuancer sans doute, car l'image de cinéma, bien avant d'avoir fait appel à d'autres images de cinéma, faisait appel à d'autres types d'"images". Dans un film comme "Hunger" (l'exemple n'est pas pris au hasard Wink ) par exemple, ce ne sont pas forcément des images de cinéma qui viennent à l'esprit immédiatement, mais des images issues d'autres arts comme la peinture..

Ton approche de "Scarface" comme cas de ta démonstration est très parlant, je trouve. C'est intéressant, surtout le passage sur le début du film, à propos des panneaux publicitaires, le personnage comme homme-sandwich un peu, etc.. J'avais jamais remarqué ça dans "Scarface", "Carlito's way" termine par là... on pense aussi à "La Haine", ce passage où les jeunes graffent le slogan de Montana sur une pub pour une compagnie de voyage, je crois me souvenir. En quelque sorte, ils remettent le slogan du mafieux à sa juste place.

Je suis plutôt partisan d'une mise à plat d'où en est exactement le cinéma aujourd'hui, sachant que ça ne bouge pas si vite de son côté, maintenant. Je serais peut-être un peu moins radical, je ne sais pas, en tout cas chapeau d'avoir osé te lancer comme ça dans ce travail énorme.

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Message par adeline Jeu 25 Juin 2009 - 16:49

Hey VS,

re welcome ! je vais lire...

Wink

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Message par Van Stratten Jeu 25 Juin 2009 - 17:03

Une lecture prompte, mais sûre... ma foi, j'étais simplement en train d'ajouter quelques "notes" qui n'avaient pas résisté au "copier-coller", et hop! un retour. (J'ai bien fait de repasser par ici.) Désormais j'écrirai en direct, ou en léger différé, parce qu'autrement je deviens perfectionniste, et j'en perds l'idée, sinon la boule.
L'emprunt du cinéma muet (désormais au ministère de la Kultur on dit "cinéma primitif"...) l'emprunt aux autres images, oui, en effet, remarque judicieuse, et tout à fait accablante quant à la célébration d'un quelconque âge d'or de l'image, où non seulement elle aurait figuré toute nue, sans le son (ce qui est faux bien sûr) mais en outre toute "pure", encore immanente du réel sacré. Bon, enfin on y reviendra.
À bientôt JM,
Bien à vous, spectres.
p.s. : re-merci de l'accueil, Adeline,

Van Stratten

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Message par Van Stratten Ven 26 Juin 2009 - 18:34

Merci pour les encouragements, JM, mais je ne les mérite pas. Au contraire, si j'ai décidé soudain de rendre accessible l'écriture en cours sur ce forum, c'est parce que je me suis rendu compte que je ne viendrais jamais à bout de ce "travail énorme". C'est donc justement pour échapper à la tentation de la programmation que j'écris maintenant directement ici. Ni traité, ni monographie, je voudrais réussir, sinon à écrire librement, sinon même spontanément, du moins sans programme établi. L'intuition et l'idée fixe sont bien là, mais elles doivent suffire amplement. Aussitôt que je planifie, je perds le fil de l'analyse. Le forum des spectres permet justement l'écriture quotidienne, c'est-à-dire non seulement régulière, mais nonchalante, presque désinvolte, ainsi que l'hétérogénéité des registres et des voix : c'est plus modeste, mais c'est surtout plus pertinent.

Les propos qui précèdent tendent donc à mettre en évidence une double impuissance de l’image : échec de l’enregistrement du réel (la vieille lune soit disant "ontologique") d'une part ; échec du langage d'autre part. Mais il resterait à montrer comment, de quelles diverses façons ces limites sont atteintes dans les "films" d’aujourd’hui, qu'il s'agisse de publicité, de séries télé, de clips ou de longs métrages de cinéma. D’autre part, il faudrait rappeler que ces limites ont toujours été celles du cinéma, et que le problème ne réside pas dans l’existence de ces limites, mais dans leur négation : or, jamais, cette négation n’avait été aussi violente. Enfin il faut identifier le rôle joué par le « simulacre » dans ce refoulement.
Je parle d’écriture libre, et paf ! je me mets aussitôt à planifier. Décidément, ça ne va pas.

Revient lancinante l’idée du « cinéma impur ». (lancée par JM il y a quelques mois au fil d’une autre discussion). Je ne crois pas davantage au cinéma impur qu’au cinéma pur. Disons qu’impureté et pureté figurent très bien la double impuissance du cinéma. Le cinéma est art hétérogène, multiple et ambigu. Mais pour être impur il faudrait définir la « pureté » : qui prétendrait pouvoir en venir à bout ?

Le simulacre se donne comme « l’image pure ». Mais il peut aussi se faire passer pour le comble de l’impureté. C’est son côté polymorphe. Le simulacre n’est rien, mais il se fera passer pour tout ce que vous voudrez. Il y a tant et tant à montrer. Par quel bout continuer ?

Van Stratten

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Message par Invité Ven 26 Juin 2009 - 18:39

Hello VS,

Puisque ta démarche est marquée par un point de vue éthique, on peut aussi se poser la question aujourd'hui, avec l'ampleur de la base passée des images de cinéma, du "que rapprocher ?" C'est peut-être plus une question qui concerne le spectateur qui a une position ouvertement critique, je ne sais pas (et bien sûr l'artiste qui pratique encore un peu le montage).

On se souvient de la phrase de Bresson dans ses "Notes" :

"Rapprocher les choses qui n'ont encore jamais été rapprochées et ne semblaient pas prédisposées à l'être."

Cet aphorisme repris par Godard dans les "Histoire(s) du cinéma", approfondi avec sa leçon de montage dans "Notre Musique" dans le fameux passage entre autre à propos de Hawks, d'Israël et de la Palestine.. ici, Godard exprime clairement qu'on ne devrait pas faire n'importe quoi avec les images, avec les rapprochements d'images. Mais ce qui vaut pour le montage vidéo vaut aussi bien sûr rigoureusement de la même façon pour l'écriture critique. On rejoint ici les propos de Rancière sur le tout se tient et le tout se touche contemporain dans les pages de "Le destin des images" (La phrase, l'image, l'histoire). Dans ce sens, la référence aux prisonniers des camps via le pyjama rayé de BS dans "Hunger" par exemple est effectivement abjecte si elle est volontaire comme certains l'affirment (mais pas le cinéaste, il me semble).

La démarche éthique de ne pas tout rapprocher est difficile, car bien des écueils tendent les bras (cf Rancière), que tout rapprochement n'est possible qu'à condition que la matière des oeuvres (cinématographiques, ou autre) qui sont rapprochées soient nettement percée (pour la restituer telle quel dans le rapprochement ou pour la contourner - Histoire(s) du cinéma). En tant que critiques "amateurs", il n'est pas rare que nous fassions de mauvais agencements. Cela ne doit pas nous rassurer, mais le sérieux relatif de toute une critique institutionnelle et "professionnelle" (généralement les mêmes qui refusent haut et fort l'idée de "mort du cinéma") c'est totalement écroulée dans ce piège tendu. Et les cinéastes ?

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Message par Invité Ven 26 Juin 2009 - 18:46

Le premier truc qui me gêne, c'est que tu sépares aussi radicalement le "simulacre" du réel, comme s'il s'agissait de deux choses qui ne peuvent avoir aucune interpénétration.

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Message par Van Stratten Sam 27 Juin 2009 - 7:52

Nous sommes bien autour du sujet. Reste à atteindre le coeur. Pas le temps ce matin... pour ma part... Il faudra partir des films, des images précises, pour définir ce truc de "simulacre", qui est une sorte de photo-logie au carré. En tout cas l'essentiel est qu'elle se donne pour le réel lui-même. À tel point que son lien avec le réel est une question évacuée. Le simulacre est un mysticisme, une confiance absolue et dévastatrice dans la toute-puissance des images. L'opération de montage est pour le chantre du simulacre, dans ces oeuvres du simulacre, l'opération scandaleuse par essence. Le simulacre nie le montage. Le montage est la bête noire du simulacre. En d'autres termes : dans les images d'aujourd'hui, le montage n'a qu'une fin : faire oublier qu'il existe, et servir l'illusion de vérité.
À plus.

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Message par Invité Sam 27 Juin 2009 - 14:37

VS' a écrit :

Tout récemment intronisé Auteur, un ancien photographe, Yann Arthus Bertrand, nous propose ses « travellings » aériens, filmés d’un hélicoptère. Son œuvre s’appelait La Terre vue du ciel, quand il s’agissait encore de photographie. Désormais elle s’appelle Home. Mais seul le nom a changé. Il s’agit toujours de la même hérésie d’une vision absolue, universelle : la vision totale. Donner à voir toute la terre dans une image. Programme impossible. Idéologie réelle. C’est un contresens alors de nommer « travelling » ce qui n’est même plus perçu par l’œil. Le spectateur ne perçoit plus qu’un tout, un grand Tout Visible : l’image. L’image dans sa totalité. D’ailleurs, plus personne ne prête attention aux limites, jusqu’ici usuelles, de cette image : le cadre a disparu, noyé dans la dispersion des formats.


ça oui mais par analogie et antithèse à la fois je pense à ces forts beaux travelings vus du ciel : ceux de Shining qui suivent la voiture en route, en perdition dans la montagne ! vers l'hôtel Overlook ( voir le topic CAPTURES de Jerzy sur le forum cdc) ou ces autres sidérants des rues de Boston à la verticale que l'on voit à plusieurs reprises dans Will Hunting et qui renforcent l'effet "conte de fée" du film.

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Message par lorinlouis Sam 27 Juin 2009 - 14:50

Ça m'a l'air bigrement passionnant, VS. Je vais lire ça avec plus d'attention.

Merci pour cette contribution, en tout cas... Wink
lorinlouis
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Message par Invité Sam 27 Juin 2009 - 19:09

Van Stratten a écrit:Nous sommes bien autour du sujet. Reste à atteindre le coeur. Pas le temps ce matin... pour ma part... Il faudra partir des films, des images précises, pour définir ce truc de "simulacre", qui est une sorte de photo-logie au carré. En tout cas l'essentiel est qu'elle se donne pour le réel lui-même. À tel point que son lien avec le réel est une question évacuée. Le simulacre est un mysticisme, une confiance absolue et dévastatrice dans la toute-puissance des images. L'opération de montage est pour le chantre du simulacre, dans ces oeuvres du simulacre, l'opération scandaleuse par essence. Le simulacre nie le montage. Le montage est la bête noire du simulacre. En d'autres termes : dans les images d'aujourd'hui, le montage n'a qu'une fin : faire oublier qu'il existe, et servir l'illusion de vérité.
À plus.

Et Welles, on le met où dans tout ça ? On le sait, sur la fin Daney envisageait plutôt, avec prudence bien sûr, un retour du cinéma du côté de Welles, des "illusionnistes" (Damned Daney 2)..

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Message par Invité Sam 27 Juin 2009 - 22:11

Cette hypothèse relayée à droite et à gauche est sans fondement ... depuis le temps.
A moins bien sûr d'arrêter l'Histoire à Brian de Palma qui après avoir trait les dernières gouttes du modèle Hitchcock s'est emparé de celui de Welles.
A part zéro, rien à l'horizon.
On peut s'appeler Daney, faire une hypothèse et qu'ensuite elle se propage aussi infondée qu'une rumeur.

VS écrit :

dans les images d'aujourd'hui


tu parles de quelles images ? Entre celle du jt et celle d'Abbas Kiarostami, un gouffre ! et celui ci ne me semble pas être un illusionniste ...

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Message par Invité Sam 27 Juin 2009 - 23:25

ccamille a écrit:Cette hypothèse relayée à droite et à gauche est sans fondement ... depuis le temps.
A moins bien sûr d'arrêter l'Histoire à Brian de Palma qui après avoir trait les dernières gouttes du modèle Hitchcock s'est emparé de celui de Welles.
A part zéro, rien à l'horizon.
On peut s'appeler Daney, faire une hypothèse et qu'ensuite elle se propage aussi infondée qu'une rumeur.

On peut s'appeler Simon, et croire avoir attrapé Daney dans ses filets.

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Message par Invité Dim 28 Juin 2009 - 8:28

Van Stratten a écrit:Une lecture prompte, mais sûre... ma foi, j'étais simplement en train d'ajouter quelques "notes" qui n'avaient pas résisté au "copier-coller", et hop! un retour. (J'ai bien fait de repasser par ici.) Désormais j'écrirai en direct, ou en léger différé, parce qu'autrement je deviens perfectionniste, et j'en perds l'idée, sinon la boule.
L'emprunt du cinéma muet (désormais au ministère de la Kultur on dit "cinéma primitif"...) l'emprunt aux autres images, oui, en effet, remarque judicieuse, et tout à fait accablante quant à la célébration d'un quelconque âge d'or de l'image, où non seulement elle aurait figuré toute nue, sans le son (ce qui est faux bien sûr) mais en outre toute "pure", encore immanente du réel sacré. Bon, enfin on y reviendra.

Oui, VS, le muet nous renvoie aux origines, mais plus encore qu'à l'origine du cinéma, c'est à l'origine de la perception qu'il renvoie, et je crois qu'il faut partir de là si on veut éviter d'être trop "naïf", comme dirait Merleau-Ponty Wink . On constate bien que, dès les débuts, de nombreux cinéastes considèrent la perception comme actualisation d'une image plus ancienne (pour reprendre un peu le propos du cinéaste de "Eloge de l'amour" de Godard, qui doit venir lui-même d'ailleurs, Bergson sans doute ?). Deux exemples vraiment du même type et pas forcément très fidèles aux films (souvenirs lacunaires!) :

1. chez Murnau, dans "L'aurore", le couple dans la ville qui découvre le magasin du photographe et les photos de mariés qui vont actualiser l'image oubliée qu'ils avaient de leur propre mariage.

2. chez Stroheim, dans "Maris aveugles", la femme délaissée par son mari qui regarde le jeune couple d'amoureux qui roucoulent l'un contre l'autre, cette vision va, là aussi, la renvoyer à ses propres débuts avec son mari (image en surimpression).

(ce qui est aussi intéressant dans ces deux exemples, c'est qu'il s'agit d'une image d'eux-mêmes qui semble actualisée, ce qui renvoie à des complications quant à l'image de soi que l'on peut avoir, et qui ne peut être que nécessairement "simulacre")

"Quand je pense à quelque chose, en fait, je pense à autre chose. On ne peut penser à quelque chose que si l'on pense à autre chose. Par exemple vous voyez un paysage nouveau pour vous mais il n'est nouveau que parce que vous le comparez en pensée à un autre paysage ancien celui là que vous connaissez", dit Edgar dans le film de Godard (qui multiplie ici les "signes" picturaux, littéraires, cinématographiques qui renvoient, un peu comme des applications, d'un ensemble dans un autre).. tout le film est travaillé par cette idée qu'il faut aller chercher l'amour là où il se trouve, là où il se cache.

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Message par Invité Dim 28 Juin 2009 - 23:19

JM a écrit:
ccamille a écrit:Cette hypothèse relayée à droite et à gauche est sans fondement ... depuis le temps.
A moins bien sûr d'arrêter l'Histoire à Brian de Palma qui après avoir trait les dernières gouttes du modèle Hitchcock s'est emparé de celui de Welles.
A part zéro, rien à l'horizon.
On peut s'appeler Daney, faire une hypothèse et qu'ensuite elle se propage aussi infondée qu'une rumeur.

On peut s'appeler Simon, et croire avoir attrapé Daney dans ses filets.

Lors de la même conférence, Daney parle aussi de De Palma, de "Outrage" puisqu'il sortait à ce moment-là (ça ne date pas d'hier, en effet). Il fustige un cinéma de la profondeur, qui cherche à s'enfoncer dans la chair à l'instar de ces balles qui plombent le corps au ralenti dans le film de De Palma (scène sur le pont, il me semble me souvenir). Avec de nombreuses années d'avance, Daney saisi tout le pan contemporain du cinéma d'action usien qui va travailler en profondeur via les effets spéciaux 3D.

A mon avis, le cinéma de De Palma est un cinéma de la profondeur, de la pénétration (sexe), qui creuse (au sens aussi de "creuser" les recherches) mais qui s'ignore tel. La surface n'est jamais satisfaisante, l'évènement n'a de sens que dans la profondeur (syndrôme Zapruder). De Welles il garde les travelling (c'est à dire à peu près rien) pour en faire quelque chose qui s'enfonce profondément mais tout en revenant très vite à la surface (images vidéos, plates, de l'oeil volant qui se rabattent sur le long plan séquence du début de "Snake Eyes" qui s'enfonce dans le casino). Il y a un conflit chez De Palma entre la surface et la profondeur, sa grande question c'est comment pénétrer (la "vérité", un corps..) tout en restant autant que possible à la surface. Daney parle de "touche-pipi" dans son texte à propos de "Outrage" dans "L'exercice à été..".

Daney pensait bien moins à De Palma qu'à des petits bricoleurs de vidéos pour la TV lorsqu'il évoquait Welles. Et il n'affirmait surtout pas que Welles devait ou allait "faire école" (risque évident de fabriquer des petits maîtres).

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Message par Invité Mar 30 Juin 2009 - 6:06

Il faudrait donc se demander si les images cinématographiques qui en appellent d'autres, si cette démarche n'est pas avant tout une démarche de la pensée, orientée ou pas par le travail du cinéaste lui-même parcouru par ce processus (conscient ou inconscient) en tant que sujet. Dans ce cas, comme proposé précédemment, la nouveauté n'en est pas vraiment une.

Le spectateur-critique doit naviguer dans tout ça, entre le (son) "délire d'interprétation" et la transmission fidèle et transparente du travail de l'artiste, il devrait se trouver à la lisière entre ces deux choses si toutefois on peut lui donner une place bien assignable ? C'est pas vraiment un programme, peut-être des devoirs de vacances car il y aurait beaucoup de choses encore à approfondir !? L'interprétation n'est peut-être pas la seule possibilité, peut-on y échapper ? Wink

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Message par Van Stratten Mar 30 Juin 2009 - 10:18

Salut, JM
Salut, spectres,
Je ne suis pas contre les devoirs de vacances, le problème est le manque de temps, comme toujours... En tout cas, je suis ravi du retour qui se manifeste ici : JM, tu me devances même du côté de "l'hypothèse Welles", qui est une piste essentielle.
En effet, DePalma ne fait qu'effleurer le "gimmick" de Welles (travestissement, split-screen, communication endiablée ou court-circuitée, etc.), et il est plus urgent que jamais d'y revenir, d'y penser, d'y songer...
Godard, évidemment, est notre commune passion invétérée, mais il n'empêche que personne ne s'est approché comme lui du "déjà vu", et personne n'a dit avec plus de lucidité :
"Quand je pense à quelque chose, en fait, je pense à autre chose. On ne peut penser à quelque chose que si l'on pense à autre chose. Par exemple vous voyez un paysage nouveau pour vous mais il n'est nouveau que parce que vous le comparez en pensée à un autre paysage ancien celui là que vous connaissez", dit Edgar dans le film de Godard (qui multiplie ici les "signes" picturaux, littéraires, cinématographiques qui renvoient, un peu comme des applications, d'un ensemble dans un autre)..
Au fait, quelle connaissance des films, JM, c'est rassérénant !
"Toute image est palimpseste", écrit Daney en conclusion de Sur "Salador".

À plus. (normalement à cet après-midi).

Van Stratten

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Message par Invité Mar 30 Juin 2009 - 11:25

salut VS ! Wink

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Message par Van Stratten Jeu 2 Juil 2009 - 14:03

30 juin 2009

Bonjour,

je poursuis au stylo-bille avant de reprendre le clavier, à la fois contraint par les circonstances (pas d'ordinateur sous la main), et par l'urgence de l'objet.

Il faudrait définir plus avant cette présence récurrente du simulacre. Ce sont vos contributions précédentes qui le demandent : il est donc logique de partir de ces observations.

D'abord, CC cède à la tentation de renvoyer Serge Daney à ce qu’il considère sans doute comme des illuminations de grand voyant. On aura remarqué que certains ici ne cachent pas leur conviction que les textes de l’oncle Serge recèlent, sinon une vérité cachée, en tout cas de précieuses idées, parmi les plus lucides, sur l'image, sur sa production, sur sa perception. Mais, outre que renvoyer le savant fou à ses « hypothèses » farfelues n'invalide en rien un propos qui, quoique dûment référencé, n'en prétend pas moins être tout à fait neuf, tu me sembles, CC, oublier l'essentiel : Daney n'est pas Christian Metz. S'il lui est arrivé d'écrire, ou de tenir des propos pour les contester par la suite, si ses théories sont parfois contradictoires, c'est qu'il n'a jamais été un théoricien. De fait, s'il travaillait à la fin de sa courte vie, et pour la première fois, à l'écriture d'un livre théorique (préfiguré par les quelques « hypothèses » proposées comme autant de bouteilles à la mer, au fil des pages de L’Exercice…), il n'est l'inventeur d'aucun concept ─ sans doute parce qu’il tenait trop à sa place de spectateur, ou parce qu’il s’obstinait à n’être qu’un passeur.

Pour autant, ce rejet récurrent de l’ambition théorique implique-t-il que les écrits soient privés de toute pertinence ? On trouve bien peu d’ « hypothèses » chez l’once Serge, mais en l’occurrence celle qui a pour titre Sur « Salador » l’a occupé vingt années durant : c’est le seul écrit auquel il revienne constamment, et il s’y amarre encore dans ses deux derniers ouvrages, Persévérances et L’Exercice… .

La photologie, l’hérésie photologique ne fait pas retour : elle n’a jamais quitté l’écran. Les écrans. Tous les écrans. Elle est toujours là, plus présente que jamais, dans toutes les images (ou presque).

Pendant que Godard tournait Le Mépris, et enregistrait l’impuissance de la caméra à, précisément, enregistrer, les années ’60 faisaient le chemin inverse, et donnaient toute sa mesure au parangon de l’image publicitaire : le logo. Le logo renferme toute la vérité dans l’écrin rêvé d’une pure image-signe. Depuis quarante ans, ce leurre, investissant progressivement les images animées, est devenu le simulacre. Aujourd’hui, Sur « Salador » a presque quarante ans, et la toute puissance de l’image est avérée. Il n’y a plus aucune espèce de frontière entre l’image publicitaire et l’image cinématographique : les films vendent tous des produits (ou des modes) de consommation, qui vendent d'autres produits, parmi lesquels des jeux vidéo, qui à leur tour deviennent des films. Kill Bill est-il un film ou une paire de baskets jaunes ? Comme l’annonçait l’oncle Serge en une boutade désenchantée : Jean-Pierre Melville vend très bien les imperméables.

Que l’on ne se méprenne pas : il ne s’agit pas de déplorer ni de contester ce « devenir-logo » de toute image, fût-elle cinématographique. Mais il reste tout de même une question : en quoi ce destin des images change-t-il leur nature ? Qu’est-ce qui a changé dans la nature des images ? Dans leur « substance » et dans leur « forme » ? Dans la façon de faire des images ou de les voir ?

Et puis, tout de même : qu’est-ce qui continue de distinguer l’image cinématographique des autres images ? Comment peut-elle encore se distinguer ? Le peut-elle vraiment, encore ? Est-ce que le jeu en vaut la chandelle ? Est-il vraiment indispensable de maintenir l’illusion du cinéma au prix du simulacre ?

La réponse, nous la trouverons dans les films. Ils sont rares, mais il existent, encore. Envers et contre tous (les autres). La réponse, nous la trouverons par exemple dans Ten, dans À travers les oliviers, du cinéaste Abbas Kiarostami, que CC cite à très juste titre. Kiarostami est l'un de ces rares cinéastes dont les images posent encore, et toujours, la question du simulacre, devenu à la fois leur bête noire, et leur sujet favori, leur seul et unique sujet, leur « beau (mais redoutable) souci ». Ces films-là sont bien peu nombreux, qui savent d'instinct se placer entre le voir et le déjà-vu, entre le montrer et le déjà-montré, conscients qu'ils sont que s'ils ouvrent un instant la porte à l'image-reine, s'ils se laissent eux-même tenter par la toute puissance, que ce soit celle de la lumière ou de l'écriture, des photons (photo) ou du logos (-logie), s'ils oublient la double impuissance qui fonde le cinéma, ils contribuent à le rendre caduc, sinon à l'enterrer (ce qui n'est pas en leur pouvoir). En un siècle le cinéma ne sera donc parvenu qu'à une seule vérité : celle de son impuissance. Une double impuissance : impuissance de l'enregistrement, impuissance du langage.

Les cinéastes qui ont cette conscience produisent les seuls (très rares) films qui ont encore à voir avec le cinématographe. Mille fois plus nombreux, les autres films, tous ces autres films n'ont plus à voir qu'avec le simulacre.

Alors, CC me demande : quand tu dis toutes les images d'aujourd'hui, « tu parles de quelles images ? » Eh bien, mais, de toutes les images (ou presque). Pour en rester aux images de production cinématographique, je parle par exemple de Messrine, autant que du dernier opus de GVS, Harvey Milk, de ces films qui ne proposent plus que la reconstitution béate comme unique horizon de l'image cinématographique. Je parle du BIOPIC, et de toutes les images qui font de l'illusion du grimage, de l'imitation et de la mimique la condition de la réussite d'un film. Je parle de la toute puissance des décors et des costumes, de l'illusion de réalité qui étouffe l'image (et son spectateur), du brouillage des repères spatiaux et temporels entendu comme le nec plus ultra de l'intelligence cinématographique. Je parle de l'image-reine et de son auteur-roi. Je parle de la publicité, qui est partout chez elle.

Je parle de ces auteurs qui croient rendre hommage à Orson Welles lorsqu'ils grimment un acteur. Mais, diable ! si Orson Welles, c'était juste du théâtre, pourquoi a-t-il fait des films ? Welles, précisément, est le tout premier, avant Godard, à avoir révélé, au point d'en être obsédé, au point d'en miner son propre travail, la double impuissance de l'image de cinéma, à en avoir précisément cerné le « double mensonge » : pour lui, mensonge de la mise en scène, mensonge du montage. Parce que le mensonge photologique pose tout de même problème pour lui : il le connaît, il le sait (sinon ses films ne seraient pas tels) mais il reste attaché à la photologie, parce qu'il la croit « essence » du comédien, il la croit par essence théâtrale. Enfin, je crois. Il faudrait y revenir. Bref, Welles, et comment ! F For Fake est son plus beau titre. En français aussi : Vérités et Mensonges. Alors dites-moi : si Welles reste un « illusionniste », est-ce vraiment parce qu'il croit au père noël du simulacre ? N'est-ce pas simplement plutôt parce que d'une part, en très grand maniériste, et l'un des tout premiers maniéristes du cinéma (avec Cocteau et Guitry, entre autres), en maniériste donc il n'a de cesse de dénoncer l'illusion du monde, l'illusion du théâtre et l'illusion de l'image ? D'autre part, n'est-ce pas aussi, encore plus simplement, parce que Welles reste attaché à son rêve d'enfant : son rêve de théâtre ? Welles était emmuré vivant dans le petit théâtre d'Hamlet, dans l'illusion comique shakespearienne. Heureusement, il n'y avait que trois murs, et il s'échappait souvent.

J'aimerais poursuivre avec deux films : Cloverfield et surtout, Benjamin Button, deux films qui sont deux aboutissements du tout-simulacre. Le degré zéro de l'image.

Dès lors je sais que je vais provoquer de fortes réactions : âmes sensibles, tenez-vous sur vos gardes !

Bien à vous.


Dernière édition par Van Stratten le Ven 3 Juil 2009 - 8:07, édité 1 fois

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Message par Invité Jeu 2 Juil 2009 - 17:46

Hello VS, j'apprécie de voir que tu commences à poser quelques bémols. Wink

GVS, Harvey Milk, de ces films qui ne proposent plus que la reconstitution béate comme unique horizon de l'image cinématographique.

pas tout à fait.

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