La vie d'Adèle
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La vie d'Adèle
A priori, de sémillantes lesbiennes occupées à d’interminables et torrides papouilles, avec la petite-fille du pdg de Pathé dans le rôle de la Rebelle sartrienne, tout ça est bouleversant d’audace et de refus de la bien-pensance… On dira que c’est encore nécessaire aujourd’hui d’affirmer leur droit à l’existence ; mais est-ce nécessaire de les glamouriser, de les faire rentrer dans le modèle autorisé du sex appeal, de l’aphrodisme le plus hétéro-normé ?"c'était un jour de tournage dans un appartement. On était persuadés qu'on allait filmer. Au lieu de ça, Kechiche s'est assis à table, dans le décor de la cuisine, avec Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos. Il a demandé à l'un de ses proches d'aller chercher des huîtres et du champagne. Et ils se sont mis à manger. Nous autres, on attendait".
Ainsi la lesbienne 2013 sait rester féminine, et remercie Papounet de lui avoir permis d’exprimer toute sa sensualité. Ou, comme l’écrit un journaliste du New York Times, « Ce film traite beaucoup plus des désirs de M. Kechiche que de toute autre chose. »
Il n’y a qu’à voir la façon dont Kechiche, en recevant sa palme, a oublié de remercier l’auteure de l’histoire de son film, alors même qu’il n’a pratiquement rien changé au scénario qu’il avait trouvé dans sa BD : « je vous laisse imaginer tout ce que j’ai pu ressentir en voyant défiler les plans, scènes, dialogues, jusqu’aux physiques des acteurs et actrices, similaires à la bande dessinée », écrit celle-ci. Et elle ajoute : « Ça c’est en tant qu’auteure. Maintenant, en tant que lesbienne… Il me semble clair que c’est ce qu’il manquait sur le plateau: des lesbiennes. »
http://www.juliemaroh.com/2013/05/27/le-bleu-dadele/.
Œcuménisme de « gauche » prônant le droit de mater des top models hétéros se livrer à de fougueux attouchements comme étant le grand combat à mener aujourd’hui. Pornographie first class, avec le frisson du naturel, une noble conscience progressiste et une infinie hauteur de vue esthétique, pour qu’on puisse bien saisir la différence avec le porno vulgaire.
Déshabiller les femmes, voilà le mot d’ordre. Comme l’écrit Christine Delphy :
http://delphysyllepse.wordpress.com/
« Ce sont en effet les effets de la discrimination patente qu’elle exerce qui sont renvoyés en boomerang à la société. Le foulard dit à cette société : “ Vous nous avez parquées et marginalisées, vous nous dîtes différentes, eh bien voyez : maintenant nous sommes différentes ”. La femme “ voilée ”, c’est Alien qui débarque chez nous. Mais Alien ne met pas en cause que le “ modèle français d’intégration ”. Alien provoque le malaise parce que sa seule présence fait voir tout à coup ce que nous appelons la « libération sexuelle » pour ce qu’elle est : l’obligation pour toute femme, à tout moment, d’être « désirable ». Or les femmes portant foulard contreviennent à cette obligation. Comme le remarquait dans une interview Samira Bellil quelques mois avant de mourir, l’obsession des uns de nous voiler n’a d’égale que l’obsession des autres de nous dénuder. Ces deux obsessions ne sont que deux formes symétriques de la même négation des femmes : l’une veut que les femmes attisent le désir des hommes tout le temps, tandis que l’autre leur interdit de le provoquer. Mais dans les deux cas le référent par rapport auquel les femmes doivent penser et agir leur corps reste le désir des hommes. Ce que le foulard dévoile, c’est que le corps des femmes, dans cette ère prétendument libérée, n’est toujours pas un corps à soi—un corps pour soi. »
Où l’on comprend à quel point le féminisme des Femen est d’arrière-garde lui aussi. Mais, dira-t-on, en Tunisie, pays où est né Kechiche, le dévoilement des femmes est un combat qui sans doute a un tout autre sens, bien plus positif. Oui mais voilà : c’est ici, en France, que son film a été palmé ; ici que son audace n’en est pas une, et ne dérange personne.
Pendant ce temps, le dernier film d’Ozon défend courageusement la prostitution des mineures financièrement indépendantes (!). C’est intéressant de voir, dans le contexte actuel, ce genre de discours ultra-misogyne porté par des homosexuels. En somme la défense du mariage homosexuel est plutôt une idée d’arrière-garde (le mariage, cette vieille institution patriarcale par excellence) ; ça ne pose pas de problème en soi mais ça n’a rien de révolutionnaire : que des homosexuels veuillent imiter en tout point le modèle hétéro-patriarcal, ils en ont le droit et ça les regarde ; et les opposants à cette réforme mènent donc un combat d’arrière-arrière-garde, c’est dire où on en est.
balthazar claes- Messages : 1009
Re: La vie d'Adèle
La réception critique, sociale, politique... de ce film a elle seule mériterait un bouquin...
Borges- Messages : 6044
Re: La vie d'Adèle
S’il y a un film, une forme à retenir selon moi, c’est le réalisme expérimental d’Abdel Kechiche, sa manière de scruter les visages, comme s’il filmait sous l’empire de Bergman, Manet et Lévinas. Maintenant qu’il est adoubé par la quasi-totalité de la critique et par sa palme d’or, Kechiche va sans doute essuyer le proverbial retour de manivelle. Il parait que ça a commencé en divers lieux de la blogosphère. Sur Mediapart, Emmanuel Burdeau défend le film avec des pincettes, tenant ce propos qui me laisse abasourdi : « On gardera toutefois la tête froide, ce dont la critique semble n’avoir jamais été capable avec Kechiche. » Mais c’est dingue ça ! Il faudrait cacher sa joie, se retenir de jouir, ne surtout pas vibrer, ça pourrait salir la tenue impeccable du critique-penseur. M’enfin, le cinéma n’est pas un cadavre à disséquer, c’est une chose vivante, mouvante, génératrice d’élans et d’affects. Il faut certes l’analyser, le penser, mais l’exégèse ne doit pas empêcher de vibrer, de ressentir, de s’abandonner. Rester froid ? Non, mille fois non, si les films le commandent, il faut être chaud bouillant, brûler avec. Le ressenti incandescent n’est pas moins noble que la réflexion glaciale.
Donc, Kechiche palme d’or. Quand un jury cannois s’accorde au goût critique, il y a lieu de s’en réjouir. Steven Spielberg et ses huit jurés ont fait très fort. Ils ont choisi le meilleur film. C’est déjà pas mal, mais ce n’est pas tout. En couronnant un cinéaste franco-tunisien et un film d’amour entre deux femmes, ils envoient (involontairement ?) un signal fort et pacifique contre l’homophobie des Boutin, Bourges et consorts, contre le racisme des Copé, Hortefeux et consorts (non, on n’a pas oublié les Auvergnats et autres pains au chocolat), et pour l’exception culturelle. Identité nationale ? Ouais, prenez donc cette Vie d’Adèle dans la tronche. Encore plus fort : en convoquant aussi sur scène Adèle Exarchopoulos et Léa Seydoux, Spielberg entérine la politique des acteurs, inaugurant un axe inattendu Spielberg-Moulet. Et il répond aussi au collectif La Barbe et aux féministes les plus pugnaces : après une palme d’or féminine en 65 éditions, bang ! Deux palmes d’or féminines en une seule soirée. Trop classe et trop fort, le Steven. De quoi clore de façon exceptionnelle un splendide millésime cannois.
(Kaganski)
Toute la bêtise de la critique de cinéma et l'idéologie française en quelques lignes...
on se demande si le mec a jamais vu un manet, un bergman, ou lu une seule ligne de levinas...
Borges- Messages : 6044
Re: La vie d'Adèle
Un texte sur Kechiche :
http://www.scienezma.com/LMDLT/combats_de_kechiche
http://www.scienezma.com/LMDLT/combats_de_kechiche
Invité- Invité
Re: La vie d'Adèle
balthazar claes a écrit:
Où l’on comprend à quel point le féminisme des Femen est d’arrière-garde lui aussi. Mais, dira-t-on, en Tunisie, pays où est né Kechiche, le dévoilement des femmes est un combat qui sans doute a un tout autre sens, bien plus positif. Oui mais voilà : c’est ici, en France, que son film a été palmé ; ici que son audace n’en est pas une, et ne dérange personne.
Pendant ce temps, le dernier film d’Ozon défend courageusement la prostitution des mineures financièrement indépendantes (!). C’est intéressant de voir, dans le contexte actuel, ce genre de discours ultra-misogyne porté par des homosexuels. En somme la défense du mariage homosexuel est plutôt une idée d’arrière-garde (le mariage, cette vieille institution patriarcale par excellence) ; ça ne pose pas de problème en soi mais ça n’a rien de révolutionnaire : que des homosexuels veuillent imiter en tout point le modèle hétéro-patriarcal, ils en ont le droit et ça les regarde ; et les opposants à cette réforme mènent donc un combat d’arrière-arrière-garde, c’est dire où on en est.
mais que veut dire ce prêchi-prêcha ? Que le droit à la liberté d'expression doit être orienté pour ce qui concerne Ozon et Kéchiche ? J'espère que c'est une mauvaise blague, une provocation.
(en 68 truffaut tournait baisers volés)
Invité- Invité
Re: La vie d'Adèle
J'aime pas trop l'homme kechiche; mais le cinéaste fait pour moi partie des tres grands cinéastes français.
Mais du coup il y a un paradoxe : comment admirer les films d'un cinéaste qu'on méprise quelque peu ?
Par exemple, avec le temps va tout s'en va, de l'estime que je portais a certains films d'eastwood ( en fait plus le cinéaste vieillit plus ces prises de paroles m'enervent)...
Mais du coup il y a un paradoxe : comment admirer les films d'un cinéaste qu'on méprise quelque peu ?
Par exemple, avec le temps va tout s'en va, de l'estime que je portais a certains films d'eastwood ( en fait plus le cinéaste vieillit plus ces prises de paroles m'enervent)...
glj- Messages : 518
Re: La vie d'Adèle
hi glj : c'est une bonne question; rares sont les "créateurs", qui sont dignes de respect (moral, politique...), autant que d'admiration; dès qu'on lit une bio d'un type dont on admire les oeuvres, on se dit "bah, il est pas terrible, le mec; c'est pas comme ses films, ses livres, sa musique"; est-ce deux ordres de jugements différents? Pas besoin d'aller chercher les heidegger, les céline... mais bon, en même temps, on dira que les artistes n'ont pas vocation à la sainteté, sauf exception...on s'en tire pas avec kant et son jugement désintéressé, pas plus qu'avec la réduction de l'oeuvre à l'homme...
il faut penser l'homme dans l'oeuvre, et l'oeuvre dans l'homme, ne plus penser l'oeuvre donc, mais son ouverture, donc voir adèle et Abdel ensemble dans leur disjonction : La vie d'A(b)dèle...le devenir lesbienne de AK.
il faut penser l'homme dans l'oeuvre, et l'oeuvre dans l'homme, ne plus penser l'oeuvre donc, mais son ouverture, donc voir adèle et Abdel ensemble dans leur disjonction : La vie d'A(b)dèle...le devenir lesbienne de AK.
Borges- Messages : 6044
Re: La vie d'Adèle
Il faut ... il faudrait ....
Fait, pense !
Pourquoi t'aimes pas trop l'homme Kechiche glj ?
Fait, pense !
Pourquoi t'aimes pas trop l'homme Kechiche glj ?
Invité- Invité
Re: La vie d'Adèle
{0} a écrit:Il faut ... il faudrait ....
Fait, pense !
On disait que je te répondais en allemand, car "quand je parle allemand, je suis l’homme le plus accommodant du monde !"
Borges- Messages : 6044
Re: La vie d'Adèle
Vu le film.
Beaucoup de ressemblances avec tous les films post nouvelle vague de ces 10-15 dernières années : ode à la liberté des corps et des mœurs, lyrisme absolu, cruauté de l'amour qui est si beau mais qui fait tant souffrir. Je trouve que Kechiche n'innove pas, n'apporte pas assez sa touche qui faisait la différence sur ses précédents films. Il y a, bien sûr, cette scène de sexe frontale, que lui seul pouvait filmer, et qui rappelle la danse de La Graine et le Mulet, ou d’autres qui, là aussi, éprouvent la situation.
Le film s'ouvre dans une salle de classe où un prof fait lire à ses élèves La vie de Marianne de Marivaux. Il leur demande de réfléchir au coup de foudre. Gros plan sur Adèle et son visage pensif à l’écoute des mots. Il s’agira donc pour elle de vivre ce coup de foudre, d’en faire la quête de sa vie. C’est donc une idée de l’amour assez classique, romantique, celle du coup de foudre, qui sert de moteur au film. On pense à La Vie d’Adèle H mais aussi à Honoré…
Ce film apporte à la critique française ce qu’elle attend depuis si longtemps : ce film, ce cinéaste, qui fera revivre la nouvelle vague. Comme si l’absolu du cinéma, sa manière de conquérir de nouveaux territoires, devait absolument passer par cet intarissable dogme.
A l’autre bout de la chaîne des grands paradigmes de la critique, on a pu aussi lire une première réserve du côté de chez E. Burdeau, sous la coupe du très désagréable concept d’obscénité, complètement inapproprié à ce film, me semble-t-il. Ce n’est pas parce que le sexe, les sentiments et la violence de la vie sont présentées de manière frontale qu’il s’agit automatiquement d’obscénité, de grave absence à la « Morale cinématographique que nous avons tant défendue, nous les vrais critiques de cinéma insensibles à ce genre de pirouettes faciles pour se mettre les spectateurs dans la poche ».
Je ne suis pas (encore) très enthousiaste (sans doute parce que je n’ai pas encore pris assez de recul), mais le film est fort. Il est fait pour durer et le spectateur aura du mal à s’en défaire, c’est sûr. Il raconte l'histoire de milliers de gens avec une force peu commune, pour ne pas dire unique dans le cinéma français d’aujourd’hui.
Ce n’est pas non plus un film gay. Il n’a pas à être mis en parallèle avec l’actualité. Nulle « audace » à ce qu’il ait remporté la palme. C’est vraiment l’affaire du consensus bien pensant de gauche (comme aux Inrocks, auquel je suis abonné lol) qui n’a rien d’autre à dire sur le film.
Que dire, donc ? C’est un film brut, qui déshabille l’amour, son mystère et sa dure réalité pour le faire voir dans toute sa complexité. Peut-être un film somme qui va droit au sujet et parvient à en saisir l’essence, l’étrange rayonnement originel, celui de la première fois. Je ne sais pas, c’est dur d’en parler, c’est un film fait simplement d’humains où la mise en scène ne fait que servir cette brutalité de l’existence, sans de détours inutiles.
N'oublions pas l'actrice principale, Adèle, incroyable.
Beaucoup de ressemblances avec tous les films post nouvelle vague de ces 10-15 dernières années : ode à la liberté des corps et des mœurs, lyrisme absolu, cruauté de l'amour qui est si beau mais qui fait tant souffrir. Je trouve que Kechiche n'innove pas, n'apporte pas assez sa touche qui faisait la différence sur ses précédents films. Il y a, bien sûr, cette scène de sexe frontale, que lui seul pouvait filmer, et qui rappelle la danse de La Graine et le Mulet, ou d’autres qui, là aussi, éprouvent la situation.
Le film s'ouvre dans une salle de classe où un prof fait lire à ses élèves La vie de Marianne de Marivaux. Il leur demande de réfléchir au coup de foudre. Gros plan sur Adèle et son visage pensif à l’écoute des mots. Il s’agira donc pour elle de vivre ce coup de foudre, d’en faire la quête de sa vie. C’est donc une idée de l’amour assez classique, romantique, celle du coup de foudre, qui sert de moteur au film. On pense à La Vie d’Adèle H mais aussi à Honoré…
Ce film apporte à la critique française ce qu’elle attend depuis si longtemps : ce film, ce cinéaste, qui fera revivre la nouvelle vague. Comme si l’absolu du cinéma, sa manière de conquérir de nouveaux territoires, devait absolument passer par cet intarissable dogme.
A l’autre bout de la chaîne des grands paradigmes de la critique, on a pu aussi lire une première réserve du côté de chez E. Burdeau, sous la coupe du très désagréable concept d’obscénité, complètement inapproprié à ce film, me semble-t-il. Ce n’est pas parce que le sexe, les sentiments et la violence de la vie sont présentées de manière frontale qu’il s’agit automatiquement d’obscénité, de grave absence à la « Morale cinématographique que nous avons tant défendue, nous les vrais critiques de cinéma insensibles à ce genre de pirouettes faciles pour se mettre les spectateurs dans la poche ».
- Spoiler:
- L'on redoutait de découvrir La Vie d'Adèle – Chapitre 1 et 2. Le Monde avançait il y a une semaine le chiffre inconcevable, inouï et inquiétant à la fois, de 750 heures de rushes. Comment Abdellatif Kechiche était-il parvenu à tirer un film, fût-il de trois heures, d'une matière aussi énorme, pharaonique ? Y était-il seulement parvenu ? Début mai encore, quatre à six équipes de monteurs étaient censées se relayer à Paris, en des endroits tenus secrets, préparant parfois plusieurs versions concurrentes d'une même scène, afin qu'Adèle soit prêt pour sa projection en “Compétition” du 66e Festival de Cannes, ce jeudi 23 mai. La surchauffe menaçait. Kechiche aurait perdu 15 kilos sur le tournage. La version cannoise ne serait peut-être pas définitive. Le cinéaste, fameux pour son tempérament atrabilaire, pour user un producteur par film et ne pas supporter la moindre critique négative, était décidément invivable.
À cela s'ajoutait le souvenir douloureux de son précédent long métrage, Vénus noire (2010) : près de trois heures, déjà, pour narrer le calvaire de la « Vénus Hottentote », offerte en spectacle sur les planches des bas-fonds londoniens puis sur les parquets des salons parisiens du début du XIXe siècle. On eût dit que Kechiche avait cette fois tenu à aller trop loin : dans la durée, dans l'exhibition, dans l'outrance. Vénus noire était un film réalisé pour malmener le spectateur ; pour le traiter de traître, de voyeur, de cochon ; un film faisant insulte à ceux ayant eu le cran d'entrer dans une salle pour assister à un spectacle aussi difficilement soutenable.
La Vie d'Adèle — Chapitre 1 et 2 est à cette aune une bonne surprise. On gardera toutefois la tête froide, ce dont la critique semble n'avoir jamais été capable avec Kechiche. Depuis L'Esquive (2004), un délire accueille en effet chacun de ses films, l'enflure du commentaire répondant coup pour coup à l'enflure des scènes, l'envolée à l'envolée, la complaisance à la complaisance. Dans le même temps que Kechiche est devenu un auteur central du cinéma français, son travail est donc devenu inaccessible, hélas, car verrouillé de toute part, identifié trop vite et avec trop de hâte, trop de volume.
Identifié comment ? Comme un découvreur de talents, un gourou d'actrices : Sara Forestier avec L'Esquive, Hafsia Herzi avec La Graine et le Mulet. Comme le fils de Jean Renoir, comme le fils de Maurice Pialat, celui qui a su à nouveau relever le défi du naturel, le défi de capter la vie ou mieux encore de saisir ce que Jean Douchet aime appeler « la vie de la vie ». Comme un improvisateur de génie, un portraitiste inégalé de la jeunesse.
Comme le tenant d'un réalisme appuyé sur une méthode : tournage à plusieurs caméras, jusqu'à soixante-dix prises pour une scène, sauce qu'on fait lentement monter jusqu'à atteindre une sorte de transe, le moment de vérité qui fut si long à provoquer et qui ne reviendra pas. Ainsi se sont alignés la méthode et le film, le film et son commentaire, tout cela faisant redondance jusqu'à nous priver tout à fait d'air. Des articles exaltés vantant des films qui le sont déjà et de manière si flagrante : y a-t-il le moindre profit à tirer d'un tel mimétisme ?
La scène et l'obscène
La Vie d'Adèle rouvre heureusement le jeu. La bande dessinée de Julie Maroh, Le bleu est une couleur chaude, était une bluette bon teint, une romance humaniste surtout destinée au lectorat jeune, qui l'a d'ailleurs récompensée à plusieurs reprises dans des festivals. Le film qui l'adapte et la développe a gardé un peu de cette candeur. L'hystérie baisse d'un cran, l'emphase aussi, en dépit de quelques impardonnables faux pas comme la scène, ivre d'esbroufe et de bonne conscience, où les copines d'Adèle se jettent sur elle comme des furies pour l'avoir aperçue en compagnie d'Emma, lesbienne déclarée ayant les cheveux bleus et un look de garçon manqué.
Telle est en effet l'histoire : Emma est étudiante en quatrième année aux Beaux-Arts de Lille et ambitionne de vivre de sa peinture ; Adèle – qui s'appelait Clémentine dans la BD – est lycéenne en classe de première littéraire et aimerait devenir institutrice. Elles vont vivre une passion amoureuse, charnelle, sexuelle d'une grande force. Mais cette passion n'existe pas que sur le plan des affects et des corps.
Elle prend aussi la forme d'une éducation ou d'une contre-éducation, d'une discussion sur la fonction de l'art, notamment sur son rapport au commentaire, à l'interprétation. Il y a donc pour une fois non pas un mais deux portraits féminins. Et plus encore qu'à l'accoutumée, le sensualisme et l'érotisme kechichiens s'avancent entourés de discours. Ces deux nouveautés importent : elles permettent de mieux comprendre où se situent l'inspiration et les intentions du cinéaste.
Il est probable que Kechiche ait été affecté par la réception mitigée de Vénus noire, qu'elle lui ait donné à réfléchir et qu'il ait voulu y répondre en ne se contentant pas d'exposer des corps, mais en souhaitant également faire de cette exposition l'objet d'un débat. Emma et Adèle sont ensemble au lit, parfaitement en accord, mélangées l'une à l'autre dans des scènes d'étreinte dont l'intensité et la « vérité » impressionnent presque autant qu'annoncé. Ce sont deux corps absolument offerts au regard, comme l'étaient Sara Forestier sur la scène théâtrale de L'Esquive, Hafsia Herzi sur l'estrade du restaurant, pour la longue danse du ventre de La Graine et le Mulet, Yahima Torres pendant toute la durée de Vénus noire.
Mais partout ailleurs elles diffèrent. Fille de bonne famille, Léa est une habituée des cercles artistiques lillois. L'exposition des corps n'est pas seulement pour elle une question de plaisir mais aussi un enjeu de carrière. Adèle est autant son amante que son modèle. Issue d'un milieu plus modeste, celle-ci confesse volontiers son inculture et ne voit pas du tout, en dépit des encouragements d'Emma, pourquoi elle devrait essayer de tirer un roman des histoires qu'elle ne destine a priori qu'à son journal. La scène d'Adèle n'est pas celle de l'art, avec ses dandies et ses vernissages, ses citations intimidantes et ses amis vibrionnants. C'est celle de la salle de classe. Là, le public – les élèves – n'a à offrir que son ingénuité. Là, les poèmes qu'on lit disent bien qu'il n'est « pas besoin » d'interprétation : la beauté s'en passe, elle dit par elle-même tout ce qu'il y a à dire.
Il y a plus d'une lourdeur, et plus d'une naïveté de la part de Kechiche, à introduire dans le dialogue les noms de Marivaux et de Sartre, de Klimt et de Picasso, surtout si c'est pour tourner en dérision un bavardage et pour renvoyer la culture au lieu qui est à la fois une de ses origines et la négation de son emphase : la salle de classe. Il y a aussi plus d'une lourdeur dans sa manière d'opposer, à l'occasion de deux repas séparés par une scène de sexe, les familles d'Emma et d'Adèle, la première qui goûte l'art et s'en gargarise, la seconde qui s'en moque et considère que dans la vie il faut avant tout avoir un « vrai métier ».
L'introduction d'un semblant de dialectique dans un cinéma si épris de son plein et de sa capacité à présenter les choses, au lieu de les représenter, est toutefois bienvenue. Elle permet de comprendre comment Kechiche parcourt tout le spectre physique, du cul bien rebondi – voyez les premiers plans – des jeunes filles au spectacle moins ragoûtant de bouches s'empiffrant de spaghetti, de babines, de couteaux, de doigts qu'on lèche… Ce cinéaste du corps est aussi un cinéaste de la viande, ce cinéaste de la chair aussi un cinéaste de la chère : on ne comprend rien à ses films sans voir que des uns aux autres il y a à la fois continuité et renversement. Continuité d'appétit mais possible renversement moral.
Solaire ou scolaire
Kechiche n'est pas Renoir. Ce n'est pas un cinéaste vitaliste, peut-être pas même un cinéaste sensuel. Ce qui importe chez lui est l'inquiétude de la chair. Non pas la venue d'un corps à l'image dans la plénitude d'un gros plan, mais le moment où le triomphe de cette venue pourrait se transformer en défaite. L'objet de Kechiche est l'obscénité. Bonne et mauvaise, excitante et repoussante. Les baisers et la morve, les râles de plaisir et les giries des copines. Pas l'improvisation, pas la jeunesse, pas la fraîcheur : l'obscénité. C'est le plan trop gros ou la scène trop longue, le naturel tellement mis en avant qu'il en devient monstrueux. La jeunesse pourchassée non pas comme une nature, mais comme un gibier, un animal.
Si l'obscénité est son sujet, son objet est ce qu'il en coûte de transformer en spectacle ce qui devrait rester à l'écart de toute scène. Vénus noire était clair à cet endroit, excessivement clair peut-être : l'obscénité y était atteinte de manière trop univoque et avec trop d'acharnement ; la chair n'y était plus que l'horreur de la chair. La Vie d'Adèle retrouve ce souci par des moyens mieux raisonnés et plus détournés. C'est la même histoire que tous les films de Kechiche. Celle de la naissance d'une actrice, bien sûr, la bouche délicieusement entrouverte, les moues et les silences d'Adèle Exarchopoulos succédant à la tchatche de Sara Forestier et de Hafsia Herzi, à la nervosité de la première et à la truculence de la seconde. Mais cette naissance est aussi un sacrifice, un holocauste. Cette naissance est aussi une mort.
Dans La Graine et le Mulet, Rym devait en roulant interminablement des hanches rassasier les clients du restaurant en attendant que la semoule de couscous soit enfin servie : trahison d'une innocence, misérable troc d'un aliment contre un autre. La Vénus Hottentote était ensuite promenée de tréteaux en salons comme une bête de foire : misère toujours, pire encore. Adèle est la troisième à monter sur l'autel kechichien : révélée à son homosexualité par Emma, elle est ensuite abandonnée par elle ; projetée sur la scène du désir, elle ne tarde pas à en être cruellement chassée.
Emma avance, elle obtient l'exposition qu'elle voulait, mais Adèle reste sur le bas côté, à la fois éteinte et toujours avide des caresses qu'à présent elle n'obtient plus. Le sacrifice est peut-être ici d'autant plus cruel que sa douceur est inédite. La dernière partie du film se voue à accompagner cette douleur et cette tristesse. Ces scènes – Adèle seule sur le banc, Adèle à l'école… – sont peut-être les meilleures du film. Ce qui touche alors n'est plus l'ambition démesurée du cinéaste, les 750 heures de rush, les morceaux de bravoure sexuels et le montage peut-être provisoire. C'est plutôt la sorte de modestie et d'ingénuité qui lui fait préférer la scène de l'école à celle de l'art, la compagnie des enfants à celle des esthètes. C'est la manière dont il prend parti, discrètement mais nettement, pour Adèle et contre Emma. Pour la fille d'extraction modeste et contre la bourgeoise. Pour celle qui est capable d'étreindre sans la médiation d'un discours, et contre celle qui fait carrière de l'étreinte.
Kechiche semble croire, malgré tout, en une obscénité native qui ne se soutient pas de phrases, contre l'obscénité qui est aussi une culture et un commerce. Ce n'est pas le spectacle qui est le coupable, pour lui, mais le cirque, le spectacle du spectacle. Cinéma dirigé contre le cinéma, cinéma farouchement solitaire.
La satire est facile, sans doute, et la scène quasi conclusive du vernissage un classique de l'anti-intellectualisme où les cinéastes aiment trop souvent se complaire quand il est question d'art. Il est beau pourtant qu'en opposant la galerie et l'école, le bon et le mauvais théâtre, Kechiche ait soin de nous montrer son vrai visage. Celui d'un cinéaste qui redoute l'exhibition autant qu'il la désire. Et qui ne la veut que selon ses conditions. Celui d'un cinéaste moins profondément solaire que scolaire.
Je ne suis pas (encore) très enthousiaste (sans doute parce que je n’ai pas encore pris assez de recul), mais le film est fort. Il est fait pour durer et le spectateur aura du mal à s’en défaire, c’est sûr. Il raconte l'histoire de milliers de gens avec une force peu commune, pour ne pas dire unique dans le cinéma français d’aujourd’hui.
Ce n’est pas non plus un film gay. Il n’a pas à être mis en parallèle avec l’actualité. Nulle « audace » à ce qu’il ait remporté la palme. C’est vraiment l’affaire du consensus bien pensant de gauche (comme aux Inrocks, auquel je suis abonné lol) qui n’a rien d’autre à dire sur le film.
Que dire, donc ? C’est un film brut, qui déshabille l’amour, son mystère et sa dure réalité pour le faire voir dans toute sa complexité. Peut-être un film somme qui va droit au sujet et parvient à en saisir l’essence, l’étrange rayonnement originel, celui de la première fois. Je ne sais pas, c’est dur d’en parler, c’est un film fait simplement d’humains où la mise en scène ne fait que servir cette brutalité de l’existence, sans de détours inutiles.
N'oublions pas l'actrice principale, Adèle, incroyable.
Le comte- Messages : 20
Re: La vie d'Adèle
Ouais...
Je trouve plutot ton texte plein de contradictions le comte.
Par rapport à ce que tu dis Borges, c'est la que le bas blesse chez kechiche, l'oeuvre dans l'homme et l'homme dans l'oeuvre. Il y a de la schizo.
Et pour te répondre jm, l'histoire du syndicat qui s'est plaint des conditions des techniciens sur le tournage d'adèle rejoint ce que dit borges. Comment un cinéaste dénonçant certaines pratiques de travail sur marseille dans " la graine et le mulet" peut il être à ce point en conflit ( je ne parle même de savoir si les faits reprochés aux cinéaste sont réels ou pas) avec les travailleurs de base de son metier. Du coup lorsque dimanche dernier ce film est repassé sur france o, j'ai été d'autant plus frappé par toute la partie qui traite de la question du travail, elle est devenu pour moi une immense hypocrisie.
Ce n'est pas comme si on jugeait une oeuvre de kubrick : kubrick lui, on le sait, était quelquefois un tyran sur un plateau mais jamais un de ses film n'a traité frontalement du problème du travail et jamais il n'a dénoncé les conditions des travailleurs en général.
Le problème est donc lorsqu'il y a schizo, que le sujet d'un film et son traitement disent l'inverse de ce qu'est l'homme.
Et puis kechiche en interview est un faux modeste, il transpire sous cela quelque chose d'hautain....
Je trouve plutot ton texte plein de contradictions le comte.
Par rapport à ce que tu dis Borges, c'est la que le bas blesse chez kechiche, l'oeuvre dans l'homme et l'homme dans l'oeuvre. Il y a de la schizo.
Et pour te répondre jm, l'histoire du syndicat qui s'est plaint des conditions des techniciens sur le tournage d'adèle rejoint ce que dit borges. Comment un cinéaste dénonçant certaines pratiques de travail sur marseille dans " la graine et le mulet" peut il être à ce point en conflit ( je ne parle même de savoir si les faits reprochés aux cinéaste sont réels ou pas) avec les travailleurs de base de son metier. Du coup lorsque dimanche dernier ce film est repassé sur france o, j'ai été d'autant plus frappé par toute la partie qui traite de la question du travail, elle est devenu pour moi une immense hypocrisie.
Ce n'est pas comme si on jugeait une oeuvre de kubrick : kubrick lui, on le sait, était quelquefois un tyran sur un plateau mais jamais un de ses film n'a traité frontalement du problème du travail et jamais il n'a dénoncé les conditions des travailleurs en général.
Le problème est donc lorsqu'il y a schizo, que le sujet d'un film et son traitement disent l'inverse de ce qu'est l'homme.
Et puis kechiche en interview est un faux modeste, il transpire sous cela quelque chose d'hautain....
glj- Messages : 518
Re: La vie d'Adèle
Oui, on entend des choses incroyables sur les conditions de tournage chez AK. Un manque de respect évident des droits des travailleurs. Pour autant, il n'est pas certain que cela soit en contradiction totale avec ses films. AK n'a jamais fait des films de militant, loin de là. Il a parfois fait mentionner par certains de ses personnages les dures conditions dans lesquelles ils travaillent dans un soucis de réalisme. La communauté n'est pas liée chez lui à des soucis et des revendications d'ordre politique. Dans "La graine et le mulet", c'est ça, non ? Les personnages qui intéressent vraiment AK sont, ce qu'on appelerait dans les pays anglo-saxon, des "battants", qui luttent individuellement dans les conditions sociales qui sont les leurs pour s'extirper de la nasse. Là encore, rien de plus exemplaire que "La graine et le mulet". Le portrait écœurant de la société des derniers films est en définitive moins là pour jeter l'opprobe sur celle-ci que pour justifier la lutte d'un ou plusieurs individus dans un milieu qui leur est hostile. De ce point de vue là, ta comparaison avec Eastwood est fort juste. Cela avait été vaguement discuté sur le forum des cahiers, dans un topic aujourd'hui deux fois perdu, doublement disparu.
Plus intéressant, et c'est là sans doute qu'il faudrait (ça c'est mon côté berger des penseurs perdus, hihi) approfondir pour savoir s'il y a contradiction ou non, ses battants (même de manière passive comme sa Vénus) échouent tous à la fin, tandis qu'à l'opposé AK, lui, ne cesse de multiplier les succès jusqu'à la consécration suprême (comme dirait le collègue de wootsuibrick expert en HHH) de la palme d'or. Alors que se passe-t-il au juste ? Pourquoi un type qui ne cesse de raconter dans ses films que le tissu social n'engendre que de l'exclusion, devient l'exemple même de l'intégration. Peut-être justement parce que ceux qui le priment ne correspondent pas trait pour trait à leur portrait brossé par AK dans ses films, qu'ils soient attachés à l'idéologie qui soutient que le travail mérite d'être récompensé, ou du moins que certains représentants visibles puissent témoigner de l'effectivité de cette idéologie. Cette main glaciale qui te tapotte sur l'épaule en te disant : "Mais non, Abdel, tu vois bien qu'on t'aime tous, toi et les comme toi. T'es un bosseur, tu mérites."
AK est-il "innocent", "coupable" ? Autrement dit est-il piégé par la machine "républicaine" quoi qu'il la mette en accusation, joue-t-il une partition bien huilée en connaissance de cause ? Son travail est-il simplement récompensé, sans aucune arrière pensée, pour ses très grandes qualités artistiques, comme tu sembles convenir de ce dernier point ?
Plus intéressant, et c'est là sans doute qu'il faudrait (ça c'est mon côté berger des penseurs perdus, hihi) approfondir pour savoir s'il y a contradiction ou non, ses battants (même de manière passive comme sa Vénus) échouent tous à la fin, tandis qu'à l'opposé AK, lui, ne cesse de multiplier les succès jusqu'à la consécration suprême (comme dirait le collègue de wootsuibrick expert en HHH) de la palme d'or. Alors que se passe-t-il au juste ? Pourquoi un type qui ne cesse de raconter dans ses films que le tissu social n'engendre que de l'exclusion, devient l'exemple même de l'intégration. Peut-être justement parce que ceux qui le priment ne correspondent pas trait pour trait à leur portrait brossé par AK dans ses films, qu'ils soient attachés à l'idéologie qui soutient que le travail mérite d'être récompensé, ou du moins que certains représentants visibles puissent témoigner de l'effectivité de cette idéologie. Cette main glaciale qui te tapotte sur l'épaule en te disant : "Mais non, Abdel, tu vois bien qu'on t'aime tous, toi et les comme toi. T'es un bosseur, tu mérites."
AK est-il "innocent", "coupable" ? Autrement dit est-il piégé par la machine "républicaine" quoi qu'il la mette en accusation, joue-t-il une partition bien huilée en connaissance de cause ? Son travail est-il simplement récompensé, sans aucune arrière pensée, pour ses très grandes qualités artistiques, comme tu sembles convenir de ce dernier point ?
Invité- Invité
Re: La vie d'Adèle
JM, oui mais... Je vais aussi tenter de te trouver un autre coupable, aussi coupable que le jury de Cannes, Kaganski et Abdel.
Il n y a pas de signification bien particulière à l'attribution d'une palme d'or, ou d'autres prix... du moins pas au niveau où tu poses le problème... rien avoir avec le discours esthétique du film. Plus avoir avec ce qui peut paraître de bon goût ou plutôt ce qui peut distinguer le jury lui-même... l'attribution d'un prix dit bien plus sur l'acte du jury, sur le contexte, que sur le film. Le prix c'est l'acte de le donner, sa substance ne dit rien de fondamental sur la nature de l'objet qu'il récompense. Du moins en dehors des raisons économiques et thématiques des lieux de diffusion. Il est évident qu'un prix scientifique ne récompensera pas une oeuvre littéraire, ou qu'un prix organisé par l'unicef ne récompensera pas un film sur la vie des baleines, ou que TF1 ne prendra pas le risque de diffuser du Tarkovski en primetime. Cannes récompense une catégorie précise de films : les films à prétention artistique, ou plutôt le cinéma d'auteur.
Mais je ne suis pas sûr qu'il soit arrivé une seule fois de toute l'histoire des "prix", qu'un prix soit attribué pour des raisons "purement" artistiques. Il y a toujours une arrière pensée. Après que l'arrière pensée en question ici soit "Abdel est d'origine tunisienne, on va mettre en valeur son travail comme ses films mettent en valeur les gens de sa communauté qui travaillent", c'est tellement flou, tellement impalpable dans le cadre que tu donnes, qu'on pourrait dire que le seul moment où cette idée a été fixé, c'est lorsqu'elle a été énoncé. Donc en ce qui me concerne, ici, c'est par toi qu'elle a été énoncée. C'est même la première fois que je tombe sur cette idée aussi clairement énoncée. Tu as donc pensé qu'il était possible que Abdel ait été récompensé parce qu'il était d'origine tunisienne. Tu l'a pensé en prenant pour base la possibilité qu'un arrière fond de pensée sociale, q'un inconscient social, qui se serait par je ne sais quelles circonstances matérialisé dans le corps de ce jury, aurait mené à ce prix.
Quel rapport entre "Ran"; "Entre les murs"; "The tree of life"; "la vie d'Adèle"; "Othello"; "Le Poison"; "La dolce vita"; "Le Guépard"; "Blow-up"; "Taxi driver"; "L'homme de fer"; "Oncle Boonme"; "Sailor et Lula"; "Elephant" etc. ?
La seule chose qui relit la majorité de ces films, c'est la politique des auteurs. La possibilité qu'une signature soit visible, pour pouvoir récompenser un nom.
La palme d'or ne dit rien de particulier sur le discours du film de Kechiche, à moins que ce soit très circonstanciel. Ou alors elle dit la même chose de tous les autres films primés.
Il n y a pas de signification bien particulière à l'attribution d'une palme d'or, ou d'autres prix... du moins pas au niveau où tu poses le problème... rien avoir avec le discours esthétique du film. Plus avoir avec ce qui peut paraître de bon goût ou plutôt ce qui peut distinguer le jury lui-même... l'attribution d'un prix dit bien plus sur l'acte du jury, sur le contexte, que sur le film. Le prix c'est l'acte de le donner, sa substance ne dit rien de fondamental sur la nature de l'objet qu'il récompense. Du moins en dehors des raisons économiques et thématiques des lieux de diffusion. Il est évident qu'un prix scientifique ne récompensera pas une oeuvre littéraire, ou qu'un prix organisé par l'unicef ne récompensera pas un film sur la vie des baleines, ou que TF1 ne prendra pas le risque de diffuser du Tarkovski en primetime. Cannes récompense une catégorie précise de films : les films à prétention artistique, ou plutôt le cinéma d'auteur.
Mais je ne suis pas sûr qu'il soit arrivé une seule fois de toute l'histoire des "prix", qu'un prix soit attribué pour des raisons "purement" artistiques. Il y a toujours une arrière pensée. Après que l'arrière pensée en question ici soit "Abdel est d'origine tunisienne, on va mettre en valeur son travail comme ses films mettent en valeur les gens de sa communauté qui travaillent", c'est tellement flou, tellement impalpable dans le cadre que tu donnes, qu'on pourrait dire que le seul moment où cette idée a été fixé, c'est lorsqu'elle a été énoncé. Donc en ce qui me concerne, ici, c'est par toi qu'elle a été énoncée. C'est même la première fois que je tombe sur cette idée aussi clairement énoncée. Tu as donc pensé qu'il était possible que Abdel ait été récompensé parce qu'il était d'origine tunisienne. Tu l'a pensé en prenant pour base la possibilité qu'un arrière fond de pensée sociale, q'un inconscient social, qui se serait par je ne sais quelles circonstances matérialisé dans le corps de ce jury, aurait mené à ce prix.
Ce personnage que tu as inventé pour qualifier l'acte du jury, ou de la société à travers le jury, je ne suis pas sûr qu'il existe vraiment dans l'acte de primer AK. En tout cas il n'existe pas plus que ce personnage qui dit : "Mais non, Akira, tu vois bien que même si l'art blanc est supérieur à l'art jaune, on va quand même récompenser ton film de samouraï, surtout qu'en plus il a été produit par nous autres blancs."Cette main glaciale qui te tapotte sur l'épaule en te disant : "Mais non, Abdel, tu vois bien qu'on t'aime tous, toi et les comme toi. T'es un bosseur, tu mérites."
Quel rapport entre "Ran"; "Entre les murs"; "The tree of life"; "la vie d'Adèle"; "Othello"; "Le Poison"; "La dolce vita"; "Le Guépard"; "Blow-up"; "Taxi driver"; "L'homme de fer"; "Oncle Boonme"; "Sailor et Lula"; "Elephant" etc. ?
La seule chose qui relit la majorité de ces films, c'est la politique des auteurs. La possibilité qu'une signature soit visible, pour pouvoir récompenser un nom.
La palme d'or ne dit rien de particulier sur le discours du film de Kechiche, à moins que ce soit très circonstanciel. Ou alors elle dit la même chose de tous les autres films primés.
Re: La vie d'Adèle
Tu as déjà gommé une ânerie de ton message d'origine, termine et il y aura réponse, ou pas... Jusqu'à présent c'est l'art bien connu de noyer le poisson à coup de subtils contre-exemples censés nous éclairer sur l'universalité des arts et des manières.
Invité- Invité
Re: La vie d'Adèle
[strike]Borges [/strike]les Inrocks a écrit:
Encore plus fort : en convoquant aussi sur scène Adèle Exarchopoulos et Léa Seydoux, Spielberg entérine la politique des acteurs, inaugurant un axe inattendu Spielberg-Moulet. Et il répond aussi au collectif La Barbe et aux féministes les plus pugnaces : après une palme d’or féminine en 65 éditions, bang ! Deux palmes d’or féminines en une seule soirée. Trop classe et trop fort, le Steven. De quoi clore de façon exceptionnelle un splendide millésime cannois.
...encore plus fort, encore plus féministe et encore plus "politique des acteurs" (c'est le bon mot), en convoquant et récompensant la fille Gaumont dans son rôle lillois, tout le monde assure ses arrières, inaugurant un axe inattendu LOSC (l'oncle de Léa Seydoux possède le club, mais c'est la mairie qui construit le stade et démantèle le camp Rom situé près du parking en affirmant par ailleurs que ce sont "des" -pour être honnête "les"- comités de riverains radicalisés qui ont déterminé la décision, c'est beau le partenariat privé-public au bénéfice du "rayonnement" européen de la ville)<->la région qui produit le film et Luc Moulet (qui n'a sans doute rien à voir là-dedans mais dont le nom sert de caution cinéma cheap et intègre)..bang!
Sinon, sur l’efficacité des messages de gauche envoyés via le festival de Cannes et son coontexte sociologique: en 2004 c'est quand la palme a été donnée à Michael Moore que Bush a recommencé à devenir majoritaire dans les intention de votes américaine...
Et en 2009, "Entre les Murs" a été reçu comme un documentaire sur l'école républicaine, la banlieue, l'intégration la violence, la déception des professeurs. "Est-ce que c'est comme cela dans la réalité?", la seule question que l'on posait après le film.
Invité- Invité
Re: La vie d'Adèle
Kéchiche son sujet c'est avant tout tous les femmes, peut être même ce mystère d'envoûtement des femmes. assez pour rendre ses films sympathiques. lui ne me passionne pas plus que ça.
Invité- Invité
Re: La vie d'Adèle
Merci pour ce texte tellement scolaire de Burdeau, le Comte.
Borges- Messages : 6044
Re: La vie d'Adèle
Borges a écrit:
S’il y a un film, une forme à retenir selon moi, c’est le réalisme expérimental d’Abdel Kechiche, sa manière de scruter les visages, comme s’il filmait sous l’empire de Bergman, Manet et Lévinas. Maintenant qu’il est adoubé par la quasi-totalité de la critique et par sa palme d’or, Kechiche va sans doute essuyer le proverbial retour de manivelle. Il parait que ça a commencé en divers lieux de la blogosphère. Sur Mediapart, Emmanuel Burdeau défend le film avec des pincettes, tenant ce propos qui me laisse abasourdi : « On gardera toutefois la tête froide, ce dont la critique semble n’avoir jamais été capable avec Kechiche. » Mais c’est dingue ça ! Il faudrait cacher sa joie, se retenir de jouir, ne surtout pas vibrer, ça pourrait salir la tenue impeccable du critique-penseur. M’enfin, le cinéma n’est pas un cadavre à disséquer, c’est une chose vivante, mouvante, génératrice d’élans et d’affects. Il faut certes l’analyser, le penser, mais l’exégèse ne doit pas empêcher de vibrer, de ressentir, de s’abandonner. Rester froid ? Non, mille fois non, si les films le commandent, il faut être chaud bouillant, brûler avec. Le ressenti incandescent n’est pas moins noble que la réflexion glaciale.
Donc, Kechiche palme d’or. Quand un jury cannois s’accorde au goût critique, il y a lieu de s’en réjouir. Steven Spielberg et ses huit jurés ont fait très fort. Ils ont choisi le meilleur film. C’est déjà pas mal, mais ce n’est pas tout. En couronnant un cinéaste franco-tunisien et un film d’amour entre deux femmes, ils envoient (involontairement ?) un signal fort et pacifique contre l’homophobie des Boutin, Bourges et consorts, contre le racisme des Copé, Hortefeux et consorts (non, on n’a pas oublié les Auvergnats et autres pains au chocolat), et pour l’exception culturelle. Identité nationale ? Ouais, prenez donc cette Vie d’Adèle dans la tronche. Encore plus fort : en convoquant aussi sur scène Adèle Exarchopoulos et Léa Seydoux, Spielberg entérine la politique des acteurs, inaugurant un axe inattendu Spielberg-Moulet. Et il répond aussi au collectif La Barbe et aux féministes les plus pugnaces : après une palme d’or féminine en 65 éditions, bang ! Deux palmes d’or féminines en une seule soirée. Trop classe et trop fort, le Steven. De quoi clore de façon exceptionnelle un splendide millésime cannois.
(Kaganski)
Toute la bêtise de la critique de cinéma et l'idéologie française en quelques lignes...
on se demande si le mec a jamais vu un manet, un bergman, ou lu une seule ligne de levinas...
Oui, Kaganski ne parle que de "jouir" et "se réjouir", "s'abandonner", "brûler", être "chaud bouillant" ; c'est le critique érotique-orgasmique. On dirait que, telle la grenouille-baromètre, il évalue les films en fonction de ses érections. Evidemment, il enchaîne sur la vilénie de la blogosphère, ce repaire de frustrés et d'impuissants. Bon dieu, mais qu'ils mangent donc de la brioche, ces aigris.
Si c'est ça la politique du cinéma à la française, on ne s'étonnera pas que DSK ait profité du festival pour venir parader. Ou que la référence Polanski ait trouvé de bon ton de bavasser au sujet de la navrante égalité hommes-femmes, d'ailleurs déjà réalisée d'après lui.
Et quand K se réjouit (encore) que deux femmes aient eu droit à tiers de palme chacune, ou plutôt un peu moins d'un tiers, puisque le plus gros morceau revient bien certainement à l'Auteur, c'est tellement pathétique de condescendance.
balthazar claes- Messages : 1009
Re: La vie d'Adèle
?? où tu vas chercher ça, t'as pas vu le film et t'as déjà un avis autorisé pour avoir lu 10 lignes dans un canard et t'être planté devant ta télé. il faut arrêter ce délire.
Invité- Invité
Re: La vie d'Adèle
slimfast a écrit:Kéchiche son sujet c'est avant tout tous les femmes, peut être même ce mystère d'envoûtement des femmes. assez pour rendre ses films sympathiques. lui ne me passionne pas plus que ça.
AK, son sujet, c'est moins la femme, si la femme peut être un sujet, que ce que nomme "la vénus noire" : la disjonction, l'écart par rapport à la norme; dans nos têtes, dans les représentations, Vénus (amour et beauté) ne peut être que blonde, comme MD. Dire vénus noire, c'est créer un choc, cela ne peut se faire que par ironie, racisme...
(je crois que nous avions déjà parlé de ça...)
Platon distinguait deux Vénus-Aphrodite, la populaire, et la céleste; division de classe, d'intelligence, de naissance, de genre... AK est du côté de l'aphrodite populaire; il ne s'adresse pas au burdeau, pas plus que Manet ne s'adressait à la bourgeoisie qui voulait voir un nu et non pas des femmes à poils (obscènes).
Burdeau très scolairement, tout en croyant rayonner, briller, très sagement, ne veut pas d'images cochonnes, ou de mots cochons, dans sa classe (aux deux sens du mots, qui finalement reviennent au même)
Dernière édition par Borges le Ven 31 Mai 2013 - 19:07, édité 2 fois
Borges- Messages : 6044
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