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Night moves de Kelly Reichardt

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Message par Invité Mar 29 Avr 2014 - 16:40

dans ce dernier film de Reichardt, on assiste à un travail de déconstruction, de démolition, pour faire l'analogie avec la destruction par trois jeunes militants de l'écologie d'un barrage hydroélectrique;
cet édifice représente pour eux l'impact nocif de l'activité humaine sur la nature.

Le film commence sans que nous ne sachions rien de leurs motivations:
personnages mutiques, couple sans intimité, qui jouent semble-t-il à ne pas être dans ce monde, à en refuser les valeurs établies; pourtant chacun regarde l'autre, avec inquiétude, suspicion, jaugeant les qualités, les faiblesses qu'ils peuvent ou non discerner: sera-t-il, sera t-elle, à la hauteur de leur projet commun?
Tandis que les informations commencent à dessiner une image plus nette de leur objectif, la cinéaste les fait transiter par d'autres images, urbaines, d'autres scènes illustrant le mode de vie américain, l'expansion, la croyance au progrès, la croissance, le contrôle de l'homme sur la nature. Ces images là envahissent le réel, en tisse un voile inextricable, jusque dans le domaine supposé territoire par excellence de la nature, la forêt.
Les personnages peuvent ils faire comme s'ils n'appartenaient pas à ce monde? à ce monde des hommes.
La catastrophe semble les projeter hors du cocon abstrait et théorique qu'ils avaient battis ensemble. L'édifice était aussi fragile que le barrage, chacun au fond désirant continuer sa vie tel quel sans que leurs actes ne les déterminent dans leur existence dans l'enceinte de la société (la communauté pastorale et utopique décrite n'existe pas hors de la réalité technique et marchande, en vase clos; des échanges existent, des lois s'appliquent et l'oblige vis à vis de l’état).
Au fond l'idée n'était pas assez belle, pourquoi mourir pour elle? Mais l'on peut tuer pour ne pas tout perdre, pour soi, pour sa survie?

Il y a une idée assez mystérieuse que j'aimerai cerner un peu mieux; la fille dans la bande, après la destruction du barrage, se met à souffrir d'une éruption cutanée, une forme d'urticaire. Syndrome d'une culpabilité qui traverse la barrière de l'esprit? Métaphore se reflétant sur la peau d'une nature défaite par l'inondation?
Le personnage central semble très intimidé par le corps de la femme; la fille travaille dans un lieu où sont proposés des bains, un sauna, un espace de détente pour les femmes actives et stressées où se forme une sororité qui lui échappe. Y a t il l'idée d'une terre mère que l'action du jeune homme tend à vouloir recouvrir, par la destruction? Cette fraternité féminine, créatrice, est de plein corps dans le monde, baigne dans une harmonie qu'il ne parvient pas à saisir, à attirer. (?)


Dernière édition par erwan le Mar 29 Avr 2014 - 17:56, édité 1 fois

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Message par Invité Mar 29 Avr 2014 - 16:46

interview de Reichardt dans chronicart a écrit:Quand j'ai fait lire le script à Todd Haynes, il m'a dit : « mais pourquoi  taper sur la gauche ? La gauche n'existe déjà presque plus ! ».

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Message par Eyquem Dim 4 Mai 2014 - 12:47

J'ai trouvé ce film suffocant, et contrairement à ce que j'ai pu lire (selon quoi la tension retomberait dans la dernière partie), il m'a semblé que la tension suivait un crescendo redoutable jusqu'à la fin du film. J'en suis sorti un peu fébrile, pour tout dire.

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Message par Invité Dim 4 Mai 2014 - 15:36

hello Eyquem; j'ai un peu le même sentiment que toi.
Tu avais écrit des choses très belles sur le cinéma de Reichardt.
Pour ma part, je crois que, avec le temps passant, seul old joy reste, intact, par sa manière singulière de faire peser sur les corps la durée, lymphatique, des plans. Je sais pas trop comment dire.

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Message par Eyquem Dim 4 Mai 2014 - 20:17

'soir Erwan,
Oui, c'est difficile à décrire: un mélange unique d'ennui, d'étirement, et en même temps, une angoisse, une tension, jusqu'au point de rupture. Toute la dernière partie du film, c'est extraordinaire de ce point de vue (Jesse Eisenberg y est pour beaucoup: il est incroyable dans ce film. Rien qu'à regarder son visage, on souffre, lol)
C'est pour ça peut-être que Reichardt aime les scènes dans les saunas, les bains chauds (dans Old Joy et ce film): on se détend, on se laisse aller, et en même temps, on s'expose, on se met en danger, tout peut arriver.

erwan a écrit:la fille dans la bande, après la destruction du barrage, se met à souffrir d'une éruption cutanée, une forme d'urticaire
Cet eczéma, c'est la manifestation visible des forces invisibles qui travaillent les personnages en profondeur: pour moi, ce qui a intéressé Reichardt dans ce film, c'est de dépeindre un groupe, puis les individus eux-mêmes, qui se désintègrent littéralement sous l'effet de forces intérieures trop violentes. Comme tu le dis, il y a un parallèle évident entre les personnages et le barrage. Qu'est-ce que c'est un barrage? Une paroi très fine qui subit la pression de millions de m3 d'eau. On pourrait en dire autant des personnages: une mince peau qui recouvre une idée fixe, une passion très violente. Dans je ne sais plus quel entretien, Reichardt raconte qu'elle voulait faire le portrait d'un "fondamentaliste": un type qui a la foi, un type en colère, qui ne peut pas se résigner, qui ne peut pas ne pas agir. Il suffit que Jesse Eisenberg apparaisse dans le plan pour que celui-ci se charge d'électricité, pour qu'on ait le sentiment de cette tension intérieure, de ces forces souterraines qui à la fois portent et laminent le personnage.



Quelque chose que j'ai appris en lisant des entretiens, c'est que Kelly Reichardt est fille de flics. Faut lire le résumé qu'elle fait de son enfance à Miami, c'est terrifiant: un père, enquêteur, qui prend des scènes de crimes en photo (ce qui lui donnera l'envie de devenir photographe); sa mère qui la fait monter dans des voitures banalisées pendant des opérations de la brigade de stupéfiants à laquelle elle appartient. Et tout autour, dit-elle, des retraités, et le désert culturel de la Floride, où les mômes se sentent tellement seuls et désespérés qu'ils passent des annonces dans le journal local: "Si quelqu'un connaît les Clash, par pitié, appelez-moi!"

— I grew up in Miami in the 1970s. My father used to come home early in the mornings after a long night of overtime, unclip the holster from his belt, pour himself a tall glass of milk and say, “Ah crime pays.” My mom carried her holster in her purse and in a pinch was as likely to pull out a ratty hairbrush as a 38. My dad worked the midnight shift. His car had Dade Country Crime Scene painted on the sides. My mom was an undercover narcotics agent and always had a different car – ones that were non-descript and which apparently you were not supposed to transport children in. I know this because my sister and I did a lot of crouching on the floor when we would enter certain parking lots. We would stay hunched over- mind you I was probably three feet tall at the time and my hunching was unnecessary- and move quickly into our own car where we again would lay low until we were outside the parking lot. Suitcases might appear from a trunk and be moved to another waiting car. Despite my parents line of work, despite the influx of Cuban exiles and boatloads of Haitian refugees floating up on the shores and despite Miami being the murder capital of the country – it seemed a pretty dull place to grow up. I remember Thurston Moore recalling when he was visiting Miami in those years, seeing an ad in the Herald that said, “if anyone has heard of The Clash, please call me”. That really gets across the isolation and general feeling of being a teenager in an endless string of sunny days in a city of retired people.
http://www.thislongcentury.com/?p=5570&c=190

My mom carried her holster in her purse and in a pinch was as likely to pull out a ratty hairbrush as a 38.: le genre de tension qu'on retrouve dans ses films, je trouve.
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Message par adeline Mar 6 Mai 2014 - 18:53

Hello ici,
mais vous avez trouvé ça bien ou pas ? Bête question… 

Je suis d'accord avec la grande tension et l'étirement, l'ennui. Il y a aussi une étrange absence de but. Pas dans l'action des trois, encore qu'on ne sache jamais quel est leur but, en dehors du "people will start thinking anyway", mais dans le film. La fin est évidemment la marque de cette narration sans conclusion, on dirait que le dernier plan est coupé par un arbitraire qui viendrait d'on ne sait trop où.

Ce qui m'a frappée : autant la description des faits et geste est précise et détaillée, donnant tout à comprendre et à voir, autant la description des idées, des raisons de l'action, des racines du militantisme et du passage à l'acte terroriste, est floue, imprécise, plus que lacunaire. Ce n'est pas tant qu'on ne sache rien de leur motivation, c'est que les idées n'existent qu'à l'état vague de généralité. L'action n'est pas du tout sur le mode de l'impulsion, par contre la manière dont les idées émergent donne cette impression. Un film, et hop. Une phrase sur les poissons, et zou le barrage.

C'est ne pas faire grand cas de la pensée politique, de l'idée qui pousse à agir.

adeline

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Message par Invité Mar 6 Mai 2014 - 19:55

salut Adeline,
mais vous avez trouvé ça bien ou pas ? Bête question…
de mon côté, pas spécialement ... je ne suis pas habité par l'interprétation de Jesse Eisenberg mais je peux comprendre qu'Eyquem puisse l'être; j'ai aimé cet acteur dans d'autres rôles.
Le personnage surprend ses deux complices dans la caravane en plein coït, alors qu'ils n'ont aucune empathie l'un pour l'autre; ça semble le démoraliser lol et peu après il y a un plan où il contrôle la fixation du chariot portant le bateau  qui le relie au véhicule, au moteur, comme s'il doutait de la fermeté des liens qui l'unissent aux deux autres personnages.
Chacun est dans son histoire personnelle, pour des motifs différents sans doute.
Le type possède une grosse bagnole américaine, ils ont tous des téléphones portables; quoiqu'ils en pensent, ils vivent dans la société qu'ils décrient: ça fait parti de leur intériorité.
Le dernier plan est à mettre en valeur avec ce qu'il contemple dans son bungalow écolo, une fenêtre circulaire au sommet du toit donnant sur rien, le ciel, les nuages gris, aucune idée de communauté possible, un dehors absolu.
Comme ils ne s'engagent pas sur le plan sociétal, leur pensée politique est nulle. Et le film semble décrire cela. Je sais pas trop; si le type a la foi comme le dit Eyquem, c'est en pure perte.
Je crois que j'avais lu que dans le dernier batman, dans un premier temps, les bad guys devaient agir pour des motifs écologiques. A vérifier ...


Dernière édition par erwan le Mar 6 Mai 2014 - 20:01, édité 1 fois

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Message par Eyquem Mar 6 Mai 2014 - 19:59

'soir Adeline,

Adeline a écrit:mais vous avez trouvé ça bien ou pas ? Bête question…
Moi oui, j'ai aimé.  Wink 

autant la description des faits et geste est précise et détaillée, donnant tout à comprendre et à voir, autant la description des idées, des raisons de l'action, des racines du militantisme et du passage à l'acte terroriste, est floue, imprécise, plus que lacunaire. Ce n'est pas tant qu'on ne sache rien de leur motivation, c'est que les idées n'existent qu'à l'état vague de généralité. L'action n'est pas du tout sur le mode de l'impulsion, par contre la manière dont les idées émergent donne cette impression. Un film, et hop. Une phrase sur les passions, et zou le barrage.

C'est ne pas faire grand cas de la pensée politique, de l'idée qui pousse à agir.
Politiquement, c'est le film le plus déprimant de l'année.

D'abord, parce que l'opération paraît un échec. Le film ne donne aucune idée des réactions des autres, alors que c'est pour ça, pour faire réagir, pour "éveiller les consciences"qu'ils ont commis cet attentat. On n'a pas l'impression que ça produise l'effet recherché. La réaction qu'on entend le plus, c'est celle de l'ami de Jesse Eisenberg, au matin, qui condamne l'attentat, en disant que tout ça, c'est du "théâtre". Ce qu'on sait, par ailleurs, c'est que tous les médias parlent de l'attentat: on imagine comment...mais le film ne dit rien de plus. Bref, ça paraît pas pour tout de suite, le grand réveil.

En plus, c'est tragique à la fin, pour le personnage d'Eisenberg, qui se retrouve totalement seul, vendeur dans une zone commerciale anonyme - soit le cauchemar même dont il essaie d'éveiller le monde.


Pour ce qui est de l'articulation des idées, c'est vrai que le film ne s'y intéresse pas. On pourrait dire que c'est un film représentatif de la "période intervallaire" où on est, selon Badiou.
Qu'est-ce qu'une période intervallaire? C'est ce qui vient après une période pendant laquelle la conception révolutionnaire de l'action politique a été suffisamment clarifiée pour que, en dépit des féroces luttes internes qui scandent son développement, elle se soit présentée explicitement comme une alternative au monde dominant et ait obtenu à ce titre des soutiens massifs et disciplinés. Dans une période intervallaire en revanche, l'idée révolutionnaire de la période précédente est entrée en déshérence. Elle n'est pas encore relevée par un nouveau cours de son développement. [...] Les mécontentements, les révoltes, la conviction que le monde ne devrait pas être tel qu'il est, que le capitalo-parlementarisme n'est aucunement naturel mais parfaitement sinistre, tout cela existe. En même temps, tout cela ne peut trouver sa forme politique, faute de pouvoir tirer sa force du partage d'une Idée. La force des révoltes, même si elles acquièrent une portée historique, reste essentiellement négative. Elle ne déploie pas le mot d'ordre dans l'élément affirmatif de l'Idée.
(Le réveil de l'histoire, p61 et 63)
Le film montre les luttes internes entre militants, pendant la séance où une fille projette son film. La fille dit qu'il faut "de petites choses", de petits projets, tandis que Eisenberg a l'air excédé, tellement tout ça lui paraît vain, sans efficacité. Le film s'en tient là, à ce constat d'un émiettement des actions politiques, sans projet commun clairement défini.




Sur certains points, faudrait comparer ce film à "A bout de course" de Lumet, dont le sujet est très proche.
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Message par adeline Mar 6 Mai 2014 - 20:58

Je dois dire aussi que Jesse Eisenberg m'a plus énervée qu'autre chose ; on pourrait le décrire ainsi si on écrivait pour un journal nul, "tout d'intériorité rentrée", hé hé hé, mais je n'ai absolument ressenti aucune profondeur en lui, malgré son laconisme et son incapacité à articuler. Comme le dit Eyquem, "rien qu'à regarder son visage, on souffre".

Le plus déprimant politiquement, de toute évidence. Rien dans ce monde ne donne envie de se joindre aux gens, pas non plus aux modérés, à ceux qui croient aux petites choses. Il fait gris, morne, humide, la forêt est inquiétante et sombre, les habitants de la communauté agricole donnent l'impression de ne pas vivre ensemble, de se connaître sans s'aimer, d'être là contraints par une force dont ils ont oublié l'origine.

Dans ce que tu dis Erwan, il y a plein de choses. Quand tu dis qu'ils ne s'engagent pas dans la société, c'est une lecture que les gens qui choisissent de vivre en communauté contrediraient, car dans cette démarche il y a plus que la volonté de vivre en société, la volonté de construire une société sur de nouvelles bases. Mais est-ce à ce type de communautés qu'appartient la ferme communautaire ?
Quand tu parles des bagnoles et des téléphones, le fait que même retirés dans la forêt ils vivent de la société qu'ils veulent détruire par leur geste, c'est toute la question de la société américaine et de sa construction contre/avec la nature. L'attirance répulsion, la frontière constamment repoussée et la nostalgie d'une époque où la nature était vierge… Il faudrait parler de tout ça à propos du film.

Combien y a-t-il de barrages aux Etats-Unis ? Si j'en crois ce site, 9.265.

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Message par Invité Mar 6 Mai 2014 - 21:40

Mais est-ce à ce type de communautés qu'appartient la ferme communautaire ?
des trois militants, il n'y a que le personnage de Jesse Eisenberg qui y vive, dans une espèce de solitude, sans réellement en faire partie intégrante, c'est du moins ce que j'ai ressenti; une scène le montre effrayé dans une serre, tandis qu'il entend le moteur d'un véhicule s'approcher de la ferme, comme s'il désirait un monde autarcique, ce que la ferme n'est pas; je crois qu'il est dans l'incapacité de proposer autre chose.
Reichardt donne plein d'indications d'échanges marchands, économiques, qui accompagnent les échanges humains: la fille par exemple, utilise l'argent de sa famille afin d'organiser leur sabotage; par la suite, elle pose sur sa peau une sorte de pierre dont on imagine qu'elle possède, dans son esprit, des propriétés thérapeutiques, qu'elle aura sortie du tiroir caisse, dans l'endroit où elle travaille.
c'est toute la question de la société américaine et de sa construction contre/avec la nature. L'attirance répulsion, la frontière constamment repoussée et la nostalgie d'une époque où la nature était vierge… Il faudrait parler de tout ça à propos du film.
je trouve que c’est une belle manière de traverser, questionner le film.
Il y a ce couple d'enfants qui jouent avec des pistolets à eau au bord du fleuve, au milieu de vestiges d'arbres aux troncs fraichement sciés; c'est une image qui m'a marqué.

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Message par Eyquem Mar 6 Mai 2014 - 23:03

erwan a écrit:des trois militants, il n'y a que le personnage de Jesse Eisenberg qui y vive, dans une espèce de solitude, sans réellement en faire partie intégrante, c'est du moins ce que j'ai ressenti; une scène le montre effrayé dans une serre, tandis qu'il entend le moteur d'un véhicule s'approcher de la ferme, comme s'il désirait un monde autarcique, ce que la ferme n'est pas; je crois qu'il est dans l'incapacité de proposer autre chose.
Sur la solitude du personnage, il y a une scène, un matin, où on le voit préparer son déjeuner et observer les autres: personne dans la pièce ne le remarque, chacun paraît totalement isolé dans sa bulle. L'un lit le journal, un autre écoute de la musique, un autre cuisine. Comme dit Adeline, on n'a pas l'impression qu'ils vivent ensemble, et pour ainsi dire, quand il se retrouve sans nom, invisible, dans le magasin à la fin, ça ne fera pas une si grande différence.


Ce que tu dis sur le bruit du moteur, c'est peut-être forcé: je n'ai pas l'impression que la solitude soit son désir. S'il a peur, là, c'est juste qu'il s'attend à voir débarquer les flics. J'ai bien aimé cette idée, d'ailleurs: cette attention au bruit des voitures, c'est un truc de la campagne, habilement réutilisé ici comme un procédé à suspense: le son du moteur qui approche (qu'on entend venir de loin et qu'on reconnaît ou pas), le bruit que fait la voiture en roulant sur les gravillons dans la cour: c'est comme ça qu'on sait que quelqu'un arrive, longtemps à l'avance.
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Message par Borges Mer 7 Mai 2014 - 10:14

je vous ai lus, et compris,  mais avant discuter avec vous certains points de vos messages,  mon avis

Wink

Je voulais le voir, je l'ai vu.  C'est pas nul, c'est pas mauvais, mais ça ne va pas très loin. C'est du KR, pas plus, pas moins. Déçu, alors? Oui, si on veut, mais c'est pas le problème : KR n'a pas pour vocation dans la vie de répondre à mes attentes, et je ne lui en veux pas. Seulement, on aurait voulu (je dis bien "on") qu'elle fasse exploser les cadres, les limites de son cinéma, sa forme bien trop consciente, que le barrage soit déconstruit, pour parler comme Erwan. C'est pas le cas. Cette absence de remise en cause de la forme semble révéler, exprimer, en tous les cas imprime en moi son idée du monde, son rapport à "la volonté de changement" (pour parler politico-médiatiquement). KR ne veut pas être une militante radicale de la forme, des formes et de leur contenu. Elle filme le malaise, l'écart, la marge, des individus et des groupes en errance, perdus, paumés, séparés de la capacité à œuvrer, à dire, à s'énoncer et à énoncer leur situation dans le monde, mais  sa forme à elle n'est jamais menacée, inquiétée par cette désorientation dans l'existence, de la pensée, des affects. Ce n'est pas d'elle qu'il s'agit, mais des autres, qu'elle observe d'un peu trop loin, comme des malades, des ratés, des nullités. Je la juge sans rien savoir d'elle, seulement d'après ce que ce film m'a fait éprouver. Tout est un peu trop posé et conscient, voulu, maîtrisé. De la maîtrise, il en faut, mais il faut aussi du tremblement. Trop de maîtrise  quand on filme des gens sans maîtrise sur la vie, c'est suspect. Je pense à ce que disait Valéry de Pascal, une angoisse qui écrit aussi bien, je me méfie. Qu'on me sorte pas le paradoxe du comédien, sinon, je répondrai que KR est la comédienne de son cinéma, plus que le sujet.

Je ne sais pas quoi penser d'un cinéma qui travaille le mystère, l'énigme, l'impossibilité de dire, sans que rien de cela ne soit effectivement mis en œuvre comme la vérité du film, sans que le film n'expérimente avec les personnages l'expérience du vide, de la nuit ; l'expérience de l'impossibilité d'un rapport.

Cela dit, je n'ai jamais été fou de ses films, toujours éprouvé un malaise, qui ne tient pas seulement à l'univers, au récit,  à ses thématiques, mais plutôt à ce sentiment de pose, que l'on peut sentir devant une certaine musique rock indépendante. C'est pas vraiment son univers musical, elle en est même assez loin, mais la définition du shoegazing lui convient assez  bien : "the musicians in these bands stood relatively still during live performances in a detached, introspective, non-confrontational state, hence the idea that they were gazing at their shoes."


(quelques précisions qui ne devraient pas avoir lieu, si les critiques, pro et amateur, avaient un semblant de curiosité, de culture, ou de logique. On dit parfois que KR fait dans le minimalisme, la sobriété. Il faut vraiment n'avoir pas d'yeux, de cervelle et de sentiment pour dire des trucs pareils. KR, c'est du lourd, du massif, c'est pas du non-dit, c'est du sur-dit, du sur-montré. Même si je ne sais pas très bien ce que cela peut vouloir dire, je dirais que c'est la dégradation de  l'expressionnisme en clip. Rien à voir avec Thoreau ou Emerson non plus, d'ailleurs, avec les transcendantalistes comme on les appelle, sans avoir jamais lu la moindre page d'eux. La nature chez KR ne figure pas l'innocence, le sens, l'expression d'une divinité, l'origine heureuse, le lieu d'une morale, supérieure à la morale instituée. Ses forêts sont tristes, moches, sombres ; ce sont des espaces de menace. Plus on s'enfonce en elles, plus on s'enfonce dans l'inconscient, dans l'archaïque. Si on doit les rapprocher d'une expérience historique américaine, c'est de l'expérience de la forêt peuplée de bêtes, d'Indiens, démons et sorciers, affrontée par les colons : le wilderness, qui entoure l'overlook, dans Shining ; le cœur des ténèbres. On est vraiment très loin de la nature idéalisée et source de l'idéal des romantiques et de leurs héritiers transcendantalistes américains. La nature est hostile, et l'isolement que l'on y vit n'a rien de particulièrement heureux, de revitalisant. Il ne permet aucun dépassement, il n'enseigne rien. L'espace du cinéma de KR, comme celui de la vie de ses personnages, est sans ouverture, sans réelle transcendance. Ses dehors ne signifient pas l'infini, le lointain d'un désir ou le désir d'un lointain, mais l'obscurité. Rien de plus différent de la solitude de Thoreau, ou d'Emerson, dans les bois. La solitude ici dans la nature est une ouverture à "Dieu", au sublime. C'est un dépassement de la solitude humaine, sociale, mondaine, vers une communauté infinie, un peu comme dans l'expérience kantienne du beau.

On me dira qu'il s'agit pour elle de signifier la perte de cette relation, de saisir la subjectivité désorientée dans une nature privée d'éclat, de lumière, de rayonnement et de vie. La nature "morte",  comme signe expressif de la désolation humaine. Je ne crois pas.)


Je reviens.

Au début, avec ses premiers films, on se dit qu'il y a quelque chose. Question émotion, si on se laisse aller, on vit des choses.  "Old Joy" était suffocant, "Wendy et Lucy", fort, "La dernière piste", le plus beau de ses films ; son grand film selon moi, jusqu'à présent. Elle semblait sortir de ses forêt, humides, sombres, trouver de l'énergie à ses personnages, un sens de la conquête, du mouvement. Le film affirmait quelque chose ; les personnages n'étaient pas seulement des espèces de victimes d'on ne sait quelle étrange maladie, mentale et sociale, en souffrance du monde.  

Avec "Night moves", elle fait un pas en arrière et c'est dommage. Elle perd le mouvement, et retourne à la nuit, et à ses trucs formels. On s'ennuie, mais avec colère. Le suspense, la tension, les personnages, l'action et ses conséquences... c'est du fabriqué. Tout semble le produit d'une idée (cliché), d'une scénario, d'une démonstration, même si le résultat de cette démonstration est moins théorique qu'affectif. On ne sait pas où elle veut en venir, mais si son but était d'augmenter notre tristesse, de diminuer notre capacité à croire en ce monde, et en l'impossibilité d'un autre monde, elle a bien réussi son coup. Lamentable.

Le FBI et les flics doivent être contents ; je rigole, mais pas tant que ça.

D'accord, il y a de belles choses, des choses épatantes, quelques plans, quelques images, des émotions troubles, inquiètes, un sens du plan de suspension, des raccords qui surprennent, des stases de mélancolie, un rendu angoissant de l'isolement de la parano,  mais à la longue ça lasse, ces affects négatifs, surtout quand ils semblent joués plus que vécus.  

Le plus beau film récemment, c'est "Le Loup de Wall Street" : de la force, de la dépense, de l'énergie, au lieu d'une forme complaisante sans vie. La forme fatigue, et la forme de la fatigue du monde, de la vie, encore plus. Comme disait Badiou : on a envie que le cinéma affirme quelque chose et nous sorte de cette ambiance de déprime, de perte, de je ne sais pas très bien quoi d'ailleurs. C'est pas un problème de tristesse et de joie, mais de films vrais ou nuls. Ce film est nul. C'est DH Lawrence qui disait je crois : il n'y a pas de grande peinture triste, quel qu'en soit le sujet un tableau s'il est grand exprime la joie.

Un film sans joie, formellement, dans le contenu.  

Le problème n'est pas nouveau, dans les années 1970, "la critique de gauche" soupirait déjà après des personnages positifs de gauche...

Quel est le rapport de KR à la gauche?


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Message par Borges Mer 7 Mai 2014 - 11:05



"NM", c'est la version "cinéma indépendant" de Noah, sans la joie de la destruction, sans les grands moyens de la production des images dont disposent les faiseurs de blockbusters, sources de joie pour leurs cervelles "créatrices". Dans les deux films, un même constat :   Le monde va mal, c'est la fin des temps, mais l'apocalypse est vue ici depuis l'écologie militante, et l'homme n'est pas jugé moralement.   Dieu ouvre le grand barrage du ciel et noie pratiquement toute la création, nos trois héros, qui ne sont pas Dieu, veulent bien lutter contre la destruction de la planète et de l'humanité,  mais sans tuer personne, pas plus les coupables que les innocents.   Nos militants sont plus moraux que Noé et sa famille :  la mort d'un seul campeur démolit leurs  idéaux, leurs croyances, leur communauté.  C'est tragique et marrant, quand on pense que l'humanité, la communauté humaine post-apocalypse dans Noah est fondée sur la destruction de pratiquement toute vie sur terre. On dira que Dieu n'a tué aucun innocent; de son point de vue, tout le monde méritait la noyade.  

Mais ce campeur était-il si innocent, demanderait Brecht ?

Lors de la projection du film écolo-militant, à la question : "ok, ça va mal, mais que faire?",   la cinéaste répond, en altermondialiste postmoderne, "c'est fini les grands projets, les grands récits,  faut des petits projets, des actions locales...La destruction du barrage est-ce un petit projet dans l'esprit de nos héros, ou alors, un grand projet, le refus des petites actions locales : je mange bio, j'achète mes légumes dans une coopérative...?  Je ne sais pas trop, mais à l'évidence, KR, prend le parti de la communauté contre ses dingues : faire exploser un barrage, non seulement, c'est con, du cinéma, mais tuer un innocent, y a rien de pire. La vie contre l'idée, et bien entendu la vie est supérieure à l'idée.  Aucune idée ne vaut que l'on tue pour elle, c'est la position de gauche, la position morale.  Qui le fait ne peut être que dingue, fou, "fondamentaliste". Les militant ne sont pas saisi depuis la vérité de leur action, de leurs idées politiques, mais ,  depuis un regard clinique, comme des cas,   comme des marginaux, pas très bien dans leur tête, dans leur vie, dans le monde, dans la société.  La situation est semblable à la première histoire de  " a touch of sin", ou   à "Michael Kohlhaas"; dans les trois cas l'action politique radicale est mise en relation avec une certaine démesure, une certaine folie...Faudrait développer, affiner les différences.

Le problème de KR, c'est le vieux problème des révolutionnaires du début du siècle dernier : la vie innocente contre l'universalité de l'idée (Cf Dosto, Camus...), mais on peut remonter plus loin encore, à Schiller, Hegel...

Ce ne sont pas de fausses questions, bien entendu, mais leur reprise est un peu trop cliché chez KR; elle aurait pu nous raconter l'histoire de trois militants super cools, bien dans leur vie, leur tête... leur opération réussit, on ne tue personne... Le barrage explose comme un feu d'artifice, dans la joie...la nature retrouve ses mouvements, l'eau coule à nouveau, heureuse et sauvage, libre; la communauté est super contente...

Dans les Blockbusters on détruit des villes entières,  les combats entre les super héros et les super méchants font des centaines de milliers de victimes (collatérales, comme on dit), il ne vient à l'idée de personne de qualifier les  "Avengers", "Superman"... de "fondamentalistes", comme le fait KR avec ses personnages.

Pourquoi?
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Message par Eyquem Jeu 8 Mai 2014 - 13:42

Hello Borges,

Comme le film me paraît plus senti que poseur, je trouve que ça vaut la peine de continuer à discuter. Wink
Borges a écrit:Lors de la projection du film écolo-militant, à la question : "ok, ça va mal, mais que faire?",   la cinéaste répond, en altermondialiste postmoderne, "c'est fini les grands projets, les grands récits,  faut des petits projets, des actions locales...La destruction du barrage est-ce un petit projet dans l'esprit de nos héros, ou alors, un grand projet, le refus des petites actions locales : je mange bio, j'achète mes légumes dans une coopérative...?  Je ne sais pas trop, mais à l'évidence, KR, prend le parti de la communauté contre ses dingues : faire exploser un barrage, non seulement, c'est con, du cinéma, mais tuer un innocent, y a rien de pire. La vie contre l'idée, et bien entendu la vie est supérieure à l'idée.  Aucune idée ne vaut que l'on tue pour elle, c'est la position de gauche, la position morale.  Qui le fait ne peut être que dingue, fou, "fondamentaliste". Les militant ne sont pas saisi depuis la vérité de leur action, de leurs idées politiques, mais ,  depuis un regard clinique, comme des cas,   comme des marginaux, pas très bien dans leur tête, dans leur vie, dans le monde, dans la société.
Je pense pas que le film adopte simplement ce point de vue moral de gauche. Dans un entretien, Reichardt pose explicitement la question:

Avec Jonathan Raymond , le co-scénariste, on voulait poser la question : considérant l’état actuel des choses, pourquoi ne sommes-nous pas tous en train de mettre des bombes partout ? Si le monde industrialisé nous conduit tout droit au bord du précipice, en quoi cela importe t-il de sacrifier quelques personnes en chemin, pour sauver l’humanité ? C’est, je suppose, d’ailleurs la justification utilisée lorsqu’on s’engage dans un combat, une guerre, peu importe les pertes, si l’objectif est bien plus grand. Evidemment une perte humaine compte, parce que tout le monde ne se met pas à commettre des actes terroristes tous les jours. D’un autre côté, une approche plus passive semble être futile, voire inutile, face à de tels enjeux et le film soulève la question de si on ne fait pas ce genre d’actions violentes, alors qu’est-ce qu’on doit faire, quand les industries et le gouvernement sont à ce point liés ?

http://www.toutlecine.com/cinema/l-actu-cinema/0002/00029070-kelly-reichardt-pourquoi-ne-sommes-nous-pas-tous-en-train-de-mettre-des-bombes-partout.html

Celle qui se rend malade à cause du mort, c'est seulement la fille. Le 3e personnage (celui qui vit dans les bois, l'ancien marine), ça a l'air de lui faire ni chaud ni froid. Quant au personnage de Jesse Eisenberg, j'ai l'impression qu'il regrette qu'il y ait un mort, à cause du problème moral que ça pose, mais surtout à cause des complications que ça entraîne: ce qu'il craint, c'est la prison, la traque policière.

Je suis pas sûr que Reichardt se range de façon aussi évidente du côté de ceux qui préconisent les petits projets, les petites actions. D'abord, parce que comme on l'a dit, l'image qu'elle donne de la communauté n'est pas très positive. Le film militant qui est projeté a l'air assez ridicule (des images de nature recouvertes d'un discours lénifiant). Et que penser de la communauté qui fout Jesse Eisenberg dehors, par peur des ennuis avec le FBI?


C'est un film des limbes. Le film n'affirme pas la supériorité de l'idée, mais il me semble qu'il s'aventure hors du territoire où la mort du campeur est seulement perçue comme un drame que rien ne peut justifier.
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Message par Borges Sam 10 Mai 2014 - 10:03

Hi;

-oui, bien entendu le film mérite la discussion. Mais le passage que tu cites confirme ce que je disais, c'est bien l'opposition entre l'idée, le meilleur, la justice et la valeur de la vie humaine qui est construite par la fable, le récit, le film. C'est un vieux problème, comme je disais. La question des justes. La gauche "révolutionnaire" dit :  nos idéaux ne valent pas la mort d'un innocent; la droite, ou la raison d'Etat dit :  pour sauver des innocents, il faut pouvoir annuler le droit, la morale, les mettre entre parenthèse. On ne peut pas torturer, mais on le doit s'il s'agit d'arracher à un salaud l'endroit où il a caché la bombe...(ZDT, Batman, ou le dernier "hobbit, comme l'avait fait remarquer Erwan). D'un côté, on ne peut pas, mais on doit; de l'autre, on doit, mais on ne peut pas.

(la victoire sur le tyran irakien justifie la mort de 500.000 enfants disait la secrétaire d'état de Clinton, Madeleine Albright )

(Je sais pas si tonylemort a vu ce film; ce serait intéressant de le voir en relation avec le MK, et la critique hégélienne (belle âme, loi du coeur, délire de présomption) de Karl Moor, le héros des Brigands de Schiller, dont tu avais parlé, si je me souviens bien  )

-Pour moi, la mort du campeur annule la valeur de l'acte de nos héros, qui en soi était déjà absurde, comme le fait remarquer le chef de la coopérative.  On est donc dans une situation d'impossibilité : ni les petites actions, ni les grandes. Quoi alors?  Le héros est séparé de la communauté,  mais aussi de l'universalité  représentée par l'Etat (les lois, le droit...). Situation de la tragédie. On ne ressort pas Antigone. L'homme-tigre de "a touch of sin" était dans le même déchirement...Il a raison moralement, mais personne ne se joint à lui, si bien que son action apparaît finalement comme la folie d'un acte singulier.

-Seule la jeune fille est moralement traumatisée par la mort du campeur; vrai et pas si vrai. De plus, nous sommes avec elle; elle est le seul élément un peu sain dans cette équipe. L'ancien marine (comme il se présente) et le jeune type  ne sont vraiment pas des objets d'une identification possible. Et sa mort en fait l'héroïne tragique. Ses symptômes sont la vérité de ses affects; c'est pas seulement une affaire de morale bourgeoise...

Il faudrait lire  le personnage de Jesse Eisenberg, en relation avec celui de  Noah, et voir leur relation à "la belle âme  misanthrope, rejetant sur le monde le désordre qui fait son être." (Lacan)

"touch of sin" se terminait sur le plan des spectateurs; c'est comme si à chacun de ces visages le film demandait de chercher en soi le "péché", et de voir en quoi il participe aux désordres, à l'injustice; on pense au mot de Freud : " Cherche dans le désordre dont tu te plains la part qui te revient".

quel est le propos de NM? je sais pas très bien.
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Message par Borges Sam 10 Mai 2014 - 10:28

Tu avais cité, Eyquem, un passage de Badiou sur le temps intervallaire, ce qu'il dit du radicalisme us, à partir de RB, est aussi très éclairant :

Badiou a écrit:Quelques mots sur Russell Banks. Les personnages de ses romans sont très souvent aux prises avec la question de l’orientation dans l’existence, question qu’il présente du biais d’une figure d’égarement : ses personnages sont en général profondément désorientés et c’est de l’intérieur de cette désorientation qu’ils cherchent mi-aveuglément mi-lucidement un point qui va fixer leur destin. Personnages souvent pauvres, ou plus ou moins marginalisés socialement, ce qui fait de R. Banks un écrivain de la subjectivité populaire, chose particulièrement rare, notamment dans nos pays.

Mais on trouve aussi chez lui des personnages d’intellectuels à l’existence exagérément orientée, pris dans une espèce de sur-orientation volontariste (le meilleur exemple en est John Brown dans Pourfendeur de nuages), comme si l’être américain – la grande question de R. Banks est en effet : « Qu’est-ce que c’est qu’être américain ? » - ne pouvait qu’hésiter entre aveuglement destinal et volontarisme moral en excès sur ce que la situation autorise.

L’introduction de cette dimension morale est essentielle au « radicalisme » dans son sens américain : il y a fondamentalement pour les radicals US indiscernabilité entre la morale et la politique.

John Brown est plus le saint (jusque dans sa mort en martyr) de la juste cause de l’émancipation des Noirs qu’il n’en est le militant. S’il en avait été le militant, il aurait vu que tenir une maxime universalisable (au sens kantien), comme il l’a fait pour la maxime de l’émancipation des Noirs, ne suffit pas et qu’il faut en outre être comptable du processus de sa subjectivation (post)événementielle ; autrement dit qu’il faut se préoccuper de l’effectivité de la maxime. Il n’est pas suffisant de tenir une maxime, il faut tenir les points successifs de la construction, de l’existence, de cette maxime. Elément de discontinuité essentiel qui se surajoute à l’élément de continuité fourni par le sens de la maxime.

Cette différence profonde entre le radical américain et le progressiste/révolutionnaire européen  : car si vous êtes dans la morale, vous aurez affaire à des problèmes d’interprétation, tandis que si vous êtes dans l’élément des procédures de vérité, votre question sera nécessairement celle des assertions d’existence.

Russell Banks, faisant le bilan de son radicalisme personnel, médite dans ses romans sur cette implication de la morale dans la politique et il en montre les limites (en particulier dans Pourfendeur de nuages) – mais aussi la grandeur : car cet alliage de la morale et de la politique est à l’origine d’une forme particulière de courage, courage qui, par contre, dans nos contrées, se rencontre de façon beaucoup plus rare …

Je voudrais revenir sur ce que j’ai appelé la maxime des capacités ou maxime de confiance. Quel est l’objet de la confiance ? Contrairement à ce que l’on voit avec la figure du héros, la confiance ne porte pas sur la subjectivité ; c’est en effet avec la figure du héros (la figure du guerrier) que le sujet porte sa confiance sur lui-même en tant qu’exception, sur lui-même en tant qu’il dit qu’il est à la hauteur de la maxime qu’il tient – et dans ces conditions, l’action devient un spectacle. C’est tout à fait net chez Corneille avec le culte que les héros vouent à leur gloire, mais aussi bien, nous venons de le voir, avec le personnage de John Brown dans Pourfendeur de nuages qui ne cesse de manifester que par ses actions il est bien à la hauteur de la maxime dont il s’est fait le champion. Ce qui de fait interdit la maxime des capacités ; celle-ci rend vain l’énoncé par lequel le sujet se déclare à la hauteur de sa maxime, car ce sur quoi porte alors la confiance n’est pas la subjectivité (et sa hauteur), mais sur le fait de traiter un point de la matérialité de la maxime. Dans la maxime des capacités, il n’y a pas d’héroïsme du sens. Ce que Pourfendeur de nuages montre c’est qu’un héroïsme du sens, tel celui pratiqué par John Brown, conduit inéluctablement au nihilisme. Or, quel est le vœu du nihilisme ? Le vœu du nihilisme, c’est celui d’une combustion instantanée de l’existence elle-même. Et ce même si le nihilisme de John Brown peut être qualifié comme un nihilisme éthique. Tout héroïsme structuré comme celui de John Brown est aujourd’hui mortifère et il faut absolument se défaire de la tentation aristocratique, guerrière, de s’appuyer sur une morale comme morale d’exception.
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Message par Invité Sam 10 Mai 2014 - 20:16

c'est obscur :

-D’une part il base son analyse sur une représentation culturelle et esthétique du militantisme (un personnage d'un livre de Banks) pour en déduire une sorte de maxime permettant ensuite de séparer le mortifère et le non-mortifère dans le militantisme politique réel. Le réel est donc jugé par sa réduction esthétique. Est-ce qu’il ne faudrait pas faire l’inverse ?

-Enfin pour lui (si j'ai bien suivi) le nihilisme réside selon lui dans l’écart entre la radicalité de l’intention politique d’origine et la déception envers les résultats de l’action, et dans le fait de protéger à tout pris l'intention d'origine. Ensuite il reconfigure cet érrat: on se protège de cette déception et donc du nihilisme en séparant radicalement les domaines moraux et politiques. Il reproche à Banks d’avoir une maxime kantienne, mais lui-même place finalement son critère dans le jugement de l’intention politique plutôt que de l’acte, de manière encore plus prononcée que ce qu'il dénonce.  
En fait le nihilisme pour lui c’est non pas produire soi-même de l’absurde et du vide de sens (il ya aussi un nihilisme petit-bourgeois, chez qui n'agît pas, qui n'empêche pas de juger et d'évaluer), car le seul fait d’être confronté à l’absurde et au paradoxe est déjà une forme de nihilisme. Cela revient aussi à dire que quiconque fait deux fois la même chose, la première fois avec conviction, la seconde fois avec des doutes, est automatiquement nihiliste. Posture commode, en fait il passe aussi son temps à affirmer qu’il est impossible aujourd'hui d’être plus à gauche qu’il ne l’a lui-même été dans la passé.

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Message par Eyquem Dim 11 Mai 2014 - 11:42

Salut Tony,

Je ne trouve pas ça si obscur.
Le réel est donc jugé par sa réduction esthétique. Est-ce qu’il ne faudrait pas faire l’inverse ?
Ce n'est pas parce qu'il cite Banks qu'il fonde toute sa philosophie dessus. C'est de l'ordre de l'exemple.

Pour le reste, j'ai compris qu'il opposait deux formes d'action: celle du saint ou du martyr, qui veut mourir pour la cause qu'il défend; et celle du militant, qui veut vivre pour sa cause, c'est-à-dire la continuer, la faire exister.
Je n'ai pas lu le roman de Banks, mais apparemment, le personnage se sacrifie pour une noble cause. Ca ne correspond pas à l'idée de Badiou, pour qui l'essentiel, dans l'action politique, c'est de "continuer": tout le contraire d'un héroïsme de la "combustion instantanée de l'existence" comme il dit.
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