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Gravity (A. Cuarón): Never Mind the Bullock/les fins des étoiles

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Gravity (A. Cuarón): Never Mind the Bullock/les fins des étoiles - Page 3 Empty Re: Gravity (A. Cuarón): Never Mind the Bullock/les fins des étoiles

Message par Borges Ven 28 Fév 2014 - 11:44

Il fait beau, ici; jolie matinée.

Ayant du temps, et l'esprit libre, ou du moins m'étant efforcé de libérer mon esprit des contingences de l'existence, de ces nécessités qui nous éloignent de notre vraie nature, et de la nature du vrai, je vais pouvoir enfin le consacrer, ainsi que mes mains agiles, vite comme le vent (comme on disait en des temps plus homériques, en des temps où les hommes savaient rire), hélas, jamais assez pour suivre la vitesse de mes pensées : à la mort des étoiles.

Donc, droit à la mort des étoiles, mais non sans avoir pris les précautions, morales, oratoires et toutes celles dont la vertu ménagerait la sensibilité de nos lecteurs, protégerait l'ego des blessures que nous impose nécessairement la coprésence au monde de nos semblables, qui, c'est de notoriété publique, en certaines occasions oublient que rien n'est plus utile, agréable à l'homme que l'homme, pour autant qu'il soit guidé par la saine raison, une raison qui ne cherche que la raison, qui n'affirme que la raison, qui refuse et combat les séductions narcissiques de cet art où certains se montrent plus habiles que d'autres : avoir toujours raison. Un art, qu'il ne faut  pas confondre avec le simple fait d'avoir raison. Comme nous l'avons dit et prouvé bien des fois, en maintes occasions, lors de bien des polémiques : qui affirme que 2+2 font 4 ne cherche pas à avoir raison de son semblable dans l'erreur, il a tout simplement raison, sans même l'avoir cherché, malgré lui parfois. Qui affirme la raison, en qui la raison s'affirme, n'a pas raison de l'autre, mais de tout et de tous, et d'abord de lui-même...

Comme disait le vieux Kant, en des temps plus critiques : la raison nous humilie. Il parlait alors de la raison morale, mais la théorique ne se débrouille pas mal non plus.

Osons cette formule, pour les amateurs : l'histoire de la raison est l'histoire des humiliations de l'homme, qui se transforme sublimement si nous savons suivre son rythme, ses mouvements, en mettant à l'écart nos petits égos, notre sensibilités, les intérêts imaginaires qui nous font prendre notre image pour le sommet de la création.  

Tout cela est si bien connu, tout cela a été commenté, démonté, déconstruit, ridiculisé, changé en comédie. Que ceux qui le savent, ou croient le savoir, où qui l'ont un jour soupçonné, sans avoir eu le courage d'en faire une éthique, une phénoménologie de l'esprit, n'aillent pas croire que nous cherchons ici à les instruire, à jouer les maîtres du logis.

Passant du "nous" (de la raison) au "je" (de notre pauvre petit moi), je précise : je ne vise ici ni à corriger, ni à enseigner, chers lecteurs, mes semblables... Je ne veux point réformer l'entendement, la morale des genres humains, ni rien de semblable. Ma visée n'est pas si modeste. Mon intention alors que j'écris sur les traces de quelques-uns de mes maistres, dont Montaigne, en ce moment, on aura reconnu sa voix, est plus simple, plus grave : amener à des idées claires et distinctes mes impressions au sujet du film de AC (putain, je retiens jamais son nom). C'est pour moi seul que j'écris, c'est à moi seul que je veux enseigner certaines choses, sans prise de tête, sans chercher à tourmenter mes semblables, qui n'ont besoin de personne pour se sentir tourmentés quand ça les prend.  

Peut-être, ou plutôt sans doute, ces idées, que je m'efforcerai de rendre aussi claires et distinctes qu'il est en mon pouvoir fini, n'éclaireront que le sujet de cette recherche, de cette visée : le passage de l'idée du dedans au dehors, l'expression vraie du vrai pour de vrai, étant une vraie galère.

Écrire, cette galère écrivait Mallarmé.


Ces précautions prises, sur le point de commencer, rappelons quelques vérités obtenues aisément, car c'est les manquer qui relevait de l'exploit, et qui mérite nos applaudissements. Si le faux n'est pas toujours intéressant, il est quelques fois plus amusant que le vrai, quand celui-ci est trop commun. C'étaient les erreurs de nos petits camarades en classe qui nous faisaient rire.

Mais rire n'est pas tout ; au contraire dirait Bataille, rire est l'ennemi du tout.
Alors rions ; c'est fait.
Reprenons alors notre mouvement vers le vrai.

Donc, nous avions montré de manière argumentée, appuyée sur des exemples, des arguments, des tours de passe-passe, des balivernes sophistiques, des jeux de mots sans raison, fournis par notre ingéniosité (baroque, par moment, mais jamais jésuitique), nos sentiments (autrement et mieux appelés "affects"), par  les autorités critiques, la réception commune, à qui il est toujours bon de se référer, pour avoir une idée commune de ce qui se dit, se pense et même l'avis de l'auteur :

1- que ce film est religieux, chrétien, bouddhiste, cliché, new age, comme on dit, un mélange de balivernes provenant de diverses spiritualités, privées de leur sol, de leur sens et de leur valeur…



Certains de nos lecteurs nous avaient reproché de ne pas avoir suffisamment argumenté, fondé cette position. Ce manque, qui n'en était pas un, a été depuis corrigé, non sans réticence. Notons que nous ne cherchions pas à fuir notre responsabilité d’être raisonnable en pleine discussion sur un forum : ne jamais rien exposer sans l'avoir argumenté, démontré. Nous pensions simplement que la chose était évidente, par paresse peut-être, ou alors, chose qui arrive trop souvent, parce que nous accordions une trop grande confiance au désir de vérité de nos concitoyens. Quand nous avons fait allusion aux "Fils de l'homme", il s'agissait de pointer une unité thématique déjà soulignée lors de la discussion : celle de la mère; dans le premier film, nous avions la naissance miraculeuse d'un sauveur; dans "gravity", une mère pleurant son enfant mort (sa fille) : les deux figures les plus connues de la Sainte Vierge.

Ne pas avoir insisté était une faute, mais pas une très grande faute.




2- que ce film, les deux points sont inséparables, oppose classiquement le dedans (valorisé) au dehors (condamné) : la terre, c'est notre maison, c'est chez-nous, l'espace de la vie, maternelle, bien entendu.

L'espace au contraire, c'est le dehors dangereux.

Ceux-là même qui, voulant prendre leur semblable à contre-pied, avaient tenté de montrer que cette distinction, ce partage, était absent du film, ne pouvaient nier que l'espace (le dehors) est lié à la mort, est mort, métaphoriquement, littéralement et en tous les sens, ajouterait Rimbaud, qui n'ayant pas vu le film est pardonnable si je lui fais dire des conneries.  

Espace de mort. Ajoutons : espace de dispersion, dissémination, éclatement, espace sans point, sans immobilité, espace de l'errance… Et éclairons cela par un recours aux contes de notre enfance : l'histoire des trois petits cochons et leur fameux loup qui souffle très fort, détruisant tous les abris, sauf un. La terre, c'est la maison du bon petit cochon.

- Espace, disions-nous, de la mort, mais cela n'est pas vrai complètement ni absolument juste, au fond c'est même faux… L'espace de la mort est un espace de renaissance, de retour à soi, à la vie, un espace de résurrection, de conversion… Un schème dirait AC, comme il l'avait fait pour "Les Fils de l'homme", film sur l'espoir selon lui, que chacun peut interpréter à sa manière, la religieuse étant une lecture comme une autre; j'appelle ça de la triche : un récit qui prend la forme d'un récit religieux, chrétien, formateur, fondateur, hyper prégnant, ne peut être que religieux, même si l'on fait d'une réfugiée africaine la nouvelle marie, la nouvelle Eve. Darwinisme oblige. Il s'agit pas de "déconstruction" matérialiste d'une schème religieux, comme le prétend le fantaisiste Zizek, dont les liens avec le christianisme ne sont pas simples.

- Espace de mort, de la mort, en vue de la vie, d'une vie plus haute, qui sera passée par la mort et l'aura vaincue, surmontée. La mort n'est pas une fin, mais un passage (l'enfant mort est un ange, GC revient comme sauveur, après s'être sacrifié…). Car pour revenir, ressusciter, renaître… il faut bien mourir, pardi : il faut avoir traversé la vallée des ombres…

Espace : espace de passage de la mort qu'est la vie qui porte la mort, qui porte le deuil, la vie sans désir de la vie, la vie sans désir, à la vie qui veut la vie, qui désire la vie, dans tous les sens de ce mot : Ryan Stone. Ryan est une pierre, comme je l'avais dit spirituellement, qui roule, et qui n'amasse pas glaise…
(On peut parier qu'elle aura un gosse dans la suite de sa vie; chez AC, la femme s'accomplit en tant que celle qui donne la vie)

- amour de la vie, sans doute, mais affirmer la vie, cela peut se faire de bien des manières, toutes ne sont pas vitalistes, nietzschéennes… "Celui qui croit en moi vivra, quand même il serait mort. Et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais."

La mort n'est pas la fin du film, la mort n'est pas une fin, nous dit le film. La vie sans cesse s'affirme, en nous, malgré nous, dit AC (je sais plus où).

Cela établi fermement, fondé sur le sol des évidences, il nous faut (je plaisante, il ne faut rien, mais je trouve que c'est le moment) nous tourner vers les spectateurs de ce film qui ont tremblé pour la vie de SB, qui ont craint jusqu'au bout qu'elle ne trouve la mort au bout de son aventure spatiale. Vécu ainsi le film doit être super prenant, mais, comme je l'ai dit, cette expérience m'a hélas été interdite; à aucun moment je n'ai eu peur, pour ou avec SB; son aventure dans l'espace, son deuil, ses efforts, de cramponnement, décramponnement, de prise et lâcher-prise, tout cela je l'ai vécu sans la moindre émotion, comme une suite de clichés, de symboles… même le travail de deuil de Llewyn Davis, aussi artificiel pourtant, a l'air plus authentique. SB n'est pas un personnage, mais une création "conceptuelle" (au sens marketing, et communication du mot) : la bonne vieille figure du traumatisé qui doit surmonter son traumatisme et revivre à nouveau. Que cela soit une mère ne change pas grand-chose, à l'histoire. Terrence Malick , y a pas si longtemps, nous avait montré une mère en deuil. A quoi bon nous refaire le coup, en plus réaliste lourdingue et symboliste ? Si on aime pas Malick, y a aussi fort : "Europe 51"…

Mais je ne dois pas me répéter, même si cela est utile, à soi d'abord, et aux autres, parfois, quand ils n'ont pas déjà tout compris; mais ce n'est pas pour eux, à eux, que j'écris.

Pourquoi n'ai-je pas eu peur pour notre héroïne ? Parce que dans le cinéma hollywoodien les stars ne meurent pas, SANS RELÈVE, avais-je répondu.

Voilà le point  à développer.
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Message par Borges Sam 1 Mar 2014 - 14:39



Il fait moins beau, mais c'est samedi...

Droit à la mort des étoiles, mais très lentement...

- Je disais donc, on ne peut pas craindre pour la vie de SB dans "Gravity" parce qu'elle est protégée par le scénario, par la norme : les stars ne meurent pas dans les films hollywoodiens, SANS RELÈVE.

(Si on tombe, c'est pour se relever, et se tenir debout sur ses pieds, c'est pour affirmer la station debout : la stance.)


Il est évident que, petites ou grandes, elles y meurent aussi. Pas nécessaire de dresser des listes, qui de toute manière ne prouveraient pas grand-chose. Le partage du fait et du droit l'interdit. Si c'était une simple affaire quantitative, de nombre, elles seraient vraiment très courtes, ces listes, pour pouvoir prétendre à prouver quoi que ce soit. Elles ne contiendraient pas... je sais pas... disons... 5% de la production majoritaire hollywoodienne.  

Quand je dis "hollywoodien", j'entends ce terme dans son sens normatif, dans son sens idéal, en tant que transcendantal historique, comme on le fait d'ordinaire dans le langage ordinaire, comme on doit le faire si on veut penser "Hollywood" dans son sens commun, partageable, discutable. En ce sens, il y a bien évidemment des films faits à Hollywood qui ne sont pas hollywoodiens, et des films faits en dehors de Hollywood qui sont hyper hollywoodiens.

À un énoncé concernant l'essence (même empirique, même historique) on ne peut pas opposer, philosophiquement, des écarts. On ne réfute pas  l'énoncé "Hollywood interdit la mort des stars, sans relève", en présentant des cas où les stars meurent, pas plus qu'on ne réfute la définition de l'homme animal raisonnable, par les comportements de "Joe Pesci", ou le rire propre de l'homme, avec Keaton.

Ce n'est pas très intéressant, et ça ne va nulle part. Il est bien plus amusant, quand on veut penser, et penser avec celui à qui on cherche à s'opposer, de définir les limites de cette loi, de chercher à énoncer ce qui interdit cette mort; et pour cela de dégager la norme "hollywood"; norme qui s'incarne différemment selon les genres, le masculin et le féminin, les époques, les stars…

La norme qui interdit la mort des stars est simple, selon moi : le cinéma hollywoodien est un cinéma des fins de l'homme, qui ne laisse idéalement aucune place à la fin de l'homme. Le cinéma hollywoodien est orienté vers les fins heureuses, le happy end. Il a le bonheur comme fin. Le bonheur est sa fin.

Un film hollywoodien, c'est un film de "plaisir" (formellement et moralement), c'est un film où le cinéma nous donne un monde qui s'accorde à notre désir. Ce que je vois, c'est ce que je veux, ce que je désire voir, ce que je veux être. Je vois le monde tel que je le veux, je me vois dans les personnages positifs tel que je suis au fond de moi, dans ma vérité, malgré mes imperfections, et dans les méchants tel que je me refuse, me combats.

Le cinéma hollywoodien opère toujours une relève du monde et du sujet, bien plus que ne le fait le cinéma néoréaliste, par exemple. C'est en lui que s'accomplit la rédemption du monde, une fausse rédemption sans doute, car plus proche de l'idéalisation grecque classique que des Évangiles. Je vais trop vite; ce n'est pas aussi simple, cette affaire de salut et de rédemption... Il me faut être vraiment beaucoup plus simple, ne rien avancer qui ne soit absolument évident. Ceci, par exemple, mais je varie seulement les énoncés, pas l'idée, déjà exprimée : le monde hollywoodien, c'est le monde accordé à ma volonté, le monde comme ma représentation : ce monde me représente, idéalement; il est ma projection; c'est comme si j'en étais le metteur en scène, l'acteur. Il y a du négatif, des situations détraquées, bien entendu, sans cela on ne voit pas comment les idées, les affects, les valeurs pourraient faire leur mouvement contre le réel, afin de résoudre le désaccord entre le spectateur et la vie : mouvement d'auto-appropriation de soi par soi.


Le monde sorti un moment de son sens, de sa vérité, de sa morale, de ses gonds, reprend ses droits, qui sont toujours mes droits, mon droit au bonheur.

(ce "je" est le "je majoritaire", of course)

"The World Viewed" ; "Pursuits of Happiness" : les titres des deux grands livres de Cavell résument tout, et sans hasard; il n'a jamais pensé qu'une seule chose : l'Amérique, comme Hollywood.

Ok, d'accord, on dit : les films classiques hollywoodiens ne poursuivent qu'une chose, le bonheur, c'est pas neuf, c'est pas brillant, c'est pas la découverte qui me vaudra de figurer sur la short list des plus grands critiques de l'histoire du cinéma hollywoodien classique qui interdit la mort des stars sans relève. Sans doute pas, mais pas loin, si je peux développer cette idée, l'amener à sa pleine clarté, et pour cela, avec le sens commun, qui se croit aussi malin que Socrate, il me faut demander : mais qu'est-ce que le bonheur ?

Là on reste sans voix d'ordinaire, mais faut pas. Sans se casser la tête, sans chercher l'originalité, ou à faire le poète, on dira très simplement (sans nous intéresser au contenu, à la psychologie, aux différences empiriques et à des tas de choses, qui nous font croire que le bonheur ça ne se définit pas) comme Aristote que le bonheur, c'est ce que l'on recherche, ce que l'on poursuit.

Le bonheur, c'est la fin de la vie humaine; la fin de toutes les fins que nous poursuivons.

Faisant allusion aux tables des catégories, Deleuze disait de Godard qu'il était un cinéaste aristotélicien, à cette différence près qu'il forge de nouvelles catégories pour chaque film. Éthiquement, du point de vue de l'action, et donc d'une certaine conception de l'homme dans le monde, c'est bien plutôt le cinéma hollywoodien qui est aristotélicien. On peut le montrer de manière très simple en partant du premier livre de "L'Ethique à Nicomaque", où Aristote nous apprend, comme si nous le savions pas déjà, que tout art, toute recherche, toute action… tendent vers quelque bien. Le bien ici ne doit pas être pensé de manière morale, selon une norme, une loi de la raison, un principe religieux : le bien, c'est la fin; le bien, c'est ce vers quoi on tend en toutes circonstances, et selon son domaine d'action : le vase pour l'artisan, la santé pour le médecin, la victoire pour le soldat, arrêter les bandits pour le shérif, remporter son procès pour l'avocat, l'amoureuse pour l'amoureux, et inversement, l'amoureux pour l'amoureuse, le lièvre pour la tortue, Barcelone pour tous les clubs de foot, le livre pour l'écrivain (une pensée pour Jack Torrance, on poursuit la fin, le bien, mais on peut échouer, bien entendu, à l'atteindre).

Si j'osais, j'affirmerais très audacieusement que le cinéma hollywoodien classique est un cinéma où la fin et le bien sont identiques. Je le fais, sans croire pouvoir défendre très longtemps cette position risquée. On pourra m'opposer très facilement dix milles films où la finalité de l'action (le bien selon l'action) entre en conflit avec une norme supérieure, des films par exemple où le soldat se demande si les fins de son général, du gouvernement, de son pays donc, sont bonnes, morales…

(On trouve aussi chez Grémillon ce genre de choses, choisir par exemple entre l'amour et le boulot)

On appelle ça des dilemmes, en croyant avoir pigé quelque chose à Corneille, chez qui, dans le Cid, il n'y a précisément aucun dilemme : la seul choix possible, c'est le choix de l'honneur. C'est en choisissant l'honneur que le héros aura aussi celle à qui il aura semblé avoir renoncé. S'il avait choisi d'emblée l'amour, il aurait tout perdu, veaux, vaches, cochons, tout… et se serait retrouvé dans la situation de Dean Martin dans "Rio Bravo". Chimène Diaz ne peut aimer qu'un homme d'honneur, qu'un homme qui lui aura préféré l'honneur. C'est un peu, finalement, ce qui se passe dans le cinéma hollywoodien classique, un héros qui préfère l'amour, la singularité d'un sentiment séparateur, à l'honneur, la mesure morale de l'homme par une communauté, un groupe, finit assez souvent mal.  

Ça arrive dans les films noirs, avec leur fameuse femme fatale, qui sépare le héros de lui- même, de la communauté, précisément pour confirmer la règle, la loi de l'unité de l'action et du bien.

Chez Ford, chez Hawks peut-être surtout, la fin de l'action commande tout, elle est la seule fin possible; à quoi ça avance de dire ça ? À pas grand-chose; je l'admets facilement. Hollywood, ce n'est pas la Grèce de "L'Éthique à Nicomaque", ni la Renaissance, ni le 17e siècle; son idée de l'homme, et de l'homme en tant qu'acteur dans le monde, ne peut pas se situer sur le seul plan de l'éthos, le seul plan d'une action qui trouve sa valeur en elle-même. Et pourtant, si on y pense bien, rares sont les films où la morale et la morale de l'action ne coïncident pas, la morale du flic, du soldat, du shérif, du pionnier, du savant...  

Il est très rare que l'acteur se dise, ce que je fais, ce pour quoi j'agis c'est de la merde, ça ne vaut rien. Je vois un exemple : "Le train sifflera trois fois". Là le shérif se désolidarise du bien, et de la communauté, qui n'est pas à la hauteur. Hawks et Wayne n'ont pas supporté ça, on le sait; et le film a la réputation d’être communiste. Ce refus du groupe, de la communauté sera plus fréquent après, dans le cinéma de la crise, par exemple dans "Serpico", et dans je ne sais pas combien de films de guerre sur le Vietnam... L'Amérique se sépare de son idée, elle devient malheureuse, si on veut, comme la conscience... Ce qui est n'est pas à la hauteur de ce qui doit être, de ce que doit être l'Amérique... J'entends d'ici Cavell me crier : "Mais, mon cher Borges, cela toujours été le cas; chez Emerson, l'Amérique est une idée au sens platonicien du mot, elle est pas donnée, accomplie, réalisée, actualisée..."

Sans doute, mon cher Stanley, mais  l'Amérique  inapprochable, qui doit être approchée, de même que le best self, ne définissent aucunement ce que j'appelle le cinéma classique; si John Smith dans le film de Malick rêve cette Amérique à venir, jamais John Wayne ne donne le sentiment d’être en manque, en défaut, par rapport à lui-même...

Mais où sont donc ces fameuses étoiles, et leurs morts ?
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Gravity (A. Cuarón): Never Mind the Bullock/les fins des étoiles - Page 3 Empty Re: Gravity (A. Cuarón): Never Mind the Bullock/les fins des étoiles

Message par Borges Mar 4 Mar 2014 - 12:01

Du temps à donner à l'improvisation,
donc on est toujours en marche vers la mort des étoiles, très lentement...

John Wayne est mort, l'homme empirique, pas la star, qui a pourtant trouvé la mort dans plusieurs films. Quatre à ma connaissance, un peu plus à la connaissance de ceux qui s'y connaissent mieux :

The Shootist
The Cowboys
The Alamo  
The Man Who Shot Liberty Valance
Sands of Iwo Jima

et des trucs que j'ai pas vus, que je connaissais même pas…

Wake of the Red Witch
The Fighting Seabees
Reap the Wild Wind

C'est peu, si on sait qu'il a joué dans plus de 180 films...

Ces quelques exemples pourraient déterminer la mesure du slogan désormais fameux dont j'essaye de déplier le sens, la valeur, depuis la norme "Hollywood", depuis "Hollywood" comme actualisation d'une certaine norme du cinéma : la fin heureuse, le bien qui se tient à la fin, s'obtient à la fin, et qui n'est jamais la mort, en tant que telle, en elle-même, mais toujours d'une manière ou d'une autre sa relève.

Hollywood ne travaille qu'à relever la mort. La mort n'y bosse, n'y travaille qu'en vue du sens, du bien, de la vérité, de l'image, dont le paradigme au cinéma est l'image de la star : l'image, comme le concept, c'est la mort de la chose et sa relève; mort et résurrection. Ce que nous voyons, au sens propre dans "Gravity", et de manière symbolique. Le retour de GC, la renaissance de SB.

(Vous aurez noté que quand il s'agit de star le nom du personnage qu'elle "incarne" tend à se confondre avec son nom.)

Si ça me tentait de causer de John Wayne, ma question serait : dans quel cas John Wayne, une fois devenu John Wayne, meurt-il ? Mais ça me tente pas.

L'essentiel à retenir dans le mouvement de ma monstration, dans le mouvement de cette "écriture", qui n'est pas du tout assuré de ses fins : j'avance au hasard sans savoir où les mots que j'avance, que je risque, risquent de me mener; c'est pas la manière la plus simple d'écrire, mais j'en connais pas de meilleures, qui me donnent autant de plaisir… L'essentiel, disais-je donc, et c'est quelque chose que je n'avais pas du tout en vue en commençant, quand je me suis dis que ce serait amusant de partir du début de "L'éthique à Nicomaque", c'est de distinguer la fin, au sens négatif, de cessation, annihilation, destruction, mort, de la fin, comme accomplissement, achèvement.

Je vais me répéter, comme si j'avais pas encore tiré tout le possible pensable de cette remarque.

Heidegger disait que le terme télos ne signifie pas dans la pensée grecque le lieu, le moment où une chose prend fin, mais bien plutôt un commencement ; ce n'est qu'une fois achevé que le vase peut mener sa vie, commencer à servir, inscrit dans le système des fins dont le Dasein est la fin sans fin, étant sa propre fin.

Le télos, c'est le moment où commence la chose.

C'est pareil à Hollywood. Cela se démontre facilement.

Le happy end signifie à la fois la fin de l'aventure, des errances, des combats, le triomphe sur l'ennemi, le mal, les obstacles, et le début de la vie heureuse, qui seule peut mettre fin au récit. Le bonheur étant sans mouvement, sans devenir, qu'il soit atteint ici ou ailleurs, il ne peut donner lieu à un récit, au cinéma, à des images en mouvement. C'est parce que le bonheur est une fin, est la fin, parce qu'il n'est atteint qu'à la fin que le cinéma est possible.
Le mouvement vers le bonheur, vers la fin heureuse est un mouvement vers la fin de l'histoire, des histoires. Le héros atteint sa fin, comme achèvement, actualisation de sa puissance, de ses possibilités, alors que le méchant, au contraire, atteint la fin comme destruction.

Il n'y a de bon Indien que l'Indien mort. Cela ne signifie pas seulement que l'Indien vivant est toujours mauvais, méchant, profondément cela veut dire que l'Indien n'atteint sa fin, son bien, que mort. On se souvient de l'identité des termes "fin" et "bien", chez Aristote, elle fonctionne ici pleinement. La fin de l'Indien, son bien, c'est la mort, il doit mourir pour accomplir son essence, sa destination, sa nature… Il est destiné à la mort, à la destruction.

Le héros atteint la fin, s'achève comme une œuvre d'art, le méchant atteint sa fin, quand il est achevé, d'une balle par exemple; et la mort même parfois n'est pas suffisante.  

"Some are born to sweet delight, Some are born to endless night", comme dit l'Indien de "Dead man", citant William Blake.

Endless night / sweet delight…

L'essence de l'existence héroïque, comme disait Heidegger : c'est l'installation qui perdure dans la lumière, l'éclat du repos qui saisit l'être dans sa plénitude.
C'est pourquoi la mort qui confère un certain repos ne suffit pas toujours quand il s'agit des méchants. On pense tous à la fameuse scène de "La Prisonnière du désert"… L'indien mort n'est pas assez bon; il faut encore qu'il erre.

Méditer ce passage de DH Lawrence :

"The Red Man is dead, disbelieving in us. He is dead and unappeased. Do not imagine him happy in his Happy Hunting Ground. No. Only those that die in belief die happy. Those that are pushed out of life in chagrin come back unappeased, for revenge."

"Only those that die in belief die happy"
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Message par Borges Ven 7 Mar 2014 - 9:20

avant de continuer, on rit; on ne fait que ça d'ailleurs.


If there is anything that this horrible tragedy can teach us, it's that a male model's life is a precious, precious commodity. Just because we have chiseled abs and stunning features, it doesn't mean that we too can't not die in a freak gasoline fight accident.


(Zoolander)


Dernière édition par Borges le Sam 8 Mar 2014 - 20:37, édité 1 fois
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Gravity (A. Cuarón): Never Mind the Bullock/les fins des étoiles - Page 3 Empty Re: Gravity (A. Cuarón): Never Mind the Bullock/les fins des étoiles

Message par wootsuibrick Ven 7 Mar 2014 - 10:10

Y a de quoi remplir un numéro papier entier, là. Smile
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http://mondesducinema.blogspot.com/

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Gravity (A. Cuarón): Never Mind the Bullock/les fins des étoiles - Page 3 Empty Re: Gravity (A. Cuarón): Never Mind the Bullock/les fins des étoiles

Message par Borges Ven 7 Mar 2014 - 11:21

wootsuibrick a écrit:Y a de quoi remplir un numéro papier entier, là. Smile

Hi;
et ce n'est pas fini ; nous avons la quantité, pour ce qui est de la qualité...
Wink


Dernière édition par Borges le Sam 8 Mar 2014 - 20:13, édité 1 fois
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Gravity (A. Cuarón): Never Mind the Bullock/les fins des étoiles - Page 3 Empty Re: Gravity (A. Cuarón): Never Mind the Bullock/les fins des étoiles

Message par Borges Ven 7 Mar 2014 - 17:49

"Only those that die in belief die happy"

(DHLawrence)


Il faudrait s'attarder sur cette phrase de DH Lawrence.  Elle aurait bien des choses à m'apprendre, à me dire. Elle aurait tant de questions à me poser sur le happy end hollywoodien et ses liens avec "la belle mort" ( la mort des stars et des héros). Par exemple celle-ci :  la star peut-elle mourir sans croyance, sans foi, sans affirmer la foi, la croyance, en quelque chose, en quelqu'un ou bien sa mort est-elle toujours le moment de la plus haute affirmation, de la plus forte croyance?

C'est une bonne question, comme disait l'autre, à laquelle je ne vais pourtant pas m' intéresser immédiatement.  Je la laisse, en attendant d'y revenir ou qu'elle revienne pour  me faire comprendre qu'elle aura toujours animé le mouvement de ces improvisations.

Je reprends, donc : les fins de l'homme (du héros, de la star)

On se souvient d'Aristote, du début de "l'éthique à nicomaque", ou pas, c'est sans importance. Ne pas se souvenir, c'est une bonne condition pour s'inventer des souvenirs, se faire une mémoire, comme Platon, comme Heidegger, comme bien d'autres. Pour le pire et le meilleur.  Je tente de me souvenir de ce que j'avais tenté de dire en commençant. C'est fait; je me souviens à présent, pas très bien, pas trop, mais suffisamment pour feindre de croire avoir dit quelque chose d'à peu près semblable à ceci : la morale de l'action est essentielle au cinéma hollywoodien.  Une banalité, encore une, bien entendu, mais qu'il faut tenter de penser vers sa vérité.  Si on ne part pas des banalités, des clichés, des lieux communs, des évidences, on n'arrive à rien.  

"Cinéma d'action", "films d'action",    dit-on sans rien dire, si on définit l'action par la multiplicité des événements, les bagarres, les explosions, les poursuites, les intrigues, les renversements, les péripéties, le suspense qui nous fait haleter,  le faux qui devient vrai, le vrai, faux,   à travers la succession des apparences et leur dissolution,  et  non pas par la fin (le télos, fin et bien), comme nous l'a appris Aristote,  que je ne voudrais pas avoir  invité  à cette discussion pour des prunes, ou, ce qui serait  pire mais moins risible, pour rien.

Le cinéma us classique est un cinéma d'action parce qu'il est un cinéma des fins, un cinéma où l'homme est déterminé comme être des fins, l'être qui se pose des fins, se projette, se destine  à des fins, et met tout en œuvre pour les atteindre. Tous les films classiques américains pourraient s'appeler  "vers sa destinée",  étant entendu que l'Amérique elle-même s'est inventée, se donne à voir, à lire, à aimer, comme le lieu de toutes les destinations, le lieu où l'homme quelconque, le pauvre, le migrant, peut s'accomplir en tant qu'homme, en tant que fin des fins, en tant que liberté, faculté de commencer (start). L'Amérique, c'est notre destination, la destination du monde;  ce qu'on appelle la fin de l'histoire. Le monde pour atteindre sa fin, ses fins, doit devenir américain. Deleuze a bien montré ça, à propos du film historique hollywoodien.

("vers sa destinée" : remarque sans importance, le cinéma us est le seul où la figure du président (historique, de fiction) existe de manière plus que significative. En un sens, si on va aux usa, c'est dans l'idée que tout le monde a ses chances d'y devenir président,  comme dans les contes de fées, où chacun a ses chances de devenir roi ou reine. Si je me trompe pas, le rêve de don Corleone pour  michael, c'est la présidence. )

Le héros, la star, va vers sa destinée. Il va son chemin, cherchant à conquérir sa manière, son style, à son rythme comme disait thoreau cité dans je ne sais plus quel film de Sirk, celui où rock hudson joue un jardinier, amoureux des arbres, et d'une femme plus âgée que lui?  

Le tracé du  chemin est aussi l'écriture d'un style, d'une manière, l'invention d'une voix (Cavell)


on écoute :

https://www.youtube.com/watch?v=tLwcXqLUcxU


le titre français : "la route semée d'étoiles"...


This road leads to Rainbowville
Going my way
Up ahead is Blue Bird Hill
Going my way

Just pack a basket full of wishes
And off you start
With Sunday morning in your heart

Round the bend you'll see a sign
"Dreamers Highway"
Happiness is down the line
Going my way

The smiles you'll gather
Will look well on you
Oh, I hope you're going my way too


Comment continuer après Bing Crosby?

Tout se tient, si on déplie cette idée de finalité, de destination, et de destinée.  

Le cinéma hollywoodien accomplit la destination de l'homme en accomplissant l'Amérique par une projection idéalisante, une relève, ce qui l'oblige à courir à son secours  chaque fois qu'elle  trébuche, tombe, risque de se casser la gueule, de ne plus être à la hauteur des étoiles.  Pensons à tous les films sur la pseudo défaite vietnamienne.

Le cinéma hollywoodien (pas seulement classique) c'est la relève de l'Amérique, ce qui signifie aussi, ce qui implique :  "l'Amérique, c'est du cinéma", au double sens de l'expression : l'Amérique n'existe pas, c'est un mensonge, de la blague, des sornettes idéologiques, elle n'est pas ce qu'on en dit, ce qu'on nous montre, et en même temps, dans le même mouvement, l'Amérique, c'est du cinéma, l'accomplissement du rêve.  On ne peut pas dire l'un sans dire l'autre, les deux se tiennent, comme la négation  et l'affirmation se tiennent dans la relève.   Un film dit de manière absolument géniale ce double sens de la relève, c'est bien entendu "l'homme qui tu liberty valance".

" La fin du rêve américain" est une expression idiote.

L'Amérique, c'est notre Madeleine, au sens de Brel et de Scottie (et de proust, ceux qui on lu le livre de B-N savent ce qu'il doit à ce dernier)

aller son chemin, je disais, mais ce chemin ne doit pas être solitaire; la chanson de BG se termine par un désir, un souhait : que l'autre l'accompagne... Qui va seul, erre...Repensons à la prisonnière du désert, ou à taxi driver, ou mieux encore à ce terrible film sur l'errance, la fascination de l'errance : Vertigo...







only one is a wanderer, two together are always going somewhere...

Scottie ne sait pas à quel point il a raison d'hésiter...






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Message par Borges Ven 7 Mar 2014 - 18:46

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une star et son désir d'enfant...




Dernière édition par Borges le Ven 7 Mar 2014 - 19:25, édité 1 fois
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Message par Borges Ven 7 Mar 2014 - 19:23

Le vieux Heidegger disait, qui veut penser doit écouter les mots; c'est en eux que résonne l'appel de l’être. Ce sont les mots qui nous appellent à penser, c'est en eux que cela pense. Bazin aurait-il pu déterminer l'essence du cinéma comme  réalisme sans les possibilités de sens qu'offrent les mots "réalisateur", "réaliser" : "Rendre réel" ?


les américains disent eux "director"



director (n.)
   late 15c., "a guide," from Anglo-French directour, French directeur, agent noun from Latin dirigere (see direct (v.)). Corporate sense is from 1630s; theatrical sense from 1911.



direct (v.)
   late 14c., "to write (to someone), to address," from Latin directus "straight," past participle of dirigere "set straight," from dis- "apart" (see dis-) + regere "to guide" (see regal). Cf. dress; address.

   Meaning "to govern, regulate" is from c.1500; "to order, ordain" is from 1650s. Sense of "to write the destination on the outside of a letter" is from 16c. Of plays, films, etc., from 1913. Related: Directed; directing.
direct (adj.)
   late 14c., from Latin directus "straight," past participle of dirigere "set straight" (see direct (v.)).


le réalisateur rend réel, il vise le réel, si on veut, d'où le manque d'idéalisation du cinéma français ordinaire; le director donne une orientation, un ordre, il vise le spectateur, le destinataire; le cinéma us, c'est une affaire de destination.


(parfois, je me trouve génial)

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Message par Borges Sam 8 Mar 2014 - 8:48

848948 à 00:33:09 sur enculture: a écrit: magnifique la conclusio de ce post de borges : http://spec​tresducinema​.1fr1.net/t1​663p45-gravi​ty-a-cuaron-​never-mind-t​he-bullock#4​5730

correction : c'est moins une conclusion qu'une révélation,  qui m'a saisi et comme interdit d'aller plus loin; quelque chose comme une conversion ( à l'idée de mon propre génie). On appellera ça mon chemin de damas vers la mort des étoiles...

Gravity (A. Cuarón): Never Mind the Bullock/les fins des étoiles - Page 3 D4729865r

Question : dans l'histoire sainte selon les chevaux , saint paul est-il le personnage central ou est-ce "son" cheval...?

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Message par Borges Sam 8 Mar 2014 - 10:06

L'histoire du cinéma, comme une histoire des fins, du destin, et de la destination.

Converti à l'idée de mon propre génie, je pourrais sans grande difficulté, sans avoir l'air d'y toucher, refaire les deux livres de Deleuze avec le seul concept de fin, dans ses variations, ses jeux, ses valeurs mobiles, temporelles, et affectives; ses histoires, et ses espacements.

Prenons la fameuse coupure entre les deux livres, qui pose tant de problèmes à Rancière, parce qu'il la prend beaucoup trop au sérieux; eh bien, si on veut aller au plus simple, donc à l'idée (dès que les choses sont un peu compliquées vous pouvez être certains que l'idée n'a pas été dégagée, inventée, que le problème n'est pas construit) elle peut être ramenée, réduite à une crise de la finalité, de la destination (du cinéma, de l'homme, du monde, des images…)

L'image-mouvement, c'est l'image d'un mouvement finalisé, on va d'un point à l'autre, généralement d'un moins à un plus, exemple tellement schématique qu'il en est débile : "Le Seigneur des anneaux", une dizaine d'heures pour aller de la Comté au Mordor... C'est quand la finalité se détraque, quand le temps ordonné, linéaire se casse, se disloque, que surgit l'image-temps, l'image du temps; un peu de temps à l'état pur comme dit Deleuze, citant obsessionnellement Proust.

Dans tout film de l'image-mouvement ou presque, vous avez des figures de l'image-temps, dans "Le Seigneur", c'est bien entendu, "Gollum", et sa passion fatale..., l'obsédé, le Scottie de la fantasy (plus courageux que le personnage de Hitch, il se jettera dans le vide avec sa madeleine). L'anneau et ses effets, c'est l'image-temps que l'image-mouvement doit détruire... On voit ça très souvent chez Hawks, dans "Rio Bravo", par exemple, c'est l'opposition entre Dean Martin et John Wayne, mais aussi tous les autres personnages de la petite bande...

Y a un très beau moment dans Red River, où John Wayne s'arrache à l'abîme du temps, de la douleur, de la mélancolie, de la mort... dans lequel aurait pu l'entraîner la découverte du bracelet de sa fiancée assassinée par les Indiens; c'est au début vers la 9e minute. A la contemplation mélancolique du bracelet devenu image, donc distance, au temps vide, se substitue rapidement la plénitude du temps de l'action, qui exige la réponse sensorimotrice... Les Indiens, l'ennemi, les obstacles... dans l'image-action-mouvement sont à la fois la menace du détraquement du temps, de l'histoire comme destination, et ce qui la rend possible... Gravity, avec son deuil, sa perte, ne raconte pas autre chose; agir pour ne pas sombrer...




L'image-mouvement comme le dit Deleuze, c'est l'image du rêve américain (le rêve quelconque, le rêve sans rêve, sans altérité, sans inconscient, qui ne rêve pas grand-chose finalement; ce qui rend absolument ridicule dans ce cinéma  la représentation des rêves au sens restreint, dans les films de Hitch, par exemple, lui qui se situe pourtant selon Deleuze à la fin de l'image-mouvement).

Avec pas mal de retard, il faut bien le noter, puisque Rear Window ou Vertigo viennent assez largement après les films d'Ozu et le néoréalisme…

Faut pas chercher trop de rigueur chronologique dans les livres de Deleuze, une histoire continue, linéaire. Ce qui se produit à un moment peut avoir déjà eu lieu, ailleurs et autrement, bien avant. Il faut distinguer dans ses livres plusieurs temporalités, un retard des Américains par rapport aux cinéma japonais et européen, mais aussi par rapport à leur propre littérature, au roman américain, que Bazin cite comme une des causes, des raisons de la révolution néoréaliste… En ce sens le néoréalisme n'aura été qu'une traduction dans l'image d'une conscience américaine défaite (Dos Passos, Hemingway, Faulkner…); retard du cinéma us sur la littérature américaine, sur le cinéma des vaincus (japonais et italiens), retard plus grand encore du cinéma sur la révolution kantienne, et même sur Shakespeare… C'est avec Hamlet, dans Hamlet, que se produit la sortie du temps hors de ses gonds, que pour la première fois le héros est incapable de la situation… et rêvasse au lieu d'agir; rupture du schéma sensori-moteur.

Hamlet est le modèle du type à qui quelque chose de trop grand arrive et qui ne sait absolument pas comment y répondre.



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Message par Borges Sam 8 Mar 2014 - 20:11

Quand la finalité entre en crise, quand on ne sait plus à quoi, à qui se destiner, quel dieu servir, à quel diable vendre son âme, ou pire, quand il n'y a plus ni dieu, ni diable, ni âme, ni un sujet pour croire à quoi que ce soit, le monde, le temps sortent de leurs gonds. C'est la fêlure, entre l'homme et le monde, entre l'homme et lui-même. Le monde (je précise) n'étant pas la totalité de l'étant, comme on le croit bêtement, mais bien plutôt la fin des fins, ce à dessein de quoi l'homme se dépasse, se projette et qui ordonne son existence, sa vie. On y reviendra, bien entendu. Ici, on ne fait rien d'autre que sans cesse revenir à des trucs qui ont déjà été dits cent mille fois, ce qui ne veut pas dire qu'on les a entendus cent mille fois, et encore moins compris.

Au mouvement tendu vers la fin, John Wayne qui conduit son bétail, avec ses personnages à la hauteur de la situation, capables de répondre de manière sensori-motrice aux problèmes, au détraquement de la situation, se substituent des hommes, des femmes, des enfants, qui ne sont pas de taille, qui n'y arrivent plus. Ce qui leur arrive est trop fort, trop beau, trop grand, trop triste… Trop tout ce que vous voulez, faut juste que cela soit trop, et qu'ils n'en puissent plus. On passe du possible à l'impossible, de la puissance à l'impuissance. Ce trop n'est pas exactement celui du sublime kantien, même s'il lui doit pas mal. Ici, pas besoin de tempêtes, de tremblements de terre, de volcans, comme dans Stromboli, de trucs fantastiques qui vous réduisent à néant, voire à pas grand-chose : l'immensité du ciel, une baleine blanche, des dragons, des aliens. Rencontrer de tels trucs au cinéma, c'est une chance : loin de mettre le héros face à sa finitude, ils lui permettent au contraire de manifester sa puissance. Si on cite souvent dans le cinéma us la figure cliché du capitaine Achab, il est bien rare dans les films qui le font que cela finisse aussi désastreusement que chez Melville, dont le bouquin a été un désastre commercial. On l'évoque, pour l'exorciser; pour nous signifier que cela n'arrivera plus, ce genre de catastrophe. Le premier, si je me goure pas, à avoir détourné le mythe, à avoir relevé le capitaine Achab de ses fonctions, c'est S.S., dans Jaws, mais c'était déjà le cas dans "Duel", si on y pense. Pas besoin, nous dit-il, d'une figure de légende pour détruire les monstres, pas besoin même de super chasseurs de requins, de spécialistes, le moindre bon père de famille peut y arriver.  

(J'y pense : je parle souvent de John Wayne, le donnant comme une espèce de norme positive, une incarnation idéale du héros américain, alors que dans ses films les plus marquants, c'est le roi des losers… Mythologiquement, dans "La Prisonnière du désert", c'est une espèce de Scottie, avec quelques grosses différences, qu'il faudrait un jour déplier; on y reviendra.)

Ce qui réduit ces nouveaux personnages à rien, c'est des riens, ou le rien, si on veut (je vais pas montrer ici tout ce que Deleuze doit à Heidegger) des trucs que le héros ordinaire ne remarque même pas.  

On sait les exemples donnés par Deleuze : l'étrangère de Stromboli, la jeune fille dans "Umberto D"…

Il donne aussi des exemples us, le chauffeur de taxi de Scorsese, notamment. C'est un cas complexe. Je dis pas que Deleuze se trompe ou quelque chose dans le genre. Il manquerait plus que ça pour me faire passer pour le roi des prétentieux. Dire qu'il se trompe ce serait  aussi malin que prétendre convaincre Kafka que  Grégoire Samsa ne s'est pas transformé en insecte mais en léopard des neiges. Je suis con, mais pas ce point. Alors où est le problème, vous me demandez, pourquoi j'accepte pas cet exemple, tranquillement. C'est pas simple. Je sens la différence, sans pouvoir la déplier, l'expliquer, pas même à moi-même.    

Travis est défini par une fonction, c'est un taxi driver. Il bosse comme un damné, comme Joe le taxi de Vanessa Paradis, il va partout. Il bosse pas pour devenir milliardaire, ne dépendre de personne, dire merde quand on le fait chier, comme les autres personnages de Scorsese, qui ne bossent d'ailleurs pas vraiment. S'il bosse c'est qu'il peut pas dormir, c'est qu'il est insomniaque, et que comme Hamlet, encore lui ?, il a de très mauvais rêves. Il bosse pour échapper à ses insomnies.

Il bosse comme John Wayne/Ethan cherche Nathalie Wood, parce que s'il s'arrête, c'est foutu pour lui. Et on le voit bien dans le cas d'Ethan. Sa recherche finie, il doit s'en aller, dégager. Rien de glorieux dans ce départ. Ça ne prépare pas un retour et ça n'ouvre pas à de nouvelles aventures. Il sort d'un monde où il est aussi déplacé, étranger que  les samouraïs de Kurosawa dans le Japon moderne, sans la dimension romantique de ces derniers. Taxi Driver est un film beaucoup plus sombre, plus nocturne que "The Searchers", qui a des cotés lumineux, de l'humour, de l'espoir et de la légèreté. C'est du Ford, quoi. Travis est plus détraqué qu'Ethan, qui peut faire illusion malgré son infamie. Je sais pas si c'est la guerre qui l'a détraqué, il en parle jamais, je crois, ce qui est certain c'est qu'il a l'âme, le cerveau, complètement ruinés. C'est une vraie poubelle de tout ce qu'il y a de plus détestable dans l'histoire américaine. Le truc important par rapport à Ethan, c'est l'insomnie, une expérience ontologique comme nous l'a appris Levinas, on verra ça.

Pour lui échapper, il conduit, mais ça ne suffit pas, pas plus que le cinéma porno, la télé, la rédaction de son journal… Il tente le truc ordinaire, une fille, mais ça ne marche pas plus. Ça ne peut pas marcher; il est beaucoup trop loin pour s'en tirer aussi simplement, et il devait pas trop y croire, sans quoi il serait pas allé chercher une fille aussi éloignée de son univers, aussi idéale, si on veut… Et même si ça avait marché, même s'il l'avait pas emmenée dans un cinéma porno, il aurait pas su quoi en faire. On ne le voit pas lui faire du baratin, du charme, l'embrasser, coucher avec elle… Pourquoi va-t-il voir des pornos au lieu d'aller aux putes, ou d'avoir une petite amie ordinaire; il n'est pas horrible, il ressemble pas mal à Robert de Niro. Certains disent même que c'est lui. Rien de moins évident.

Prochainement : l'insomnie de Travis... Travis et "Astral Weeks" de Van Morrison, où selon moi se trouve le mystère de son âme détraquée.

Je vous le montrerai, si je veux bien.

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