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Melancholia (L von Trier)

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Borges
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Message par Invité Sam 3 Sep 2011 - 12:23

Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron (Nerval)

Je chante pour passer le temps (Aragon)

Lars Von Trier n'aurait jamais dû dire qu'il était nazi.
Il y a tellement d'autres choses dégueulasses qu'on peut dire sans que ça pose problème. On peut dire que la famine est inévitable et naturelle. Que la guerre est juste tant qu'on est du bon côté du manche. Que les parlementaires sont dans leur droit en débattant de la conduite des opérations mais que seul le commandement militaire sur le terrain est légitime pour prendre les décisions qui s'imposent. Que de toutes façons les décisions s'imposent. Que les troussages de domestiques... héhé ! Que les Noirs et les Arabes, c'est prouvé scientifiquement, s'adaptent mal à l'école. Que les Chinois sont étrangers à la démocratie et bouffent leurs morts mais on s'en fout tant qu'ils se tiennent tranquilles. On peut dire aussi qu'on a un souci avec les cités (ou les quartiers, ou les banlieues, c'est selon), qu'il faut y mater la racaille à coups de flics, qu'il faut leur envoyer l'armée pour sauvegarder le pacte républicain. Que l'école doit apprendre le plus tôt possible la discipline à nos chères têtes blondes... ou crépues. Que nous devons nous réjouir que les entrepreneurs se portent acquéreur de la presse libre, ça sauve la liberté de la presse. Que nous devons nous réjouir que les entrepreneurs financent les universités, ça sauve l'indépendance universitaire. Que nous devons nous réjouir que les entrepreneurs prennent en main l'enseignement et la recherche et la continuité des services publics et l'organisation du « marché de l'emploi » (quelle blague !) et la gestion des prisons, parce que ça sauve l'enseignement et la recherche et les services publics et la vie des chômeurs et des taulards – et nous tous d'une foule de petits tracas quotidiens. Tant pis si cette main mise étatico-entrepreneuriale est justement la définition du fascisme. Faut pas tout mélanger. Et il ne faut surtout pas que LVT dise qu'il est nazi.

Il dit qu'il était juif et que ça lui allait très bien mais que les Juifs sont u n petit peu casse-couilles à travers l'état d'Israël. Il dit qu'il comprend les nazis même s'ils n'étaient pas les meilleurs exemplaires de l'humanité. Il dit « I'm a Nazi », ce qui est une remarque très con, juste con, qui donne envie d'adapter la réponse de Marx au « communisme » idéal de Feuerbach : un Nazi n'est pas quelqu'un qui se déclare Nazi mais l'adhérent d'un parti qui mène une politique inspirée du national-socialisme. Mais en fait, [nazi] dans la phrase de LVT n'a qu'un rapport très indirect avec une réalité nazie. Ce n'est rien d'autre qu'un nom de code, ou un leurre, ou un stimulus. [nazi] marche un peu au plan politique comme l'Oedipe de la psychanalyse d'après Deleuze et Guattari. On ne l'a jamais voulu mais on en est constamment menacé en éteignoir du désir. Comment ne pas voir le double bind dans le petit discours de LVT : Juif ou nazi, Israël ou Hitler. Il n'y a pas de partage ou de correctif possible : tout est piégé dans l'alternative telle qu'elle est donnée. Il ne s'agit au fond que d'une bouffonnerie par laquelle LVT se place à la limite intérieure de l'idéologie dominante – mais du bon côté de la limite, n'en doutons pas, là où le signe de son infréquentabilité reste tout à fait fréquentable. À preuve, le maintien en compétition de son film dont le propos est juste le même que celui du cinéaste.

Melancholia donc, un film auquel il ne faudrait pas enlever tout mérite, à commencer par son travail esthétique, ses compositions qui rappellent la peinture flamande ou le cinéma de Dreyer. Dreyer, un autre danois. Justine a d'ailleurs quelque chose d'une version négative du Johannes de Ordet. La déliaison confinant à la folie suivie d'une lucidité terrible face à la mort. Lucidité pour la mort chez Justine comme elle est pour la vie chez Johannes.
La première partie du film est une vision assez fine d'un processus dépressif. Van Trier est en terrain connu à ce qu'on nous en a dit. Justine est dans les liens. Lien professionnel, lien conjugal, lien sexuel : ceux qu'elle rompt volontairement sans que rien vienne s'offrir en échange sinon leur répétition promise dans la proposition du stagiaire mis en disponibilité. Et il y a les liens qu'elle n'arrive pas à nouer : avec la mère, avec le père. Justine est déliée, c'est son délire. Elle sombre en mesure de l'absolu de sa liberté. Et elle ne tient dans le gouffre que par l'aide que lui apportent Claire et John. Qui eux vivent dans les liens parce que de toutes façons il n'y a pas d'autre manière de vivre sauf à mourir. Grace déjà dans Dogville et les esclaves dans Manderlay. Et il n'est pas trop difficile de voir en John, qui promet la vie après la mélancolie, une figure de Saint Jean l'apocalyptique et en Claire, qui écoute et croit John, Sainte Claire la servante du Seigneur (le cinéma de LVT est toujours religieux). Mais John ment pour mieux s'aveugler et Claire s'aveugle pour mieux mentir. Il faut dire qu'ils ont quelque chose à perdre. Leur enfant ? Ce n'est pas vraiment le problème, il n'a jamais trop l'air d'être le leur. Ce qui est à eux, c'est la massive maison de pierre dans laquelle tout le film se déroule, à laquelle il est très difficile d'accéder et d'où il devient vite impossible de partir. C'est leur lien, à la fois le symbole de leur réussite sociale et de leur lien.
La seule capable d'affronter la catastrophe, c'est la déliée Justine, justement parce qu'elle n'a rien, presque rien à perdre. Alors elle aussi construit une maison, une toute petite maison de branchages, une cabane magique ouverte sur tous les côtés, où elle invite l'enfant et Claire à s'abriter pour attendre la collision et l'anéantissement. C'est charmant, cette rationalité mélancolique qui ne trouve rien de mieux à faire que de bricoler des stratagèmes fragiles et précaires pour rassurer les petits-nenfants et les sœu-sœurs trop nerveuses quand la mort advient.

Le vrai trou noir, ce n'est pas la planète Melancholia qui absorbe, avec la Terre, toute la vie de l'univers. C'est plutôt les conditions de possibilité du film et leur transcription idéaliste dans le film. Parce que, sa cabane magique, LVT la fait carburer à Wagner et aux effets spéciaux onéreux, puis il l'envoie à Cannes. À la place d'y attendre à la mort avec deux ou trois aimés, il y invite un max de monde – mais sans oublier d'exiger un billet d'entrée. La mort finale n'est que la mise en scène de celle qu'il a contournée. Et je n'entends pas forcément une mort physique. Je ne reprocherai jamais et à personne de ne pas se suicider ! Mais une mort spirituelle ou morale, de ces moments où on s'échappe. À la place – et le film le dit avec une naïveté totale – le face à face avec la mort est devenu un nouveau lien, qui se substitue aux autres en tirant sa justification de la seule certitude morbide.
LVT est lié dans ce film qui reprend les procédures de Dogma pour les tirer vers le classicisme et la pureté esthétique. On est loin du courage formel de The element of crime ou des Idiots. Et sa description de son prochain film dans les Cahiers du Cinéma ne laisse présager rien d'autre : « hard porn », « hard philosophy », « drôle » – on va bander et mouiller à Cannes, chez les bobos de Montreuil et dans le slip de Belhadj Kacem.
Il faut donner tout son poids politique à cette réplique de Justine : Life is evil. Cette haine de la vie, ce ressentiment lié, ce n'est rien d'autre qu'un « vive la mort » qui n'ose pas s'assumer, et c'est tout le fascisme châtré dont je parlais au début. Et c'est pourquoi la phrase cannoise est très con : parce qu'elle révèle un système tout en le justifiant et en le préservant. Un système que Van Trier, passé sans s'en apercevoir de L'Internationale à Tristan & Isolde, doit encore être persuadé de narguer alors qu'il s'y adapte à merveille. Car il évite la seule chose qui puisse mettre à bas le système dans sa matérialité : un acte, évidemment.


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Message par Borges Dim 4 Sep 2011 - 10:56

"Selon Freud, le deuil consiste à porter l'autre en soi. Il n'y a plus de monde, c'est la fin du monde pour l'autre à sa mort, et j'accueille en moi cette fin du monde, je dois porter l'autre et son monde, le monde en moi : introjection, intériorisation du souvenir (Erinnerung), idéalisation. La mélancolie accueillerait l'échec et la pathologie de ce deuil. Mais si je dois (c'est l'éthique même) porter l'autre en moi pour lui être fidèle, pour en respecter l'altérité singulière, une certaine mélancolie doit protester encore contre le deuil normal. Elle ne doit jamais se résigner à l'introjection idéalisante. Elle doit s'emporter contre ce que Freud en dit avec une tranquille assurance, comme pour confirmer la norme de la normalité. La « norme » n'est autre que la bonne conscience d'une amnésie. Elle nous permet d'oublier que garder l'autre au-dedans de soi, comme soi, c'est déjà l'oublier. L'oubli commence là. Il faut donc la mélancolie. En ce lieu, la souffrance d'une certaine pathologie dicte la loi - et le poème à l'autre dédié."

(derrida, béliers)


(j'avais posté ce texte sur le topic "l'arbre de vie"; si je me souviens bien; le film de LVT, c'est un peu "l'arbre de mort"; pas encore vu, le verrai peut-être, mais pas trop tenté; LVT ne s'est jamais inscrit dans l'horizon de mon désir de cinéma; autrement dit, jamais eu la moindre envie de voir l'un de ses films; )


le "je suis juif", "je suis nazi", c'est un peu la structure épochale et médiatique de l'auto-accusation mélancolique : la victime absolue, et le bourreau absolu, se menant la guerre dans la conscience, dans la psyché "occidentale"...

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Message par Invité Lun 5 Sep 2011 - 15:41

Borges a écrit:
"Selon Freud, le deuil consiste à porter l'autre en soi. Il n'y a plus de monde, c'est la fin du monde pour l'autre à sa mort, et j'accueille en moi cette fin du monde, je dois porter l'autre et son monde, le monde en moi : introjection, intériorisation du souvenir (Erinnerung), idéalisation. La mélancolie accueillerait l'échec et la pathologie de ce deuil. Mais si je dois (c'est l'éthique même) porter l'autre en moi pour lui être fidèle, pour en respecter l'altérité singulière, une certaine mélancolie doit protester encore contre le deuil normal. Elle ne doit jamais se résigner à l'introjection idéalisante. Elle doit s'emporter contre ce que Freud en dit avec une tranquille assurance, comme pour confirmer la norme de la normalité. La « norme » n'est autre que la bonne conscience d'une amnésie. Elle nous permet d'oublier que garder l'autre au-dedans de soi, comme soi, c'est déjà l'oublier. L'oubli commence là. Il faut donc la mélancolie. En ce lieu, la souffrance d'une certaine pathologie dicte la loi - et le poème à l'autre dédié."

(derrida, béliers)

je n'avais pas réfléchi à cet aspect de la mélancolie comme deuil inachevé/inachevable. ça n'arrange pas le film. car alors, le seul deuil que Justine ait à mener, la seule mort face à laquelle elle se tient dans le cadre du film, c'est sa réussite sociale. et il faut préciser que LVT la désigne presque explicitement comme son porte-parole.


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Message par Invité Ven 9 Sep 2011 - 12:09

Partant d’une phrase de Sigmund Freud définissant le deuil et d’une réflexion de Hannah Arendt sur le comportement des intellectuels allemands en 1933, Nurith Aviv laisse parler ses amis, en Allemagne, de ce qui, à leur sens, est irrémédiablement perdu.

http://nurithaviv.free.fr/Loss/presse.htm

J'ai pensé à l'entretien télévisé avec Hannah Arendt en 1964. Elle parle du vide qui s'est fait autour d'elle en 1933, de la perte de ses amis intellectuels, quand ceux-ci l'ont abandonnée, trahie. " Je n'ai jamais oublié cela. J'ai quitté l'Allemagne dans cet état d'esprit, en me disant de façon certes exagérée : " Plus jamais, je ne veux plus jamais toucher à la moindre histoire intellectuelle, je ne veux plus jamais être mêlée à ce milieu ".

entretien avec Nurith Aviv : http://nurithaviv.free.fr/Loss/interview.htm

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Message par py Lun 3 Oct 2011 - 20:59

Me suis permis de corriger le titre du topic (van -> von Trier)
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http://www.pyduc.com

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Message par Invité Mar 4 Oct 2011 - 8:45

merci py. Wink


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Message par Invité Jeu 28 Juin 2012 - 14:24

ce LVT joue avec mes nerfs je n'ai pas tenu très longtemps ; au essai ultérieurement !
je retrouve ce que j'avais détesté dans sa comédie musicale avec Bjork, un vernis, un vernis et c'est tout avec la désagréable sensation, pour le spectateur, d'être manipulé juste à la limite du supportable.

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Message par Invité Ven 29 Juin 2012 - 21:21

j'ai détesté la première partie, Justine, cette caméra toujours en mouvement, comme en avance, qui filme une espèce de laideur, des portraits surtout, puis me suis pris au jeu de la deuxième partie, Claire, qui devient plus lumineuse malgré sa peur panique.
Ca n'est pas un film anodin.

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Message par Invité Ven 29 Juin 2012 - 21:22

ici c'est comme les bourses de valeur, c'est ouvert jour et nuit !

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Message par Invité Mer 11 Juil 2012 - 20:01

Melancholia (L von Trier) Edvard-Munch-Melancolie

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Message par Dr. Apfelgluck Jeu 12 Juil 2012 - 7:29

Melancholia (L von Trier) 0088-0091_melancholia
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Message par Invité Jeu 12 Juil 2012 - 7:32

magnifique ! c'est qui ?

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Message par Dr. Apfelgluck Sam 14 Juil 2012 - 7:37

slimfast a écrit:magnifique ! c'est qui ?

Arnold Böcklin.

Le "Melancholia" de Cranach.

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Message par Invité Sam 14 Juil 2012 - 9:07

vraiment magnifique.

la plus connue :

Melancholia (L von Trier) Melancholy-I

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Message par Invité Dim 19 Aoû 2012 - 5:46

Ce n'est point un mystère que je ne prise pas le cinéma de LVT.

Et pourtant. Après une première partie qui me fut parfois pénible, j'ai trouvé la seconde prenante, forte, riche, palpitante, et elle a emporté mon adhésion à ce bloc à structure divisée, division qu'on pourra malgré tout percevoir (en cherchant la petite bête) comme artificielle, trop lourdement signifiante.
Beau film, le meilleur LVT de mon point de vue. Son premier grand film - enfin - oserais-je dire. Les chromos (y en a de très beaux), la musak à Wagner (supportable) ne sont pas les aspects qui me séduisent le plus. En fait, j'ai regardé ça, dans un premier temps, un peu comme un film, disons, à suspense. Assez au ras des pâquerettes, donc. Le truc du cerclage de fer pour mesurer à l’œil nu si la planète géante se rapproche ou s'éloigne, notamment, ça m'a super bien botté, je dois dire.

C'est fait assez sobrement, sans trop d’esbroufe pour une fois. C'est même émouvant. Il y a dans cette approche de la "dépression" quelque chose de simple et de sincère. Il se passe quelque chose.
J'ai aimé le parti pris de minimalisme (deux femmes, un homme et un enfant, esseulés dans ce château avec son jardin qui font penser un peu à Marienbad, une fois que tous les invités sont partis), cette idée d'intriquer le micro et le macro (qui inévitablement, par plusieurs points, fait penser au Malick), le rapport entre les deux sœurs.

Je ne partage pas l'analyse de Stéphane Pichelin. Ce n'est pas un film qui proclame une haine de la vie ni ne s'accole à la formule de la maniaco-dépressive (life is evil). Au contraire, toute la progression du récit, allant du château au jardin, consiste à développer un paradoxe fragile (un peu bateau - quoique -, mais qui dramaturgiquement fonctionne), qui a lieu dans la relation en miroir entre les deux sœurs: autour de l'expérience de la finitude, de la mort de l'autre, des autres, du monde.

Il y a Gainsbourg, dont l'angoisse de la perte se manifestait dans un besoin de contrôle autant que celui d'assister, aider, rassurer, de materner, mais son oblation la ferme à sa propre angoisse, et interdit à celle des autres de se manifester. Dans son refus du deuil, du deuil de la vie, que porte sa sœur, il y a sa peur de mourir, et dans sa peur de mourir et de voir mourir les autres, une sorte de refus de la vie, de la finitude qui compose la vie. Elle a tissé un écran de déni devant le fait de la mortalité, qui empêche ainsi les autres de se rapporter au sentiment de cette mortalité, cette "part la plus humaine de l'homme".

Blanchot:

l’existence fait peur [aux hommes], non à cause de la mort qui pourrait y mettre un terme, mais parce qu’elle exclut la mort, parce qu’en dessous de la mort elle est encore là, présence au fond de l’absence, jour inexorable sur lequel se lèvent et se couchent tous les jours. Et mourir, sans doute, est-ce notre souci. Mais pourquoi ? C’est que nous qui mourons nous quittons justement et le monde et la mort. Tel est le paradoxe de l’heure dernière. La mort travaille avec nous dans le monde ; pouvoir qui humanise la nature, qui élève l’existence à l’être, elle est en nous comme notre part la plus humaine ; elle n’est mort que dans le monde, l’homme ne la connaît que parce qu’il est homme, et il n’est homme que parce qu’il est la mort en devenir. Mais mourir, c’est briser le monde ; c’est perdre l’homme, anéantir l’être ; c’est donc aussi perdre la mort, perdre ce qui en elle et pour moi faisait d’elle la mort. Tant que je vis, je suis un homme mortel, mais quand je meurs, cessant d’être un homme, je cesse aussi d’être mortel, je ne suis plus capable de mourir. » ( La littérature et le droit à la mort, p.52)

Il y a Dunst, dont la dépression massive semble un désintérêt, un abandon de la vie, mais qui, séjournant dans l’œil du cyclone du Négatif, pétrie de finitude, se révèle finalement apte à tendre la main à sa sœur et à son enfant, non pas pour les aider à mourir ou leur apprendre à mourir, mais dans un simple geste d'amour, de générosité, de fraternité ultimes.
Sa dépression massive semble par ailleurs trouver sa source dans un don de prescience de l'ordre du "surnaturel": elle "savait des choses", tout comme elle avait deviné le nombre de petits pois, l'énigme de la tombola. Ce n'est donc pas que la "fin du monde" a l'allure d'une amplification égoïste, d'une extension "personnelle" de son effondrement psychique et physique dans la première partie, ce serait plutôt que ladite "fin du monde" dont l'hypothèse grandit de façon inquiétante dans la seconde partie est la cause du primo effondrement personnel qui l'anticipait, l'intériorisait, la portait.

Le deuil de la vie porté par cette mélancolique qui souffre de ne goûter que de la cendre dans le pain de viande est - n'est-ce pas ce qui caractérise la mélancolie - un deuil impossible, infini, de cette vie, l'ultime introjection d'un refus de mourir.

Les rôles se sont ainsi lentement renversés, l'angoisse de la mort ne sera pas conjurée, ni par Dunst ni par Gainsbourg (encore moins par l'oncle, l'homme de science, qui s'évertue à mentir pour rassurer tout le monde jusqu'au dernier moment, mais décidera d'en finir solitairement par le poison, abandonnant les deux femmes et l'enfant à leurs morts solitaires).

A cet égard, le final à trois, sous la "hutte magique", mélange de communion et d'effrois solitaires, impossible adieu à cette vie autant qu'impossible accueil de la mort, devant cet astre géant qui déboule sur l'horizon, est bouleversant, et laisse une trace émotionnellement très forte et durable.

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Message par Invité Dim 19 Aoû 2012 - 10:47

il paraît que depuis le début du film on entend en arrière le grondement de la planète qui approche, c'est vrai ? ( je l'ai vu dans des conditions pourries ).

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Message par Dr. Apfelgluck Dim 19 Aoû 2012 - 11:09

slimfast a écrit:il paraît que depuis le début du film on entend en arrière le grondement de la planète qui approche, c'est vrai ? ( je l'ai vu dans des conditions pourries ).

Il parait en effet qu'il y a une basse fréquence qui augmente légèrement au fil du film. Il n'est vraiment perceptible que dans les derniers moments.

A propos du son dans "Melancholia" : http://carpetbagger.blogs.nytimes.com/2011/12/07/below-the-line-the-world-ending-sounds-of-melancholia/

http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/a/a3/EarthAndMelancholiaDanceOfDeath.svg
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Message par Eyquem Dim 19 Aoû 2012 - 11:17

Salut BB,
Baudouin II de Barvaux a écrit:Sa dépression massive semble par ailleurs trouver sa source dans un don de prescience de l'ordre du "surnaturel": elle "savait des choses", tout comme elle avait deviné le nombre de petits pois, l'énigme de la tombola. Ce n'est donc pas que la "fin du monde" a l'allure d'une amplification égoïste, d'une extension "personnelle" de son effondrement psychique et physique dans la première partie, ce serait plutôt que ladite "fin du monde" dont l'hypothèse grandit de façon inquiétante dans la seconde partie est la cause du primo effondrement personnel qui l'anticipait, l'intériorisait, la portait.
Il y a en effet une part de surnaturel inexplicable à l'origine de sa mélancolie mais toute la première partie cherche aussi à cerner ce qu'il y a de profondément mortifère, dépressogène, dans cette famille ; tu ne parles pas de ses parents, C Rampling et John Hurt, alors que ce roman familial assez cliché rend la première partie particulièrement pénible, comme tu dis aussi.

Je trouve aussi que le film fait son effet dans la deuxième partie : forcément, c'est la fin du monde, avec Wagner en dolby surround au milieu du craquement des planètes entrant en collision. Mais est-ce que ce serait pas un peu trop "hénaurme" pour Blanchot ?
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Message par Invité Dim 19 Aoû 2012 - 11:55

Ne pas aimer la première partie n'est pas inéluctable : des copains ont aimé le film du début à la fin.


Par ailleurs, comment LVT trouve t'il encore des acteurs tant la volonté de les filmer sous leur plus mauvais jour est délibérée chez lui ? Au début du film c'est particulièrement visible et visible que c'est voulu : je ne m'explique pas ce désir de laideur.

Il me semble que c'est venu tardivement dans ses films.

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Message par Invité Dim 19 Aoû 2012 - 11:57

Merci Dr.

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Message par Invité Dim 19 Aoû 2012 - 16:05

Eyquem a écrit:Salut BB,
Baudouin II de Barvaux a écrit:Sa dépression massive semble par ailleurs trouver sa source dans un don de prescience de l'ordre du "surnaturel": elle "savait des choses", tout comme elle avait deviné le nombre de petits pois, l'énigme de la tombola. Ce n'est donc pas que la "fin du monde" a l'allure d'une amplification égoïste, d'une extension "personnelle" de son effondrement psychique et physique dans la première partie, ce serait plutôt que ladite "fin du monde" dont l'hypothèse grandit de façon inquiétante dans la seconde partie est la cause du primo effondrement personnel qui l'anticipait, l'intériorisait, la portait.
Il y a en effet une part de surnaturel inexplicable à l'origine de sa mélancolie mais toute la première partie cherche aussi à cerner ce qu'il y a de profondément mortifère, dépressogène, dans cette famille ; tu ne parles pas de ses parents, C Rampling et John Hurt, alors que ce roman familial assez cliché rend la première partie particulièrement pénible, comme tu dis aussi.

Je trouve aussi que le film fait son effet dans la deuxième partie : forcément, c'est la fin du monde, avec Wagner en dolby surround au milieu du craquement des planètes entrant en collision. Mais est-ce que ce serait pas un peu trop "hénaurme" pour Blanchot ?


Salut Eyquem. En effet, je ne parle pas des parents ni de la première partie, car ça ne m'a pas trop intéressé (à la base). Ce que tu dis est juste, y compris le côté cliché à la Festen, le W., portrait plutôt lourdingue d'une famille mortifère, que j'avais détesté en bloc. Mais je n'y vois pas de contradiction avec ma perception globale. Cette première partie, bien que relativement peu convaincante, existe pour être en quelque sorte dépassée, relevée, dans la seconde, qui bifurque vers le cosmogonique, distribué en quelques indices dès le début. Les tableaux du début, qu'on trouvera au choix sublimes ou kitsch, peut-être un mélange des deux, suggèrent la dimension circulaire du récit.

J'ai pensé aussi ça: avec une fin du monde, forcément, ça fait son petit effet. Et on pourrait le refuser. Cependant, je maintiens que le traitement est d'une belle sobriété. C'est tout le contraire d'une avalanche d'effets spécieux soulignés à grands renforts de dolby surround. La scène finale est très minimaliste, Wagner s'y fait plutôt discret. Il est surtout présent dans les tableaux faisant office en quelque sorte d'interlude. D'ailleurs, remarquons-le, LVT a choisi ce leitmotiv de T & I qui est justement très éloigné des clichés wagnériens (rafales glorieuses, précipitations telluriques, en climax etc): c'est un mvt de respiration ample et lent, au romantisme tragique et malgré tout apaisant, comme réconciliateur. Un peu comme l'adagietto de la 5è de Mahler. Typiquement un passage de Wagner précurseur du Mahlérisme. Evidemment, tout ça peut être ressenti comme "cliché", mais ça passe bien dès lors qu'on s'avise que le film s'assume lui-même comme une succession de tableaux-clichés, picturaux autant que musicaux. Honnêtement, ça ne m'a jamais gêné.

On voit très peu tout ce qui concerne cette planète, là encore les effets sont distillés au compte-gouttes. Ils ne sont jamais spectaculaires, toujours suggestifs. C'est la manière dont la présence de la planète innerve les comportements des personnages qui lui donne son poids. L'imagination du spectateur fait le reste. L'essentiel de cette seconde partie est fait de promenades "avortées" hors du domaine, une sorte de trajectoire circulaire chaque fois interrompue, mystérieusement, au passage du pont qui mène vers le village. Les chevaux s'y cabrent, la petite voiture de golf y tombe en panne, etc. J'aime bcp toutes ces séquences nocturnes-bleutées teintées d'onirisme, la beauté des chevaux qui scintillent dans l'obscurité, la petite pluie de flocons de cendre. VT n'a pas du tout choisi l'option "grand spectacle". ça reste une fin du monde à échelle intime, intérieure.

Cette dernière scène, pour y revenir, est étonnamment sobre et discrète. C'est peut-être cinématographiquement la scène de "fin du monde" la plus discrète qu'il m'ait été donné de voir (peut-être avec the last night de Mc Kellar). C'est juste un tableau, assez bref, trois silhouettes, de loin, sous une petite tente de branches, avec la planète qui s'avance sur la ligne d'horizon. On remarque aussi, ça m'a touché, le mvt du corps de Gainsbourg, qui exprime subrepticement la panique, le refus, une protestation ultime, un "non", alors que quelques secondes avant, elle semblait presque apaisée, aux côtés de son fils et de sa sœur: ça ne dure qu'une fraction de seconde précédant le fondu au noir du générique, mais c'est vraiment poignant.

Alors non, pour te répondre, je n'ai pas trouvé ça "hénaurme", et pas "hénaurme" non plus pour Blanchot. Je cite Blanchot sans chercher à "forcer" le film, car cette forme de méditation sur "l'heure dernière" m'a fait penser à ces lignes.
Je ne veux pas chercher à te convaincre, mais si on estime ça "hénaurme", alors tant qu'à faire il faudrait aussi considérer comme "hénaurme", carte postale, l'usage dolbysurroundesque de la musique dans le Malick (le requiem de Fauré, certes ce n'est pas Wagner, mais un mauvais esprit pourrait souligner une certaine facilité, récurrente, dans le recours à cette partition souvent mise à contribution). Il faudrait aussi considérer comme "hénaurmes" ces compositions picturales cosmogoniques, qui ne sont pas franchement moins "kitsch", et bien plus spectaculaires, "hollywoodiennes" - et on y entend bcp plus d'effets sonores évoquant des "craquements de planètes en collision" que dans le LVT. Pourtant, ça passe, ça passe très bien. C'est parfois d'une naïveté "rococo", qui est assumée sans fausse honte.

Ce qu'on accorde d'une main au Malick, je ne vois pas trop pourquoi on devrait le retirer de l'autre au VT (même si ce sont des films aux tonalités assez distinctes, bien que par certains points précis qu'il conviendrait d'analyser, ils s'entrecroisent étrangement. Superficiellement, je dirais que la différence la plus saillante est le refus chez VT d'une relève de la finitude dans une forme de "spiritualité" ou "théurgie"), qui sur le plan plastique et musical est certainement plus sobre, plus "sec". Je parle surtout, bien sûr, de cette seconde partie. La première, à y resonger, n'est pas si ratée, en dépit de certaines démonstrations assommantes (l'histoire du boss de la pub, etc, Rampling en mother acariâtre et desséchée, Hurt - que j'aime bcp - qui fait du "Hurt", qui n'existe jamais, même en tant qu'acteur, etc). J'ai été sensible à l'incarnation du corps dépressif, effondré, de Dunst, qui tente de se contenir avant la désintégration.

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Message par Eyquem Lun 20 Aoû 2012 - 0:47

la différence la plus saillante est le refus chez VT d'une relève de la finitude dans une forme de "spiritualité" ou "théurgie"
Est-ce qu'il a vraiment changé depuis les cloches à la fin de "Breaking the waves" ?
Tu dis que tu ne partages pas l'avis de Stéphane, que le film ne prend pas à son compte la haine de la vie de Dunst, mais j'ai aussi du mal à séparer "Melancholia" des précédents, "Antichrist" et "Dogville" en particulier, où dominait l'idée d'un mal radical, pervers, indéracinable, contre lequel il fallait employer les grands moyens : bûcher de sorcière, nettoyage complet d'un village par le feu ; ici, c'est encore plus radical, lol.
Avant "Dogville", LVT s'intéressait aux saintes qui sauvent le monde mais depuis, il donne quand même le sentiment que l'humanité vaut pas tripette et mérite d'être envoyée par le fond.


Je trouve convaincante la lecture que tu fais de la structure en miroir du film, du renversement des rôles entre les deux soeurs. A vrai dire, je n'ai pas gardé beaucoup de souvenirs de Dunst dans la deuxième partie : pour moi, son rôle se bornait à convaincre sa soeur d'abandonner tout espoir.
Si seul le fait d'accueillir l'angoisse de la mort rend libre et proprement humain, on ne voit pas dans le film que cette liberté serve à quoi que ce soit ; ce qui est asséné (notamment à travers l'humiliation de l'homme de science), c'est plutôt la vanité de tout effort pour édifier un monde humain, non ?

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Message par wootsuibrick Lun 20 Aoû 2012 - 4:08

La hutte magique n'est-elle pas l'effort à édifier un monde humain, face au néant de l'Univers? lol
science, spiritualité, art... tout pareil? L'imagination du corps fragile de l'enfant face à l'infini néant, ou un truc du genre.
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Message par Invité Lun 20 Aoû 2012 - 4:59

A cette heure ci, toi? Pour m'empêcher d'aller me coucher, avec ce temps, en pluche?


[...] Je trouve convaincante la lecture que tu fais de la structure en miroir du film, du renversement des rôles entre les deux soeurs. A vrai dire, je n'ai pas gardé beaucoup de souvenirs de Dunst dans la deuxième partie : pour moi, son rôle se bornait à convaincre sa soeur d'abandonner tout espoir.
Si seul le fait d'accueillir l'angoisse de la mort rend libre et proprement humain, on ne voit pas dans le film que cette liberté serve à quoi que ce soit ; ce qui est asséné (notamment à travers l'humiliation de l'homme de science), c'est plutôt la vanité de tout effort pour édifier un monde humain, non ?
Attention, tu me fais dire des choses ce que je ne dis pas, et fais dire par ailleurs à Blanchot ce qu'il ne dit pas. Je cite une phrase de Blanchot à laquelle ce film me fait penser, ce qui ne suggère nullement, tout d'abord, que j'incite à interpréter ce film comme illustrant la phrase en question, ce qui suggère éventuellement, par ailleurs, qu'il faudrait se garder de comprendre à l'envers le propos de Blanchot.

Je ne dis nulle part "accueillir l'angoisse de la mort rend libre et proprement humain,": ni dans le film ni ailleurs.

Concernant Blanchot, il ne dit nulle part non plus qu'il faut "accueillir l'angoisse de la mort" et que ça "rend libre et proprement humain". Il dit quasiment le contraire, en fait, pointant un paradoxe ("le paradoxe de l'heure dernière") qui questionne une certaine compréhension de l'être-devant-la-mort heideggerien (ainsi que de sa transposition kojévienne).
Il dit quoi? Il dit que sans doute l'angoisse des hommes concernant la mort est leur souci, mais aussitôt il le conteste, depuis Lévinas: l'angoisse véritable serait celle de l'existence plutôt que de la mort. L'inclusion de la perspective mortelle, ou de la mortalité, dans la vie, ne signifie pas pour lui acceptation de la mort, c'est au contraire - et là est tout le paradoxe proprement blanchotien - refus de la mort, impossibilité de mourir, "arrêt de mort". Comment cela? Pas facile à saisir, car cette idée forte intègre tout en la déplaçant à la fois une analytique heideggerienne de la finitude (mortalité), et une analytique hégélo-heideggerienne (kojévienne) de la finitude (mortalité), la conteste tout en ayant l'air d'en suivre la logique.
C'est donc assez complexe. La position exprimée par Blanchot, ici, c'est, pour le dire dans des termes provisoires parce que d'emblée trop simplistes: la conscience de la mort (comme l'anticipant), parce qu'elle inscrit du négatif dans la positivité indifférenciée, anonyme, du vivant, ou le maintenant nivelé de la présence, de la succession indifférenciée des "jours et des nuits", la conscience de la mort, cette négativité, néantisation de la présence, qui est l'opération même du langage, donc, fait passer l'existence à l'être, fait de l'existence une vérité logique et exprimable.
"C’est en cela qu’on peut dire qu’il y a de l’être parce qu’il y a du néant". C'est aussi, bien sûr, ce que dit Sartre dans EN: le néant (de l'homme) néantit dans l'être pour qu'il y ait de l'être.
ça, disons, c'est ce que rend possible la conscience de la mort, ou l'inscription du néant dans la positivité plénière, non langagière, du Vivant dans l'identité à lui-même sans "vérité", non "révélé" par la négativité du langage, du concept - le fameux "meurtre de la chose". Et bien sûr cette conscience est associable ou indésolidarisable de l'angoisse de la mort. Mais ça ne veut pas dire ici: "il faut accueillir l'angoisse de la mort", et encore moins au sens d'une "acceptation de la mort", selon une lecture trop pressée. Ce n'est pas l'angoisse de la mort qui prime. L'angoisse n'est pas "de mort", mais d'être accolé, collé, à l'existence indifférenciée, opaque.

Le paradoxe est le suivant: la "conscience" de la mort (pour reprendre ce terme je le répète impropre et simplificateur) est au contraire la manifestation d'un refus de mourir, de rejoindre sans protestation le cycle indifférencié du vivant qui simplement "meurt", de rejoindre la succession indifférenciée des jours et des nuits, cette présence inexorable, sans "vérité", "inexprimée", au fond de l'absence, derrière l'absence. C'est pourquoi je me plais parfois à dire, dans la logique de cette analyse: "l'homme est cet être qui se découvre mortel et pour cette raison même refuse de mourir. Le refus de mourir est la manifestation de la conscience de la mort comme angoisse de l'existence.
C'est pourquoi je soulignais cette phrase fort dense, sujette à de nombreuses mécompréhensions parce que retorse, paradoxale:

"mourir, c’est briser le monde ; c’est perdre l’homme, anéantir l’être ; c’est donc aussi perdre la mort, perdre ce qui en elle et pour moi faisait d’elle la mort. Tant que je vis, je suis un homme mortel, mais quand je meurs, cessant d’être un homme, je cesse aussi d’être mortel, je ne suis plus capable de mourir."
Qu'on relise bien cette phrase, qu'on en pèse chaque mot. Rien, dans cette phrase, ne signifie "l'angoisse de la mort rend libre et proprement humain" ou quoi que ce soit qui s'apparenterait à un acquiescement à la mort. Tout, dans cette phrase, dit exactement le contraire: la mort, comme effectivité, réalité, qui engloutit le vivant dans le néant du non-être, est la perte de l'expérience de la mort pour le vivant qui se saisit comme "homme", cad être mortel, conscient d'être mortel, conscient de l'horizon de la mort. Tant qu'il vit, l'homme conscient de la mort, mort en devenir, "arrête" la mort (son effectivité). C'est paradoxalement parce qu'il se vit mortel, essentiellement mortel, qu'il pense le monde comme un monde où on peut mourir, ce qui ne fait qu'un avec l'idée d'un monde où on refuse de mourir. La mort est pour l'homme mortel l'impossible même qu'il ne cesse de remettre à plus tard. L'angoisse de la mort renvoie donc plutôt pour Blanchot à la seule angoisse qui serait pour lui, peut-être, l'angoisse authentique, l'angoisse authentiquement "humaine", celle de l'existence où on a perdu l'horizon même de ce qui constitue un "monde". C'est l'existence sans monde, sans "sens de monde" ou sans conscience de monde qui constitue pour l'homme son souci, et si la mort est pour l'homme un souci, c'est parce qu'en perdant le point de vue que lui donne la mort, le point de vue d'un monde "humanisant la nature", il perd le monde, le sens d'un monde, et se vit menacé d'être englouti dans le cycle indifférencié des vivants qui simplement vivent et meurent.


Donc, pour le redire, et me dirigeant à présent dans la direction du film, comme je l'ai perçu: la question ici posée est celle du rapport à la finitude, à la mort. Je suggérais, plus haut, en évoquant la relation entre les deux sœurs, que l'angoisse de la mort chez Gainsbourg, dans sa modalité particulière du refus de la mort comme possibilité de la "vie humaine", traduisait plutôt cette angoisse de l'existence, un refus ou une peur de la vie. Si on suit le paradoxe exprimé par la pensée de Blanchot, son comportement, vis à vis de sa sœur dépressive, qu'elle aimerait soigner, consiste d'une certaine façon à vouloir éviter, neutraliser la dimension de la mort en tant que révélant la vie comme vérité logique et exprimable.

" l’existence leur fait peur, non à cause de la mort qui pourrait y mettre un terme, mais parce qu’elle exclut la mort, parce qu’en dessous de la mort elle est encore là, présence au fond de l’absence, jour inexorable sur lequel se lèvent et se couchent tous les jours."

Ce qu'elle hait ("parfois", dit-elle) chez sa sœur, c'est qu'en écho-miroir de sa peur de la vie, cette dernière est happée dans l'autre manifestation de cette peur, du côté de la dépression, de la mélancolie, comme deuil infini de la vie. Autant Gainsbourg fuit la conscience de la mort, autant Dunst est paralysée par cette conscience de la mort. Aussi quelque chose va passer, se communiquer, se transférer, de l'une à l'autre. Dans la seconde partie, c'est la conscience de la mort chez Dunst qui va paradoxalement permettre de rendre un peu de cet amour irréductible de la vie à sa sœur, paralysée par une angoisse de la mort telle qu'elle ne parvient plus à refuser la mort, perd tout espoir. Ce n'est pas du tout, donc, que Dunst prépare ou incite Gainsbourg à se résigner, à accepter la mort. Au contraire, la fin du film, qui coïncide avec la fin du monde, c'est le moment où Dunst redonne un souffle, recrée un "petit monde" avant l'anéantissement du monde, un monde magique où l'espoir de vie est permis (et auquel l'enfant peut croire: alors que le rite que Gainsbourg proposait: boire un verre, c'était juste un "plan de merde", une façon merdique d'aller à la mort. C'est ma lecture.


Alors, est-ce que tout ça revient à dire "vive la mort!" etc. Je ne le crois pas, donc. Je crois même fermement le contraire.

C'est un film, difficile à contester, sur la mort, la fin. C'est aussi un film qui a pour titre "melancholia". C'est aussi un film sur la dépression. C'est aussi un film funèbre, un film-tombeau. On a le droit de ne pas aimer les films funèbres et les tombeaux, c'est évident. Je serai le dernier à le contester. Mais c'est allègrement confondre les plans que d'en tirer comme conclusion: "voilà un film qui nous dit qu'il faut se résigner à mourir et qui appelle de ses vœux l'anéantissement du monde". Le film raconte une "fin du monde" et une "façon de mourir". Son sujet, son propos, est interprétable, discutable, certes, mais pourquoi vouloir absolument y loger un "programme", qui plus est un programme de "libération" dans et par la mort? Quelle "libération"? Y a pas de "libération", évidemment, puisqu'on raconte une fin du monde. Et s'il n'y a pas de "libération", on peut sans trembler avancer qu'en effet, cette absence de libération ne sert pas à grand chose. Dans le même ordre d'idée, pourquoi vouloir à tout prix interpréter ce film de fin du monde comme expression de "la vanité de tout effort pour édifier un monde humain"? Parce que c'est LVT et qu'on sait d'avance que LVT est un nihiliste dépressif fascisant? Allons, c'est pas sérieux. Pourquoi, dès qu'il est question de mort, du mourir, de la fin, on se récrie, scandalisé: "truc mortifère!". ça n'a aucun sens de vouloir le lire ainsi, je le pense vraiment. C'est comme si je disais, alors, de n'importe quel film qui aurait pour thème la mort, ou la fin du monde, ou une agonie, que son message est "vive la mort!'. Mort à Venise, c'est "vive la mort à Venise", venez tous mourir à Venise, etc etc.


Autre chose: tu dis que le perso de l'homme de science est "humilié". Pourquoi humilié? Non, je vois pas ça: il meurt comme il peut, c'est tout. C'est un homme "de science", mais je ne vois pas pourquoi il représenterait, lourdement, symboliquement, "la science", ni en quoi "la science" serait en quelque façon humiliée, parce qu'elle représenterait dans le récit un "effort pour édifier un monde humain" ou je ne sais quoi, allons! Eyquem! C'est quoi cette poussée de scientisme pour conjurer le démon immonde et mortifère? Very Happy

Les scientifiques sérieux, disons du genre chercheurs, ne prétendront jamais que leur souci principal est de s'efforcer d'édifier un monde humain. C'est pas vraiment leur problème, même s'ils peuvent se réclamer par ailleurs de ce truc vague qu'on nomme "l'humanisme" (on voit aussi ce que ça donne chez un Charpak ou un Albert Jacquard dès qu'ils sortent de leur domaine: un concentré de truismes farci d'idéologies peu interrogées. Einstein était humaniste, mais ces conférences et discours sur l'amélioration de la "condition de l'homme", c'est assez bien une espèce de bouillabaisse catéchistique imbitable, tellement générale et vide que ça ne signifiait plus rien). Sinon, la plupart des scientifiques sérieux se gardent de la tentation d'asséner un modèle holistique ayant réponse à tout. Ils présentent plutôt humblement les limites de leur modèle épistémologique, de leur paradigme, et ils vous expliqueront qu'ils proposent des modèles, précaires, permettant de dégager une intelligibilité partielle, toujours susceptible d'être remise en question, relative à l'organisation de l'univers, du vivant, etc.

LVT s'est fait aider, d'ailleurs, par un astro-physicien pour le film. Lequel s'exprime sur le bonus: la probabilité que la trajectoire d'une planète rencontre la terre et dévie de son orbite est infinitésimale, mais pas exclue. Mais surtout, il insiste sur le fait qu'on accorde trop de crédit à la "science" fantasmée comme majusculaire: la "science" ne livre ni réponses ni certitudes dans aucun domaine. Aucune science ne pourrait contrer la dissolution de la terre par un astre géant l'entrainant dans son orbite. Et pour le coup c'est "l'homme de science" qui tend à proclamer la vanité tant de vouloir maitriser les lois de la nature que des efforts pour préserver un monde humain.

Sutherland prononce aussi ces mots de sagesse dans le film, après avoir menti dans un premier temps à Gainsbourg pour la rassurer, décrétant que ce sont les charlatans cherchent à effrayer les gens, et que la science, sûre, a mesuré rigoureusement l'impossibilité de cette collision. Mais il gardait pour lui, pour ne pas effrayer Gainsbourg, la vérité: une erreur dans les calculs de la trajectoire de Melancholia. Elle semble s'éloigner un moment, mais c'est une illusion due à la particularité de son trajet elliptique, et il exploitera ce stratagème, destiné à s'éventer rapidement, dans le souci vain de préserver cette femme angoissée. Il se suicide, mais peut-être moins par peur de mourir dans le crash planétaire que par honte ou culpabilité de n'être pas parvenu à rassurer ses proches, une responsabilité trop lourde. C'est son problème humain, à lui, d'homme mortel. Personne le juge. Et ce n'est pas qu'il soit par là humilié, ni la "science", qui ne pouvait de toute façon faire de miracles, malgré tous ses mérites. On n'est quand-même pas, c'est au moins heureux, dans un film neuneu de sf des années 50 où les "savants" en blouse blanche ont toujours une solution, une super-parade technologique de derrière les fagots, fort utile aux militaires, etc, pour conjurer les grosses bêtes velues venues d'outre-espace.


Qu'est-ce qui fait un "monde", rend possible un "monde humain", c'est une question, un souci, que prennent plutôt en charge l'art, la philosophie, la littérature, la politique, les machines à fictionner, les religions, l'utopisme, sans être en mesure de prétendre pour autant détenir des clés, des solutions, des réponses, pour son "édification".


Puis enfin, parce qu'il faut bien aller se coucher, honnêtement je n'en suis plus à me soucier de quelque continuité ou changement dans la cinématographie de LVT. LVT, pour le redire, c'est pour moi le prototype du frégoli cinématographique: bien malin qui pourrait, aussi assurément que Stéphane Pichelin, spécialiste de l'analité chez Ford, de la verticalité du désir et de l'horizontalité sociale chez les Anguilles, de la deep écologie californienne dans 2001, de téléportations cronenbergiennes de Deleuze en Freud puis de Freud en Deleuze, et de plein d'autres choses savoureuses, dégager les grandes lignes paradigmatiques de la "pensée" de LVT. LVT n'a pas spécialement de "pensée", c'est un mec comme plein de cinéastes, qui pense pas grand chose selon moi, qui change sans arrêt de style (pour essayer de devenir le Kubrick danois) et rate deux films sur trois. Je trouve Mélancholia et Antichrist plutôt réussis et meilleurs que tous ceux qui ont précédé, Mélancholia même un beau film, presque grand, je le maintiens. Idioten est pour moi un film parfaitement idiot, en passant, je pourrais le démontrer aisément. Pour le reste, je vois pas d'unité thématique réelle dans ses films. Frégoli et ironique, toujours lourd quand il s'essaie non sans courage à l'humour et se viande piteusement (le Direktor, quelle torture), je pense qu'il n'est pas sérieux. Ce n'est pas non plus un mec religieux pour un sou. Faut vraiment être naïf pour ne pas voir tout le foutage de gueule dans "breaking the waves" avec ses cloches de Pâques qui flottent dans le ciel. Bon, il n'a pas et n'aura jamais la profondeur d'un Malick, ou d'un Tarkovski, ou d'un Dreyer ce n'est guère controversial, même si c'est dommage (pour lui). C'est un mec doué, un peu immature, instable, ambivalent, certainement caractériel, qui aimerait exister dans et par le cinéma, et qui de temps en temps, rarement, parvient à accoucher d'une vision forte. Et qui a quand-même le mérite, dans le paysage cinématographique, de tenter des choses, de se chercher, de se remettre en question, quitte à se ridiculiser complètement. Là dessus, je file au pieu parce que je commence vraiment à fatiguer. Laughing


Dernière édition par Baudouin II de Barvaux le Lun 20 Aoû 2012 - 9:01, édité 7 fois

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Message par Invité Lun 20 Aoû 2012 - 5:11

Merci Woot, c'est ce que disais un peu, en beaucoup trop long. Vache de canicule.

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