AMOUR de Michaël Haneke

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Message par Invité Dim 18 Nov 2012 - 8:28

Borges a écrit:
Mais pour faire des films "brechtiens" il faut être très intelligent, ou pour le dire moins prétentieusement il faut savoir raccorder le particulier au général, et il ne me semble pas que Haneke ait cette intelligence-là : aucun va-et-vient chez lui entre le contingent et l'idée, pensée de l'Histoire plus que minimale, les rapports de classes ne l'intéressent pas, aucune idée d'une communauté, d'une vie sociale, d'une communication, donc aucune idée non plus de l'humour, et tout cela qui lui manque l'oblige à fragmenter à l'extrême son monde en consciences isolées, hermétiques les unes aux autres. Pas un hasard si dans Amour il handicape Emmanuelle Riva au bout de 20 minutes : contrairement aux vrais cinéastes brechtiens (Guédiguian, Guiraudie, Godard...) il n'est pas à l'aise dans le dialogue, le dialogue ne l'intéresse pas. (Brecht écrivait pour le théâtre, ce qui n'est pas un hasard non plus.)
(Badlanders)

Ca manque de sérieux, je trouve; pour faire des films brechtiens faut être très intelligents, tu dis; peut-être, je sais pas; mais à l'évidence Haneke n'est pas assez intelligent, pour toi, pas autant que les trois G que tu cites, des gars qui n'ont pas grand chose en commun, et certainement par leur brechtisme (évident chez Godard, bien plus riche que chez Haneke, où il est un peu trop sérieux, pas assez joueur, varié, sans principe de plaisir; Brecht c'est très joueur, on se marre; c'est aussi populaire, et carnavalesque, comme on dit; Le Brecht de Haneke, c'est un cinéma du cerveau, presque sans affects; je dis bien presque, parce que ce n'est pas totalement vrai; il y a aussi du jeu, mais pas toujours funny, à première vue; au lieu de jouer, il se demande plutôt qu'est-ce que c'est jouer...quelles sont les conditions invariantes d'un jeu, c'est-à-dire finalement d'une communauté; le jeu, c'est l'idée d'une communauté esthétique... ) que tu définis, assez librement, de telle manière que ta définition exclue MH, comme "un va et vient entre l'idée et le contingent..."(La pensée de l'histoire n'est pas minimale chez H, y a pas non plus d'absence de rapports de classes, je ne vois pas comment tu peux dire ça...), mais bon je discute pas, on peut dire ce qu'on veut, et construire les définitions que l'on veut, si ça aide à penser quelque chose, mais en ce qui me concerne (c'est le sens ordinaire, commun) l'adjectif "brechtien" désigne la mise à distance, l'effet d'étrangeté (la séparation du spectateur et du spectacle, de l'acteur et du rôle, de la scène et de la salle, de l'histoire et de la morale...), qui doit amener le spectateur à prendre conscience de la fabrication des images, de l'histoire, de ce qui se passe sur scène, mais aussi dans le monde : y a pas de nature, y a de l'histoire...

En ce sens du terme, rien de plus brechtien que Haneke : il ne cesse de nous désolidariser du spectacle, des personnages, et de leurs actions, de leur croyances...Haneke ne fait pas des images en ce sens, mais des images sur les images, des images qui montrent à la fois un spectacle et les conditions de perception de ce spectacle; refus de l'adhésion pathétique, émotionnelle, pari sur l'intelligence, la raison...

On trouve ça lourd, peut-être tout simplement parce que Haneke ne fait qu'une chose : appeler à penser; la lourdeur est beaucoup plus dans la paresse de ceux qui s'arrêtent à quelques lieux communs rassemblés par le nom "Haneke" que dans les films mêmes...qui sont à la fois prodigieusement riches, intelligents, et qui donnent à penser, et le plaisir de la pensée (qu'on sépare assez bêtement)


-tout ceux qui passent leur temps à rappeler à Haneke que le cinéma, c'est la décision éthique sur ce qui est montrable, et ce qui ne l'est pas, etc., n'ont absolument pas vu le film, qui ne parle que de ça...et de manière dialectique, en multipliant les points de vue, les places depuis lesquelles ont peut voir, et penser, et poser des questions (les concierges sont-ils intrusifs ou JLT les rejete-t-il par "sentiment de classe"...)

La question est : qui décide de ce qui montrable et de ce qui ne l'est pas.





la mise à distance, l'insistance sur le rôle, la fonction du spectateur est bien entendu essentielle; comme l'ont montré Kant, et Arendt, c'est une question politique.

Aux jeux, disait je sais plus qui, il y a ceux qui viennent pour concourir, ceux qui viennent pour faire des affaires, et puis, les plus sages, ceux qui viennent uniquement pour voir, regarder; n'étant pris par aucun intérêts, aucune affaire, ils laissent les choses venir en présence, et se montrer; seuls, s'ils sont assez désintéressés, assez spectateurs, ils peuvent avoir accès à une vérité qui échappe aux autres. La théorie, c'est pas une affaire d'abstraction au sens vide, négatif au mot, c'est une manière d'échapper, de se soustraire aux affaires humaines, de s'en abstraire;


"Seul le spectateur occupe une position qui lui permet de voir la scène dans son entier; l’acteur, parce qu’il a un rôle dans la pièce, doit s’y tenir : il est, par définition, partial. Le spectateur, par définition, est impartial : aucun rôle ne lui est assigné. Donc, se mettre à l’écart de toute participation directe pour s’installer en un point de vue hors du jeu est une condition sine qua non de tout jugement. Ensuite, ce qui intéresse l’acteur, c’est la doxa , la renommée - c’est-à-dire l’opinion des autres. La renommée s’acquiert grâce à l’opinion des autres. Pour l’acteur, la question décisive est donc de savoir comment il apparaît aux autres; l’acteur est dépendant de l’opinion du spectateur; il n’est pas (pour parler en langage kantien) « autonome ». Il ne se conduit pas en suivant la voix innée de la raison, mais en fonction de l’attente des spectateurs. La norme est le spectateur. Et cette norme est autonome. (Arendt)

On dit d'Amour qu'il y s'agit de théâtre, l'art politique, comme on dit quelques fois; rappelons que le mot theatai ( spectateurs) a donné "théorie, " qui contemple, regarde quelque chose de l'extérieur, d'un endroit comportant un point de vue caché à ceux qui font partie du spectacle et le rendent réel. "


(Notons que Riva occupe dans Amour, la place des victimes des deux mecs de funny games : la place de l'impuissance totale)




Pasolini, Uccellaci e Uccellini. Le corbeau : Le temps de Brecht et Rossellini est terminé.

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Message par Borges Lun 19 Nov 2012 - 15:57

Rubafix
Amor vanitatum.

Vu Amour, la palme dure d’Haneke. La deuxième. Après le Ruban blanc, le Rubafix (marron). Haneke plus pernicieux (et prétentieux) que jamais. Beaucoup, parmi ceux qui pourtant n’aiment pas le film, reconnaissent la première partie (avant la première attaque d’Emmanuelle Riva), voire les deux premières parties (avant la seconde attaque), comme une grande réussite qui, malheureusement, serait gâchée par une dernière partie odieuse, où l’on retrouverait le côté malsain et manipulateur d’Haneke. Je ne suis pas d’accord. C’est justement parce que tout est construit, selon un dispositif de confinement et de repli de plus en plus massif, pour amener le spectateur à ce finale - et quel finale! Trintignant étouffant Riva avec l’oreiller (OK je spoile mais je m’en fous), le geste d’amour par excellence, le seul dans le fond qui intéresse Haneke (justifiant à ses yeux le titre, plus que l’harmonie conjugale qui prévalait avant l’accident, plus que le dévouement d’un homme pour sa femme après l’accident) -, bref pour nous faire accepter l’inacceptable, que tout le film, et pas seulement sa dernière partie, est à rejeter.
On va me rétorquer: "Oui mais quand même, Trintignant et Riva sont magnifiques!" La belle affaire. C'est justement parce que les deux comédiens sont magnifiques que la manière avilissante avec laquelle Haneke les filme - sensibilité, mon œil! - est absolument insupportable. Franchement, à quoi ça rime de montrer nue ou la culotte baissée une actrice de 84 ans qui jusque-là ne s'était jamais déshabillée dans un film? Ou de montrer un acteur de 81 ans perdant l'équilibre, trébuchant et se relevant péniblement, ce qui manifestement apparaît comme un incident de tournage? On peut supposer que si la scène n'a pas été retournée c'est à cause de sa relative complexité - c'est celle où Trintignant doit attraper le pigeon - mais rien n'empêchait Haneke de faire un plan de coupe, une fois le pigeon attrapé, sauf que non, il lui fallait à tout prix son plan-séquence qui souligne à quel point l'acteur/le personnage était diminué physiquement, gage de vérité, sinon de jouissance sadique, pour l'Artiste.
Quant à la mise en scène, on la dit impressionnante, bof... c'est surtout par sa précision qu'elle impressionne. C'est du travail d'orfèvre, qui fait d'Amour une œuvre implacable (ah, l'implacabilité d'Haneke!), mais qui, là encore, relève surtout de l'obsession vériste (pour une poésie de l'inéluctable, on repassera). La conception qu'a Haneke du cinéma est tout ce qu'il y a de plus élémentaire: représentation et identification (cf. le concert au début du film). Et pour ce qui est de la musicalité... ah oui, c'est très musical... Comme s'il suffisait de mettre en scène deux personnages mélomanes, mieux des professeurs de musique, de faire jouer les "Impromptus" de Schubert, mieux de les interrompre brutalement - la scène où Trintignant imagine Riva jouant du piano puis met fin à la "vision" en coupant le son de la chaîne hi-fi est néanmoins très belle -, de montrer quelques plans de l'appartement désert, dans le plus parfait silence évidemment (demi-soupir), pour conférer une musicalité au film. Non. Haneke ne fait qu'exécuter sa petite partition habituelle, empreinte de perversité et d'effets bien calculés... que le spectateur, ainsi conditionné, va pouvoir intérioriser. Amour n'est pas un film de chambre, c'est du cinéma chambré, servi à bonne température, pour émouvoir les "belles âmes", comme ce couillon de Lefort...

Post-scriptum post mortem. Les tous derniers plans du film sont assez beaux. Haneke recourt à l'imaginaire alors qu'il avait travaillé jusque-là dans le cru, une manière, je suppose, de ne pas tomber dans le pathos, ou dans ce que lui-même considère péjorativement comme du kitsch (cf. le plan rapide sur le lit de la défunte couvert de fleurs)... Trintignant rejoint Riva dans la mort (vraisemblablement un suicide par le gaz, expliquant la scène d'ouverture et... le Rubafix!), mais à la place du plan "attendu" - Trintignant allongé aux côtés de Riva -, Haneke préfère nous montrer les deux vieux amants bien vivants, réunis comme au début, et quittant l'appartement. C'est beau parce que c'est la fin du film, que la scène ne présage plus de rien, en termes de manipulation, qu'on peut la réceptionner telle quelle, Haneke en ayant fini lui aussi avec ses petites manigances, libérant enfin (mais trop tard) le spectateur.

PS2. Le vrai mérite d'Amour c'est de nous rappeler que Bergman, dans le fond, c'est pas si mal (hé hé).

PS3. Alléluia... Non seulement Julia Hasting ne s'occupe plus des couvertures des Cahiers (je n'y suis pour rien, même s'il me plaît d'imaginer le contraire), mais surtout la revue, qui n'aime pas Amour, se fend dans son dernier numéro d'un bel ensemble anti-Haneke et non d'une petite note assassine. Bon d'accord, c'est aussi parce qu'il s'agit de la Palme d'or, mais quand même, en ces temps d'aveuglement critique la chose mérite d'être soulignée. Et saluée.

(theballoonatic)
C'est tellement bête, et convenu.
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Message par sokol Jeu 22 Nov 2012 - 10:10

Il me tarde d'entendre Godard dire :"Haneke est un sale type", tout comme il avait très justement dit au début des années '90 : "Wenders est un connard".

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Message par Invité Jeu 22 Nov 2012 - 16:00

Alors il l'est tout autant , parce qu'il y a aussi une culotte baissée et une vision touristique et racoleuse de l'histoire de l'Europe des années 1990 à la Wenders dans "For Ever Mozart" (pouvoir raconter les crises et les guerres à la manière d'Homère met à la fois l'artiste et son public au dessus de la culpabilité politique, qui n'est pas un fait culturel).

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Message par adeline Jeu 22 Nov 2012 - 18:05

Je ne savais pas que Godard avait dit ça de Wenders. Qu'est-ce qu'il lui reproche ? J'aime beaucoup Alice dans les villes et L'Ami américain. D'ailleurs, j'ai repensé à ce que Slimfast avait remarqué, quand Pina était sorti, que ceux qui aimaient Wenders dans les années 70 et 80 ne cessaient de le descendre depuis une dizaine d'années. J'avais dit que ce n'était pas mon cas. Mais en revoyant L'Ami américain j'ai quand même pensé très fort que Pina n'existe pas vraiment à côté.

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Message par Borges Jeu 22 Nov 2012 - 19:29

"Wenders... avant 'les ailes du désir", dit Badiou....
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Message par Invité Jeu 22 Nov 2012 - 21:22

moi j'aime pas les films qu'il a fait avec Solveig Dommartin, je sais pas, elle affadit son univers déjà pas très relevé.

J'ai trouvé d'où vient l'étrangeté du plan d'huppert regardant par la fenêtre du salon de ses parents, c'est de peintre danois, Hammershoi, dont les tableaux dégagent souvent un calme fragile :
AMOUR de Michaël Haneke - Page 3 Hammershoi-Fenetres
Il avait été très bien utilisé dans un film qui date maintenant et n'est pas terrible, "le festin de babette"

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Message par sokol Ven 23 Nov 2012 - 0:27

adeline a écrit:[justify]Je ne savais pas que Godard avait dit ça de Wenders. Qu'est-ce qu'il lui reproche ?

"Les ailes du désirs" (un des films les plus immonde de la planète cinéma)

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Message par Invité Sam 24 Nov 2012 - 11:08

Haneke " il a même fait fabriquer une vraie bibliothèque (Puzos le décorateur) en chêne. D'habitude au cinéma, on prend un bois bon marché et on le peint pour que, à l'écran, il ressemble à du chêne. Cette recherche de réalisme m'a surpris et comblé, moi qui ai tenu à ranger les livres de cette bibliothèque par thèmes et par ordre alphabétique". Ach so !

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