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L'exercice de l'Etat (Schoeller)

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Message par Invité Jeu 27 Oct 2011 - 11:02

j'étais curieux de voir le film, bien que j'avais entendu le réalisateur à la radio et que je me doutais de ce que j'allais trouver. mais, bon, on m'invitait et je me suis laissé faire.
pas déçu dans mes attentes : c'est un film politiquement dangereux.
l'idée de Schoeller était de filmer un ministre comme un homme, y compris un homme de conviction mais choisissant de se renier pour continuer sa carrière. on aurait pu avoir une réflexion sur l'Etat comme système et comme milieu artificiel inconscient de son artificialité. mais c'est plutôt le film qui parait inconscient de l'artificialité du milieu dans lequel il se traine, et fait trainer son personnage.
en quelque sorte, ça aurait du être, c'est peut-être, un film civique : avant de voter, aller voir comment ça se passe dans la cuisine gouvernementale. un film civique plutôt qu'un film politique. mais il y a un discours politique tout du long, porté par les protagonistes (politiciens libéraux) et jamais mis en perspective. on ne peut en sortir qu'avec le sentiment que les choix politiques sont impossibles et que seuls le personnel politique compte. c'est pratiquement ce que dit un des persos en affirmant que l'Etat a du pouvoir mais aucune puissance. pas à prendre trop dans un sens philosophique mais d'un point de vue très trivial : le pouvoir, c'est le decorum + les prérogatives + la formulation des décisions politiques - le manque de puissance, c'est l'obligation de contenu de ces décisions, sur laquelle nos dirigeants ne pourraient rien. TINA, encore et toujours.
ça, c'est le côté puant dans une politique immédiate.
et puis il y a un côté idiot. Schoeller n'a visiblement aucune idée de ce qu'est la rhétorique. rhétoriquement, son film est nul, plat : pas d'ellipse, pas d'étirement du temps, pas de choc de montage, pas d'esthétisme, des dialogues à ras de terre. mais s'il ne sait pas ce qu'est la rhétorique, il ne peut pas non plus comprendre l'Etat, ou l'exercice de l'Etat, comme exercice rhétorique et artifice. les rapports politiques sont naturalisés et les décisions "libérales" (en l'occurrence, privatisation des services publics et stages bidon pour les chômeurs) sont elles aussi naturalisées. avec une absence quasi totale et à mes yeux révélatrice de l'ingérence du privé dans les affaires publiques (et quand elle est présente, elle est à son tour rendue "naturelle").
un film qui tombe pile après les primaires socialistes.
c'est produit par les Dardennes.


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Message par Largo Jeu 27 Oct 2011 - 12:37

Je comprends pas très bien ce que tu reproches à Schoeller, en fait.

rhétoriquement, son film est nul, plat : pas d'ellipse, pas d'étirement du temps, pas de choc de montage, pas d'esthétisme, des dialogues à ras de terre

Rhétorique et mise en scène c'est pareil ?

les rapports politiques sont naturalisés et les décisions "libérales" (en l'occurrence, privatisation des services publics et stages bidon pour les chômeurs) sont elles aussi naturalisées. avec une absence quasi totale et à mes yeux révélatrice de l'ingérence du privé dans les affaires publiques (et quand elle est présente, elle est à son tour rendue "naturelle").

Petit problème de construction dans ce passage, on y comprend pas grand chose, du coup. Et puis, qu'est ce que ça veut dire "naturalisées", qu'il les prend pour argent comptant ?

on ne peut en sortir qu'avec le sentiment que les choix politiques sont impossibles et que seuls le personnel politique compte.

On voit bien dans le film que ce sont des hommes qui prennent les décisions (le président en l'occurrence), mais qu'ils ne font que se plier à une libéralisation, une privatisation de tous les secteurs qui a pris du temps mais qui est aujourd'hui quasiment achevée. Schoeller ne se berce d'aucune illusions sur cet état de fait.







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Message par Invité Jeu 27 Oct 2011 - 17:39

salut Largo,
apparemment tu as vu le film.
Rhétorique et mise en scène c'est pareil ?
la mise en scène est forcément une application d'un "art" du discours et de son organisation. organisation délibérée (artisanale) ou débridée (artiste) mais de toute façon volontaire. l'organisation du discours dans le film me parait vulgaire et très télévisuelle (mais c'est un pléonasme, non ?). imposée de l'extérieur et ignorée comme rhétorique.
la rhétorique de l'Etat, bien sûr ça a à voir avec la mise en scène et donc avec le cinéma. voir Habemus papam.
que Schoeller ignore la rhétorique est rendu évident dans la séquence où le ministre baise sa femme : 5 ou 6 plans de durée moyenne là où deux ou trois plans courts et intelligents auraient suffi à transmettre toute l'information nécessaire - étant entendu que ces plans sont assez laids.
Et puis, qu'est ce que ça veut dire "naturalisées", qu'il les prend pour argent comptant ?
ça veut dire très bêtement qu'elles apparaissent comme des nécessités de nature plutôt que comme des choix. d'une part, aucune autre possibilité n'est sérieusement évoquée. mais même sans aller jusque là, les possibilités évoquées ne souffrent aucune mise en perspective signalant qu'elles sont des artifices (bon ou mauvais, peu importe à la limite). je suis frappé par exemple que la question du déficit du fret "imposant" la privatisation des gares ne soit pas mise en rapport d'une façon ou de l'autre avec les deux accidents de la route du film (il y a pourtant de quoi faire dans ce sens - ferroutage etc...).
je n'attends pas forcément qu'un film se fasse le porteur de thèses bolchéviques. mais encore une fois, un peu de mise en perspective aurait été bien venu.
On voit bien dans le film que ce sont des hommes qui prennent les décisions
uniquement les décisions de personnel, les questions de bien public ne souffrant aucun réel débat.
mais encore une fois, ce ne serait pas un problème si le film pouvait montrer l'Etat comme machine assimilatrice et milieu artificiel. c'est ce qu'il ne fait pas. son outsider ne devient pas un insider. ou bien il le devient sans réel changement. toujours le même type plein de convictions et bien content de ne pas privatiser les gares mais que ce soit un autre qui le fasse et très touché par la mort de son chauffeur etc... et la séquence chez Cuyper est vraiment quelque chose. je ne crois pas que les bacchanales ministérielle se fassent sur des chantier, une pelle à la main. voir plutôt du côté du Fouquet's et des putes de luxe, non ?


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Message par Le comte Ven 28 Oct 2011 - 19:22

Hello,

Les doutes qu'avance Stéphane sont justifiés. On peut se demander quel est l'intérêt d'un film dont le sujet est la complexité de la vie et du travail d'un ministre. Et tout ça dans le but de dire au spectateur : "Regardez ce que c'est que la vie d'un ministre. Les choses ne sont pas aussi simples ! Donc arrêtez de les juger trop vite sans prendre compte la réalité de leur quotidien.".

Pierre Scholler ne dit pas autre chose, voici ce qu'il m'a raconté :

Au bout du compte, votre film dresse un constat très actuel : l’absence quasi-totale de dialogue entre la politique et le peuple.

Ca oui, bien sûr. On perçoit aujourd’hui très clairement ce désamour de la classe politique. Il y a véritable divorce qui s’est opéré et qui s’est transformé, petit à petit, en ignorance. Alors oui, s’il y a quelque chose de « pédagogique » dans mon film, c’est bien dans cette description du gouffre qui sépare ces deux classes de la société. Mon film donne peut-être une réponse à cela : il dévoile la complexité de l’action politique. Faire passer un loi est un combat, et un combat mené par des hommes qui luttent pour améliorer le sort de la collectivité. Il ne faut pas non plus oublier que le monde traverse actuellement une crise. Celle-ci hante le film, on ressent ses effets sur le déroulement des choses. Et puis les choses, en général, ne sont pas simples. Par exemple, pour qu’une loi soit votée, il faut les avis des régions, de l’Europe, etc. Il ne faut pas oublier qu’il y a des institutions et des hommes. On retrouve cet aspect collectif dont je parlais tout à l’heure : tout acte est le fruit d’un geste collectif.

C'est un peu décevant comme point de vue, d'autant plus que j'ai aimé ce film, je veux dire que j'ai passé un bon moment de cinéma et que je préfère voir ce genre de films dans les salles plutôt que d'autres.

Autre problème : son cynisme. La relation entre Gourmet et son chauffeur aboutit à un stratagème plus que douteux. Peu importe le peuple, qui semble pourtant trouvé sa place dans le film à travers ce chauffeur, car seul compte le statut du ministre. Celui-ci va réutiliser le drame pour se remettre au premier plan. En tout cas, c'est le sentiment que j'avais.

Pour moi, L'exercice de l'Etat est un blockbuster d'auteur, et un film bien tenu qui saura trouver un public. Ce n'est pas tous les jours que le cinéma français offre ce genre de films qu'il faudra prendre néanmoins avec des pincettes.

Le comte

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Message par Invité Ven 28 Oct 2011 - 20:22

Ben dis donc, il t'en raconte des choses intéressantes, le monsieur.

Mais à question idiote, réponse idiote.
On se demande quel est ce soi-disant "constat" d'une "absence quasi totale de dialogue entre la politique et le peuple", s'il est "actuel", et dans quelle mesure tu l'intègres toi-même dans ta prose quand tu parles de "peuple". Il semblerait en effet, à te lire, que le peuple sans guillemets puisse éventuellement trouver sa place (dans le film) "à travers un chauffeur". Nous appellerons provisoirement cela "la place du chauffeur", sans préjuger de la possibilité que la place fort convoitée de "chauffeur de ministre" puisse constituer le lieu privilégié d'un dialogue, oserais-je dire d'une communication authentique, entre le peuple et le politique.

Deux catégories aussi vides et abstraites l'une que l'autre et que l'on se plait à dichotomiser: "le peuple" d'un côté, "la politique" de l'autre.
Quel est le "lieu" magique assignant cette distribution d'identités spécifiques, définies et délimitées, qu'il conviendrait soit de faire "dialoguer ensemble" soit d'opposer?

Ce lieu, bien entendu, c'est celui des plateaux de télévision, c'est la rhétorique médiatico-politique des périodes électorales.

Il n'y a pas, quelque part, "le peuple", et quelque part, "la politique". Cette division n'existe pas. Seuls les acteurs du champ de "la politique" ont intérêt à faire croire qu'elle existe, car le partage par tous de cette croyance magique est justement ce qui valide la perception d'un monde divisé entre des "administrés" et des "administrateurs", d'un côté une "masse informe" ou "amorphe" de gens témoins et passifs, de l'autre une catégorie socio-professionnelle de décideurs qui leur vendent le produit de consommation imaginaire d'un exercice démocratique se pratiquant le jour des urnes.

Je crois en la "démocratie", au sens d'une indétermination radicale, originaire, du champ social. Croire en la "démocratie", en ce sens, c'est, en premier lieu, refuser la division imaginaire entre le "peuple" et "la politique". Refuser cette division, c'est donc fort logiquement s'opposer à "la politique" (de la division "peuple"/"politique").

Et ça n'a rien à voir avec "l'exercice du pouvoir" (étatique ou non-étatique), fût-il bien difficile comme la peinture à l'huile. Lequel ne passionne bien entendu que ceux qui le pratiquent (au nom du "peuple"), et dont le métier est de faire croire que ça passionne forcément tout le monde (le "peuple" en question) - comme une bonne séance de cinéma -, tout comme passionnent les choix présents et à venir de ceux qui décident "par convention démocratique" au nom et à la place de ceux qui "par nature" ne décident de rien; tout comme passionne également le fait de choisir ceux qui décideront en leur nom et à leur place.

En période électorale, le seuil habituel de connerie monte, comme disait Deleuze à propos de BHL et consort (la "fonction-auteur"). Et ce qui valait pour la "journalisation/domestication" des écrivains, artistes, intellectuels, vaut également pour les cinéastes - tous ceux qui sont responsables de cette profusion ahurissante, ces dernières années, de films-biopics sur "le monde de la politique", "les coulisses du pouvoir", etc.

Les rapports de force ont tout à fait changé, entre journalistes et intellectuels. Tout a commencé avec la télé, et les numéros de dressage que les interviewers ont fait subir aux intellectuels consentants. Le journal n'a plus besoin du livre. je ne dis pas que ce retournement, cette domestication de l'intellectuel, cette journalisation, soit une catastrophe. C'est comme ça : au moment même où l'écriture et la pensée tendaient à abandonner la fonction-auteur, au moment où les créations ne passaient plus par la fonction-auteur, celle-ci se trouvait reprise par la radio et la télé, et par le journalisme. Les journalistes devenaient les nouveaux auteurs, et les écrivains qui souhaitaient encore être des auteurs devaient passer par les journalistes, ou devenir leurs propres journalistes. Une fonction tombée dans un certain discrédit. retrouvait une modernité et un nouveau conformisme, en changeant de lieu et d'objet. C'est cela qui a rendu possible les entreprises de marketing intellectuel. Est-ce qu'il y a d'autres usages actuels d'une télé, d'une radio ou d'un journal ? Évidemment, mais ce n'est plus la question des nouveaux philosophes. Je voudrais en parler tout à l'heure.Il y a une autre raison. Nous sommes depuis longtemps en période électorale. Or, les élections, ce n'est pas un point local ni un jour à telle date. C'est comme une grille qui affecte actuellement notre manière de comprendre et même de percevoir. On rabat tous les événements, tous les problèmes, sur cette grille déformante. Les conditions particulières des élections aujourd'hui font que le seuil habituel de connerie monte.


Concernant ce film, inutile de préciser que j'en ai rien à carrer. Pas plus que des bons moments de cinéma qu'on préfèrera à des moments moins bons (de cinéma). Et encore moins de ce que le "cinéma français" offre ou n'offre pas tous les jours à un public qu'il saura ou ne saura pas trouver, selon une rhétorique niaise de chroniqueur télé-hebdo digne de Hugues Dayez. Sacré Le comte. Very Happy

A propos, bonne fête des morts.




PS:

Largo a écrit:

On voit bien dans le film que ce sont des hommes qui prennent les décisions (le président en l'occurrence), mais qu'ils ne font que se plier à une libéralisation, une privatisation de tous les secteurs qui a pris du temps mais qui est aujourd'hui quasiment achevée. Schoeller ne se berce d'aucune illusions sur cet état de fait.



ça, c'est la nouvelle "antienne" au goût du jour, que les médias, joints aux politiques, nous martèlent à jets continus. Le mythe du politique impuissant à changer quoi que ce soit où que ce soit, inféodé à une machinerie objective, incontrôlable, infernale, n'obéissant qu'à sa loi, un alien dans les soutes du navire Nostromo: le marché.
Rabâcher cette construction permet une chose: annuler purement et simplement la dimension du politique, au delà, toute "anthropologie", au profit de la réactivation de l'hypothèse libérale d'un Etat de Nature.

Double mouvement circulaire de déréalisation de l'action politique des hommes dans le monde: on invoque ad libitum "l'absence quasi totale de dialogue entre le 'peuple' et la 'classe politique'", qui, fort bien évidemment, est corrélée causalement à "l'impuissance fondamentale des politiques à influer sur les forces objectives du marché".

Les deux énoncés/constructions à valeur mythique se conditionnent mutuellement. La dichotomie "peuple" (entité passive)/"politiques" (décisionnaires) en sort renforcée, paradoxalement, par un affaiblissement (prétendu) du pouvoir décisionnaire des politiques.
D'une part, ça les rend plus proches du concept fabriqué "peuple"; les "politiques" deviennent eux mêmes "le peuple", en partagent la "condition". Ils partagent la même "impuissance" fondamentale à la modifier; dans cette construction, le "dialogue" se rétablit par l'empathie (je suis comme vous, proche de vous: impuissant, sans illusions sur la "classe politique". Je suis donc plus que jamais habilité à vous "représenter". Votez pour moi, car les décisions que je m'apprête à prendre sont celles là mêmes que vous prendriez si vous aviez mes lourdes responsabilités: cad des non-décisions). D'autre part, ça annonce l'orientation politique suivie désormais par la sphère politique sur le plan mondial (se soumettre, malgré toute sa bonne volonté, à la dure loi de ce "réel" qui ne ressortit pas du "champ politique").

On parle ainsi partout de "ne plus se bercer d'illusions". L'invocation (très hype et conformiste) de cet "état de fait" (prétendu) énonce en vérité une autre loi: il s'agit bien plutôt de faire triompher l'illusion et de se bercer d'illusions. L'illusion suprême d'un réel pur d'où la politique est absente, et dont la politique a à se faire désormais le chantre.


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Message par Invité Sam 29 Oct 2011 - 10:41

salut Jerzy,
je suis bien d'accord sur le fond.
sur la dichotomie de prestidigitateur "peuple/politique", Lecomte me parait plutôt reprendre la position du film pour démarrer sa réflexion. car c'est bien comme ça que le film la pose. ce qui ne parle pas en sa faveur (du film) mais évite peut-être de s'en prendre au pauvre exégète dans ses tentatives (Lecomte ou moi, ou toi).

Lecomte, sur le "bon moment de cinéma", je crois aussi qu'il faut s'en méfier. l'avantage des "mauvais" moment de cinéma est qu'ils nous laissent un peu plus de place pour respirer. et la "bonté" du film ressort avant tout d'une espèce d'avatar contemporain de la Qualité Française contre laquelle la Nouvelle Vague, etc... Gourmet/Noiret, Blanc/Blier, Breitman/Lafont... (d'ailleurs tous des acteurs qui ont beaucoup hésité entre NV et QF). un cinéma réac dans sa forme.
dommage pour Zabou que je trouvais bien bandante quand j'étais petit. on devrait pas vieillir.


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Message par Eyquem Dim 6 Nov 2011 - 22:15

C'est pas un scoop, mais le rêve "surréaliste" du début s'inspire en fait de cette photo d'Helmut Newton, d'après un spectacle de Pina Bausch, "La légende de la chasteté".

L'exercice de l'Etat (Schoeller) HN001

Spoiler:


Un film bizarre. Ca ne m'a pas plu, mais ça ne m'a pas déplu non plus alors que ça ressemble beaucoup à The Social Network. Il y a beaucoup de critiques qui s'amusent à rapprocher L'exercice de l'Etat des autres films "politiques" du moment - "politiques" au sens de : centrés sur des figures de pouvoir, sur des figures d'hommes politiques. Il y en a eu plein dernièrement : Pater, La Conquête, Les marches du pouvoir. Mais à mon avis, le film avec lequel L'exercice de l'Etat a le plus à voir, c'est The Social Network. Après tout, les journaux aiment bien faire de Facebook un Etat d’un nouveau genre. Et je me souviens d’articles qui présentaient Zuckerberg comme "un chef d'Etat en t-shirt". En tout cas, les deux films se ressemblent beaucoup. Comme pour le Fincher, il est pas mal question de l’amitié (trahie, bien entendu). Comme Zuckerberg à la fin du Fincher, le ministre se désole en faisant défiler le répertoire de son portable, un soir de solitude : "4000 contacts, et pas un seul ami". Avoir du pouvoir, ça n'aide pas à se faire des amis, ni même à les garder, comme on commence à le savoir. Là-dessus, le Schoeller est sans vraies surprises et se termine, comme Social Network, sur un homme seul, en route vers le sommet, mais plantant là son plus vieil ami. It’s lonely at the top ; bon, on s’en doutait.

Si le film partage quelque chose avec le Fincher, ce n'est pas seulement parce qu'il lie, de manière assez attendue, le pouvoir à la tricherie, aux amitiés trahies, au calcul opportuniste, aux retournements de veste (le fameux "envers du décor", dont on se demande bien ce qu'il a encore d' "envers" vu que c'est le décor qu'on voit toujours) ; s'il se rapproche de the Social Network, c'est surtout parce qu'il associe le pouvoir à la vitesse. Avoir du pouvoir, c'est parler vite, bouger vite, réagir vite. C'est encore un film de mecs qui s'étourdissent de leur propre parole, de leur propre vitesse. Ils parlent, ils parlent, ils parlent, ils ne font que parler. Parfois on a du mal à suivre, surtout quand le dialogue se fait très technique, ou bien utilise tout le jargon des cabinets ministériels. Mais c’est justement ce que cherchent ces types en parlant, larguer le maximum de monde, pour faire la course en tête.
Du début à la fin, on a le sentiment que Gourmet ne touche pas terre, qu'il survole tout, qu'il ne s'arrête jamais : "On va leur marcher sur la tête", dit-il des autres à la fin, quand il sent que le hasard tourne en sa faveur. Avoir du pouvoir, c'est littéralement survoler les autres, s'élever au-dessus d'eux, les surplomber. Le ministre va, court, vole, à pied, en voiture, en hélico. Il ne se pose jamais et le film le suit dans son train d'enfer. Si la scène de l'accident est aussi impressionnante, c'est parce qu'elle ressemble à un crash d'avion, comme si, d’un seul coup, le personnage atterrissait violemment.


Là où le film se distingue du Fincher, c'est par sa dimension physique. C'est un film assez physique, alors que ce n'est pas du tout l'impression que laissait The Social Network.
Le film semble dire : le pouvoir, c'est de ne s'arrêter jamais, c'est d'aller vite, de penser et parler plus vite que les autres ; mais il dit en même temps : le corps a bien du mal à suivre le rythme, le corps est vieux, il fatigue vite. Le corps a ses vitesses à lui, et ce qu'il fait encore le plus vite, c'est de s'user et fatiguer. On ne compte pas les moments du film qui mettent en scène le corps fatigué du ministre : celui où il se passe un glaçon sur le visage pour cacher la fatigue, les cernes ; la nausée, les vomissements sur le bord de l'autoroute ; le plat qu'il avale de travers et qui manque l'étouffer ; sans parler de l'accident, duquel il se relève péniblement.


Si on continue dans ce sens, on pourrait presque comprendre le titre dans un sens sportif. Si le pouvoir, c'est d'aller vite, sans se fatiguer, alors "l'exercice de l'Etat", ça veut dire : l'Etat fait de l'exercice. S'il veut garder son pouvoir, faut qu'il s'exerce, qu'il garde la forme, qu'il fasse un peu de sport.
Le film rejoint ici ce qui fait consensus aujourd'hui, sans le mettre en question. Le discours dominant, celui du libéralisme décomplexé, c’est justement celui qui présente l’Etat comme un pachyderme, un mammouth qui s’est trop engraissé. L’Etat, faut le dégraisser, faut qu’il perde son gras, qu’il fasse un peu de sport et d’exercice, pour devenir plus souple, plus réactif, plus performant (toute cette novlangue que les éditos politiques ont empruntée au monde du sport et de l'entreprise). C’est de ça qu’il est question dans le film : le pouvoir, c'est la vitesse ; l’Etat doit aller vite, et pour aller plus vite, il doit s’alléger (en privatisant les gares par exemple : c'est le débat dans le film). L’Etat perd du poids, mais il compense cet affaiblissement par une vitesse accrue.


Le problème, c'est que dans cette agitation permanente, ce bavardage incessant, on perd totalement de vue ce qui motive cette agitation et ce bavardage. On serait bien en peine de dire ce que ce ministre a fait durant son ministère. Le film entretient l'idée d'une course de tous contre tous : les médias doivent aller aussi vite que les événements ; le ministre doit aller aussi vite que les médias, et plus vite que les autres ministres ; l'Etat doit aller aussi vite que le privé, etc. Et la machine tourne sur elle-même, emportée par son propre mouvement. Il n’y a aucun idéal qui guide cette course, qui l’oriente dans un sens plutôt que dans un autre. C’est une course qui n’a pas d’autre fin qu’elle-même, une course par quoi ceux qui courent cherchent seulement à rester dans la course.




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Message par Invité Jeu 24 Nov 2011 - 22:05

Je suis peut-être idiot mais il y a quelque chose que je comprends pas trop dans l'argumentation de Jerzy. Comment il peut affirmer à la fois que la distinction (enfin "la dichotomie") peuple/politique relève d'une idéologie (enfin d'"un mythe", ou encore l'effet d'une topologie magique) auto-prédictif et qu'elle n'existe pas? Ce n'est pas parce que peuple est réduit à une catégorie toute faite dans le discours politique qu'il n'est qu'une catégorie et une réduction, ce n'est pas parce ce discours se présente comme réaliste que le réel est une réduction et un mensonge, ce n'est pas parce que ce discours produit également des énoncés arbitraires et mensongers qu'il est lui-même une vue de l'esprit.
Quand Barthes démonte la photo de Paris Match sur un jeune soldat colonial qui salue le drapeau français, c'est la photo elle-même qui contient le mythe, pas le colonialisme la France, ou la guerre coloniale, la mise en scène mensongère a lieu directement dans la photo.
Il me semble que Jerzy introduit une séparation encore plus radicale que celle qu'il dénonce chez les autres entre ce qui serait d'un côté des questions d'ontologie (qui sont surtout les seules où l'on pourrait décider de la légitimité des concepts et représentations mis en jeu) et de l'autre celles de politique.

Quoi qu'il en soit il a sûrement raison si ça peut lui faire plaisir.

Ceci dit c'est vrai que le film a l'air d'être tourné du point de vue du pouvoir, et que l'empathie pour les gens qui l'exercent peut donner son motif à un discours révisionniste sur le mode: "vous savez c'est pas tous les jours faciles d'être injuste, mentir au gens ça cause du stress. L'avantage de la vérité sur nous est de ce point de vue moins large qu'on ne le suppose généralement, elle au moins elle travaille seule".

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Message par Invité Ven 25 Nov 2011 - 8:56

salut Tony,
qu'est-ce que c'est, la catégorie "peuple", en dehors des attributs qu'on lui prête ?


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Message par wootsuibrick Ven 25 Nov 2011 - 10:30

qu'est ce qu'une catégorie en dehors des attributs qu'on lui prête?
(viens mettre mon petit grain de sel)
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Message par Invité Ven 25 Nov 2011 - 12:10

salut Woot',
tu as raison, bien sûr. ce que je voulais dire, c'est que "peuple" a toujours besoin d'une épithète implicite ou explicite. il ne contient pas ses attributs comme une catégorie le fait et il ne fonctionne dans le discours que par redéfinition ("peuple" de Hugo, "peuple" de Jaurès, "peuple" pour les Versaillais, "peuple" de Pétain...).



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Message par Invité Ven 25 Nov 2011 - 12:53

Le peuple n’est pas seulement redéfini de manière successive dans l’histoire ou la culture, mais aussi en même temps selon les intérêts des différents acteurs :
-cela peut être la partie de la société qui se définit elle-même comme exclue du pouvoir, mais dont l’accession ou la participation au pouvoir est un enjeu politique (dans le sens ou le populisme est à la fois un moyen de promettre et de conjurer l'accès du peuple au pouvoir).
-cela peut-être ce que le pouvoir lui-même (ou même la classe au pouvoir) considère comme son objet.
-économiquement cela peut recouper la notion marxiste de prolétaire : ne pas posséder de capital donc de moyen de production.
Certaines définitions incluent la bourgeoisie, d'autre non.

Il est vrai que la bourgeoisie se nomme rarement elle-même, alors qu’elle a quand-même des intérêts et un discours politique (c’est d’ailleurs en ce sens là que Barthes parle de « mythe », cela lui permet aussi de distinguer petite bourgeoisie et bourgeoisie).
Dire que le peuple n'a pas d'origine parce qu'alors ça le sépare du pouvoir me semble un peu un piège à con, dans le sens où cet argument n'avoue pas qu'il repose sur un humanisme indéterminé et idéologique (ontologiquement on est tous des hommes, certes, et depuis Heidegger on sait que la métaphysique réduit même l'ontologie etc...donc "d'où parlez vous?" est aussi une question ontologique, mais cela ne neutralise pas les rapports de pouvoir réels), et peut être opposé à tous les discours.


Revoyez-donc "Billy Elliott" où le jeune enfant enfume tout le monde, y compris le spectateur, en s'appuyant sur son origine populaire pour présenter son père comme un salaud alcoolique dont l'homophobie est déterminée de façon animale par son environnement, puis pour avoir un avantage concurrentiel dans l'école de danse (s'il est du peuple alors la danse est forcément une vocation quasi naturelle chez lui). La vérité documentaire du film n'est pas dans la description du milieu ouvrier, mais dans le stratagème individuel du garçon, qui est naturalisé et imposé au spectateur en étant dissimulé comme une évidence derrière des tonnes de chansons de T Rex et Paul Weller (certaines même passées deux fois).

Je dis cela parce qu'à l'époque de sa sortie j'étais dans un école pour un régendat (sortes d'école normale pré-IUFM) laïque (c'est un peu compliqué en Belgique, où l'état n'est pas officiellement laïc, ce qui fait qu'on est à la fois laïc de manière plus socialement et politiquement "positionniste" qu'en France, mais avec moins de pouvoir et fait moins d'idéologie, mais bon bref le pays a entretemps d'autres emmerdes) où la prof de sociologie voulait que l'on voit se film pour comprendre le peuple. Elle aimait en fait bien les mélodrames.

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L'exercice de l'Etat (Schoeller) Empty Re: L'exercice de l'Etat (Schoeller)

Message par balthazar claes Dim 4 Nov 2012 - 14:10

Les ors de la République, ça fascine.

C'est un film rudement intelligent, y a pas. Eyquem a raison quand il le rapproche de The Social network. Au mitan du film, non seulement j'étais ému par les aventures du sympathique ministre, mais je commençais à me convaincre de la nécessité supérieure de la privatisation. Tel Rohmer face à Stromboli, j'étais sur le point d'être converti aux dures mais justes lois du libéralisme. Un film très persuasif, donc. Comment y parvient-il ? D'abord sa bonne tenue générale : il est bien ficelé. Olivier Gourmet (le ministre des transports Bertrand Saint Jean) et Michel Blanc (son austère dir cab) collent à leur personnage, le casting est épatant. Le rythme est enlevé, les dialogues sonnent juste, les coutures du film tiennent bien, même la musique est plutôt chouette. C'est de la vraie bonne qualité française, du boulot consciencieux, comme l'est le méticuleux directeur de cabinet. Un film sur le travail bien fait, sur les professionnels de la profession.

Deux scènes se répondent et donnent la clé du film. D'abord celle où le ministre se tape l'incruste chez son chauffeur stagiaire un soir de désœuvrement. Très à l'aise, il fait comme chez lui, met les pieds sous la table, boit comme un trou, et ne se laisse pas démonter face au silence du chauffeur et au mépris que lui renvoie la femme de ce dernier. Elle refuse de répondre à la question qu'il lui pose trois fois : « Vous votez ? ». Il lui explique que la fonction politique n'est plus respectée depuis la crise de l'emploi : « Nos rois avaient aussi leurs bouffons : mais le bouffon ne rentrait pas dans la cathédrale. Aujourd'hui, les bouffons occupent les cathédrales, et nous, les hommes politiques, devons leur demander pardon. » Après cette tirade, il achève de se prendre une cuite monumentale. Que cette femme refuse d'entendre les raisons du ministre et c'est la fin des haricots : rien n'empêche désormais qu'il poursuive sa quête du trône, sans plus se préoccuper du peuple qui lui a fait défaut.

Plus tard, lors de la messe de funérailles, la femme du chauffeur a interdit au ministre de prendre la parole. Pendant l'homélie du prêtre, il se récite en murmurant le beau discours qu'il avait fait préparer. On comprend qu'il se sent spolié de sa fonction représentative : remplacé par un bouffon, le représentant désuet de l'Eglise, de la superstition archaïque. Un roi très moderne frustré de ses privilèges. On est triste pour lui.

Que dit le film ? Il dit qu'il y a, en l'état des choses, du pouvoir. Que des hommes essaient de saisir ce pouvoir : par habitude de caste (Blanc) ou, au mieux, par tempérament de lutteur (Gourmet). Que ces hommes ne sont que des hommes, humains trop humains. Le pouvoir, inscrit dans des institutions, est plus grand qu'eux.

On assiste par exemple avec émotion au petit destin « balayé par l'Histoire » de Michel Blanc. Très haut fonctionnaire, homme de cabinet par goût et atavisme, il doit faire le deuil d'une époque : le pouvoir évacue l'institution étatique, c'est la privatisation générale. On est triste pour lui.

Le sens i-né-luc-table de l'histoire c'est la privatisation, et c'est tragique. Accessoirement ça provoque de la misère, de la destruction sociale ; mais ici on insiste plutôt sur la cruelle séparation du ministre et de son dir cab. C'est comme si Kirk devait se séparer de Spock : l'homme d'action se voit privé de son homme de l'ombre, son starring partner. C'est la fin d'une entreprise, la fin d'un monde, vraiment.

En un sens toute l'astuce du film est de laisser ambigu le bord politique du ministre. Plusieurs indices laissent penser que le gouvernement et le PR sont de droite, avec leur obsession de la réforme. L'histoire de la privatisation des gares fait écho à l'affaire bien réelle de la privatisation des retraites menée sous Sarkozy. Mais Bertrand Saint Jean fait plutôt penser à un homme de gauche : il est tout d'abord violemment hostile à cette privatisation, avant de se laisser convaincre (et l'art du film est précisément de convaincre le spectateur à mesure que le ministre cède à « l'évidente nécessité »).

On nous montre un Etat qui par définition n'est ni de droite ni de gauche, une institution qui transcende les partis : de droite, donc. Le film, lui, est de gauche : un film commémoratif de gauche, comme celui sur l'affaire Omar. C'est le mieux de ce qu'a à offrir esthétiquement et intellectuellement la « gauche » qu'on a actuellement aux affaires. Atermoiements, sanglots nostalgiques, regrets d'un âge d'or révolu, celui de grand-papa, d'avant la crise, Jaurès et de Gaulle dans le même bateau : une commémoration, ça embrasse large.

Le film s'ouvre sur un carnage : un terrible accident de car. Le ministre des transports est dépêché sur les lieux, il est bouleversé. Il se recueille un instant devant chacun des corps abrités sous une tente, mais se voit dérangé dans son hommage par les cris de souffrance de la mère d'une des victimes. Une digne représentation du deuil, c'est une chose à ne pas interrompre. C'est peu de chose, du propre aveu du ministre, mais c'est tout de même un rituel à conserver : sinon, où va-t-on.

Bref, des enterrements, des airs compassés, de la représentation commémorative, dans la dignité. Et les reniements de la gauche de pouvoir, déguisés sous la forme d'un film noir, avec, dans le rôle de l'assassin, le Capital (mais il court toujours), et dans le rôle de la femme fatale, l'obstinée femme du chauffeur qui refuse de se laisser convaincre des nécessités historiques. Notre scène politicienne est là dépeinte avec justesse, et s'avoue, tout en exigeant le silence avec hauteur, et en se trouvant de bonnes raisons.

balthazar claes

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