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Au hasard, Béla Tarr

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tarr - Au hasard, Béla Tarr Empty Au hasard, Béla Tarr

Message par Borges Ven 2 Déc 2011 - 19:32


ai vu le film,magnifique...

http://videos.arte.tv/fr/videos/_the_turin_horse_de_bela_tarr-3718364.html
(je déteste arte, mais c'est très intéressant)

goethe : plus de lumière,
bela tarr : moi je ne crois pas à de telles choses




l'âne de bresson, en attendant le cheval de bois de lorinlouis
Wink

(je trouve que c'est l'un des titres de topic parmi les plus beaux du monde : au hasard, béla tarr)

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Message par Eyquem Dim 4 Déc 2011 - 13:07

Quel est le rapport avec Nietzsche, en fait ?

C'est bizarre, quand même. J'ai rien vu de Tarr, sinon quelques extraits, et à première vue, ça a pas l'air spécialement dyonisiaque. C'est pas la joie, disons, on n'y voit pas vraiment des dieux qui s'entendent à danser, c'est plutôt tout le contraire : damnation et danse avec Satan.
Alors pourquoi aller chercher cette histoire de folie de Nietzsche ?
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Message par py Dim 4 Déc 2011 - 21:17

Ressorti hier obsédé et exaspéré par la petite musique répétitive du vent s'infiltrant dans la maisonnette. Je pourrais encore vous la siffler ce soir.
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Message par Borges Mar 6 Déc 2011 - 9:23

hello,

quelques remarques, vite

béla tarr raconte souvent les circonstances de la genèse du film : qu'est devenu le cheval, demandait son ami écrivain et scénariste?

-béla tarr saisit nietzsche au moment de son effondrement, vaincu par son ennemi de toujours : la compassion; la pitié; et après cet effondrement, sa vie ne devait pas être très différente de celles des personnages du film, finalement; le devenir-cheval de nietzsche, et pas un cheval à la ford, bien entendu; je sais pas si on peut dire ça, comme ça :le penseur du surhomme, dont la vie n'a jamais été marrante, faut bien le dire, est devenu un sous-homme, et c'est cette existence que rend le film, à travers ces trois personnages...

- paraît que tarr est un amateur de Nietzsche, jeune il a voulu faire philo, on l'en aurait empêché pour des raisons politiques (un petit film sur des tziganes, il les montre écrivant un lettre à un ponte communiste, où il se plaigne de leur conditions de vie, et de leur désir de partir de Hongrie...ce sont pratiquement les mêmes que l'on retrouve dans le film, avec un côté démoniaque, maléfique, assez curieux; ils sont vraiment le contraire des personnages principaux, plein de vie, de force, de voix, quel contraste entre les chevaux...qu'est-ce que cela peut signifier...? )

-le côté nietzsche du film, bien entendu, c'est pas la fête, la joie, dionysos; mais bon c'est pas tout nietzsche; c'est aussi le penseur de la mort de dieu, du nihilisme, de l'absence de but... à quoi devait remédier la théorie du surhomme, et la création de nouvelles valeurs; on sait la différence des deux nihilismes, celui qu'il s'agit de surmonter, "à quoi bon, la vie, le monde, tout effort", et puis celui qui détruit pour créer de nouveaux horizons à l'humanité, l'actif; Béla tarr se tient dans l'horizon du nihilisme passif, celui qui lui fait dire que la vie c'est de la "merde"...

-le livre que les tziganes donnent à la fille, dit tarr, est une espèce d'antibible (un livre donc un peu nietzschéen)

-souvent en parlant du film tarr évoque la lourdeur de l'existence, de la vie, l'insupportable lourdeur de l'être (kundéra évoque l'épisode de turin dans son livre) l'existence est un fardeau; c'est aussi un thème chez nietzsche; une des épreuves de zarathoustra, c'est de vaincre l'esprit de lourdeur représenté par un nain; y a aussi un texte sur l'éternel retour comme le "poids le plus lourd"; c'est peut-être là que se trouverait le lien le plus fort entre Nietzsche et le film, dans l'idée du retour, éternel, du même : ici saisi dans son aspect le moins glamour, celui d'un quotidien qui se répète et qui ne varie que par la mise en scène, dans la mise en scène...l'éternel retour, c'est l'épreuve suprême pour la volonté de puissance...le grand sélecteur, des forts, et des faibles...


- la fin du film fait étrangement penser à celle du dernier malick, mais en moins "optimiste" : la dernière lumière s'éteint...


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Message par adeline Mar 6 Déc 2011 - 18:56

Et alors py, tu as aimé ou tu as détesté ?

Je suis encore plus épatée que je l'avais été par L'Hommes de Londres. Je reste terrorisée par la fin, par la lourdeur de cette vie, cette douleur tue. L'homme, sa fille et le cheval ne sont pas des damnés, pourtant on dirait qu'il y a là les conséquences d'une damnation. Quelle est cette vie ? C'est ce que je me suis demandé durant tout le film. Quelle est cette vie… Tout est action, mais rien de ce que les hommes font n'a d'incidence sur l'issue de l'histoire, la mort, la fin du feu, de la lumière…

Il est bizarre de lire des gens qui trouvent le film ennuyeux, long et insipide. Pour moi, il y a une tension incessante, une activité sans pause, une lutte constante. La longueur des plans et la musique lancinante ne changent rien au fait qu'il n'est question dans le film que de faire et refaire des gestes, qui sont voués à ne rien résoudre, à être inutiles, impuissants.

Je ne sais pas quelle est la philosophie de Béla Tarr, si c'est un mec absolument pessimiste, négatif et sombre, ou non, mais son film, qui ne dit que ça, me donne envie d'agir, de lutter, de créer, de chercher des moyens d'aller contre cette fatalité étouffante.

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Message par py Mar 6 Déc 2011 - 19:33

aimé oui, énormément, mais je ne sais pas si je pourrai le revoir un jour à cause de ce bruit de courant d'air qui m'a rendu dingue...

adeline a écrit:Je reste terrorisée par la fin, par la lourdeur de cette vie, cette douleur tue.

La petite lueur de ce film si sombre, j'ai pu la trouver dans le traitement du cheval par les deux paysans. Alors qu'en partant de l'anecdote de Nietzsche, on pouvait craindre le pire pour le cheval (on retient sa respiration, en s'entendant à trouver une carcasse boursouflée mangée par les mouches, à chaque fois qu'ils ouvrent la porte de la grange), Tarr nous montre des paysans qui ménagent leur monture épuisée, au risque de se tuer aux-même à la tâche.

C'est ça la grandeur de l'homme, se traiter soit même pire qu'une bête... Et celle de Tarr qui dépeint un monde d'une noirceur extrême sans utiliser d'effet tape à l'oeil dégueulasse.
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Message par Borges Mar 6 Déc 2011 - 20:05

py a écrit:aimé oui, énormément, mais je ne sais pas si je pourrai le revoir un jour à cause de ce bruit de courant d'air qui m'a rendu dingue...

adeline a écrit:Je reste terrorisée par la fin, par la lourdeur de cette vie, cette douleur tue.

La petite lueur de ce film si sombre, j'ai pu la trouver dans le traitement du cheval par les deux paysans. Alors qu'en partant de l'anecdote de Nietzsche, on pouvait craindre le pire pour le cheval (on retient sa respiration, en s'entendant à trouver une carcasse boursouflée mangée par les mouches, à chaque fois qu'ils ouvrent la porte de la grange), Tarr nous montre des paysans qui ménagent leur monture épuisée, au risque de se tuer aux-même à la tâche.

C'est ça la grandeur de l'homme, se traiter soit même pire qu'une bête... Et celle de Tarr qui dépeint un monde d'une noirceur extrême sans utiliser d'effet tape à l'oeil dégueulasse.

comparer ce film, le cinéma de tarr, à la grande idée de badiou, développée par exemple dans "l'éthique"

Tout d´abord, parce que l´état de victime, de bête souffrante, de mourant décharné, assimile l´homme à sa substructure animale, à sa pur et simple identité de vivant ( la vie, comme le dit Bichat, n´est que ” l´ensemble des fonctions qui résistent à la mort“). Certes, l´humanité est une espèce animale. Elle est mortelle et prédatrice. Mais ni l´un ni l´autre de ces rôles ne peuvent la singulariser dans le monde vivant. En tant que bourreau, l´homme est une abjection animale, mais il faut avoir le courage de dire qu´en tant que victime, il ne vaut en général pas mieux. Tous les récits de torturés et de rescapés l´indiquent avec force: si les bourreaux et bureaucrates des cachots et des camps peuvent traiter leurs victimes comme des animaux promis a l´abattoir, et avec lesquelles eux, les criminels bien nourris, n´ont rien de commun, c´est que les victimes sont bel et bien devenues de tels animaux. On a fait ce qu´il fallait pour ça. Que certaines cependant soient encore des hommes, et en témoignent, est un fait avéré. Mais justement, c´est toujours par un effort inouï, salué par ses témoins qu´il éveille à une reconnaissance radieuse comme une résistance presque incompréhensible, en eux, de ce qui ne coïncide pas avec l´identité de victime. Là est l´Homme, si on tient à le penser: dans ce qui fait, comme le dit Varlam Chalamov dans ses Récits de la vie des camps, qu´il s'agit d´une bête autrement résistante que les chevaux, non par son corps fragile, mais par son obstination à demeurer ce qu´il est, c´est à dire, précisément, autre chose qu´une victime, autre chose qu´un être pour la mort, et donc: autre chose qu´un mortel..

tout le cinéma de BT me semble la réduction de cette immortalité, vise à ramener les hommes à leur être animal, la vie à la simple survie... un processus de soustraction, de dégradation...(c'est pas beckett, pourtant);le film es un survival, avec des airs de westerns, parfois... mais ici, pas de monstre, de démon, de dingue... même si on ne peut pas laisser de côté une présence menaçante, peut-être diabolique; après tout satan n'est pas étranger au cinéma, à l'univers de BT;

réduire l'homme à rien, c'était le but de pascal, par exemple, mais pour le relever ensuite vers sa destination métaphysique... chez BT, la réduction n'est pas suivie d'une relève; rien de sublime, différence avec le dernier malick, qui installe aussi l'homme dans l'infini, y a rien que le néant; c'est assez triste, et inquiétant...

on pense à la critique bête que cioran faisait de nietzsche, encore trop naïf de croire à une relève du nihilisme; c'est peut-être là que se situe le sens de l'anecdote de l'effondrement du penseur du surhomme, le saisir là où il est le plus éloigné de son idéal;

deleuze n'avait pas de mots assez durs pour ce réductionnisme;

etc.





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Message par NC Mer 7 Déc 2011 - 8:58

En tant que bourreau, l´homme est une abjection animale, mais il faut avoir le courage de dire qu´en tant que victime, il ne vaut en général pas mieux.

Quel courage ce Badiou.

Finalement, dans les camps, seuls des animaux y sont morts. Les hommes, enfin l'Homme avec un grand H, c'est celui qui a survécu. D'un côté celui qui consent à devenir une victime, un animal, et de l'autre l'Homme, celui qui "résiste" implacablement.

Heureusement "tous les récits de rescapés" ne l'indiquent pas avec force. Ils sont quand même moins stupides que ça.

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Message par Invité Mer 7 Déc 2011 - 9:29

NC a écrit:
En tant que bourreau, l´homme est une abjection animale, mais il faut avoir le courage de dire qu´en tant que victime, il ne vaut en général pas mieux.

Quel courage ce Badiou.

Finalement, dans les camps, seuls des animaux y sont morts. Les hommes, enfin l'Homme avec un grand H, c'est celui qui a survécu. D'un côté celui qui consent à devenir une victime, un animal, et de l'autre l'Homme, celui qui "résiste" implacablement.

Heureusement "tous les récits de rescapés" ne l'indiquent pas avec force. Ils sont quand même moins stupides que ça.

ah oui, sidérant ce qu'écrit Badiou. Limite crapuleux. Ce que l'intellectuel peut produire de plus divorcé de l'humain, je ne sais pas trop comment le dire, scuzi. Je propose d'inscrire Badiou à Koh Lanta, voir s'il arrive au moins jusqu'à l'épreuve des poteaux, avec toute sa force mentale. Et puis ça lui fera peut-être du bien de pas bouffer.

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Message par Eyquem Mer 7 Déc 2011 - 10:23

NC a écrit:
En tant que bourreau, l´homme est une abjection animale, mais il faut avoir le courage de dire qu´en tant que victime, il ne vaut en général pas mieux.

Quel courage ce Badiou.

Finalement, dans les camps, seuls des animaux y sont morts. Les hommes, enfin l'Homme avec un grand H, c'est celui qui a survécu. D'un côté celui qui consent à devenir une victime, un animal, et de l'autre l'Homme, celui qui "résiste" implacablement.
Résister, ne pas devenir un animal, ça ne veut pas dire "survivre" comme être vivant mais survivre comme être humain. Ce que dit Badiou ne me paraît pas incompatible avec ce que raconte Primo Levi dans Si c'est un homme, qui dit justement que ceux qui voulaient rester des hommes, c'étaient les premiers à mourir. Mais précisément, ils ne mouraient pas comme des victimes : c'est parce qu'ils mouraient comme des hommes qu'ils prouvaient qu'ils étaient des Immortels.

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Message par NC Mer 7 Déc 2011 - 11:10

Qu'il y ait eu une volonté de déshumaniser la victime, pour faciliter le travail, personne ne dira le contraire, mais dire que cette deshumanisation a eu lieu, c'est emprunter le regard du bourreau. Je n'ai jamais entendu dire qu'un homme se soit transformer en canard dans un camp, ni en souris. Au pire de l'abjection ils restaient des hommes, ou des femmes, quand bien même ils ne correspondaient plus à tel définition de l'Homme authentique de tel ou tel métaphysicien (ce qui ne serait pas la démonstration de la perte de l'humanité, mais pluutôt de l'inanité de la définition) . Ce qui est valable aussi pour les bourreaux, qui ne se transformèrent pas en animal (je récuse donc l'autre partie de la proposition de Badiou), autrement pourquoi auraient ils eu besoin de déshumaniser la victime ?

Enfin, concernant Primo Lévi, il ne parlait pas de ça, il disait que pour survivre, il faut avoir une bonne santé à la base, et beaucoup d'astuce. Et ce qu'il décrit, et jusqu'au bout, c'est l'interrogation morale (la nécessité d'un égoïsme absolu pour survivre), et la culpabilité qui en découle. Voilà bien une activité humaine.
Je n'ai jamais lu chez lui par contre des histoires sur des hommes qui mourraient comme des hommes et qui par la même devenaient immortels. Ce genre de raisonnement me semblent assez loin de sa pensée.

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Message par Eyquem Mer 7 Déc 2011 - 11:20

Je ne connais pas Si c'est un homme par coeur, mais je pensais, notamment, à cette page (fin du chapitre 12) :

Or, entre Lorenzo et moi, il ne se passa rien de tout cela. A supposer qu'il y ait un sens à vouloir expliquer pourquoi ce fut justement moi, parmi des milliers d'autres êtres équivalents, qui pus résister à l'épreuve, je crois que c'est justement à Lorenzo que je dois d'être encore vivant aujourd'hui, non pas tant pour son aide matérielle que pour m'avoir constamment rappelé, par sa présence, par sa façon si simple et facile d'être bon, qu'il existait encore, en dehors du nôtre, un monde juste, des choses et des êtres encore purs et intègres que ni la corruption ni la barbarie n'avaient contaminés, qui étaient demeurés étrangers à la haine et à la peur; quelque chose d'indéfinissable, comme une lointaine possibilité de bonté, pour Ia quelle il valait la peine de se conserver vivant.

Les personnages de ce récit ne sont pas des hommes. Leur humanité est morte, ou eux-mêmes l'ont ensevelie sous l'offense subie ou infligée à autrui. Les SS féroces et stupides, les Kapos, les politiques, les criminels, les prominems grands et petits, et jusqu'aux Häftlinge, masse asservie et indifférenciée, tous les échelons de la hiérarchie dénaturée instaurée par les Allemands sont paradoxalement unis pur une même désolation intérieure.

Mais Lorenzo était un homme: son humanité était pure et intacte, il n'appartenait pas à ce monde de négation. C'est à Lorenzo que je dois de n'avoir pas oublié que moi aussi j'étais un homme.
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Message par NC Mer 7 Déc 2011 - 15:09

Il me semble que lorsqu'il dit "ils avaient perdus leur humanité", il fait référence tout simplement à la bonté, l'espoir, l'intégrité etc... Ce qu'il reste de ce processus de perte, ce n'est pas un devenir animal, mais la désolation intérieure.
Primo Lévi s'est souvent posé la question du "pourquoi moi ai je survécu ?", mais jamais il n'a chanté son humanité authentique héroïque dans la résistance bla bla bla. Il a donné au contraire beaucoup de réponses, il a beaucoup parlé de diverses rencontres, sans qu'aucune ne soit parfaitement satisfaisante. D'où l'idée de la chance : méritait il de survivre ? Culpabilité etc...
Tout ceci me semble beaucoup plus intéressant et subtile que les braves slogans lancés par Badiou depuis sa chaire d'université.
"Demeure ce que tu es" / "sois autre chose qu'une victime"

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Message par Eyquem Mer 7 Déc 2011 - 15:47

Un entretien ancien, et en anglais, avec Bela Tarr :

BELA TARR : The world is moving and turning and people are seeing films. This is our film, that's all. We just want to show to you and to everybody how the human condition is. That's all. We don't want to judge anybody. We don't want to make any interpretation. We just want to show something of what's going on.

I wanted to be a philosopher when I was younger, but fortunately or unfortunately something happened to me. Now I'm a film-maker, but I'm not a real film-maker.

I hope we are closer to life than cinema.

If someone starts acting in a scene we say immediately what are you doing? Don't play it—just be. That's the reason why we are interested in what is happening inside someone. They must live in a scene. If they have no life or real emotions you can see it in their eyes. You can check immediately he is in the situation, he is involved, he is really living in this situation or just simply playing something. If somebody plays it is immediately boring, immediately empty, immediately nothing. You can put it into the garbage. This is not a scene.

We don't think about metaphysics or any philosophical speculation because a film is concrete. We use a camera and shoot scenes. If you are a writer you have paper and can write a lot of things about this table. But if you are a film-maker you can just show this table. You can see immediately the kind of table and how interesting it is, but it is still only a table. That is the reason why I don't understand someone talking about philosophical or metaphysical things. No, it's not true. Please, just watch the movie; just listen to your heart. Please, trust your eyes: everything is very clear and very simple. Watch. That's important. Don't think about it too much. Everyone can understand it if they don't complicate it. It's just a simple film. It's a very primitive language.
C'est le contraire de ce qu'on pourrait croire, à propos de la durée d'un long plan-séquence : filmer longtemps une chose, ce n'est pas une manière d'en voir plus, c'est une manière d'en voir de moins en moins, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus que la chose qui n'est que chose, la table qui n'est que table, et rien que ce qu'elle est.
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Message par wootsuibrick Jeu 8 Déc 2011 - 7:44

J'aime ta formule, Eyquem...
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Message par Eyquem Ven 9 Déc 2011 - 1:28

hello,
Borges a écrit:comme la figure du retour revient souvent dans ton texte, c'est peut-être de ce côté qu'il faut chercher un titre
Il y a deux mouvements dans le film : une boucle, et une ligne. La boucle de ce qui revient, et la ligne de ce qui ne revient pas et qui va vers son extinction.
Ce qui revient, ce sont les tâches quotidiennes : s'habiller, se déshabiller, aller puiser de l'eau, etc.
Mais ce qui ne revient pas, ce sont les saisons. Ce qui finit pas ne pas revenir, c'est la lumière du jour. C'est la vie, comme alternance, comme cycle, qui s'épuise. Ce paysage stérile continuellement balayé par le vent, par des bourrasques de poussière, de feuilles mortes semblables à des cendres, rappelle la légende de "la terre gaste", la terre dévastée, la terre vaine (TS Eliot). C'est la légende qu'on connaît notamment par le mythe du Graal et de Perceval : la terre gaste, c'est le royaume infécond du roi pécheur, qui attend le chevalier qui le régénèrera. Aucun sauveur ici.


Est-ce que le Nietzsche de la mort de Dieu, du nihilisme passif, n'est pas directement évoqué dans le monologue du voisin, quand il raconte que l'homme est l'espèce la plus abjecte, qui souille et s'accapare tout, si bien que ce qui est bon, noble, a fini par s'éteindre, par disparaître de la surface de cette terre ?


Et pourquoi 6 jours ? En référence à la création du monde dans la Genèse, ici inversée en extinction progressive de toute vie, de toute chaleur, de toute lumière ?


Dans l'entretien que je citais sur le forum, Tarr dit qu'une table reste une table au cinéma, et qu'il ne faut rien interpréter dans ses films. Mais c'est difficile de ne pas voir autre chose dans cette fable que ce qu'elle montre.

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Message par wootsuibrick Ven 9 Déc 2011 - 7:05

si ce n'était que ce qu'elle montre ou inversement, selon la perspective d'où l'on se place, ça serait l'idée de son montage, et les éléments que l'histoire cadre + le fait qu'il s'agit d'acteurs et que derrière il y a une caméra. Cependant il me semble qu'il s'agit bien d'une fiction? je n'ai pas vu ce béla tarr, mais rien d'aussi radical (ou facile (ceci n'est pas une table)) chez lui, pour ce que j'en connais (c'est à dire juste Damnation).

La table on y croit comme élément de la fiction. Elle n'est jamais juste une table (ou le contraire (toujours juste une table), mais sans le poids matérialiste (ontologique?) que semble donner Béla Tarr, plûtot juste une table de fiction, comme n'importe quelle table de fiction), vu qu'elle aide à rendre crédible la fiction. Si ce n'était juste que la table, elle aurait une présence, donnerait à voir un état, qui irait contre la fiction mise en place par le cinéaste.

(puis faut arrêter de croire que Dieu est derrière l'œilleton, au mieux ça serait une image de la table, qu'elle soit en 3D, en 35 2D, ou en full HD, avec ou sans long plan séquence ultra immergeant, qui donne l'impression de faire apparaitre l'objet pour la première fois à notre regard, et ce même si les pigeons viennent y picorer)
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Message par Borges Ven 9 Déc 2011 - 8:41

hello,

quand il s'agit de nihilisme passif, de l'extinction de la volonté, du désir, de la joie et de la force, de la vie dégradée, on peut trouver dans nietzsche des millions de passages qui font résonner le film, c'est pas un problème, par exemple, ce chant dans le zarathoustra;le prophète;

« ... Et je vis une grande tristesse se répandre sur tous les hommes. Les meilleurs se lassèrent de leurs travaux. Une doctrine se répandit, traînant une croyance à sa suite: « Tout est vain, tout est égal, tout est révolu. »

Et de toutes les collines l'écho répétait: « Tout est vain, tout est égal, tout est révolu. »
Nous avons récolté: mais pourquoi tous nos fruits ont-ils pourri et jauni? Quelle est cette influence tombée la nuit dernière d'une mauvaise lune? Notre labeur fut inutile, notre vin s'est tourné en poison, le mauvais oeil a brûlé et rôti nos champs et nos coeurs. Nous sommes tous desséchés; et si le feu tombe sur nous, nous nous en irons en poussière; nous avons lassé le feu même. Toutes nos sources sont taries, la mer elle-même a reculé. Le sol se dérobe, mais la mer refuse de nous engloutir.
« Hélas! où il y a-t-il encore une mer où se noyer? Telle est notre lamentation au long des plats marécages. En vérité, nous sommes déjà trop las pour mourir; nous continuons à
veiller et à vivre - dans des chambres sépulcrales. » »

Zarathoustra entendit un prophète qui parlait ainsi; et cette lamentation lui alla au coeur et altéra son humeur. Il s'en allait triste et las, et il devint semblable à ceux dont le Prophète avait parlé.
« En vérité, dit-il à ses disciples, nous allons maintenant entrer dans un long crépuscule. Hélas! Comment arriverais-je à sauver jusqu'au matin ma lumière? Pourvu qu'elle ne s'éteigne pas dans la tristesse ambiante! Elle est destinée à éclairer des mondes plus lointains, et des nuits plus lointaines
encore. »



le passage des tziganes et du puits est curieux, dérangeant, je me pose des questions, sur la place des tziganes dans le film, quand on sait la leur en Hongrie...c'est après leur passage que le puits s'est asséché; non? vieille image de l'empoisonneur du puits...


dans un autre chant du zarathoustra (la canaille) on trouve rassemblées trois des figures "métaphoriques", ou pas, du film : le puits, l'arbre, la flamme
"
La vie est une source de joie; mais où vient boire la canaille, toutes les sources sont empoisonnées.
J'aime tout ce qui est pur, mais je n'aime point voir les gueules grimaçantes ni la soif des impurs.
Ils ont jeté leurs regards au fond du puits; à présent le puits reflète leur répugnant sourire.
Leur lubricité a empoisonné l'eau sainte, et en appelant joie leurs rêves immondes, ils ont empoisonné les mots par surcroît.

La flamme se cabre dès qu'ils exposent au feu leurs coeurs humides, l'esprit lui-même grésille et fume dès que la canaille s'approche du feu. Le fruit devient douceâtre et blet dans leur main, leur regard suffit à dessécher l'arbre fruitier.

Et plus d'un qui s'est dégoûté de la vie en a été dégoûté par la canaille; il n'a pas voulu partager avec la canaille la source, la flamme et le fruit. Et plus d'un s'en est allé au désert mourir de soif avec les fauves plutôt que de prendre place avec les chameliers crasseux autour de la
citerne.
"


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Message par Borges Ven 9 Déc 2011 - 8:52

Il y a deux mouvements dans le film : une boucle, et une ligne. La boucle de ce qui revient, et la ligne de ce qui ne revient pas et qui va vers son extinction.

je sais pas si on peut distinguer les deux, puisque le temps cyclique, c'est d'abord celui de la nature, des saisons qui reviennent, c'est l'une des origines de l'idée du temps, comme retour...la liberté humaine, c'est une rupture de ce cercle (cf rousseau, hegel...arendt... ); le temps humain chez béla tarr est toujours d'une certaine manière pris dans le temps de la nature; il filme des paysans...quand le temps cosmique s'épuise, s'arrête, le quotidien ne peut plus revenir... en un sens on peut dire qu'il y a pas de temps humain chez béla tarr, mais un temps naturel, cosmique...mais ce ne serait pas juste, il y a une dimension humaine du temps, celui de l'attente, sans projet...l'attente du sauveur justement, du prince... une attente passive...qui ne projette pas l'avenir...


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Message par Borges Ven 9 Déc 2011 - 9:44



des notes en brouillons,

"la table qui n'est que table, et rien que ce qu'elle est."

-tout est là, dirait Heidegger, dans ce moins, qui est en fait un plus; elle n'est qu'une table, parce que dans la vie ordinaire, une table n'est jamais une table; il faut une image, l'art, le cinéma, la littérature, la peinture, la photo, pour que la table en n'étant plus une table (ce qui sert, et qui donc ne vient jamais soi-même en présence, oublié dans l'usage) la table, devienne la table...

-faudrait déployer toute la puissance de sens de "n'est que", et, dans un même mouvement, car c'est lié, bien entendu, le Rien de "rien que ce qu'elle est"


-le plan-séquence ne montre pas plus qu'un plan court, il montre, alors que le plan court, le montage, lie... on ne voit pas plus, ni mieux, parce que ce qui est dans le plan-séquence, c'est la durée, la donation du temps, qui n'est pas temps pour voir, ou de l"attention soutenue; en tous les cas, pas chez béla tarr, c'est plutôt hypnotique, en fait, comme fait; on est pas plus attentif à ce qui se montre, à l'image, mais plus le plan dure, plus on s'en détache, plus on revient à soi; le plan-séquence chez Béla tarr fonctionne un peu comme la répétition d'un mot, mécaniquement, à force, il finit par ne plus rien vouloir dire, il se dissous, et avec lui le langage, le sens... c'est ça, l'effet du plan-séquence chez lui : montrer et à force de montrer, épuiser le regard, l'attention, la concentration, tout ce qui peut définir un sujet, mais aussi faire perdre aux choses les contours de leur identité; souvent chez lui, se répète un dispositif, des personnes dans une pièce, ils la quittent, et la caméra reste dans l'espace vide, filme le lieu, le mobilier... on ne sait pas ce qui est filmé, les objets, ou l'absence de ceux qui étaient là, leur disparition, l'indifférence de l'espace, du lieu, des objets qui demeurent...je sais pas... mon idée est que ce qui est filmé, c'est le néant, non pas la table, par exemple, mais son néant, son absence; dans la présence-même, le néant dans la présence, le vide dans le plein; là faudrait penser à cette rhétorique chez ozu, mais ça dure bien moins longtemps...ça ne fonctionne pas de la même manière; chez Béla tarr, la table est si présente, qu'elle ne veut plus rien dire; en cela on peut le dire existentialiste...on pense un peu à l'expérience de la nausée...


-le plan-séquence de la table ne nous montre pas la table, mais son immédiateté, son être, le néant... d'une part, mais cette table est au monde, dans une nature; on ne peut pas la voir seule, parce qu'elle n'existe pas seule, elle porte des choses, les assiettes, la lampe... elle est lié aux chaises... il s'inscrit donc dans un monde, dans un système humain finalisé, et elle renvoit aussi à ses origines, à la nature, à la matière dont elle est faite, une table diraient ceux qui n'ont pas lu heidegger, c'est de la matière formée... que ce lien n'échappe pas au film, le montre, la présence de arbre, du bois, que le paysan coupe, pas de vie, dans le film, le paysan coupe du bois;la table qui n'est que table, et rien que ce qu'elle est, en elle se dit le rapport du monde à la nature, qui n'est que dans un monde...

la table est en bois, dans la table est réuni le monde, le lien de l'homme à la nature; comme dit Béla tarr, souvent, tout est lié; aucun des ces trois personnages ne peut être, vivre, sans les deux autres... solidarité des hommes entre eux, mais aussi de l'homme et de la nature; une table n'est qu'une table, un outil, mais c'est aussi de la nature transformée...

-tout ce que je dis ici bien entendu doit pas mal à Heidegger et à son analyse du tableau de VG, dans OOA; vangogh, à qui on doit un tableau : les mangeurs de pommes de terre;

ici, devrait venir le discours plein de mépris de Irimiás, dans satantango, sur ces êtres, des esclaves, qui vivent comme des ombres (image essentiel chez BT) ayant perdu leur maître, mangeant des pommes de terre, chiant, regardant par la fenêtre; très important, je crois, ce passage : des esclaves qui ont perdu leur maître, cela peut vouloir dire bien des choses, depuis nietzsche, par exemple, ou blanchot... chez Hegel, il y a un maître, l'esclave peut toujours espérer le vaincre, le maître mort, les esclaves danseront, mais que peut faire un esclave sans maître...un ouvrier par exemple qui sait pas pour qui il bosse... comment lutter contre les marchés financiers, par exemple... nous sommes tous en un sens devenu semblable à ces prolétaires en haillons que même marx et ses prolétaires excluaient : des êtres tombés en dessous du besoin (ils finissent par ne plus manger, comme le cheval; fin du conatus, du désir de vivre; plutôt vouloir le néant, que ne rien vouloir, disait l'autre; mais ici nous sommes vraiment en-deçà du vouloir, même du néant...le néant néantit, tout seul, pas besoin de le seconder ), l'ombre de l'esclave exilée de l'esclavage, qui travaille sans rapport formateur avec le travail (blanchot)

-j'aime bien cette question de blanchot : comment faire disparaître ce qui a pour essence la disparition...

-pq l'exemple de la table?



parmi les plus choses du monde, en littérature, y a les notes pour "la table" de Ponge...un poème jamais achevé, si je me trompe pas...dans certains passages, on retrouve curieusement, les éléments du film, tous tiré du mot table... ce qu'on filme, c'est des choses, sans doute, mais aussi des mots, qui sait la puissance de l'insu dans ce que l'on croit savoir...




"Ce n'est qu'une pièce du mobilier une autre, indispensable, étant la chaise ou le tabouret ou le fauteuil placé devant,une autre encore étant le lit ou le divan une autre enfin- la lampe (ou le soleil) (par quelque fenêtre) si l'on ne se trouve dans quelque appartement naturel (herbage ou verger, sous-bois, creux de rochers, berge ou plage)

Pour avoir une véritable table {il suffit/mais il faut} enlever sa vérité à véritable. A supportable cet insupportable supor, à portable ce por, à épouvantable son épouvante, à démontable son démon (il suffit de le démonter) à redoutable sa redoute. En un mot, de ne garder que le suffixe hors toute signification Table..."









Dernière édition par Borges le Dim 11 Déc 2011 - 11:46, édité 1 fois
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Message par Borges Dim 11 Déc 2011 - 11:43

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Message par Eyquem Mer 14 Déc 2011 - 18:45

'soir Borges,
Borges a écrit:le film est un survival, avec des airs de westerns, parfois... mais ici, pas de monstre, de démon, de dingue... même si on ne peut pas laisser de côté une présence menaçante, peut-être diabolique; après tout satan n'est pas étranger au cinéma, à l'univers de BT
Apparemment, "Almanach d'automne", un de ses films précédents, commence par cette citation de Pouchkine :

"Męme si tu me tues, je ne vois pas de trace
Ce paysage m'est à présent inconnu,
C'est sans doute le diable qui me sert de guide
Il erre sans but, il tourne en rond."


C'est la répétition elle-même qui est diabolique.

Tu parlais de La Nausée de Sartre, à cause de l'expérience du néant des choses. Dans l'entretien de Positif, Tarr cite Huis clos comme une de ses références (je trouve ça curieux, quand même).


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Message par Eyquem Mer 14 Déc 2011 - 18:58

Borges a écrit:-pq l'exemple de la table?
La table, c'est un objet platonicien, non ? C'est l'objet qui revient souvent (avec le lit) dans La République, il me semble.
La table qui n'est que table, et rien que ce qu'elle est, c'est pas la table sur laquelle on mange, c'est l'Idée de table.
Ce serait ça, la magie du cinéma : transfigurer une table sensible en table intelligible. Mais je ne pense pas que Platon serait d'accord. lol
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Message par Borges Jeu 15 Déc 2011 - 12:58

Eyquem a écrit:
C'est la répétition elle-même qui est diabolique.

"Errare humanum est, perseverare diabolicum"

hello eyquem,

"il erre sans but, il tourne en rond;"

oui, et ne pas oublier aussi les titres "satantango" que je revois en ce moment;et "damnation", la solitude absolue... http://www.lemonde.fr/culture/article/2011/09/09/bela-tarr-la-veritable-damnation-c-est-la-solitude-absolue_1569812_3246.html

l'enfer, c'est vraiment son truc, celui de blanchot, plus que de sartre; c'est blanchot, dans ses réflexions sur l'enfer, (l'entretien infini) qui parle le mieux de l'enfer de tarr, l'enfer du malheur, où l'homme devient étranger à lui-même, autre, aliéné, et sans rapport à soi...tombé en-deçà du besoin, même le plus élémentaire

(manger par exemple, comme dans le cheval de turin; où les hommes et les bêtes ne peuvent même plus manger, affirmer le conatus le plus rudimentaire; ils meurent de faim, mais ne finissent pas leur pomme de terre; mangeant, ils ne mangent pas... curieusement dans le cheval de turin, même la boisson n'est plus un remède...un calmant, une fuite... dans le cheval de turin le conatus est remis en cause, curieusement, d'abord par le cheval, qui refuse de bosser, qui refuser de manger, puis par le père... ils tombent en deçà de "l'égoïsme sans égo", "le plus terrible égoïsme", des prisonniers des camps, que décrit blanchot, avec antelme, "où l'homme, acharné à survivre, attaché d'une manière qu'il faut dire abjecte à vivre et à toujours vivre... )

(lier à ce qu'écrivait badiou, sur les victimes...la différence est pourtant grande entre les deux;dans cet égoïsme sans égo acharné à vivre ce qui s'affirme ce n'est pas un égo, un je, quelqu'un, mais la vie anonyme, impersonnelle... pour le dire, très vite,à l'extrême limite du besoin, le désir revient, et l'infini des rapports humains...)



"l'homme tout à fait malheureux, l'homme réduit par l'abjection, la faim, la maladie, la peur, devient ce qui n'a plus de rapport à soi, ni avec qui que ce soit, une neutralité vide, un fantôme errant dans un espace où il n'arrive rien, un vivant tombé au-dessous des besoins. Ce malheur peut être particulier, mais il concerne surtout le grand nombre. Qui a faim pour soi seul et vit dans le dénuement de l'injustice, au milieu d'un monde encore heureux ou tranquille, a une chance d'être renvoyé à une solitude violente, à ces sentiments qu'on appelle mauvais, envie, honte, désir de se venger, de tuer, de se tuer, où il y a encore de l'espoir. La faim dont nous parle knut hamsun (hello breaker) est une faim que l'orgueil peut nourrir. Il semble que l'infini du nombre soit la vérité de cette autre sorte de malheur. Il y a dit-on une communauté du malheur, mais il y a un point où ce qui est souffert ensemble, ne rapproche pas, n'isole pas, ne fait que répéter le mouvement d'un malheur anonyme, qui ne vous appartient pas, et ne vous fait pas appartenir à un espoir, à un désespoir communs. "


(blanchot, l'EI, p.258)

il faudrait citer tout le texte, le livre...

en lisant blanchot, commentant antelme, par exemple, en le méditant, on peut peut-être aller au-delà de la formule de sartre, "l'enfer, ce n'est pas les autres", pour oser quelque chose d'autre, pour rendre une autre idée de l'enfer; l'enfer, ce n'est pas les autres, c'est quand je devient autre, étranger à moi-même, quand je ne peux plus dire" je", quand je ne peux plus, quand je suis abandonné par le possible, et confronté à cette autre en moi, qui n'est pas moi, et avec qui je ne peux avoir aucun rapport... "déchu de moi, étranger à moi-même, ce qui s'affirme à ma place, c'est l'étrangeté d'autrui-l'homme comme absolument autre, étranger et inconnu, le dépossédé et l'errant ou, comme dit rené char : "l'homme inimaginable", par la présence duquel passe l'affirmation d'une exigence infinie"

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Message par Borges Jeu 15 Déc 2011 - 13:15

Eyquem a écrit:
Borges a écrit:-pq l'exemple de la table?
La table, c'est un objet platonicien, non ? C'est l'objet qui revient souvent (avec le lit) dans La République, il me semble.
La table qui n'est que table, et rien que ce qu'elle est, c'est pas la table sur laquelle on mange, c'est l'Idée de table.
Ce serait ça, la magie du cinéma : transfigurer une table sensible en table intelligible. Mais je ne pense pas que Platon serait d'accord. lol

oui, la table, le lit, ce sont de vieux exemples philosophiques, platoniciens... qu'on retrouve partout... "ah, les philosophes et leurs exemples, disait deleuze", ou quelque chose dans le genre...



c'est pas vraiment l'idée de la table, la table en soi; dans l'idée de la table manque la matière...et la singularité, cette table, et pas une autre...(tu lisais "Etre et Temps", heidegger y dit qu'un outil ne vient jamais en présence que lorsqu'il est retiré d'usage, hors d'usage, cassé... c'est un peu ce que fait l'oeuvre d'art, elle retire les objets de l'usage, donc de leur destination externe, de leur finalité, pour les donner à voir, eux-mêmes : "le rien que"...pour moi... c'est la table hors d'usage, présente là, dans son immédiateté... Mais comme la table elle-même, sans qualités, sans déterminations, n'est rien, on ne peut rien en dire, la dire c'est toujours la qualifier (c'est pq certains "théoriciens" disent que voir vraiment une ouvre d'art, c'est ne rien y reconnaître, ne rien voir, cf ce que dit rancière du film de SG) ce qui est montré dans cette table, c'est aussi quelque chose comme le néant; l'être et le néant, sans qualification, dans leur immédiateté, sont le même, plus ou moins disait hegel; là, il faudrait reparler de l'OOArt, ou de "la vérité en peinture"; ou des analyses d'un type un peu oublié, mais dont "la Phénoménologie de l'expérience esthétique" est vraiment superbe : M Dufrenne )



Dernière édition par Borges le Jeu 15 Déc 2011 - 14:29, édité 1 fois
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